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Il n’y avait pas de dialogue possible Expériences dans les luttes anti-OGM & réflexions sur les stratégies et les modes d’action. Entretien n°2

mis en ligne le 20 mai 2017 - Anonyme

Introduction

Pour cette deuxième brochure d’entretiens sur les luttes anti-OGM, nous allons en Allemagne, un pays où les luttes écologistes sont réputées fortes, et où le mouvement a obtenu l’arrêt général des essais de plantes transgéniques en plein champ. Il est intéressant de se questionner sur ce qui a pu faire cette force, sur les tactiques et stratégies employées [1], mais aussi sur la manière dont ont été abordées, dans un épisode de lutte particulier, les questions si souvent déchirantes : bases communes et différences de culture politique, approfondissement de la critique, implication de la population locale, rapport à la presse... le tout dans un mouvement qui se veut large.

La question de l’ouverture me tient particulièrement à cœur, dans une phase de la lutte en Suisse où peine à émerger une alternative à la dichotomie "lobbyisme institutionnel / action directe clandestine". L’exemple choisi ici parle d’un contexte particulier, qui a favorisé le choix des occupations de champs d’essais avant les semis, et n’est pas de nature à résoudre une telle problématique. Par contre, j’espère qu’il peut servir de référence, d’inspiration ou de contre-exemple, dans la recherche de pratiques qui nous permettront de vaincre le technoscientisme et l’agro-industrie, et bien sûr de renverser dans le même élan tous les pouvoirs en place...

Plus modestement, cette publication se veut aussi une contribution à la démonstration de l’imbrication entre les situations suisse et allemande. En effet, le mouvement de sabotage massif et l’abandon par l’Allemagne des essais en plein champ coïncide avec les appels de chercheurs européens à la création de sites d’essais ultra-sécurisés [2]. On l’a vu en Suisse avec les conclusions du programme national de recherche PNR59, qui s’est appuyé sur le sabotage de 2008 à Zurich pour faire la même demande à l’État. En 2014, le Protected Site de Zurich-Reckenholz est construit sur le terrain d’Agroscope, et dès 2016 ce site héberge les essais d’un blé génétiquement modifié développé par l’institut IPK-Leibniz de Gaterselben en Allemagne… qui avait lui-même vu ses essais sabotés en 2008 ! Lors de la manifestation anti-OGM de Zurich en août 2015, un militant allemand nous apprenait que l’Allemagne envisageait de copier le modèle du site zurichois.

Une fois de plus, on constate qu’il y a un rapport de forces qui continue à se jouer et qu’il n’y a pas d’acquis éternels. Et qu’on a besoin de faire vivre autant notre histoire que nos mouvements, pour que la résistance soit créative.

Entretien avec Vera sur l’occupation à Northeim

Cet entretien a été réalisé en janvier 2016 dans une cabane autoconstruite quelque part en Europe de l’Est. Les prénoms sont fictifs.

Al Arrache : Vera, peux-tu nous raconter un peu tes expériences de lutte contre les OGM ? On pourrait commencer par te demander comment, de quelle manière, par quelle opportunité tu as commencé à t’engager, à quelle époque ?

Vera : Je n’ai pas exactement l’année en tête mais on a commencé à s’engager contre les OGM, contre des essais en plein champ en 2008 je crois. Il y avait déjà un mouvement qui était en place en Allemagne à cette époque-là, qui faisait des occupations de champs. On était un groupe de gens dont la plupart venait d’une université dans laquelle tu peux étudier l’agriculture biologique. Il y avait aussi des maraîcher-ère-s des alentours.

Pas loin de cette université, il y a une entreprise de semences, la KWS, qui a un grand impact dans la région et se donne une image d’entreprise familiale. D’un côté, c’est vrai, si tu regardes l’histoire de cette entreprise, mais de l’autre, à l’époque, ils étaient la première multinationale de la semence en Allemagne et la quatrième mondiale. Ils « jouent » dans la même cour que Monsanto. Ils ont des liens partout. Alors ce n’est pas parce qu’ils sont plus petits que les autres que ce ne sont pas des gens à attaquer. Ils font également des semences OGM, mais pas seulement.

Au début du printemps, on a décidé d’occuper un champ où ils voulaient faire des essais en plein champ avec une betterave à sucre qui était résistante au "Roundup Ready" de Monsanto. Il y avait certaines personnes dans notre réseau qui se connaissaient un peu de la lutte contre les OGM, mais ce mouvement était relativement neuf. Il y avait bien sûr aussi eu des actions avant cela. Il y avait eu une occupation dans le jardin expérimental d’Oberboihingen, et l’école supérieure avait arrêté les essais après une semaine d’occupation. Un peu partout en Allemagne, il y avait des groupes qui luttaient, des faucheurs volontaires et des protestations aussi de plus en plus organisées qui continuaient par différentes actions comme construire des tripodes ou faire des lock-ons [3]. Il y avait un peu d’autoformation, je dirais, dans le mouvement.

Al : Déjà avant cette époque de votre occupation contre KWS ?

Vera : Il y avait pas mal de liens avec le mouvement contre le nucléaire, dont pas mal de méthodes de « résistance passive » ont été ensuite utilisées pour la lutte contre les OGM. En Allemagne il y a l’exemple de Gorleben dans le Wendland. Maintenant elles se sont arrêtées mais avant il y avait chaque année des grosses manifs contre le transport des déchets nucléaires. Là-bas, il y avait des gens actifs qui étaient aussi actifs dans les luttes contre les OGM. C’est une interprétation personnelle, mais j’ai l’impression qu’il y a pas mal de savoir-faire pour des actions plus directes qui sont venues de gens qui étaient impliqués là-bas.

Cette occupation de champ, c’était un peu, pour le groupe dans lequel j’étais, une auto-formation. On a créé un groupe de travail qui a vraiment planché sur des recherches plus scientifiques. Ce groupe est parti quelques jours de cette occupation pour se mettre à fond dans des recherches autour de cette betterave, autour de l’entreprise, autour des OGM en général, pour pouvoir former les autres et pour s’autoformer. Cela était, je crois, très important.
On a beaucoup travaillé avec la presse. C’était un mouvement très divers, les gens, leurs manières de militer, leurs savoirs-faire antérieurs, entre ceux qui étaient déjà engagé·e·s contre les OGMs ou ceux qui venaient plus des villes où il·le·s étaient engagé·e·s dans du travail d’antifa.

Dès qu’on a occupé le champ, c’était tout de suite l’idée de rendre ça visible, d’inviter les gens des alentours à passer et de faire beaucoup d’information autour de la KWS. Mais il y avait aussi cette position de demander à la KWS d’arrêter les OGM, alors que pas mal d’entre nous voyaient que c’était une entreprise capitaliste qui fait partie d’un système avec lequel on est pas d’accord et qui ont cherché une critique plus large que contre les OGM. Mais je crois que de demander à ce qu’elle arrête les OGM, ça a aidé à ce que plein de gens prennent position pour nous. Il y a plein de gens qui travaillent pour cette entreprise dans cette région.

Al : Tu veux dire par là que c’est difficile d’avoir une revendication anticapitaliste globale et d’exiger par exemple la fermeture de ce genre d’entreprise ?

Vera : Oui...

Al : C’était compliqué entre vous cette question ?

Vera : Disons que ça a donné lieu à des discussions sur le fait d’avoir un positionnement anticapitaliste plus général. C’était déjà la question d’avec qui on fait des liens. Pour certain·e·s, d’inviter des lecteurs à venir au champs dans une brochure qui sortait chaque deux semaines dans une ville proche, c’était trop. Ce médium est beaucoup lu par des, pour simplifier, totos de la ville. Ça crée des peurs chez certains gens qui était difficile à comprendre pour moi. Chez beaucoup des gens il y avait l’envie d’être et de donner une image 100% pacifique. Il y avait la peur que ce ne soit pas accepté et qu’il y ait des comportements contre les flics qu’illes ne vouaient pas. Nous avons donc eu dans le groupe de longues discussions, quelques fois très pénibles pour moi. L’article a été publié.

Les premiers tracts collectifs, on les a distribués en allant au marché avec un stand, des tisanes, des semences paysannes. On a distribué un tract pour dire pourquoi nous étions là, qu’on occupait ce champ et là nous y sommes clairement allé·e·s avec nos discours dans lesquels on essayait d’expliquer aux gens pourquoi nous étions contre les OGM, pourquoi nous voulions que cette entreprise arrête de faire des recherches et de produire des semences OGM. Une analyse un peu plus profonde et anticapitaliste n’est pas sortie en premier, lors de ce premier tract. C’était aussi pour qu’on ait ce contact avec le voisinage, avec les gens, c’était important.

On a tenu cette présence sur le marché deux fois par semaine au même endroit. On est resté 3 semaines sur ce champ.

Al Arrache : Comment l’occupation a-t-elle été organisée, en quoi consistait le mode opératoire ?

Vera : Ça a commencé en faisant un tour à vélo organisé, où c’était plus ou moins clair pour certaines personnes que cela finira « quelque part ». Il y a un groupe qui est allé sur place la nuit avant l’occupation, qui a fait des constructions pour faire en sorte que ce soit un peu plus difficile de les enlever. Les gens en vélo, nous les avons rejoint. Et on était beaucoup, et aussi très diversifié·e·s, des familles avec leurs enfants de différents âges…

Al Arrache : À ce moment-là, la parcelle n’était pas surveillée ou gardée par des sécus ? C’était facile de rentrer ?

Vera : Ce n’était pas très sécurisé. Autour c’était balisé, mais il n’y avait pas de gros grillages du tout. Il me semble que les deux personnes de la sécurité sont venues juste après l’occupation. Ils avaient leur petite cabane pas loin.

Vu que c’était aussi le début de toute une série d’occupations, les flics sont passés et ont pris quelques identités, même pas de tout le monde. L’entreprise n’avait pas non plus envie que l’information circule partout et que ça se sache pour qu’elle ne perde pas son image, et ils n’ont pas trop envoyé les flics.

En fait, l’anecdote qui est rigolote, c’est qu’on avait davantage de problèmes avec l’organe de l’État qui s’occupe de l’hygiène qui est passé et a dit qu’il fallait un lavabo à côté des toilettes sèches, qu’on puisse fermer sans le toucher. Ils ont vu qu’on avait du lait qui n’était pas gardé dans des endroits assez froids et qu’il fallait qu’on mette des tissus autour des gâteaux… Ils ont dit que si on ne faisait pas attention à ça on allait avoir des problèmes. Alors qu’on était dans une occupation ! Bon, le lavabo quand même, on s’est dit que c’était quand même pas mal.

Après on a organisé beaucoup de choses. On a très vite monté une structure pour une salle commune. On avait une cuisine là-bas. On a organisé des concerts. On a convaincu certains de nos profs d’université de déménager des cours au champ…

Al Arrache : Donc la stratégie c’était d’occuper avant le début du semis ? Est-ce que c’était le premier semis qu’ils faisaient dans une campagne de recherches ?

Vera : Je crois que pour cette betterave, oui. C’était l’idée d’occuper avant le semis et d’attirer déjà l’attention sur cette thématique-là et que les gens soient conscients que ça se passe juste à côté de chez eux. Que ça ne reste pas quelque chose d’incompréhensible. En Allemagne, il y avait et il y a encore plutôt une opinion publique opposée aux OGM. Et il y avait aussi tout un renforcement du mouvement, beaucoup de gens qui sont venus, des gens qui nous ont appris des choses, des actions plus directes, des contacts avec des gens des deux plus grands villes à côté qui sont venus aussi pour montrer leur solidarité.

Après, le semis a quand même été fait. A la fin, ça a été une expulsion violente, pas violente par rapport aux flics, mais dans la manière de semer. L’entreprise avait proposé précédemment que deux personnes de l’occupation fassent partie de l’équipe de recherche et qu’on regarde avec eux pour voir qu’il n’y ait pas de danger. On a refusé ça, et après illes ont organisé une matinée où on était en train de préparer je ne sais quoi. Illes sont venu·e·s avec deux ou trois grands bus que l’entreprise a loué, ils ont invité les employé·e·s de l’entreprise. Illes sont sorti·e·s des bus et ont fait un cercle humain autour du semoir pour pouvoir semer leurs semences de betterave. Le problème était que la parcelle qu’on a occupé, qui avait été préparée et travaillée, était beaucoup trop grande, ils voulaient juste faire 2000 mètres carrés et le champ faisait plusieurs hectares. C’était problématique. Tout au début, on avait des discussions dans lesquelles on n’était pas clair·e·s. On aurait peut-être dû s’éparpiller un peu plus sur la zone mais il y avait aussi l’envie de rester ensemble et de se sentir plus en sécurité. Alors ils ont semé à côté de l’endroit qu’on a occupé. C’était assez bizarre. Et c’est beaucoup plus difficile d’essayer de faire un lock-on si tu dois pousser des employé·e·s de l’entreprise. C’était une chose à laquelle on ne s’était pas attendu·e·s.

Al : Et ensuite vous étiez encore sur place et ce n’était plus possible d’aller détruire ce qui avait été semé ?

Vera : Si, il y avait des actions. Et il y avait d’autres occupations. Beaucoup de gens y sont retourné après.

Al : Et ensuite, sur ce champ, est-ce qu’il y a eu une récolte ? Est-ce qu’il a encore été utilisé les années suivantes ?

Vera : Si je me souviens bien, les betteraves ont été récoltées. Il y avait d’autres champs de betteraves OGM de la KWS où il y avait d’autres occupations, à Dreileben et à Wetze. Le KWS a fait aussi plus de recherches dans des pays où il y avait moins de résistance. En fait on les a vraiment fait chier. C’était tout une campagne autour de cette entreprise. On a acheté ensuite des actions pour faire une protestation et pour parler à l’assemblée des actionnaires. Ça a été longuement discuté. Tout le monde n’était pas d’accord avec ça.

On a continué de plein de différentes manières pour faire chier. On est allé devant chez eux plusieurs fois pour leur demander d’arrêter les OGM. Nous avons versé plusieurs tonnes de fumier devant leur porte. Nous nous sommes formé·e·s pour faire des visites dans des écoles pour parler des risques des OGM. Il y avait de multiples actions contre eux.

Al : Si tu te souviens de plusieurs de ces actions, cela pourrait nous intéresser…

Vera : En fait, avec le temps on se formait bien aussi à la thématique. On connaissait la recherche sur les betteraves, les OGM et les semences mieux que la personne qui faisait leurs communiqués de presse. Pendant l’occupation, ils ont dit qu’ils parleraient avec nous seulement si on part du champ. Nous, on leur a dit qu’on ne partirait du champ que s’ils ne semaient plus d’OGM. On leur a quand même dit : « Bon d’accord ! On va utiliser un espace neutre pour discuter. » On a loué la salle des fêtes de Northeim, le village le plus proche. On a invité plein de monde, des gens assez neutres de cette ville. Il y a pas mal de citoyens qui sont venus. Il y avait bien sûr nos ami·e·s et des gens qui luttaient dans des lieux plus éloignés. On a fait une discussion « Podium » dans laquelle il y avait deux personnes de notre groupe de squatters. On a invité une personne qui travaille dans l’université d’agriculture biologique qui était d’accord de se mettre sur le podium (c’est malheureux mais si tu as un statut, le public te croit plus que si tu as fait de l’autoformation). Lui, il a dit : « Mais je n’ai pas besoin d’être là. Vous connaissez cette thématique autant que moi voire plus. » Mais il était d’accord de venir parmi nous (il était également engagé dans ces luttes). On a aussi invité des gens de la KWS mais il ne sont pas venus. Je me souviens de ce journal régional dans lequel ils ont publié une photo avec nous sur le podium et deux chaises vides sur lesquelles était écrit le nom de l’entreprise. Ça montrait bien qu’il y n’avait pas de dialogue possible.

Al : C’est intéressant parce qu’à un certain moment c’est eux qui essaient de vous intégrer, en invitant deux personnes à participer à la gestion du champ et à la sécurité. Vous n’acceptez pas ça parce que c’est eux qui fixent le cadre et quand c’est vous qui fixez le cadre et que vous les invitez, ça ne leur convient pas. Cette fois, vous avez réussi à tourner la situation à votre avantage en utilisant les médias. Ce qui n’est pas évident parce que, le plus souvent, on ne maîtrise pas les médias qui ont tendance à déformer nos propos… Est-ce que ça a été difficile à gérer, pour vous, ce rapport aux médias ?

Vera : La question des médias était beaucoup discutée. On a beaucoup travaillé avec nos médias mais on avait aussi beaucoup de contacts avec les médias locaux : petite presse, radio régionale... Mais nous étions aussi ouvert·e·s pour des médias plus néolibéraux. C’était un choix politique que nous avions fait. On avait aussi un groupe de communication, un portable qui était pour le contact avec la presse. Des gens ont répondu avec leurs vrais noms, d’autres avec un surnom. Mon point de vue personnel sur cette question des médias est que c’était une réussite pour ce qui était de transmettre notre esprit critique mais ça aurait aussi pu se retourner contre nous. Cela peut aller vite.

Souvent ce n’est pas toi qui dirige. Il faut dire, encore une fois, que la réussite était sans doute en partie due au fait que l’opinion générale de la société était plutôt, et est encore, contre les OGM en Allemagne.

Al : Tout ça a fait que vous avez mis une pression au niveau local. Est-ce que les citoyen·ne·s de la commune ont mis eux·elles-mêmes une pression au niveau communal ? Est-ce que c’est là que se jouait le rapport de force ?

Vera : Le fait que les essais en plein champ aient cessé plus tard, ce n’était clairement pas que grâce à nous. Dans l’entreprise, il n’y avait pas une très grande solidarité avec nous, on n’a pas retourné le caractère de l’entreprise… Je ne dirais pas cela non plus des gens de Northeim, pour certain·e·s oui, mais ce n’est pas un mouvement qui a pris la population au point que Northeim soit maintenant sans OGM. Malheureusement ça n’a pas bougé beaucoup de citoyen·ne·s. Il y avait beaucoup de gens qui étaient solidaires, des mamies au marché qui nous ont donné vingt euros sous la table, mais quand même elles ne voulaient pas trop que ça se voit parce que leur petit-fils travaillait dans l’entreprise. C’était un peu des choses comme ça qui se sont passées. Mais en Allemagne à cette époque, il y avait beaucoup d’occupations et beaucoup de pression. Je n’ai jamais analysé cela. Cela s’est passé il y a longtemps, mais je dirais quand même que l’abandon des recherches en plein champ a aussi été gagnée parce qu’il y avait beaucoup d’occupations et d’actions directes. Cela faisait trop chier les entreprises et le gouvernement en Allemagne.

Dès qu’il y avait quelque chose qui était semé en Allemagne, il y avait soit des occupations soit des faucheurs volontaires. Il y avait tout un mouvement contre. Ensuite beaucoup de ces essais en plein champ se sont fait ailleurs, dans d’autres pays.

Al : Donc il y avait autant d’actions d’opposition avant ces semis qu’après ?

Vera : C’est difficile de répondre mais en 2008 et en 2009, il y avait beaucoup d’occupations. Ça se faisait avant les semis. Des lock-ons ou des pyramides en béton, cela faisait que l’expulsion durait plus longtemps. Il y avait aussi des gens qui grimpaient dans les trépieds (tripods), des choses comme cela pour rendre l’expulsion plus difficile.

Al : Donc tout ça a été efficace du fait qu’il y en avait beaucoup ?

Vera : Moi je dirais que oui, c’est clairement ça. Il y aussi le fait que même déjà avant ces actions, une bonne partie de la population en Allemagne était très sceptique voire opposée aux OGM. Mais il n’y avait pas énormément de gens qui étaient activistes, qui se bougeaient réellement.

Al : Et face à toute ces actions directes, quelle a été l’ampleur de la répression ?

Vera : Ça dépendait. Pour les occupations de champs auxquelles j’ai participé, il y a eu assez peu de répression. Pour les suivantes et même pour les actions de fauchage, personne n’a pris de la prison ferme d’après mes souvenirs. Quelques personnes n’ont pas accepté de payer les jours-amendes (Tagessätze)1 et sont allées en prison. Il y avait des procès politiques et des gens qui ont utilisé cela comme moyen de sensibilisation de l’opinion publique. Des motifs d’accusation étaient entre autres emploi de la contrainte (Nötigung), violation de domicile (Hausfriedensbruch), rébellion (Widerstand), dommage à la propriété (Sachbeschädigung), violation du droit de rassemblement dans les lieux publics (Verstoß gegen Versammlungsrecht). Souvent ils ont essayé de forcer les gens à signer une « Unterlassungserklärungen ». Cela veut dire que tu leur fait signer une obligation de ne plus faire une action pareille.

Moi j’ai vu à cette époque-là plus de répression dans les manifs anticapitalistes, contre les prisons, la gentrification ou la vidéosurveillance. La répression était différente, tu étais beaucoup plus vite classé·e comme « extrême-gauche » que dans le mouvement contre les OGM. C’est mon interprétation. Ça dépendait aussi jusqu’à quel point on était allé, avec les lock-ons ou d’autres actions. Mais dans les occupations de champs, pour les flics, on était un peu des écolos pas très dangereux·ses et ils nous ont parfois traité·e·s comme tel·le·s.

Mais un peu plus tard, l’image du « terrorisme vert » a été créée. A cette époque, cela n’existait pas encore à ce point là.

Al : Donc vous étiez classé·e·s comme des écolos pas très dangereux et un peu fous. Mais vous aviez quand même des cultures politiques assez diverses ?

Vera : Oui, clairement en ce qui concerne certaines actions que les gens ont choisies et jusqu’à quel point ils et elles sont allé·e·s. C’était souvent plus fort que dans d’autres mouvements, genre les mouvements que tu trouves plutôt dans les régions urbaines. Dans ces occupations de champs, au sujet des modes d’actions et de l’action directe, les divergences allaient loin. À Gorleben (nucléaire), dans le mouvement autour du climat, les occupations de forêts ou les lock-ons ou les pyramides de béton sont des actions « normales ».

Après, il y a eu des amendes et des accusations pour rébellion, perturbation d’entreprises publiques - très grave dans un cas particulier. Des activistes qui n’avaient pas d’adresse fixe ou qui ne donnaient pas leur identité ont souvent été gardé·e·s en prison.

Al : En général, quand il y avait de la répression, le soutien était-il assez large ? Est-ce qu’il a bien aidé à ce que les personnes qui étaient individuellement attaquées tiennent le coup ?

Vera : Il faut dire que l’Allemagne a une position assez spéciale par rapport à l’anti-répression. Je n’ai pas vu la même chose en France. Il y a beaucoup de structures et d’équipes légales. Et nous avons aussi composé une équipe légale pour nous former pendant l’occupation. Depuis des années, il y a le Secours Rouge (Rote Hilfe) en Allemagne. C’est une organisation de défense et de solidarité de gauche, indépendante de tout parti et soucieuse d’englober tous les courants. Des groupes locaux donnent des conseils. Il y a des listes d’avocats qui sont des camarades en même temps, et aussi un soutien financier aux activistes. On a travaillé aussi avec eux. A part ça, il y avait aussi des gens qui étaient plus proches de groupes qui font du « travail d’anti-répression créative ». Nous n’étions pas tout le temps d’accord entre nous sur les groupes avec qui nous préférions travailler mais nous avons trouvé des compromis. J’ai l’impression que pour ne pas se sentir seul·e en face de la répression, il y a beaucoup de solutions.

Al Arrache : Et c’est le même réseau antirep qui est étendu sur toute l’Allemagne ?

Vera : Oui, pour le secours rouge c’est la même organisation et une seule caisse. Mais on avait aussi notre propre caisse anti-répression pour que ça soulage ce groupe et parce qu’il y avait des gens dans notre groupe qui n’avaient pas envie de travailler avec le Secours Rouge. Il y a quand même ce conseil assez fort de ne rien déclarer. Comme il y avait aussi des gens dans le mouvement contre les OGM qui étaient plutôt sur une position de faire des procès créatifs, de s’auto-défendre et de plus « jouer » avec la justice, c’était nécessaire qu’on ait aussi notre propre argent.

Al : Donc, après une série importante d’occupations sur plusieurs années, les essais en plein champ ont-ils été interdits ou y a-t-il eu un moratoire ?

Vera : En Allemagne, il y avait une différence entre les cultures d’essais comme la betterave de la KWS et les cultures commerciales comme le mais MON810. La culture commerciale du MON810 a été interdite en 2009, celle de la pomme de terre riche en amidon Amflora deux ans plus tard. Depuis 2013, il n’y a plus d’essais en plein champ en Allemagne.

Des groupes ont continué à travailler car il y a des tentatives d’autoriser des exceptions pour des OGM. J’ai quitté l’Allemagne alors c’est difficile pour moi d’avoir vraiment un œil dessus. Il y a pas mal de gens qui ont donné beaucoup d’eux-mêmes pendant quelques années, alors après, quelques fois, il faut se ressourcer ou faire d’autres choses. Même pour nous, après deux ans, ben voilà, on est allé étudier quand même un peu ! Il y a eu aussi une réussite partielle, c’est ce qui a fait qu’il y avait un peu moins d’élan.

Al : C’est souvent comme ça. Ça s’est vu dans pas mal de pays. Des fois, il semble que c’est même une manière pour le gouvernement de gérer la contestation sociale. Et effectivement, pour les firmes et les instituts de recherche, on sait qu’ils ont recours à des sociologues pour étudier les zones où il y a moins de contestation pour s’y implanter.

Une dernière question : Votre groupe était composé d’environ combien de personnes ?

Vera : C’est difficile de donner un nombre exact. Pendant l’occupation, nous étions une quarantaine très engagés dont un noyau de quinze personnes qui ont suivi toutes les protestations et qui sont restées comme « groupe » ensemble après pour faire d’autres actions.

[1On peut trouver beaucoup d’infos là-dessus sur le site http://www.projektwerkstatt.de

[3Infos sur ces techniques, en anglais : http://www.eco-action.org/rr/index.html


)

Février 2017, Editions A l’Arrache.

Contact : alarrache@@@riseup.net

Voir aussi l’entretien n°1



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