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Conflictualité perma.Nantes [22.02.14 RPZ]
Retour sur la manif du 22 février 2014 à Nantes contre l’aéroport et son monde

mis en ligne le 8 juin 2017 - anonymes

Introduction

Cette brochure a été écrite pour que cette manif du 22 février 2014 en soutien à la ZAD ne reste pas dans les mémoires comme une réaction des manifestant-es face à des provocations policières, comme une lutte parcellaire qui aurait réussi à fédérer du monde, mais bien comme un rendez-vous donné pour attaquer les keufs et les vitrines du capitalisme, un rendez-vous pour empêcher la construction d’un aéroport et pour vomir cette horrible démocratie bourgeoise.

Se remettre dans cette époque, c’est se rappeler que cela faisait plus d’un an que les réac et les fachos manifestaient contre le mariage homo, que ça pétait dans leur manif pendant qu’on ne faisait que regarder. C’est se souvenir que quelques mois plus tôt, un jeune antifa s’était fait assassiner par des fachos et que notre réaction n’était certainement pas à la hauteur du drame. C’était avant Rémi Fraisse et un renouveau des actions de rue et des émeutes. Avant la loi travail, ses lycéen-nes en masse dans la rue et ses cortèges de tête offensifs.

On pourrait se dire « qui en a quelque chose à foutre 3 ans après ? ». Mais justement, ne laissons pas l’histoire des luttes être écrite par nos ennemis. Que ce soit les médias, les partis, les orgas, personne n’écrira notre histoire à notre place. A nous de nous y mettre.

On n’a pas voulu faire de bilan, de chronologie, mais plutôt sortir quelques bons textes qui ont été écrits ici ou là sur cette manif. Pour qu’ils ne se perdent pas dans le labyrinthe d’internet, on en a rassemblé quelques uns, parfois en les tronquant légèrement pour qu’ils ne prennent pas toute la place.

Pour ne pas oublier que Nantes a vraiment eu la rage le temps d’un après-midi et que ce jour-là on a pu prendre conscience de notre force et prendre conscience qu’il était toujours possible de se révolter.

Chronologie du 22 février 2014

12H : environ 550 tracteurs arrivent sur Nantes.

12H30 : Un groupe débarque en radeau sur l’Erdre en face de la préf avec une banderole « résistance et sabotage » et dépose plein de drapeaux anti-aéroport sur flotteur.

14H : Les première-ers manifestante-s s’élancent. Sont présentes des dizaines de milliers de personnes, des batucadas, des chars, des banderoles en solidarité avec les inculpée-s de la lutte No TAV.

14H30 : C’est la fête à la peinture. Mairie, tribunal, commissariat, caméras de vidéosurveillance, grilles anti-émeute et flics cachés derrière, tout y passe !

15H : La casse commence doucement. Une enseigne Vinci se fait moult fois repeindre pour finalement voir sa vitrine explosée et son intérieur retourné. Une pelleteuse et une foreuse partent en fumée. Un commissariat est pris d’assaut, un cocktail molotov explose sur sa porte d’entrée ouverte.

15H30 : A Commerce, les flics bloquent l’accès au centre-ville. Pendant deux bonnes heures, ceux-ci seront inlassablement attaqués et leurs charges repoussées. Des grappins sont astucieusement déployés sur les grilles anti-émeutes et en font tomber quelques unes.

16H : La zone de front s’étend, plusieurs barricades sont montées dans les rues autour de Commerce. Les boutiques se font méthodiquement défoncées, notamment un bureau de contrôleurs des transports en commun crame, une boutique SCNF (en solidarité avec les No TAV) prend cher, des voitures de bourges sont attaquées.

20H : Les derniers affrontements ont lieu place de la Petite-Hollande. Les grenades assourdissantes, lacrymogène et flashballs volent de toutes parts.

Une brèche

Les citoyens/réformistes/soce-dem/journalistes semblaient dire après Nantes qu’ils y avaient vécu un « véritable cauchemar ». Bien au contraire, le cauchemar c’est quand il ne se passe rien. Quand la vie normale, normée suit son triste cours. Le 22 février fut une brèche, une vision du futur, un espoir au milieu de ce morne monde. Si des gens s’étaient préparés à s’attaquer aux keufs et à la propriété privée, d’autres ont aussi laissé éclater leur rage spontanément. Il s’est vraiment passé quelque chose ce jour là, pas simplement le « hit and run » (on balance 3 cailloux et on part en courant) de d’habitude. Énormément de personnes se sont joint à la casse et aux affrontements et ont permis de rendre mémorable cette manif. Si nous avons vu des gens prendre cher, nous avons aussi vu des flics reculer, des flics blessés, le GIPN se faire caillasser, des flics nous charger pour repartir aussi vite de là où ils venaient.

Oui les flics ont été violents. Comme ils le sont chaque jour avec les pauvres, les sans papiers, les Rroms, les squatteuses-eurs, les marginaux, les pas-blancs, les ouvrières-ers ou les étudiantes-s quand ils-elles refusent les choix qu’on leur impose, et avec toutes-s celle-ceux qui ne se laissent pas faire face à l’ordre bourgeois. Cette violence ne sort pas de nulle part, elle est chargée de nous tenir tranquille. Et au moindre pas de travers, les flics sont là pour nous rappeler comment fonctionne cette société. Le pouvoir a bien trop à perdre pour laisser prendre de l’assurance aux incontrôlables et leur laisser gagner du terrain.

A l’instar de ce qui s’était passé à Gênes en 2001 ou à Strasbourg en 2009, beaucoup de gens pensent sincèrement que les personnes venues en découdre étaient des « flics infiltrés ». Il y aurait donc eu à Nantes plus d’un milliers de flics déguisés venus pour se battre avec des flics en uniforme. La grosse blague.
Oui, des fois on a envie de tout péter, surtout quand ça a la gueule d’un flic, quand ça ressemble à une banque, à des bureaux de la mairie ou à tout ce qui nous fout la rage. Il n’y a pas eu de manipulation policière ce jour-là. Arrêtons d’être hypocrite, ce n’est ni « l’important dispositif policier », ni le bouclage du centre-ville qui ont fait déborder la manif. C’est la rage et la détermination d’une partie des manifestantes-s qui ont créé des incidents. Pas besoin de provocation pour avoir envie de se révolter et d’attaquer le capital.

Si ce jour-là nous nous sommes battu contre un aéroport et pour la sauvegarde d’une ZAD, nos luttes doivent cependant tendre à une remise en question de l’ensemble des rapports de domination.
La lutte contre l’aéroport, comme toutes les luttes, ne peut être partielle, elle doit affronter tout ce qui va avec. Ce sont les différentes combinaisons de mobilisations et d’actions directes qui font reculer l’État. Alors que ce soit clair, laissons de coté la glorification de l’émeute ou de la violence de rue. Péter une banque, faire un pique-nique de soutien, distribuer des tracts, poser des tags, peuvent être des actions tout autant subversives selon le contenu et le fond qu’elle leur attribue.

Zone humide ou pas, tritons ou pas, nous ne voulons pas d’aéroport, ni de TAV, ni de zone d’enfouissement de déchets nucléaires, ni de barrage, pas simplement parce que ces projets seraient trop chers ou trop polluants, mais aussi parce qu’ils représentent en eux-mêmes ce que nous détestons et ce contre quoi nous luttons.

Oui, beaucoup sont allé-es à Nantes comme ils-elles auraient pu le faire ailleurs et ne sont pas spécialement venu-es pour défendre une zone mais surtout pour attaquer l’État et le capital sachant que l’un ne va pas sans l’autre. L’aéroport n’est pas une « excuse » pour s’en prendre à des cibles symboles du capitalisme, c’est juste une raison de plus de les attaquer.
L’objectif premier ne doit pas seulement être d’empêcher la construction de ce sinistre aéroport, mais bien de s’organiser, de créer une force capable de tenir tête à l’Etat et au capitalisme.

Ce jour là, la conflictualité permanente a pris la forme d’une manifestation vénére, demain elle prendra le visage d’une bouffe en soutien à une autre lutte, d’autoréductions dans les supermarchés, d’ouvertures de squats, de caillassages de contrôleurs, de tractage devant les lycées, de partages de savoirs, de sabotages nocturnes, de diffusions d’idées et de pratiques subversives, de mouvements sociaux, etc.

Ce que nous voulons, ce n’est pas la sauvegarde d’une petite parcelle d’autonomie et d’autogestion, mais bien le bouleversement complet des rapports sociaux et la destruction du capitalisme.

Dans le bocage, comme ailleurs, résistance et sabotage

Le 16 octobre 2012, premier jour de la tentative infructueuse d’expulsion pompeusement nommée « opération César », le préfet de Loire-Atlantique Christian de Lavernée déclarait aux médias dominants « si la république ne peut reprendre la zone, alors il faut s’inquiéter pour la république ». Qu’elle s’inquiète et qu’elle en crève !
Un an et demi plus tard, nous sommes toujours là. Notre rage et détermination restent intactes car cette farce soi-disant démocratique, toute acquise à la cause des grandes entreprises et du système financier ne nous représentera jamais. Elle est à l’opposé de ce à quoi nous aspirons, l’émancipation totale du carcan capitaliste dans lequel l’État veut nous enfermer. Autogestionnaires, nous renions ce système mortifère, le répudions et le combattons car notre rêve commun de liberté, notre aspiration à l’autonomie en est l’antithèse.

La ZAD est un véritable laboratoire d’expérimentations sociales, la diversité de nos opinions et notre volonté commune d’émancipation s’expriment tous les jours sur le terrain. Nous avançons ensemble avec nos différences et c’est de cela que nous tirons notre force et notre richesse. Le fait de s’exclure volontairement du capitalisme, de faire sans lui, nous permet de confronter nos idées sans entraves. Ainsi, nous brisons l’ordre établi qui isole et détruit toute résistance à ses velléités dominatrices.
Nous ne croyons pas aux élections et nous affirmons haut et fort qu’il est possible de changer ce monde que l’on nous impose jusqu’à la lie en nous faisant croire que nous sommes libres et non esclaves. La propagande d’État inféodée à la sacro-sainte recherche d’une croissance illusoire marche à plein régime. La démocratie représentative n’est qu’un cirque à la botte des lobbyistes industriels. Nous n’avons besoin d’être représenté-e-s que par nous mêmes. Nous croyons au consensus, au vivre ensemble et non à la majorité que le système oppose à une minorité pour que rien ne change. C’est la raison pour laquelle nous construisons nos vies loin des urnes. Nous aspirons à briser le désordre établi qui veut que chacun-e reste seul-e, corvéable à merci, face à la machine ultralibérale. Voter c’est se choisir un maître, c’est s’enchaîner.

L’aménagement du territoire, c’est l’aménagement de nos vies. La gentrification, le bétonnage tous azimuts, cette désocialisation à marche forcée dans la villes comme au coeur des campagnes arrache les populations à leur histoire commune, à leurs pratiques. Les déraciner de leurs terres, de leurs rues, de leurs quartiers, de leurs villages, c’est expertiser, isoler, contrôler, breveter, exploiter, enfermer, rentabiliser chaque espace.
Ainsi, les experts larbins du capitalisme qui servent la soupe à Vinci veulent rationaliser les écosystèmes, dominer le vivant, le forger à l’image du capital, lui donner une valeur marchande en exploitant les richesses que la nature nous offre depuis toujours. Mais la couche verte est bien fine, elle ne trompe personne ici sur la ZAD. Derrière leur bla bla environnemental illes élargissent la privatisation à tous les domaines dont celui du vivant. Le marché transatlantique que l’on veut nous imposer va dans ce sens. Précarité, OGMs, nucléaire et gaz de schiste pour toutes et tous.

Leur logique gestionnaire n’est pas la nôtre. Les lieux de vie ne sont pas compensables, nous squatteur-euse-s ne sommes pas des espèces déplaçables, les animaux et les plantes qui vivent ici avec nous non plus ! Illes veulent mettre nos vies dans des cases alors que nous voulons nous les réapproprier. Elles ne sont pas à vendre et malgré leurs menaces judiciaires et policières nous refusons de nous laisser enfermer entre quatre murs dans les schémas mercantiles qu’illes veulent nous imposer.
(...)

Pour finir, l’État et Vinci/AGO et son lot d’entreprises collabos pataugent jusqu’au cou. Leur projet d’éradication d’une zone humide est plus que jamais inaudible alors que des communes entières en Bretagne et ailleurs ont été envahies par les eaux ce même mois. La cause est simple, partout, les haies, les arbres, les friches, les forêts, les terres agricoles disparaissent au profit du béton et l’action du capitalisme sur le climat ne fait qu’amplifier le phénomène. Peu importe ce qu’il advienne, nous, nous ne bougerons pas d’ici. Nous ne faisons pas qu’occuper la zone, nous y vivons. Notre solidarité est notre force, elle va définitivement enterrer ce projet d’Ayraultport.

Demain, les liens que nous avons créés et ceux qu’il reste à construire permettront bien plus encore !
Vinci dégage, résistance et sabotage !

Zadist, le 22 février 2014

[Source : Indymedia-Nantes, le 23 février 2014.]

Une émeute dégénère à Nantes

En milieu d’après-midi, ce samedi, en marge des violents heurts qui devaient se dérouler dans le centre-ville de Nantes, un certain nombre de groupuscules non-violents ont tenté de déborder l’émeute.

La journée avait pourtant commencé dans une ambiance bon enfant : au moins deux engins de chantier incendiés ; une agence Vinci saccagée ; des policiers harcelés. Les émeutiers s’en prenant également à la mairie, un poste de police et plusieurs magasins du centre-ville.

Or dans la journée, plusieurs centaines de personnes ont convergé vers la ville dans la claire intention de manifester pacifiquement. « Ces agissements sont inacceptables » s’est empressé de dénoncer un porte parole des insurgés et membre du collectif People VS Nantes, « la présence de la gauche organisée en cortège au sein de nos émeutes est inadmissible. Il ne fait aucun doute qu’ils sont venus de toute la France et de l’étranger uniquement dans le but de scander des slogans, brandir des banderoles et ne pas s’en prendre au mobilier urbain. Nous ne les laisserons pas gâcher notre fête. »

Les tentatives de ces groupuscules citoyens d’éteindre les incendies et de s’interposer incessamment furent virulentes et répétées. Néanmoins, cette émeute demeure, selon les organisateurs, une victoire et marque une nouvelle étape vers l’insurrection.

« Nous tenons à saluer la determination hors pair à laquelle se sont tenus tous les participants à cette belle journée » conclut le porte-parole.

En milieu de journée, grâce au sang froid et à l’assurance des émeutiers, les choses rentrèrent rapidement dans l’ordre et les forces de police purent continuer à être violemment prise à partie, essuyer des jets de projectiles et faire vainement usage de gaz lacrymogènes.

[Source : Le Jura libertaire, le 23 février 2014.]

Mouvement armé

Cher Christian,

Vous avez déclaré hier, « L’opposition institutionnelle à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes doit cesser d’être la vitrine légale d’un « mouvement armé ». Il nous serait facile de vous reprocher, M. Le Préfet, de vouloir à votre tour briser des vitrines. Mais après la manifestation de samedi, autant l’avouer tout net et cesser enfin de nous cacher : nous sommes bel et bien un mouvement armé.

Nous sommes un mouvement armé de bon sens remuant et d’idées explosives, de palettes et de vis, de pierres parfois — même s’il y a ici plus de boue et de prairies, de carottes et de poireaux, d’humour et de tracteurs, d’objets hétéroclites prêts à former spontanément des barricades et d’un peu d’essence au cas où, d’aiguilles à coudre et de pieds de biche, de courage et de tendresse, de vélos et caravanes, de fermes et cabanes, de masques à gaz ou pas, de pansements pour nos blessés, de cantines collectives et chansons endiablées, de livres, tracts et journaux, d’éoliennes et de radios pirates, de radeaux et râteaux, de binettes, marteaux, pelles et pioches, de liens indestructibles et d’amitiés féroces, de ruses et de boucliers, d’arcs et de flèches pour faire plaisir à Monsieur Auxiette, de salamandres et tritons géants, de bottes et impers, de bombes de peinture et de lances à purin, de baudriers et de cordes, de grappins et de gratins, et d’un nombre toujours plus important de personnes qui ne vous laisseront pas détruire la ZAD.

Vous ne nous ferez pas rendre ces armes.
Et vous, M. Le préfet, quand cesserez-vous d’être la vitrine légale d’un mouvement armé ?

Sincèrement,
Les Black Ploucs

[Source : Indymedia-Nantes, le 25 février 2014.]

La manif régénère

Les services de nettoyage de la ville de Nantes ne parviendront pas, cette fois ci, à effacer tous les stigmates de la manifestation sous la normalité jaunâtre de leur peinture anti-tag. Car les traces les plus tenaces ne sont pas à chercher sur les murs du centre ou sous les pavés du tram, mais bien dans les esprits. Ce sont les chaires de la métropole qui ont été touchées à vif par les dizaines de milliers de manifestants présents ce jour-là. Non pas par le soi-disant « saccage » du centre-ville (rien de comparable par exemple avec la mise à sac des cabanes et maisons régulièrement rasées sur la ZAD), mais par la détermination à venir porter au cœur même de la métropole une opposition, y compris physique, à ses logiques d’expansion.

[...]
Les autorités ont opté pour une tactique de contention, un peu déboussolée manifestement par le fait que les organisateurs ne jouent pas le jeu « républicain » de la négociation du parcours. Il faut croire que pour la préfecture, il existe bien un lien entre le refus d’un projet d’aéroport et la fragilité des vitrines de luxe du centre-ville : par tous les moyens, les artères commerçantes devaient rester inaccessibles aux manifestants, quitte à leur interdire pour la première fois de l’histoire nantaise le passage sur le cours des 50 otages, quitte à exhiber l’attirail que la France est si fière de partager (parfois de fournir) avec les forces d’occupation du monde entier, colons israéliens en tête. Canons à eau, grilles, armures, LBD, grenades lacrymogènes, assourdissantes, de désencerclement : un déploiement aussi explicite de ce en quoi consiste en dernier ressort la gestion des populations ne peut que provoquer et attiser une haine et un mépris qui n’ont pas manqué de se répandre dans tout le cortège, jusqu’au plus fervent pacifiste. Il faut dire aussi que les images de la répression – par les mêmes armes, les mêmes figurines articulées, les mêmes techniques de maintien de l’ordre – des soulèvements mondiaux depuis 2011 sont dans tous les esprits, et que bon nombre de manifestants avaient déjà tenu tête victorieusement à la version rurale du même dispositif durant les mois d’octobre et novembre 2012 sur la ZAD. Tout le monde a pu constater, alors comme samedi, que la police n’hésite pas à mutiler pour faire respecter l’ordre – les tribunaux se chargeant ensuite de confirmer que, oui, ça fait partie de son travail.

Qui a attaqué le premier ? Les flics en balançant, façon provocation, leurs gaz dans la foule ? Des manifestants qui voulaient au moins tenter de tenir le parcours interdit par la préfecture ? Les flics, par leur simple présence résolument hostile ? Les manifestants, en s’en prenant à des locaux de police ou de Vinci ? Les flics, depuis ce 16 octobre 2012 où ils sont venus raser les habitations des occupants de la ZAD ?

[...]
La question qui se pose alors est stratégique : faut-il répondre sur le terrain de la force, et jusqu’à quel point ? Question qui ne trouve jamais de réponse définitive, toujours renouvelée : s’il n’y eut personne pour trouver à redire à l’opposition physique aux expulsions de l’automne 2012 (et ce d’après des considérations qui dépassent de loin le cadre juridique de la notion de « légitime défense »), des voix issues du mouvement déplorent aujourd’hui que la manifestation ait pris cette tournure offensive.

[…]
Le débat traverse ainsi le mouvement, l’agite, le fait vivre, à l’image de l’étonnante continuité entre les différentes ambiances de la manifestation/occupation : sur quelques dizaines de mètres, sans jamais quitter l’espace tenu par les manifestants, on pouvait passer de la tribune officielle à la barricade, en passant par la cantine mobile, la chorale révolutionnaire, les spectateurs amusés (parfois dépités, il est vrai) de la ligne de front, les petites mains qui livraient les projectiles, les lacrymogénés en pleurs mais qui ne quittaient pas le terrain, etc. Cette continuité était aussi notable en matière d’équipement contre les gaz : la plupart des manifestants étaient certes démunis, mais trouvaient toujours quelqu’un pour soulager leurs yeux brûlants avec du sérum physiologique, d’autres étaient équipés de bouteilles de Maalox – médicament pour l’estomac efficace pour protéger la peau des effets irritants –, de lunettes de plongée ou, pour quelques-uns, de masques à gaz. La présence de ces derniers ustensiles a alimenté la thèse journalistico-policière du black bloc, mais s’ils donnent effectivement un petit air inquiétant, à mi-chemin entre l’alien et le militaire, leur usage était devenu assez courant lors des heurts de l’automne 2012 : on crache ses poumons une fois, deux fois, et la fois suivante on revient équipé.

Tout cela formait une foule mobile qui suivait le flux et le reflux des gaz et du champ d’action des canons à eau, le tout dans une ambiance particulièrement décontractée alors qu’explosaient à quelques mètres grenades assourdissantes et mortier d’artifice. Si toutes ces formes ont pu cohabiter pendant plusieurs heures dans le centre de Nantes comme un an et demi avant dans la forêt de Rohane, c’est parce que le conflit s’est étendu. Ce qui fragilisait le dispositif à cet instant ce n’était pas tant les 1000 black blocs imaginaires de Valls s’acharnant sur les grilles mais bien les milliers de manifestants qui par leur simple présence empêchaient toute manœuvre conséquente des forces de l’ordre, et les milliers d’autres qui attiraient l’attention du préfet sur l’île de Nantes, forçant eux-même au passage un barrage policier, tracteurs en tête. Les atermoiements de l’hélicoptère pendant ce temps suspendu en sont la preuve. Tous ceux qui sont restés massés par centaines devant l’affrontement ont participé à égale mesure avec les lanceurs de pavé à ce que certain tentent d’appeler le saccage du centre-ville.

[...]
Il y a certes bien quelque chose qui a débordé dans cette manif, quelque chose qui déborde en permanence dans ce mouvement. Ça déborde, d’abord, de la stricte défense de quelques parcelles de bocage pour s’attaquer, au moins, aux logiques d’aménagement du territoire. Ça déborde, aussi, du strict cadre du recours légal pour s’opposer physiquement sur le terrain à l’exécution des décisions de justice. Ça déborde, surtout, quand les différentes composantes de la lutte ne restent pas cantonnée dans leur pré-carré : les radicaux, les citoyens, les paysans, les écolos, etc. Et ça a débordé, samedi, du parcours imposé par la préfecture, de la bienséance exigée de la part des manifestants, de la mise en scène symbolique.

C’est parce que ça déborde que cette lutte est forte, et les politiciens du mouvement prompts à regretter que la police n’ait pas fait son travail et à stigmatiser les « casseurs-qui-décrédibilisent-le-mouvement » dévoilent clairement leur jeu : s’il y a quelque chose que le débordement décrédibilise, c’est certainement leur petit calcul électoraliste – il faut toujours caresser l’électeur dans le sens sécuritaire du poil. Combien leur faut-il de blessés, combien leur faut-il de mois de prison ferme pour estimer que la police a fait son travail ? À ce petit jeu, ils finiront vite par tout perdre, hébétés comme ils sont par tant de mépris contre ceux qu’ils prétendent pourtant défendre et par tant de suffisance face à ceux qu’ils croient représenter.

[...]
Les médias, jamais à court de formule creuse, postillonnent partout que la manifestation contre l’aéroport a dégénéré. C’est bien pourtant l’esprit même des premières manifestations du XIXe et du début du XXe siècle – avant que le gouvernement ne se décide à réglementer ce qui jusqu’alors s’appelait indistinctement « manifestation » ou « émeute » – qui a animé celle de ce samedi, et pas seulement pour les images de barricade de pavés. Le peuple prend la rue, y déverse sa colère, la défend face aux flics : voilà ce qu’est une manifestation non-dégénérée par plus d’un siècle d’encadrement réglementaire et de négociation de parcours en préfecture.
Et voilà bien la meilleure, si ce n’est la seule, façon de faire vaciller le gouvernement, à Kiev comme à Nantes.

Des opposants au projet d’aéroport et partisans de la ZAD
Appel à diffuser, discuter et cosigner ce texte.

[Source : zad.nadir.org, le 27 février 2014.]

Feu à Vinci et son monde

Durant cette manif, on a pu voir une succession d’attaques directes contre Vinci et son monde. Ces innombrables actions directes ont pu être menées à bien, non sans l’intervention continue de ces paciflics toujours prêts à défendre les édifices de la domination et de l’oppression (on peut les entendre chouiner et tenter de s’interposer sur de nombreuses vidéos qui ont été publiées sur le net).

Outre le local Vinci et le commissariat de police, les locaux de la SNCF et les locaux du TAN ainsi que des stations de tram place du Commerce ont goûté un peu de notre rage à coups de marteaux et objets qui nous tombaient sous la main. Le mobilier a été sorti pour renforcer les barricades. De nombreux commerces ont brûlé (place du commerce), littéralement dévastés (les agences de voyage « Nouvelles Frontières » et « FRAM ») ou caillassé (la fnac). Les murs et mobilier étaient recouverts de tags aux alentours du parcours (et ce dès le début de la manif) contre Vinci, le TAV, les flics, la surveillance, la prison, « Nantes Nécropole » et tous les projets urbains et développement aussi dévastateurs les uns que les autres. La destruction systématique des panneaux de publicité ont momentanément enrayer la lobotomie ambiante de la ville-prison. Le tribunal administratif a été recouvert de peinture et quelques pierres ont traversé ses vitres.

Les journaflics de BFM TV, ainsi que de franceTV et france info ont eu des coups de chaud après s’être fait prendre à partie par plusieurs manifestants. Au final, il y aurait eu au moins un million d’euros de dégâts, sans compter les destructions et saccages des commerces et de banques.
Ce fut une journée où nos actes de révolte se sont mélangés et additionnés, avec le sentiment d’avoir vécu debout ne serait-ce qu’un après-midi.

[Source : Le Chat Noir Émeutier, le 28 février 2014.]

Le vent souffle où il veut

Nous avons décidé, ensemble, que Greg n’irait pas en prison.

Hier, j’ai été condamné à un an de prison et des brouettes à l’issue d’un des procès liés à la manifestation du 22 février à Nantes. Cette répression politique vise certaines composantes de la lutte de Notre Dame des Landes, afin d’affaiblir et de diviser le mouvement dans sa totalité. Elle attaque ce que ce mouvement a inspiré, a bouleversé, dans nos façons de vivre, de lutter, de nous organiser. Elle cherche à provoquer la crainte : d’être surveillés, d’être arrêtés, séparés de nos amis pendant plusieurs mois voire quelques années.

C’est ce que les derniers procès ont permis de vérifier : qu’aujourd’hui une police politique peut souffler des noms, et qu’une enquête pleine de vides permet aux juges de condamner sans réserve.

Nous avons subi les effets de cette répression, et d’autres avant nous. Nous refusons de la subir à présent. Nos amitiés sont assez fortes et organisées pour que la perspective de préparer l’appel du procès et les réponses collectives à cette répression, au vert, et au soleil, nous donne plus de motifs à la rigolade qu’à la paranoïa. Nous appelons à ce que ce geste de soutien en suscite d’autres, et qu’à nouveau leurs attaques nous trouvent réunis et renforcés.

Greg, et des amis

[Source : zad.nadir.org, le 24 juillet 2014.]

La police tue

La police tue. La police veut tuer.

Elle veut tuer la solidarité, la lutte, la révolte : en terrorisant les manifestant-e-s qui occupent les rues. En blessant ou mutilant une personne, c’est tout un groupe qui est atteint. Tirer au flashball, c’est atomiser, terroriser, isoler. En emprisonnant : après la manifestation, un jeune père a été jeté sous les verrous pour un an. Il avait fabriqué un fumigène. Les policiers qui ont blessé et mutilé des dizaines de personnes, eux, continuent à parader armés dans les rues.

Elle veut tuer, concrètement, au sens premier du terme. En ajustant délibérément les tirs de ses armes à feu à usage militaire - les Lanceurs de Balles de Défense - sur plusieurs visages, il s’agit de faire mal, de frapper les corps. Comment ne pas qualifier de tentative d’homicide un tir volontaire à hauteur de tête avec une arme létale - car le flashball a déjà tué - ?

Elle veut tuer la vérité : en étouffant la parole des blessé-e-s jusque dans les moindres interstices. Leur accorder quelques lignes dans les pages secondaires d’un journal local, c’est déjà trop. Il fallait qu’elle inonde les journaux de ses mensonges, de ses menaces. (...)

Étaler dans la presse des nombres fantaisistes de policiers blessés, parler de saccage du centre ville, jeter en prison ceux qui occupent la rue, c’est faire oublier que la seule force armée qui a voulu dévaster les corps et les esprits le 22 février, c’est bien la police.

Ni oubli, ni pardon

[Source : OPA-infos, le 21 avril 2014.]

Biodiversité de la subversion

Enfin, il se passe quelque chose...

Nantes est d’ordinaire figée, lisse comme une vitrine, glacée comme les parois de son immonde tribunal. Nantes est pacifiée, rénovée, nettoyée, vidée de son âme et de ses habitants. Elle est une métropole. Tout y est pensé, conçu, agencé pour que rien ne se passe, pour que se reproduise sans cesse la routine aliénante de la consommation, du salariat, de la répression.

Et pourtant derrière ce contrôle apparent, quelque chose de la commune, de la ville et de la campagne survit, presque invisible, dans les angles morts de ses dispositifs de surveillance et de contrôle social, dans ses friches, ses terrains vagues, ses périphéries, au détour de ses ruelles sombres et sales. Dans le moindre de ses plis, de ses interstices : ça bricole, ça trafique, ça troque, ça vole, ça échange, ça récupère, ça resquille, ça bidouille, ça squatte, ça tague, ça transgresse, ça vit.

A l’assaut de la métropole

Samedi 22 février : un de ces moments magiques où la vie ressurgit avec fracas, au détour d’un spasme, d’un mouvement, d’une émotion... Soudain, il y a du monde dans la rue et ce ne sont plus des passants. On bat le pavé. Enfin, après deux ans de gôche au pouvoir, ce n’est plus l’extrême droite qui tient massivement la rue, mais nous.
[...]

Il semble que tout soit possible en ce jour : construire une cabane dans un arbre en face de la préfecture, briser des vitrines, repeindre une ligne de CRS à l’extincteur, déployer une banderole depuis un échafaudage... Chemin faisant, au fur et à mesure que s’ébranle le cortège, les infrastructures des pouvoirs économiques et politiques sont attaquées : parcmètres et caméras mis hors d’usage, siège de Vinci immobilier mis à sac, une foreuse et une pelleteuse brûlent sur le chantier du carré Feydau, des banques, boites d’intérim, agences de voyage, un office du tourisme, un commissariat et un tribunal administratif servent de support à l’expression joyeuse d’une rage sociale. En solidarité avec la lutte NO TAV, la ligne SNCF est ingénieusement bloquée par le jet d’objets astucieux sur les caténaires. La normalité est suspendue : flux ralentis ou interrompus, dispositifs détruits, messages écrits sur les murs qui ont quelque chose à dire mais rien à vendre... En cette journée qui devait être d’une effroyable banalité, un dernier jour de soldes, une journée de shopping ou de travail comme une autre, surgit l’imprévu, l’inattendu, l’illégal, les meutes, l’émeute, la foule...
Nous prenons la ville !

Le dispositif débordé

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En effet, au même moment, face aux grilles anti-émeute, l’affrontement inévitable fait rage. Les souvenirs encore vifs des maisons détruites, des amis blessés et emprisonnés alimentent la rage. Pavés, feux d’artifices, fusées de détresse, tentative audacieuse d’arracher les grilles au grappin. Une partie du cortège évite le point de cristallisation pour rejoindre directement le square Daviais, une autre met un point d’honneur à continuer de passer devant les grilles. L’affrontement s’intensifie, les tracteurs quittent les grilles. Une colonne de fumée noire s’élève, les amendes de la TAN brûlent pour le plus grand plaisir des fraudeurs, des pauvres et des sans papiers à qui les contrôleurs font la chasse...

Un mouvement hétérogène et offensif

En dépit de la violence des affrontements contre les forces de l’ordre, pas de dispersion de la manifestation, pas de dissociation. En occupant un espace ouvert et très étalé, la foule hétérogène, à l’image du mouvement, créé une multitude d’ambiances, de lieux, de présences. Personne n’est acculé à l’affrontement, pris au piège du dispositif. Il y a de la place pour toutes les pratiques qui font le mouvement. Square Daviais, ça boit des coups au tracto-bar en écoutant les prises de paroles, ça débat avec fougue de ce qui se passe. Certains creusent un début de mare de compensation. Ailleurs, dans une ruelle, une bande de jeunes gavroches nantais érige une barricade digne de celles de la D281. Sur un boulevard un peu plus loin, quelques types avec bonnets rouges jettent des bouteilles sur les flics. A Commerce, à quelques dizaine de mètres du front principal, une foule démasquée, présente et pas simplement spectatrice, reste près... Comme pour appuyer l’affrontement par sa présence, ses cris, sa vigilance. A aucun moment un mouvement de panique ne vide le point de cristallisation, laissant quelques encagoulés seuls face aux grilles. Les tracteurs battent retraite avec lenteur, reculant mètre par mètre sur les voies de trams au fil de l’affrontement, participant par ce geste fort des multiples formes de solidarités pratiques avec les émeutiers.

Cela rappelle étrangement les scènes vécues à la forêt de Rohanne les 23-24 novembre [2012] lors de l’opération César. Des pacifistes qui bloquent les machines, des rondes enjouées devant les lignes de gendarmes, des cocktails molotovs qui volent vers les gendarmes mobiles, et des gens qui pique-niquent paisiblement sur le champ adjacent où qui chantent en choeur « un flic une balle un CRS une rafale ! ». Une résistance multiforme, diffuse et hétérogène. Des pratiques diverses, voire parfois antagonistes en apparence, qui débordent le pouvoir par leur imbrication. Des individus et des groupes très différents inextricablement agrégés dans une foule anonyme et imprévisible. Une manière d’être ensemble, différents mais soudés et déterminés.

Le 24 mars 2012, lors de la dernière manifestation du mouvement à Nantes, à peine quelques pavés avaient-ils été arrachés pour y planter des arbres que la tentative d’occupation du cours des 50 otages avait tourné court. Appel à la dispersion des institutionnels, départ précipité des tracteurs... Entre-temps, le mouvement a partagé des moments intenses autour de l’autodéfense du bocage. Cela a bouleversé son rapport à la police, à la violence, à l’illégalisme. Ici résonne comme jamais le cri poussé par les No Tav par delà les Alpes : « Una lotta, tutti modi ». Le mouvement a pris acte de la puissance qui émane de la diversité de ses pratiques, de ses tactiques, de ses positionnements politiques.

Après une si folle journée, pas étonnant que le pouvoir contre-attaque par l’une de ses armes favorites : la presse. Valls pointe « l’ultra-gauche », « les autonomes », d’autres accusent « les zadistes » d’être les seuls et uniques responsables des dégradations et des affrontements. Les journaleux, conformément à leur imaginaire xénophobe désignent bien sûr des manifestants « venus de l’étranger ». Mais personne n’est dupe de la portée éminemment collective des actes posés pendant cette journée. Beaucoup se réjouissent et rigolent de voir les machines de Vinci en flammes. Certains dansent même devant la foreuse incandescente ! Le vrai danger pour le pouvoir, ce n’est pas quelques groupuscules organisés pour l’affrontement, la casse ou le sabotage... Le vrai danger pour le pouvoir c’est le fait que ces actes soit partagés, réappropriés et portés par un mouvement collectif qui dépasse de loin les petits milieux « radicaux », « autonomes », « anarchistes », « anticapitalistes ». Si le discours dominant cherche à circonscrire l’expression de la colère à quelques groupuscules radicaux, à des figures de l’ennemi intérieur, c’est pour mieux nier la puissance subversive des foules capables de faire tomber des régimes politiques, de bouleverser radicalement l’ordre du monde.

Ce qui menace le pouvoir ce n’est pas tant le million d’euros de dégâts infligés, qui viennent s’ajouter à la facture salée de l’opération César, de l’occupation militaire, de la communication pro-aéroport... Au delà des logiques comptables qui lui sont pourtant si chères, ce qui le menace véritablement, c’est que les actions directes contre ses infrastructures et les attaques contre sa police soient partagées et comprises par une foule grandissante. Ce qui menace le pouvoir c’est que le mouvement n’a pas « deux visages » mais des milliers, singuliers, uniques, avec ou sans masques. L’action directe, la violence, l’illégalisme n’émergent pas exclusivement de ses « marges ».

[...]
Ce qui s’est passé le 22 février est un avertissement supplémentaire au pouvoir. Si Vinci vient entamer les travaux sur la zone, le rapport de force ne se limitera pas à 2000 hectares de bocage. Actions décentralisées dans toute la France, occupations de lieux de pouvoir, blocage des axes stratégiques de la région, nouvelle émeute à Nantes ? Alain Musetière, de l’asso pro aéroport « des ailes pour l’ouest », dénonce « une situation insurrectionnelle », « une zone de non droit ». De notre coté cette irruption éphémère du « kyste » au coeur de Nantes nous laisse percevoir avec joie la perspective de véritables situations insurrectionnelles à venir et la possibilité d’une multiplication des zones de non droit jusqu’à l’émiettement total de la maîtrise du territoire par le pouvoir…

Ce qui s’est passé ce 22 février dépasse largement la question de l’aéroport : les affrontements avec la police font écho aux échauffourées des Dervallières (banlieue nantaise), la destruction des machines de chantier Vinci ayant réduit à néant le square Mercoeur pour y construire un centre commercial rappelle l’occupation de la place Taksim, les incendies de la TAN font songer aux émeutes pour les transports gratuits et contre le mondial de foot, au Brésil.

Ce 22 février nous avons pris d’assaut la métropole, attaqué ses dispositifs et perturbé ses flux. Un jour proche nous recommencerons...

D’ici là, qu’ils viennent s’ils l’osent ! Nous les attendons de pied ferme… Ce bocage ingouvernable et cette lutte multiforme ont encore de beaux jours devant eux !

Un spécimen de la faune sauvage...

[Source : Indymedia-Nantes, le 28 février 2014.]

Les casseuses/eurs sont nos enfants !

Non, nous ne crierons pas avec les moutons qu’il y avait ce jour là à Nantes des bons manifestants (PCF, EELV, FG), les familles paisibles et « bon enfant » et les mauvais, les casseurs , les black blocs ou l’ultra gauche et bien sûr que non ces quelques vitrines cassées ne discréditent pas le mouvement.

Les occupants de la première heure (avant que les Verts et autre partis en campagne qui ne s’intéressent à ce levier dans le cadre de leur course au pouvoir) ont déjà eu affaire à la violence des policiers et ont vu se faire détruire de nombreuses cabanes et maisons d’habitation au cours de l’occupation de cette zone à défendre. La violence est bien de ce coté là. Le pouvoir politique qui utilise cette ZAD à des fins électorales (distribuer des grands chantiers aux amis , cristalliser une opposition sur un point…).

Non, nous ne cracherons pas sur ces jeunes qui sont l’âme du mouvement et qui pratiquent une résistance active et courageuse !

« Allons nous encore obéir, ou allons-nous être révoltés, et du coup désobéir, ce qui amènera forcément aux affrontements et à la violence »
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Où est-il écrit qu’il faut que dans une manif de résistance à un projet anti-démocratique la bonne humeur règne, que l’ambiance soit festive et bon enfant ? Il est scandaleux de voir « les bien pensants » s’offusquer et tenter de différencier leur lutte de celle des jeunes qui renvoient (en prenant de gros risques) aux policiers leurs propres grenades lacrymogène, qui se prennent des coups et des grenades et des balles caoutchouc.

L’Ukraine, dernier exemple de soulèvement, montre bien, une fois de plus que les détenteurs du « pouvoir » sont près à toutes les violences pour conserver leur « légitimité » et qu’il ne peut y avoir de changement sans résistance physique.

Mais ils ont cassé des vitrines, quand même !
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Messieurs Dames les pro de la politique, les jeunes « casseurs » , ce sont nos frères et sœurs, nos fils et filles et leur engagement est sincère autant que celui de nos pères et mères qui, peut-être, manifestaient dans le cortège « officiel ».
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[Source : Indymedia-Nantes, le 25 février 2014.]

Wanted communism alive

Hystérie médiatique. Élucubrations gouvernementales. Hauteur de l’événement. Le black bloc n’est pas une organisation, mais une stratégie d’action dans la rue, une stratégie puissante, parce que diffuse. Tous ceux qui prennent le black bloc pour un groupe sont contre le black bloc. Il semble que la France, et le monde entier, soient mûrs pour une diffusion toujours plus large de cette stratégie, et toujours plus débordante. Cette stratégie, et la vision politique qui la sous-tend et l’anime, demeurent incomprises, bien au-delà des seuls canaux officiels. L’erreur serait de vouloir justifier la destruction, de dire : « Nous cassons du flic et des vitrines, pour ceci ou cela, parce que ceci ou cela. » Ainsi s’exprime l’espoir, tenace, de nous ramener dans la grande famille de la gauche, comme ses brebis galeuses sans doute. Nous ne sommes pas de la famille, c’est tout. Il s’agit plutôt de donner le sens de la destruction même. Quand on l’envisage dans son entier, la destruction est toujours double : écarter un obstacle et faire de la place. Dans la destruction, celle qui nous intéresse, il y a toujours quelque chose en train de naître. Ce qui naît là, n’a pas de place dans le Monde, se fait de la place, mais n’en cherche aucune. Un élan vital, irréductible, irrécupérable, n’attend qu’à faire irruption. Le 22, c’est une telle poussée que nous avons ressentie. Nous avons des frères que nous ne connaissons pas. Nous avons des frères que nous n’avons jamais vus que masqués.

C’est la chance et la grandeur de la ZAD que, dans toutes les composantes du mouvement, on y partage une même détermination : pas question de lâcher, pas de négociation possible, on ira jusqu’au bout. Ensuite, il faut l’avouer, ça se complique un peu. Quand chaque lutte semble recommencer à zéro. La perte de l’expérience, le manque de transmission entre les générations, c’est aussi cela. Et pourtant. Il est à la portée du premier venu de parvenir à une perception assez juste de la situation. On lutte contre ce projet. On voit qu’il s’inscrit dans l’aménagement du territoire. Et on s’aperçoit rapidement que l’époque qu’on est en train de traverser, pointe extrême de modernité démocratique, coïncide avec la dévastation de toute chose, qui recouvre elle-même la valorisation de toute chose. Il n’est besoin que de se promener pour s’en faire une idée.
La plaie globale suinte localement, sous ton nez. Le territoire d’une lutte franchit toute assignation à résidence. Naturellement, les barricades de Nantes prolongent celles de la ZAD.

D’accord pour aller jusqu’au bout, pourquoi s’arrêter en chemin ? Ceux qui ne comprennent pas ne veulent pas comprendre. Ou alors, ils se méprennent sur ce que c’est que de prendre parti. Ils attendent un spécialiste, un savant, un beau parleur, un chef, pour être sûrs de ce dont ils sont sûrs. Et pourtant. En 2014, des études montrent que, les deux pieds dans la catastrophe, il suffit de ne pas détourner les yeux, d’un peu de confiance en soi et de quelques amis, pour devenir révolutionnaire.

On nous pardonnera de ne pas fantasmer sur le Larzac. La victoire d’un mouvement, c’est de construire, pas à pas, l’insurrection, pas d’obtenir son os suite à un tour de prestidigitation électorale, ou à quelque changement de cabinet. Or, on ne construit pas un mouvement révolutionnaire sans multiplier les émeutes, sans propager le sens et le goût de la destruction, sans s’aguerrir et se trouver chemin faisant. Ultra renseigné, Le Figaro précisait dans son article du 27 qu’étaient notamment requises des compétences de technicien du chaos.
« Équivalent politique de technicien de surface, ce métier en toute rigueur dégradant, très encadré par la législation, consiste à balayer et déblayer des saletés accumulées par d’autres. »
S’ensuivait une digression bizarre sur le film 300. Peu importe tous ceux que scandalise l’attaque en règle de telle ou telle micro-facette de la non-vie, tant qu’il y en a un pour dire, comme on l’a vu : « Si c’était à refaire, je le referais. Ça m’a soulagé ! » Casser du flic, soit dit en passant, cela ne signifie pas vouloir concurrencer la police sur le plan militaire, mais simplement qu’il est naturel de faire la preuve, en acte, que parmi toutes les possibilités existentielles, certaines sont intolérables. Il faut donc, pavé en main, en tenir informés les premiers concernés. Ce n’est pas parce qu’il appartient à l’espèce humaine qu’un flic mérite de vivre en paix. Accepter cette fonction est une infamie complète. Le gardien de Lager n’est pas moins immonde parce qu’il continue à fêter Noël en famille, et à aimer ses enfants. Et puisqu’ils nous liront avec attention : Ohé ! Coucou !

Désertez, pauvres merdes, tant qu’il en est encore temps.
D’un point de vue tactique, nous sommes en faveur de la plus grande multiplicité et plasticité possible.
Qu’une de ses formes devienne hégémonique et la lutte s’en trouverait immanquablement affaiblie et appauvrie. Quand certains parlent de notre « trahison » à propos de ce 22 février historique, qui aura d’autres suites que judiciaires, il suffit de leur redire qu’il n’y a pas qu’une seule façon de lutter, et qu’au fond, il y en avait pour tous les goûts ce jour-là.

Vous allez rire. Nous pensons qu’il est non seulement souhaitable, mais possible et nécessaire, de se passer de la société, de l’État, de l’économie. Souhaitable, possible et nécessaire, de faire autrement. Ici dès maintenant. Nous savons aussi que ça a déjà commencé. Parce que c’est un chemin infini, une soif inaltérable et toujours à l’oeuvre dans l’Histoire, ou contre elle. En définitive, la question politique tient tout entière dans celle de l’ordre des choses. Les cases, les catégories, le réel comme quadrillage. Le nombre des couleurs.
Tout cela se déplace et se modifie, selon les moments et les lieux. « Changer le Monde » est un slogan inepte. L’ordre des choses ne cesse de changer. Ce qui ne change pas, c’est qu’il y en ait un. La question est donc : comment veut-on s’y mouvoir ? Deux attitudes fondamentales, deux idées de l’existence, deux tensions, traversent le temps.

1° Il y a l’attitude conservatrice ou réactionnaire. Que les choses restent à leur place, ou qu’elles la « retrouvent ». Boucler les choses en elles-mêmes, les administrer. Maintenir l’Ordre, le socialiser, en construire un Nouveau. Veiller à toutes les séparations, telle celle du haut et du bas. Démocratie, religion, fascisme.

2° Il y a l’attitude révolutionnaire. Vivre par-delà les compartiments, entre les choses. Passer outre. Tisser des liens et non fonctionner. Tout pour l’amitié, le partage, l’élaboration infinie, infinitésimale, d’une sensibilité. Les choses sont des portes et non plus des murs. La norme n’est que l’indice de notre faiblesse. Ce qui n’est rien est puissant dès qu’il se sait commun. Cette attitude est incompatible avec la civilisation. C’est ce qui la rend susceptible, accessoirement, de lui survivre.

À tous ceux qui sont nés le 22 !

[Source : Libération, le 16 avril 2014.]

Je suis un casseur (et je suis hyper-sympa)

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Auscultons la manipulation vendue ici et là : « Les flics nous ont laissé la ville » ; « Il y avait des flics/provocateurs dans le cortège » ; « Les flics ont laissé faire ». Ou bien : « En bloquant l’accès à une partie de la ville, les flics ont crée la tension de toute pièce pour discréditer le mouvement ». Cette idée que les flics sont acteurs de la journée est à la fois assez vraie et très mensongère. Je ne rentrerai pas ici dans l’analyse de la répression ce jour-là ; je ne suis nullement un « spécialiste » de la question. Mais je me suis par contre rendu compte que le point commun de ces évocations de « l’émeute » comme favorisées par la police tient à l’impossibilité pour les gens qui les évoquent de concevoir qu’on puisse être assez nombreux-ses à être en colère, suffisamment déterminé(e)s et organisé(e)s pour débarquer dans une ville afin de la retourner. Ça leur semble tellement fou et irrationnel que ça doit forcément être un complot. Ben non.

La réalité est beaucoup plus simple : ce jour-là, les flics n’ont pas créé la violence, ils l’ont gérée. Violemment, patiemment et méthodiquement. Et ils avaient certainement conduit un efficace travail de renseignement en amont puisqu’ils avaient compris combien on était motivé(e)s. Ils avaient saisi que s’ils nous laissaient accès à toute la ville, on risquait d’avoir méchamment envie de faire du lèche-vitrine sans pour autant passer par les portes automatiques. J’imagine que de longues réunions se sont alors tenues dans de beaux bureaux soyeux pour décider comment administrer cette colère qui allait parcourir le cortège. Qu’en faire ? Comment la récupérer ?
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J’ai aussi lu, ça et là, que les flics auraient fait usage d’une force démesurée et qu’ils se seraient trompé de cible, en « frappant » les gentils manifestants plutôt que les vilains « casseurs ». C’est quoi, un usage de la force mesuré ? Quand les flics font comme à la pétanque, c’est-à-dire tracer un rond au sol à bonne distance, prendre le temps de viser, et commenter gentiment le tir en y allant d’une petite blague impromptue ? Et c’est quoi, trompé de cible ? Ça signifie qu’un tir tendu sur un manifestant pas du tout gentil, qui ne vote pas, qui a pillé le rayon vêtements noirs du Décathlon, et qui a lancé un caillou, ce n’est plus vraiment un tir tendu ? Mon cul ! Moi, je ne vois là que la violence d’État, dans son hideuse banalité, dans sa toute-puissance, peu importe qui s’en retrouve victime. Quant aux quelques pavés qui ont atteint leur cible, reconnaissez que c’est bien la moindre des choses. Il faudrait quand même voir à ne pas oublier, dans un retournement symbolique quasi cocasse, d’où émane la plus grande des violences, la légitime, la rémunérée.
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Et je ne pète pas plus haut que mon cul. J’ai bien compris que l’intensité de cette « guerre » est basse. Je sais qu’il y a d’autres fronts, ailleurs, pas loin, autrement plus violents. J’ai bien conscience que le capitalisme souvent tue ou anéantit, alors que le 22 il se « contente » de blesser. Je ne m’enracine pas dans un imaginaire viril ou guerrier – le moins possible, en tout cas. Et je fais attention à ce que moi et mes copains et copines, on ne finisse pas par ériger un quelconque folklore de la petite guérilla urbaine, même si partager un imaginaire est inévitable. Je sais tout ça. Il n’empêche : cette violence, je la ressens au quotidien. Je la vois, je l’entends, partout, tout le temps. Dans l’histoire, dans l’économie, dans les rapports de genre, de classe, dans le racisme, la répression de toute forme de contestation hors cadre... Cette conflictualité, elle m’habite, elle m’obsède, elle m’a rendu fou parfois. Elle me bouffe tout autant qu’elle m’a fait. Et quand on bouge le 22, je pense à cette violence, aux dernières fois où elle s’est manifestée à moi. Et je me rêve mèche.
[...]

En ce qui me concerne, j’ai choisi. Et quand tout le monde se défoule gentiment sur le camion égaré d’une grosse chaîne de télé, au grand dam des journalistes qui sont au volant, j’y vois la preuve que personne n’a envie de se faire voler le compte-rendu des débats. Surtout pas moi. C’est d’ailleurs pour ça, je crois, que cette journée du 22 m’a tant trotté dans la tête quand d’autres manifestations similaires ne m’avaient pas tant marqué. C’était le désir de raconter mon histoire tandis qu’on me la volait qui tapait au portillon. L’envie de rappeler que je ne dors pas entre deux « émeutes ». Que j’ai une vie bien remplie. Que si « émeute » il y a, elle n’est qu’un temps politique parmi d’autres dans ma vie – pas forcément le plus important, d’ailleurs. Que j’ai méchamment envie de tout péter, car j’ai furieusement envie de construire autre chose qu’un monde mort. Que je suis – je crois – assez lucide sur la pertinence et la limite de nos gestes, et qu’il s’agit aussi d’un besoin, d’une pulsion. Et que les feux allumés ce jour-là, réchauffent toutes les démarches que je mène une fois retourné à mon quotidien. Le son de « l’émeute », je l’entends tout le temps dans ma tête, obsession qui habille le réel de la plus belle des manières.
[...]

[Source : Article 11, le 19 mars 2014.]

Contact : nyoky[at]riseup.net



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