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Ain’t I a Woman ? Ne suis-je pas une femme ?

mis en ligne le 3 mai 2015 - Sojourner Truth

En mai 1851, Sojourner Truth a participé à la Women’s Rights Convention à Akron, Ohio, USA. Elle y a fait un discours bref et plein de force, qui a été rapporté le 21 juin 1851, dans le journal Anti-Slavery Bugle, par Marcus Robinson (avec qui Sojourner Truth travaillait). C’est ce discours qui a donné naissance à la légende du discours « Ain’t I a woman », perpétrée par Frances Dana Gage, l’organisatrice de la Convention, qui a publié sa version du discours de Truth le 23 avril 1863, dans le journal New York Independant. Elle l’a agrémenté de divers commentaires relatant les réactions de l’audience, et l’a affublé d’un dialecte rustre du Sud. Il est très probable que ce dialecte soit uniquement né dans l’imaginaire exotisant de Gage, puisque Truth était originaire du Nord, et que sa langue maternelle était le néerlandais.


« Bon, les enfants, quand il y a autant de raffut quelque part, c’est qu’il y a quelque chose de chamboulé. Je crois qu’entre les Noirs du Sud et les femmes du Nord, qui parlent tou.tes de leurs droits, l’homme blanc va bientôt être dans le pétrin. Mais de quoi parle-t-on ici au juste ?
Cet homme là-bas dit que les femmes ont besoin d’être aidées pour monter en voiture, et qu’on doit les porter pour passer les fossés, et qu’elles doivent avoir les meilleures places partout. Personne ne m’aide jamais à monter en voiture, ou à passer les fossés, ou ne me donne une meilleure place ! Et ne suis-je pas une femme ? Regardez-moi ! Regardez mon bras ! J’ai labouré, planté, et rempli des granges, et aucun homme ne pouvait me devancer ! Et ne suis-je pas une femme ? Je pouvais travailler autant qu’un homme, et manger autant qu’un homme —quand j’avais assez à manger— ainsi que supporter tout autant le fouet ! Et ne suis-je pas une femme ? J’ai mis au monde treize enfants, et vu la plupart d’entre eux être vendus comme esclaves, et quand j’ai pleuré avec ma douleur de mère, personne à part Jésus ne m’écoutait ! Et ne suis-je pas une femme ?
Puis ils parlent de ce truc dans la tête ; comment est-ce qu’ils l’appellent déjà ? [des membres de l’audience lui répondent en chuchotant : « l’intellect »] C’est ça, chéri.e. Qu’est-ce que ça a à voir avec les droits des femmes ou les droits des Noirs ? Quand bien même mon verre ne ferait qu’un demi, et le tien une pinte, ne serait-ce pas méchant de ne pas me laisser remplir le mien ?
Puis ce petit homme habillé en noir juste là, il dit que les femmes ne peuvent pas avoir autant de droits que les hommes, parce que le Christ n’était pas une femme ! Et ton Christ, d’où il vient ? Il est né de Dieu et d’une femme ! L’homme n’a rien à voir avec Lui.
Si la première femme que Dieu a créée était assez forte pour mettre le monde à l’envers à elle toute seule, alors les femmes ensemble devraient être capables de le remettre en place, et de le refaire tourner rond ! Et maintenant qu’elles demandent à s’y mettre, les hommes feraient mieux de les laisser faire.
Merci de m’avoir écoutée, et maintenant la vieille Sojourner n’a rien de plus à dire. »

―version rapportée par Frances D. Gage, une femme blanche, en 1863.

« Je veux dire quelques mots sur ce sujet. Je suis une militante des droits des femmes. Je suis aussi musclée que n’importe quel homme, et je peux abattre tout autant de travail que n’importe quel homme. J’ai labouré, moissonné, fauché, haché et battu le grain, et est-ce qu’un homme peut faire plus que ça ? J’ai entendu beaucoup de choses sur l’égalité des sexes. Je peux porter autant qu’un homme, et manger autant qu’un homme —quand j’ai assez à manger. Je suis aussi forte qu’un homme peut l’être.
Pour ce qui est de l’intellect, tout ce que je peux dire c’est que quand bien même les femmes ne boivent qu’un demi, et que les hommes boivent une pinte, qu’est-ce qui les empêche de remplir leur verre ? Vous ne devez pas hésiter à nous donner nos droits de peur qu’on en prenne trop, de peur qu’on fasse déborder notre verre.
Les pauvres hommes semblent tout confus, et ne savent pas quoi faire. Ben pourquoi les enfants ? Si vous détenez les droits d’une femme, rendez-les lui et vous vous sentirez mieux. Vous garderez vos propres droits, et il n’y aura plus de problème.
Je ne sais pas lire, mais je sais écouter. J’ai écouté la bible et y ai appris que c’est la faute d’Ève si l’homme a péché. Ben, si c’est la femme qui a déréglé le monde, alors donnez-lui une chance de le refaire tourner rond.
Cette Dame a parlé de Jésus, du fait qu’il n’a jamais rejeté les femmes qui venaient à lui, et elle avait raison. Quand Lazare est mort, Marie et Marthe sont venues le voir avec foi et amour et l’ont supplié de faire revenir leur frère. Alors Jésus pleura et Lazare ressuscita. Et d’après vous, comment Jésus est-il venu au monde ? Il est venu au monde à travers Dieu qui l’a créé et à travers la femme qui lui a donné naissance. Et alors, les hommes, quel a été votre rôle dans tout ça ?
Mais les femmes se soulèvent, béni soit Dieu, et quelques hommes se joignent à elles. Et l’homme est en mauvaise posture, les esclaves pauvres en ont après lui, les femmes s’y mettent aussi, on dirait bien qu’il est coincé entre un faucon et une buse. »

―version rapportée par Marcus Robinson, un homme Noir, en 1851.


Sojourner Truth (1797-1883) était une abolitionniste Africaine-Américaine et une militante pour les droits des femmes. Elle est née en esclavage, et a réussi à s’échapper en 1826.
Elle a mené une procédure en justice pour récupérer un de ses fils vendu comme esclave, qu’elle a gagné. Elle a donc été la première femme Noire à gagner ce type de procès contre un homme blanc.
Sojourner Truth a longtemps été active dans son militantisme au sein des mouvements pour les droits civiques des Noir-es et des femmes. Elle a par ailleurs aidé de nombreux-ses réfugié-es Noir-es après la guerre civile étasunienne, notamment dans leurs recherches d’emplois. Elle a aussi donné de nombreux discours, touchant aux thématiques abolitionnistes, féministes et religieuses.
En 1850, elle a publié ses mémoires sous le titre : "Narrative of Sojourner Truth : A Northern Slave".

plusieurs textes et discours de Sojourner Truth sont en ligne sur :
http://www.sojournertruth.org/Library/Speeches

ses mémoires, publiés en 1850, peuvent être lus sur le site :
http://digital.library.upenn.edu/women/truth/1850/1850.html

traduction DIY et en partie pompée sur : http://msdreydful.wordpress.com



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