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Tumer Fue Une méthode libre pour en finir avec la clope

mis en ligne le 28 mai 2020 - Robin

[Cette brochure est une reprise du livre Tumer fue afin de rendre plus accessible la diffusion avec de simples imprimantes au sein d’infokiosques papiers. Le livre a été achevé en mars 2020 et retravaillé plusieurs fois. Voici une version légèrement retouchée de 2022.]

Ce livre est librement inspiré d’un fameux ouvrage paru dans les années 1980. Il est libre de droits (copyleft) et disponible (avec une mise en page plus agréable à lire) en numérique sur infokiosques.net.
Contact et remarques pour l’auteur du livre : tumerfue[at]riseup.net

TU MÉFU ?

À nos poumons,

Introduction

Ce livre est une adaptation d’une fameuse méthode parue dans les années 1980, traduite en pas mal de langues et vendue à des millions d’exemplaires. On a beaucoup entendu parler de ce bouquin et on est beaucoup à avoir arrêté de fumer grâce à lui. Comme son nom l’indique, il ne s’agit pas d’un bouquin magique mais bien d’une méthode pour arrêter de fumer. L’envie de l’adapter et de la rendre librement disponible est venue en discutant avec des potes qui l’ont aussi testée et pour qui ça a plus ou moins bien marché. Parce qu’on a beau faire des efforts individuels et collectifs pour questionner et transformer nos modes de vies, nos habitudes et notre organisation sociale, on est encore beaucoup à fumer, dans les milieux militants comme ailleurs. 

Ce qui peut être difficile pour certain·e·s avec la méthode telle qu’elle a été écrite à la base, c’est qu’elle est très répétitive et emploie le ton du développement personnel. On trouve ce bouquin au rayon « santé et bien-être » de chez Leclerc Culture et, même s’il se veut universel, son style est plutôt destiné aux cadres dynamiques effrayé·e·s par le cancer. Dans la forme, c’est effectivement difficile de le prendre au sérieux : « il est ridiculement facile d’arrêter de fumer », « vous n’en tirerez que de merveilleux avantages », « c’est formidable que vous ayez le courage et le bon sens d’arrêter », etc. C’est clair que c’est difficile de se laisser manipuler par un quinquagénaire anglais des années 1980, avec tout ce que ça implique en termes de morale judéo-chrétienne patriarcale, de culte de la réussite et tout ce qui va avec.

D’un point de vue purement pratique, cette méthode est idéale pour arrêter de fumer car elle est bien adaptée aux spécificités de l’addiction à la nicotine. Dans un premier temps, elle décrit les rouages de la dépendance physique à la nicotine, puis ceux de la dépendance psychologique à la cigarette, les constructions culturelles et le conditionnement qu’on subit à ce sujet. Ensuite, elle décrit dans le détail ce qui va se passer, quelles seront les sensations et comment envisager les situations auxquelles on va faire face. Quand on commence, on s’aperçoit que ça se passe exactement comme prévu, et ça donne alors confiance en ce qu’on tenait avant pour impossible : on peut toutes et tous arrêter facilement et même prendre un certain plaisir à le faire.

Un des buts de ma démarche était d’éviter le style répétitif mais je me suis vite rendu compte que c’était essentiel à la méthode. C’est difficile d’accéder à la conscience des fumeuses et des fumeurs qui construisent beaucoup de certitudes concernant leur rapport à la cigarette et au monde. Le conditionnement est si fort qu’il faut répéter des choses qui sont impossibles à entendre dans un premier temps. Désolé donc si c’est rébarbatif, j’ai dû moi aussi me faire une raison : il n’y a pas d’intérêt littéraire ici.

J’ai supprimé les trucs exagérés et le bourrage de crâne. J’ai supprimé ce qui est sexiste, conformiste et réactionnaire, les exemples tirés par les cheveux, les références chrétiennes, toutes les fois où il se justifie d’être LE spécialiste mondial de la cigarette ainsi que la pub pour ses centres agréés. J’ai alimenté le texte avec des exemples plus actuels tirés de mon entourage. J’ai essayé de placer l’analyse du tabagisme dans une critique du système consumériste dans sa globalité.

Pour être crédible aux yeux des lecteurs et des lectrices, l’auteur de la version originale se justifie tout au long du livre d’être très bien placé pour parler du problème, car il a lui-même été un très gros fumeur. Et de citer plein d’exemples tirés de sa propre expérience, dont le but est de montrer à quel point il était pire que nous. Je ne me sentais pas d’en faire autant mais vous pouvez me faire confiance. J’ai fumé comme un pompier pendant quinze ans, je vois quel goût ça a.

Cette démarche part de l’envie d’adapter la méthode pour celles et ceux qui ne supportent pas le coaching. J’ai aussi essayé de l’écrire de manière inclusive et sans mise à distance. J’ai trouvé difficile de donner mon point de vue sans que ça sonne comme de grandes vérités. Si ça vous énerve ou que vous n’êtes pas d’accord avec mes analyses, soyez sûr·e que je serais plus nuancé si on en parlait de vive voix ! Quoi qu’il en soit, votre avis m’intéresse : si vous avez des  suggestions, des corrections, écrivez-moi. Si cette adaptation ne fonctionne pas pour vous, vous pouvez vous procurer la version officielle du bouquin ; elle coûte environ dix euros, elle est disponible partout et, franchement, ça vaut le coup.

Pour celles et ceux que ça émeut : ce livre peut être considéré comme un plagiat. Mais comme ce fameux auteur - dont nous tairons le nom ici - est mort, qu’il s’est fait un paquet de pognon et qu’il était, paraît-il, sincère dans sa volonté de guérir toutes les fumeuses et tous les fumeurs, je me dis qu’il aurait sans doute approuvé ma démarche.

Bonne lecture !


PARTIE 1

On allumait une cigarette
et tout s’allumait.

Joe Dassin.

Chapitre 1 : Pire que moi tu meurs

L’auteur de la méthode classique se présente comme un type qui s’épanouissait dans son métier d’expert-comptable et qui, pendant trente-trois ans, a fumé une centaine de cigarettes par jour — une centaine, oui. Selon lui, il était arrivé au point où il savait que ça le tuait et, toussant du matin au soir, il était atteint de maux de tête permanents et n’envisageait pas de mourir autrement que d’une hémorragie cérébrale — l’impression que sa tête allait littéralement exploser. Terrorisé par cette idée, il aurait alors essayé une douzaine de fois, sans succès, avant de définitivement arrêter à l’issue d’une séance d’hypnose. Après avoir écrasé sa dernière cigarette, il aurait annoncé à sa femme qu’il était non seulement guéri mais qu’il allait « guérir le monde de cette plaie, la cigarette ». Selon lui elle ne le crut pas, et patati et patata, et finalement le best-seller, 14 millions d’exemplaires, des millions de personnes guéries, sans médicaments, sans substituts ni prise de poids, grâce aux conseils avisés de l’expert no 1 mondial du tabagisme : satisfait ou remboursé !

Ensuite il explique que, non seulement il a arrêté, mais qu’en plus c’était très facile : « Pourquoi avait-il été si ridiculement facile d’arrêter alors que mes précédentes tentatives m’avaient causé des semaines de sombre dépression ? Cela m’a pris longtemps pour y voir clair, tout simplement parce que j’abordais le problème à l’envers. J’essayais d’expliquer pourquoi j’avais trouvé facile d’arrêter alors que le vrai problème est d’expliquer pourquoi les fumeurs trouvent ça difficile. Ils font allusion aux terribles symptômes de manque mais, quand je tente de me les rappeler, je suis obligé d’admettre que je ne les ai pas rencontrés. Je ne ressentais aucune souffrance physique. Tout était dans la tête. […] n’importe qui peut non seulement arrêter mais, de surcroît, le faire sans difficulté. » Selon lui la chose la plus extraordinaire qui lui soit jamais arrivée est d’avoir été libéré de ce cauchemar, « de cette aliénation, d’avoir à vivre en détruisant systématiquement son propre corps et en payant au prix fort ce triste privilège ».

Quant à moi, je suis un mec blanc issu de la classe moyenne. Je suis né dans les années 1980 et j’ai commencé à fumer avec mes potes à l’âge de onze ans. La clope a vite fait partie intégrante de mon quotidien et de ma personnalité : à quinze ans, je fumais quotidiennement et, à partir de vingt ans et jusqu’à ce que j’arrête, ça me paraissait impossible d’imaginer ma vie sans tabac. Impossible, quand bien même j’étais conscient d’être en proie à un comportement d’autodestruction et d’être aliéné par le produit d’une industrie sordide. Conditionné par cette même industrie et par la pensée consumériste délirante des années 1990, j’avais construit mon identité et certains de mes rapports aux normes autour de ma consommation de tabac : transgression de l’interdit, émancipation, intensité de vie, liberté, virilité, sauvagerie, etc. Finalement, je suis tombé sur le bouquin chez des potes à un moment où je me demandais comment j’allais faire pour arrêter. J’ai suivi la méthode et ça a marché : j’ai arrêté hyper facilement après quinze ans de tabagisme compulsif. C’était incroyable, pour moi comme pour mes proches, qui me considéraient comme un fumeur incurable. On a toutes et tous été stupéfait·e·s et moi, j’ai découvert qu’on pouvait vivre tout à fait normalement, simplement sans fumer. Par « normalement », j’entends « tout pareil, mais sans tabac ». Je n’ai pas changé de vie et j’ai continué à prendre de l’alcool et d’autres drogues, à passer du temps avec mes potes, j’ai poursuivi mes activités, j’ai continué à faire la fête, à bosser, à déprimer, à rigoler : à faire la vie, quoi.

Très important : il n’y a pas de cas particuliers ni de cas désespérés. Qu’on fume du matin au soir ou de manière occasionnelle, n’importe qui peut arrêter sans difficulté. Ce qui nous fait continuer à fumer, c’est la peur que la vie soit plus compliquée ou plus fade sans tabac, la peur de la privation, et la peur de rater quelque chose. Ce bouquin s’adresse à toutes les fumeuses et tous les fumeurs, quel que soit leur rapport à la clope, car les mécanismes de cette addiction sont les mêmes pour tout le monde. Et vous n’êtes pas un cas à part. Évidemment, il existe beaucoup de profils différents, autant qu’il y a de personnes qui fument : c’est donc tout à fait normal si vous ne vous reconnaissez pas dans certains exemples.

Tout ce que vous avez à faire est de lire l’intégralité de ce livre avec un esprit ouvert. Ne vous dites pas que ce qui fonctionne pour les autres ne marchera pas pour vous. Soyez critique avec ce qui est écrit, mais si certains propos tenus ici vous paraissent candides ou à côté de la plaque, ne vous cachez pas derrière cette appréciation pour vous justifier. N’hésitez pas à décrypter la méthode ; mieux vous la comprendrez et plus ça sera facile. Et si vous avez l’impression d’être manipulé·e, dites-vous bien que, pour une fois, ça n’est pas dans le but de vous vendre un truc. En tout cas, une chose très importante : vous ne vivrez pas en regrettant la cigarette ou en vous sentant en état de manque.

Il y a deux raisons principales d’échec avec cette méthode :

1. LES INSTRUCTIONS N’ONT PAS ÉTÉ SUIVIES

Les répétitions, le ton dogmatique de certaines recommandations, le sentiment de recevoir des ordres et de devoir les suivre à la lettre en repoussera certain·e·s, à juste titre. Les propos qui suivent vont vous permettre d’arrêter facilement et définitivement : ce ne sont pas des ordres mais des instructions pour que tout se passe au mieux. Chacun·e est libre. J’ai essayé de rendre ça un peu digeste, mais vous allez devoir faire un petit effort pour vous laisser faire.

2. LES ARGUMENTS N’ONT PAS ÉTÉ COMPRIS

Remettez tout en question : vos opinions et ce que la société — c’est-à-dire l’État, les industriel·le·s, votre culture, votre entourage mais aussi vous-même — vous a enseigné sur le fait de fumer. N’hésitez pas à démonter aussi ce qui est dit ici : si vous n’êtes pas d’accord avec certains points, ça n’entrave en rien l’efficacité de la méthode.

Chapitre 2 : La méthode

L’idée est de vous mettre dans un état d’esprit tel que votre vie sans tabac commencera tout de suite avec un sentiment de joie. Une fois que vous serez dans cet état d’esprit, plus le temps passera et plus vous serez étonné·e d’avoir fumé si longtemps. 

Il sera souvent question ici de la « méthode classique » pour arrêter de fumer. Ce n’est pas seulement une question de méthode, tout dépend aussi de l’état d’esprit avec lequel on aborde habituellement le problème. Ces méthodes ont pour point commun de donner le sentiment de faire un sacrifice, qu’on va devoir faire preuve d’abnégation pour « réussir à arrêter ». Elles donnent le sentiment qu’on va en chier pendant des semaines, torturé·e par le manque et par la vue des personnes qui fument autour de nous.

À moins que vous ne soyez déjà ex-fumeur, ex-fumeuse, non-fumeur ou non-fumeuse, il est essentiel de continuer à fumer jusqu’à la fin du livre. Ne changez pas votre consommation habituelle et n’essayez surtout pas de réduire. Pour l’instant, ça peut paraître contradictoire mais c’est plus tard que vous comprendrez que ça ne vous apporte absolument rien. C’est uniquement quand on en est privé·e que la cigarette devient précieuse : quand on est en train de fumer, on la regarde souvent en se demandant pourquoi on fume.

Ne vous arrêtez pas sans avoir tout lu, ça pourrait être fatal à votre démarche. Lisez tout jusqu’au bout et ne vous tourmentez pas : ce que vous risquez de pire est d’arrêter de fumer. Et puis, si vous n’arrêtez pas à la fin, vous ne serez pas plus mal que vous ne l’êtes maintenant. Il n’y a rien à perdre ici.

Que vous en soyez déjà conscient·e ou pas et que ça vous plaise ou non, on va considérer ici que vous êtes accro. Et puisque vous êtes accro, vous ne pouvez pas vous sentir parfaitement détendu·e ou concentré·e sans fumer. Donc n’essayez pas d’arrêter avant d’avoir complètement terminé ce livre et, surtout, lisez-le jusqu’au bout. Tout ce que vous avez à faire est de suivre les instructions. Votre désir de fumer s’estompera progressivement au fil des chapitres.

Si vous n’avez pas fumé depuis quelques jours, voire quelques semaines, mais que vous n’êtes pas sûr·e d’être fumeur, fumeuse, ex-fumeur, ex-fumeuse, non-fumeur ou non-fumeuse, continuez à ne pas fumer pendant la lecture du livre. En fait vous êtes déjà non-fumeur·euse et tout ce qu’il vous reste à faire est de vous mettre en accord avec cette réalité.

Cette méthode est opposée aux méthodes classiques qui consistent à établir une liste des inconvénients de la cigarette et à se dire que, si on peut s’en passer assez longtemps, notre désir de fumer finira bien par disparaître. Ce point de vue semble logique et ces méthodes fonctionnent pour certain·e·s. Cependant, la démarche reste plus difficile pour les raisons suivantes :

1. Arrêter de fumer n’est pas le problème. Chaque fois que vous écrasez une clope, vous arrêtez de fumer. Un jour vous aurez probablement de sérieuses raisons pour dire : « Je ne veux plus fumer. » Le problème est quand, le deuxième, le dixième ou le centième jour, dans un moment de tristesse, de joie ou d’ivresse, vous en fumez une. Et comme il s’agit de dépendance, vous en voulez une autre, puis une autre encore, et vous vous remettez à fumer.

2. Le danger pour la santé devrait nous faire arrêter. Quand on réfléchit cinq minutes à ces questions, on se dit : « Arrête, c’est débile ». Pourtant, ça rend la tâche encore plus difficile parce que ça nous rend nerveux et nerveuses et que, quand on est nerveux et nerveuses, on fume. Il n’y a qu’à traîner autour du cendrier, devant les services de pneumologie et d’oncologie, pour voir que la cigarette est souvent considérée comme le dernier réconfortant.

3. Toutes les « bonnes » raisons pour arrêter rendent cette tâche encore plus difficile. D’abord, elles créent un sentiment de sacrifice : on se sent forcé·e d’abandonner sa récompense, son soutien, son vice ou son plaisir, quelle que soit l’image qu’on se fait de notre rapport au tabac. Ensuite, elles font oublier les raisons qui nous poussent à continuer de fumer. Les raisons pour lesquelles on fume n’ont rien à voir avec celles qui nous incitent à arrêter. La question est : « Pourquoi voulons-nous fumer, pourquoi avons-nous besoin de fumer ? »

L’idée ici est d’oublier les raisons qui nous poussent à arrêter, et d’aborder le problème du tabac en s’intéressant à ce que ça nous fait et en essayant de comprendre les mécanismes de l’addiction à la nicotine. L’idée n’est pas de dire que c’est mieux de ne pas fumer : tout le monde sait ça. L’idée, c’est qu’il n’y a aucun avantage à fumer. Le seul avantage que ça ait pu offrir à une époque était un peu de prestige social mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Quand on fume, on essaye de se justifier « rationnellement », mais les raisons qu’on avance sont des illusions. La première chose à faire sera de se débarrasser de ces illusions : vous allez voir qu’il n’y a rien à abandonner, au contraire. Une fois débarrassé·e de la fausse idée que la vie serait moins appréciable sans tabac, quand vous aurez réalisé que c’est même carrément le contraire, quand le sentiment de manque et de privation sera déraciné, alors vous pourrez en revenir à la santé, à l’argent et aux autres raisons d’arrêter de fumer. Cette prise de conscience est un point essentiel pour vous permettre de vous libérer.

Chapitre 3 : Le piège

Le tabagisme est un piège subtil et pathétique : la seule chose qui nous amène à fumer, au départ, ce sont les milliers de personnes qui le font déjà. Pourtant iels nous préviennent : ça pue, ça coûte un bras et ça ruine la santé. Mais il y a tellement de gens qui fument qu’on se dit qu’il y a forcément un intérêt là-dedans, qu’iels doivent forcément y trouver un certain plaisir. On l’associe alors avec le fait d’être un·e adulte, ou d’être sûr·e de soi, et on travaille dur pour devenir accro. C’est une des facettes les plus pathétiques de la cigarette : l’application avec laquelle on se force à tomber sous son emprise.

C’est un piège qui n’a aucun appât et, au contraire, ce qui le rend si efficace, c’est son goût infect. Si la première clope qu’on fumait dans la vie était délicieuse, ça éveillerait peut-être nos soupçons et on prendrait conscience des raisons qui poussent autant de gens à s’empoisonner avec ça. Mais puisqu’elle est infecte et qu’elle nous rend malade, on se dit qu’on n’en sera jamais dépendant·e et qu’on pourra arrêter quand on veut.

Le conditionnement exercé par l’industrie consiste à inciter les garçons à avoir l’air viril, genre Clint Eastwood, et les filles à apparaître modernes et sophistiquées. Dans la réalité, les formes que prennent nos rapports à la cigarette sont évidemment plus complexes, mais elles sont quand même influencées par cette propagande binaire et sexiste. Et quand tout le monde est enfin bien viril·e et bien sophistiqué·e alors tout le monde regrette d’avoir commencé. On passe alors le reste de sa vie à tenter d’expliquer pourquoi on fume, à se dire qu’il faudra bien arrêter un jour, à se demander comment on va faire et, parfois, à essayer d’échapper au piège.

Généralement, on essaye d’arrêter pendant un coup de stress, que ce stress concerne notre santé, un problème d’argent, la souffrance de se sentir aliéné·e, etc. Dès les premiers jours, le stress augmente à cause des angoisses dues au manque de nicotine, angoisses particulièrement redoutées des personnes qui fument. Le problème est qu’on doit maintenant se passer de notre vieux soutien, de ce sur quoi on avait l’habitude de compter dans de tels moments de stress : la cigarette. Après quelques jours de torture, on décide que le moment d’arrêter était trop mal choisi et qu’on aurait dû attendre une période sans stress pour pouvoir arrêter dans des conditions favorables. Mais, dans les périodes relativement détendues, on se sent bien et donc on n’a plus aucune raison d’arrêter…

Et puis, quand on cherche à suivre le modèle dominant, qu’on quitte le giron familial pour gravir seul·e les échelons de la société, qu’on emprunte de l’argent pour acheter une voiture qui nous permet d’aller faire un boulot merdique qui consiste à produire des trucs inutiles pour acheter à crédit une maison hors de prix dans un quartier aseptisé, les périodes sans stress sont plutôt rares. Et même pour celles et ceux qui ne suivent pas ce modèle, l’organisation sociale dans laquelle on évolue génère beaucoup de stress et les périodes de répit sont rare. En tout cas, quelle que soit la vie qu’on mène, ce n’est pas le tabac qui nous relaxe et c’est même le contraire : le tabac nous rend encore plus nerveux, nerveuses et stressé·e·s.

Vous avez ici la solution pour vous libérer sans difficulté de l’emprise de la cigarette et ne plus jamais y retomber. Tout ce que vous avez à faire est de suivre les instructions. Mais soyez bien attentif·ive : si vous en ratez une, le reste vous sera inutile.

N’importe qui peut arrêter de fumer facilement, mais il faut d’abord étudier attentivement le sujet. Il n’est pas question ici des méfaits du tabac car vous les connaissez déjà et il y a assez d’information disponible à ce propos. Si c’était déterminant pour arrêter, vous l’auriez déjà fait. Il faut d’abord comprendre pourquoi on trouve ça difficile d’arrêter et, avant ça, pourquoi on continue à fumer. La raison est identique pour chacun·e, mais la variété des justifications qu’on donne est infinie. Vu de l’extérieur et avec beaucoup d’ironie, ça pourrait être amusant ; malheureusement, c’est très triste. Parce qu’on sait que c’est débile de fumer et parce qu’on sait très bien qu’on n’en avait pas du tout besoin avant de fumer la première. On oublie qu’elle avait un sale goût et qu’on a dû se forcer pour apprécier les suivantes. On sait aussi que celles et ceux qui ne fument pas ne perdent absolument rien et s’en passent parfaitement. On est conscient·e de s’exposer à de gros risques pour la santé tout en enrichissant des industriel·le·s et des actionnaires cyniques. Alors on essaye de trouver une explication rationnelle qui justifie cette habitude.

La raison qui nous pousse à continuer à fumer est une combinaison subtile de deux facteurs qu’on va décortiquer ici :

1. La dépendance physique à la nicotine

2. La dépendance psychologique à la cigarette : le conditionnement

Chapitre 4 : La dépendance à la nicotine

Le tabac contient de la nicotine, qui est un composant huileux et incolore auquel on doit notre dépendance. Dans l’état des connaissances de la science occidentale, c’est une des drogues les plus addictives, avec le crack et l’héroïne. Les symptômes de manque sont évidemment incomparables, mais le pouvoir addictif de ces trois drogues est équivalent. 

Chaque bouffée d’une cigarette délivre très rapidement au cerveau une petite dose de nicotine, par l’intermédiaire des poumons et des vaisseaux sanguins. Si vous tirez vingt fois sur une clope, vous recevez vingt doses de nicotine. C’est une drogue à action très rapide : moins de sept secondes après l’avoir allumée, la nicotine fraîche agit déjà, engendrant le fameux sentiment de relaxation et de confiance. Une fois le mégot écrasé, le taux de nicotine dans l’organisme se réduit environ de moitié en moins de trente minutes, et des trois quarts en moins d’une heure. C’est pour ça que la consommation moyenne tourne autour de vingt par jour. Dès qu’on en éteint une, la nicotine quitte rapidement notre organisme et on commence à ressentir l’angoisse due au manque.

Il faut tout de suite dissiper une illusion bien ancrée à propos de ces effets de manque. Beaucoup assimilent ce manque au traumatisme que l’on vit quand on essaye — ou qu’on est forcé·e — d’arrêter de fumer. Mais ce traumatisme est avant tout psychologique : on se sent privé·e de son plaisir et de son soutien. On reviendra là-dessus plus tard. En réalité, les symptômes du manque de nicotine sont si légers qu’on peut vivre et mourir sans même réaliser qu’on est drogué·e. On considère habituellement la notion de dépendance à la nicotine comme le fait de tomber dans l’habitude de fumer. Beaucoup jugent très sévèrement les drogues illégales et les « junkies » alors qu’iels sont aussi, à proprement parler, des drogué·e·s. Heureusement, c’est une drogue dont on peut se débarrasser facilement ; mais il faut d’abord accepter le fait qu’on est drogué·e.

Contrairement à l’héroïne ou au crack, il n’y a pas de douleur physique dans les symptômes de manque de nicotine. Il s’agit plutôt d’un sentiment de vide, une vague inquiétude, le sentiment que quelque chose manque. C’est une sensation qui se situe dans la poitrine et qui ressemble à la sensation de faim. Si cet état de manque se prolonge, on devient nerveux·euse, agité·e, on perd de l’assurance et on devient irritable.

À l’âge où l’ on entre dans le cercle vicieux du tabac, le développement du corps est achevé, ou presque, et on y introduit de force une dose de nicotine. Pendant nos premiers temps d’adeptes, les symptômes de manque et leurs soulagements sont si infimes qu’on n’est même pas conscient·e de leur existence. Quand on commence à fumer régulièrement, on pense que ces symptômes surviennent parce qu’on est arrivé·e à apprécier réellement le tabac, ou parce qu’on en a pris l’habitude. En fait, on est déjà sous son emprise : on ne s’en rend pas compte mais le petit monstre avide de nicotine est déjà installé à l’intérieur de notre ventre, et on doit maintenant le nourrir. Les raisons pour lesquelles on commence à fumer sont multiples, mais la seule raison pour laquelle on continue, qu’on fume occasionnellement ou de façon compulsive, c’est qu’il nous faut nourrir ce petit monstre.

Notre relation avec la cigarette met en évidence tout un ensemble de paradoxes, et on a toutes et tous plus ou moins conscience de se faire avoir par quelque chose de pernicieux. Un des aspects pathétiques de la cigarette, c’est que la satisfaction qu’on en retire est, en fait, le plaisir de revenir à l’état de tranquillité qu’on avait avant d’être tombé·e sous son emprise. En gros, on expérimente le même sentiment quand la sirène d’alarme d’une voiture a hurlé pendant vingt minutes : quand le bruit s’arrête, on ressent immédiatement un sentiment de paix et de tranquillité. En fait, il s’agit moins du retour de la paix que de la fin de l’agacement.

Dès qu’on termine une cigarette, la nicotine commence à quitter notre corps et on ressent alors les premiers symptômes du manque : pas une douleur, juste un sentiment de vide. On a le sentiment d’avoir besoin d’une clope et, quand on l’allume, l’envie disparaît. On redevient alors, pendant quelques minutes, satisfait·e et sûr·e de nous comme on était avant de commencer à fumer. Cette satisfaction n’est que temporaire car, pour soulager cette envie, on doit fournir de plus en plus de nicotine à notre corps. Dès qu’on en éteint une, la nicotine quitte progressivement l’organisme, l’envie reprend et la boucle est bouclée. C’est une réaction en chaîne pour la vie, sauf si vous décidez de la briser.

On pourrait comparer le tabagisme au fait de porter des chaussures trop petites uniquement pour ressentir le plaisir de les enlever, ou au fait de se cogner la tête contre un mur pour le plaisir qu’on ressent quand ça s’arrête. Il y a trois raisons pour lesquelles on ne voit pas les choses sous cet aspect :

1. Il n’y a pas de douleur physique identifiable, ce n’est qu’une vague sensation.

2. La substance agit par son absence. C’est ce qui rend difficile le fait de se débarrasser de n’importe quelle drogue : c’est quand on ne fume pas qu’on souffre et donc on ne considère pas la cigarette comme responsable. Quand on l’allume, elle nous soulage immédiatement : on est alors complètement dupé·e et on l’assimile à un plaisir ou à un soutien.

3. On est soumis·e depuis notre naissance à un conditionnement implacable. Avant de commencer à fumer on ignore complètement ce « besoin », mais on accepte pourtant, sans se poser de questions et au terme d’un difficile apprentissage, que la clope soit un soutien, une béquille, ou même un plaisir. On n’envisage même plus de remettre ça en question. On fait maintenant partie de l’heureux groupe des fumeuses et des fumeurs.

On peut profiter de l’occasion pour dissiper une autre illusion fréquente à propos du tabagisme : ce n’est pas une habitude. Dans la vie, on contracte toutes sortes d’habitudes, très agréables pour certaines, et plus ou moins ancrées en fonction des personnes. Si le tabagisme se limitait à une habitude, on devrait pouvoir arrêter sans problème à cause des inconvénients : mauvais goût, aliénation, danger pour la santé, etc. Au contraire, on trouve ça difficile parce que ce n’est pas une habitude mais une dépendance à l’égard d’une drogue. On s’efforce d’apprendre à vivre avec elle et, avant d’en être conscient·e, on achète régulièrement des clopes et elles sont devenues indispensables. On panique quand le paquet est vide, et notre consommation augmente progressivement au fil des mois et des années.

Comme pour toutes les drogues, cette augmentation est due au phénomène de tolérance : le corps tend à s’immuniser contre la nicotine et, assez vite, la cigarette ne soulage plus complètement le manque qu’elle crée. Quand vous en allumez une, vous vous sentez mieux qu’avant mais vous êtes en fait moins détendu·e que si vous n’aviez jamais fumé de votre vie. Quand la cigarette est éteinte, l’organisme évacue rapidement la nicotine et, dans les situations de stress, on a alors tendance à fumer clope sur clope.

L’habitude n’existe pas. La seule raison pour laquelle on continue d’endurer notre calvaire est ce petit monstre logé à l’intérieur de notre ventre et qu’il faut maintenant nourrir. Chacun·e décide du moment pour le faire. Ce sera à l’occasion de quatre types de situations : l’ennui, le stress, la concentration et la décontraction. Nous reviendrons là-dessus plus tard.

La nicotine est également un poison puissant. Si on s’injectait la nicotine que contient une seule cigarette par intraveineuse, ça nous tuerait. Le tabac fournit aussi d’autres poisons comme le monoxyde de carbone, l’ammoniac, l’arsenic ou encore le mercure. Et dans le cas où vous envisageriez de passer à la pipe ou au cigare, sachez que le contenu de ce livre s’applique à toutes les formes de tabagisme…

Le corps humain est un organisme sophistiqué qui est équipé, dans une certaine mesure, pour distinguer les poisons et s’en débarrasser. Dans le cas du tabac, l’odeur et le goût répugnent tous les êtres humains avant qu’iels ne tombent sous son emprise. Si vous soufflez de la fumée de tabac au visage de n’importe quel humain·e qui n’a jamais fumé ou de n’importe quel animal non-humain, iel toussera et crachera.

Quand on a fumé notre première clope, l’inhalation de la fumée nous a fait tousser. On a continué à fumer quand même, au point d’avoir la nausée, ou même de se rendre malade. C’était notre organisme qui nous avertissait : « Arrête, c’est du poison ! » C’est à cet instant crucial que se décide souvent si on deviendra fumeur, fumeuse ou pas. Les personnes qui ont la chance de ne pas supporter physiquement cette première expérience ne peuvent pas continuer : leurs poumons ne supportent pas ce traitement et iels sont guéri·e·s à vie. Autre possibilité : iels ne sont pas préparé·e·s mentalement à subir ce sévère apprentissage : essayer d’inhaler sans tousser.

Et c’est là que se situe tout le tragique, dans la force avec laquelle on s’évertue à devenir accro. C’est pour ça que c’est très difficile d’inciter les adolescent·e·s à arrêter : iels sont encore en train d’apprendre à fumer, iels trouvent encore les cigarettes répugnantes et pensent donc pouvoir arrêter quand bon leur semblera.

Beaucoup pensent aimer le goût et l’odeur du tabac mais ce n’est qu’une illusion. En fait, quand on apprend à fumer, on habitue notre organisme à s’immuniser contre ce mauvais goût et cette mauvaise odeur, afin qu’on puisse avoir notre dose. Ce qu’on apprécie, en fait, c’est le rituel par lequel on soulage les symptômes de manque.

On apprend donc à surmonter les réactions de notre corps aux effets de la fumée pour avoir notre dose. Si le paquet est vide, même celles et ceux qui pensent fumer pour le plaisir se rabattront sur n’importe quelle marque, même détestée. D’ailleurs, y a-t-il vraiment des marques qu’on déteste ? Quand on fume, on pourrait fumer de la vieille corde pourrie plutôt que de s’abstenir : peu importe si on préfère les roulées, quand on est en rade on fumera des blondes, des Vogue Menthol ou les miettes du fond du sac s’il n’y a que ça. C’est dégueu et on en a plein les dents, mais on s’en fout puisqu’on obtient sa dose. Certain·e·s continuent de fumer quand iels ont un rhume, une bronchite ou même un cancer de la gorge. Le plaisir n’a rien à voir avec ça : si c’était le cas, personne ne fumerait plus d’une seule clope dans sa vie.

Certain·e·s, effrayé·e·s à l’idée d’être drogué·e·s, pensent que le fait de le savoir rendra leur tâche encore plus difficile. En fait, cette prise de conscience est indispensable, pour les deux raisons suivantes :

1. On continue à fumer parce qu’on croit qu’il y a quelque chose qui nous plaît dans la clope. On peut aussi penser que ça nous aide. On a beau savoir qu’il y a plus d’inconvénients que d’avantages, on a l’impression qu’après avoir arrêté, notre vie ne sera plus jamais la même. C’est vraiment une illusion : ça n’apporte rien, ça ne fait que créer un manque puis le combler partiellement. Savoir qu’on fume parce qu’on est drogué·e, c’est arrêter de penser qu’on fume parce qu’on y prend du plaisir.

2. Bien que ce soit une drogue très puissante par la rapidité avec laquelle on y succombe, son emprise n’est jamais très forte. Les symptômes de manque sont pratiquement insignifiants. Et comme c’est une drogue à action très rapide, il suffit de quelques jours pour que l’organisme évacue complètement la nicotine.

Alors pourquoi est-ce qu’on trouve ça si difficile d’arrêter ? Pourquoi doit-on supporter des mois de torture et passer le reste de notre vie à rêver d’une clope de temps en temps ? La réponse réside dans la deuxième raison qui nous pousse à fumer : le conditionnement.

La dépendance physique est très facile à surmonter, et la plupart des gens qui fument passent leurs nuits sans fumer, les effets du manque de nicotine ne les réveillant même pas. Beaucoup quittent leur chambre le matin avant d’allumer la première, certain·e·s attendent même d’avoir déjà mangé ou bu quelque chose. On peut rester dix heures sans souffrir d’une quelconque sensation de manque, mais, s’il fallait s’abstenir dix heures dans la journée, ce serait carrément l’angoisse. En fait, on est capable de s’abstenir sans être gêné·e, quand on fait des trucs, quand on est dans des lieux non-fumeurs, etc. On est même souvent ravi·e que quelqu’un·e ou quelque chose nous empêche de fumer. Beaucoup s’abstiennent automatiquement en compagnie des non-fumeurs et des non-fumeuses, et supportent sans problème de longues périodes d’abstinence.

La dépendance à la nicotine est donc facile à supporter, même quand on est toujours sous son emprise. Beaucoup continuent toute leur vie à fumer une « p’tite clope » de temps en temps : iels sont tout aussi accros que les autres. Quelques grand·e·s fumeuses et fumeurs, qui ont pourtant arrêté depuis longtemps, fument toujours ce cigarillo occasionnel qui les maintient dépendant·e·s.

C’est tout aussi facile d’arrêter pour les « vrai·e·s » fumeurs et fumeuses que pour celles et ceux qui ne fument que de manière occasionnelle. Paradoxalement, c’est même plus facile : plus vous êtes habitué·e et plus votre dépendance vous entrave ; le sentiment de délivrance sera donc encore meilleur quand vous arrêterez.

La dépendance physique à la nicotine n’est pas le problème principal ; elle agit plutôt comme un catalyseur et détourne notre esprit du véritable problème qu’est le conditionnement.

Les rumeurs qui circulent comme : « ça prend sept ans pour que votre organisme retrouve son état normal », « chaque cigarette, c’est cinq minutes de vie en moins », ne sont pas fondées. Ce n’est pas que la nocivité du tabac soit exagérée, mais la règle des cinq minutes est une estimation qui ne s’applique évidemment que si vous mourez d’une maladie liée au tabac.

En fait, le corps ne retrouve jamais son état originel. Et puis il suffit, par exemple, qu’il y ait des personnes qui fument autour de nous pour recevoir une petite dose. En revanche, l’organisme est doté d’une énorme faculté de récupération, en supposant évidemment qu’on n’ait rien contracté d’irréversible. Si vous arrêtez maintenant, votre corps récupérera en quelques semaines, quasiment comme si vous n’aviez jamais fumé.

Il n’est donc jamais trop tard pour arrêter et, plus la cigarette vous domine, plus grand sera le soulagement. On peut passer instantanément de cinquante à zéro cigarettes par jour et, même pendant la période de sevrage, ça peut être vraiment agréable. 

N’OUBLIEZ PAS
DE CONTINUER À FUMER
PENDANT LA LECTURE.

Chapitre 5 : Le conditionnement

Pour savoir pourquoi on fume, il faut étudier les effets sur l’inconscient, d’un point de vue individuel mais aussi collectif.

La liberté est la valeur la plus mise en avant dans les sociétés occidentales et pourtant, même si l’on a sincèrement l’impression d’être libres, nous sommes toutes et tous imprégné·e·s de la pensée capitaliste consumériste. Depuis le début du xxe siècle, les industriel·le·s et les élites dirigeantes usent de méthodes de manipulation des masses sophistiquées pour vendre leurs marchandises et faire élire leurs représentants.

Dans les années 1920 aux États-Unis, de jeunes ambitieux — publicistes, journalistes et lobbyistes — commencent à appliquer aux masses les théories sur l’inconscient et la psychologie individuelle développées durant les décennies précédentes, notamment par Sigmund Freud. Un des pionniers en la matière est d’ailleurs tout simplement son neveu, Edward Bernays. Après une brève carrière de journaliste, ce dernier a fait ses armes en travaillant pour le gouvernement étasunien au sein de la commission Creel. Cette commission devait préparer le terrain pour l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, idée à laquelle le public était majoritairement hostile. En plus des outils habituels de la propagande d’État — campagnes de presse, tracts et affiches — elle emploie pour la première fois des techniques psychologiques balbutiantes. Elles ne consistent pas à asséner un message clair, comme la réclame en vigueur à l’époque, mais usent de moyens détournés et d’associations d’idées visant les inconscients. Les Four Minute Men par exemple, étaient des personnes bien en vue dans leur communauté et mandatées par Washington pour prendre inopinément la parole en public. Elles semblaient le faire en leur nom, mais diffusaient en réalité le point de vue gouvernemental sur l’entrée en guerre. Ces techniques ont très bien fonctionné, et l’opinion publique s’est vue retournée en moins d’un an. À la fin du conflit, ces messieurs ont continué à vendre leurs services à celles et ceux qui pouvaient se les payer, c’est-à-dire les entreprises et les gouvernements qui avaient déjà à l’époque pas mal de camelote à écouler et des démocraties à organiser.

Bernays est engagé en 1929 par l’American Tobacco Company, avec pour objectif de conquérir le public féminin, qui fume peu à l’époque et représente donc un manque à gagner considérable. Il consulte le psychanalyste Abraham Brill — alors président de l’American Psychoanalytic Association. Ce dernier considère qu’en présentant aux femmes la cigarette comme un objet phallique, représentant du pouvoir masculin, elles chercheront à récupérer cet objet dans leur lutte pour l’émancipation et la contestation de ce pouvoir. Lors de la très courue parade de Pâques à New York, Bernays prévient journalistes et photographes que des suffragettes — qui à l’époque luttent pour acquérir des droits équivalents à ceux des hommes, et en particulier le droit de vote — vont faire un coup d’éclat. En effet, au milieu de l’événement, des jeunes femmes — évidemment payées par Bernays — sortent toutes en même temps des cigarettes et expliquent aux journalistes que ce qu’elles allument ainsi sont en fait des « torches de la liberté ». Le symbole ainsi créé rendait hautement probable que toute personne adhérant à la cause des suffragettes serait également du côté de celles et ceux qui défendaient le droit des femmes à fumer en public. Et c’est cette position que les cigarettiers désiraient justement voir se répandre : fumer étant devenu socialement acceptable pour les femmes, les ventes de cigarettes à cette nouvelle clientèle allaient exploser.

Ceci n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, et l’industrie du tabac n’a de cesse, comme les autres, d’employer ces techniques de manipulation de l’inconscient à grande échelle. L’image que les êtres humains se font de la cigarette est construite sur près d’un siècle de propagande intense, à tous les niveaux de la culture populaire : la publicité, le cinéma, la télévision, la littérature, les spectacles et internet sont hantés par cette image de la cigarette comme précieuse, garantissant la relaxation, favorisant la confiance en soi, le côté artiste maudit, le cowboy, la femme fatale. Mel Gibson fume des Philip Morris, Clint Eastwood des cigarillos, Gainsbourg des Gitanes, Uma Thurman fume sur l’affiche de Pulp Fiction, le paquet de Lucky Strike sur le casque des marines au Vietnam, la clope après l’amour, etc. Le comble est que ce système s’autoalimente : pas besoin de payer les stars pour faire la promotion des cigarettes puisque de toute façon elles fument déjà pour entretenir leur image. Peu importe que la publicité pour le tabac soit officiellement interdite par certains États, les médias de masse sont bourrés de références à la cigarette dans les fictions, les compétitions sportives, les concerts, etc. C’est l’angoisse ! Comment peut-on à ce point croire que la dernière volonté de n’importe quel·le condamné·e à mort sera de fumer une clope ?

Évidemment, il y a une publicité en sens inverse — la peur du cancer et le trou dans la gorge — mais elle n’empêche pas les gens de fumer, bien au contraire. Les mises en garde sur les dangers du tabac sont si visibles qu’il est impossible de les ignorer. Et pourtant, elles n’empêchent pas de commencer à fumer. Le piège n’a pas changé et toutes les campagnes antitabac ne font que rajouter à la confusion. Les paquets font explicitement état de leur nocivité mais, quand on voit ces mises en scènes ridicules et ces slogans grotesques, on a plutôt envie de se marrer que d’arrêter de fumer. On reviendra plus tard sur ce point.

La société considère le shoot à l’héroïne comme une pratique déviante alors que la drogue pour laquelle le plus d’argent est dépensé et qui tue véritablement en masse était considérée, il y a quelques années encore, comme une pratique tout à fait respectable. Paradoxalement, la clope est de plus en plus considérée comme antisociale et nuisible pour la santé, tout en restant légale et en vente chez n’importe quel buraliste, dans chaque café, bar, club ou restaurant. Les bénéficiaires sont les gouvernements et les fabricants, qui amassent des fortunes colossales sur notre dos. La principale difficulté quand on veut arrêter de fumer est due au conditionnement que nous fait subir leur propagande, renforcé par celui que nous inflige l’expérience de cette drogue. Il faut élaborer des tactiques de résistance à ce conditionnement.

Chapitre 6 : Quand est-ce qu’on fume ?

On soulage le manque de nicotine dans des moments de stress, d’ennui, de concentration, de détente ou lors d’une combinaison de ces facteurs. Voyons comment s’articulent ces comportements.

1. LE STRESS

Sans forcément parler des grandes tragédies de l’existence, on s’intéresse ici aux petits stress inhérents aux relations, aux contrariétés de la vie de tous les jours, à nos activités, etc.

Un exemple parlant est celui du téléphone. C’est un engin générateur de stress, que ce soit en contexte professionnel ou pour des raisons comme la surveillance, l’omniprésence des télécommunications dans nos vies et, évidemment, le réseau foireux des coins paumés. Souvent, quand on s’appelle, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas ou quelque chose à gérer qu’on appréhende — quand ce n’est pas simplement la mauvaise qualité de l’appel qui nous tend. Alors à ce moment, et si on n’est pas déjà en train d’en fumer une, on allume une clope. On ne se dit pas qu’elle va nous aider, on ne se demande pas pourquoi on l’allume et, souvent, on n’en a même pas conscience. En fait, on souffre déjà d’un stress, avant même l’appel téléphonique : celui dû au manque de nicotine. Il est pratiquement imperceptible mais il nous maintient pourtant dans un état d’insatisfaction et de nervosité. L’appel déclenche alors un petit stress supplémentaire qui augmente le stress global et, en fumant et en éliminant le stress dû au manque de nicotine, on se sent mieux. Ce sentiment d’amélioration existe réellement : les symptômes de manque ont cessé et on se sent effectivement soulagé·e. Le passage d’un état de stress à un état de stress moindre est bien réel et il est incontestablement attribuable à la cigarette. On a alors l’impression qu’elle atténue le stress lié au téléphone, alors qu’elle n’a fait qu’éliminer le stress lié au manque de nicotine. Ça nous redonne de l’assurance et c’est là que s’installe l’illusion.

En fait, même quand on est en train de fumer, on reste plus stressé·e que si on n’avait jamais fumé de sa vie. Et même si chaque clope nous soulage sur le moment, avec le temps l’effet de ce soulagement va en diminuant. Finalement, et même s’il apparaît bénéfique, l’effet d’une cigarette ne suffit plus à nous soulager complètement.

2. L’ENNUI

Une autre idée répandue est que la cigarette soulagerait de l’ennui. L’ennui est une disposition de l’esprit ; quand on fume, il est rare qu’on se répète : « Je fume, je fume, je fume. » C’est pourtant parfois le cas, notamment après une longue période d’abstinence, quand on essaye de réduire sa consommation ou quand on fume les premières après avoir essayé d’arrêter.

L’ennui est un terrain favorable : quand on est sous l’emprise de la nicotine et que l’on n’est pas en train de fumer, quelque chose nous manque. Si on pratique une activité qui nous occupe l’esprit, on peut passer des périodes assez longues sans être gêné·e par le manque. En revanche, quand on s’ennuie, plus rien ne détourne notre attention du petit monstre et on lui donne alors ce qu’il demande : une cigarette. En temps normal, c’est-à-dire quand on n’essaye pas de réduire sa consommation ni d’arrêter, le fait même d’en allumer une devient inconscient. Même celles et ceux qui fument des roulées ou qui doivent préparer leur pipe peuvent se plier à ces rituels tout à fait mécaniquement. Essayez de vous souvenir des clopes que vous avez fumées hier : à part quelques-unes, comme la première de la journée ou celle après le repas, vous les aurez à peu près toutes oubliées.

Un autre facteur entre en compte : on évolue dans une société hyperactive et on a du mal à ne rien faire. On se retrouve embarqué·e dans la frénésie des trucs à faire et, quand on se fait surprendre par une pause, le bus qui tarde à arriver par exemple, on cherche quelque chose pour s’occuper. Dans ces situations, on utilise beaucoup le téléphone : on en profite pour envoyer des textos, pour faire un jeu, aller voir un truc sur internet, etc. Et quand on est fumeur ou fumeuse, alors là on a toujours de quoi s’occuper... Le problème dans ces situations n’est pas le manque de nicotine mais bien notre incapacité à nous poser et, tout simplement, à ne rien faire. 

3. LA CONCENTRATION

La clope n’augmente pas le pouvoir de concentration. Il s’agit d’une illusion qui témoigne une fois de plus des paradoxes des mécanismes du tabagisme. Quand une personne cherche à se concentrer, elle essaye d’éliminer tout ce qui pourrait la perturber : elle est ainsi amenée à s’isoler, à éviter le bruit, la chaleur, le froid, etc. Dans cette situation, quand on est fumeur ou fumeuse, on souffre déjà : le petit monstre veut sa dose. Si on veut se concentrer, sans se poser de question, on allume machinalement une cigarette. Dès les premières bouffées, notre besoin de nicotine étant pratiquement satisfait, on se concentre et on a déjà oublié qu’on est en train de fumer.

En fait là, ça constitue plutôt un obstacle à la concentration car, avec le phénomène de tolérance, le manque de nicotine est de moins en moins complètement satisfait, même quand on fume. On est alors amené·e à augmenter progressivement sa consommation, ce qui ne fait qu’aggraver le problème. Votre capacité de concentration et votre inspiration seront nettement améliorées quand vous aurez mis fin à cette torture inutile.

La perte de concentration dont on souffre au moment d’arrêter n’est pas due au manque physique de nicotine mais à la conviction que la clope est indispensable. Ça arrive à tout le monde de buter sur un mot, une date ou un visage. C’est alors pratiquement systématique : quand ça nous arrive, et à moins qu’on en ait déjà une à la bouche, on allume une clope. Ensuite, et puisqu’elle ne règle en aucun cas le problème, on fait ce qu’aurait fait n’importe quelle personne qui ne fume pas : on pense à autre chose en attendant que ça revienne.

Quand on fume, on ne rejette jamais la faute sur le tabac. Si on tousse souvent, c’est parce qu’on attrape régulièrement froid et, quand on arrête de fumer, on attribue tous ses malheurs au fait d’avoir arrêté. Dès qu’un ennui survient, au lieu de s’en accommoder ou de le régler comme le ferait une non-fumeuse ou un non-fumeur, on se dit que ça irait mieux avec une clope. Alors on remet tout en question et on finit par reprendre.

Si vous pensez que fumer vous aide à vous concentrer, vous ne pourrez pas vous concentrer sans cigarette. Tout repose sur ce doute et non sur le manque physique de nicotine. Gardez toujours à l’esprit que seul·e·s les personnes qui fument souffrent de symptômes de manque.

4. L’ÉTAT DE DÉCONTRACTION

Beaucoup pensent que la clope les aide à se détendre. En fait, la nicotine est un excitant : essayez de fumer deux clopes à la suite et vous constaterez une nette augmentation de votre rythme cardiaque, si vous le mesurez avant et après.

La clope après un repas est souvent une des préférées. Le repas coïncide avec la fin du travail ou avec une pause : on est généralement plus décontracté·e et, après avoir mangé et bu, relativement satisfait·e. Mais, quand on fume, il y a une faim qui n’est pas satisfaite et on pense à la cigarette comme à la cerise sur le gâteau. C’est en fait le petit monstre, notre dépendance physique à la nicotine, qui manifeste sa faim.

Pourquoi est-ce qu’on est si tendu·e quand on ne fume pas, même après un bon repas ? Pourquoi est-ce qu’on ne peut pas se sentir détendu·e sans cigarette ? Pourquoi, dans les mêmes situations, les non-fumeurs et les non-fumeuses restent en général tout à fait calmes ? Évidemment, le tabac n’est pas responsable à lui seul de tous les troubles psychologiques de l’humanité mais on peut cependant dire que les fumeurs et les fumeuses sont en général plutôt tendax... Observez leur attitude, surtout dans une situation qui leur interdit de fumer, ça vous aidera.

Les personnes dépendantes à la nicotine ne peuvent jamais être complètement reposées, et cet état s’aggrave avec le temps. On est à la fois aliéné·e et fasciné·e par la cigarette.

Chapitre 7 : Clope sur clope

Il y a des fois où, en voulant allumer une cigarette, on s’aperçoit qu’on en a déjà une à la bouche. Je me souviens que ça me faisait marrer quand je m’en rendais compte, mais c’est moins anodin qu’il n’y paraît : la cigarette finit par ne plus satisfaire notre besoin de nicotine et, même quand on l’a dans la bouche, quelque chose nous manque. C’est le sentiment de frustration dont souffrent les personnes qui fument à la chaîne : on a envie d’une clope alors qu’on est déjà en train d’en fumer une.

Quand on fume clope sur clope, c’est qu’au moins deux des prétextes habituels pour fumer sont réunis, par exemple au boulot, pendant un repas, une fête, etc. Ce sont des situations qui sont à la fois stressantes et relaxantes, et ce n’est pas forcément une contradiction : un repas peut être stressant, même avec des ami·e·s.

Il y a des cas où les quatre raisons de base peuvent coexister. Quand on conduit, par exemple, et qu’on quitte en voiture un contexte stressant comme le dentiste. On a alors des raisons de se détendre mais, en même temps, l’attention nécessaire à la conduite pour éviter les accidents est toujours un élément de stress : on risque sa vie. Et on doit en plus se concentrer. Il se peut qu’on ne soit pas conscient·e des deux derniers facteurs, mais le fait qu’ils soient inconscients ne les empêche pas d’agir. Et quand, en plus, on est coincé·e dans les bouchons ou que le trajet est long, le dernier facteur, l’ennui, intervient.

En soirée aussi, plusieurs facteurs peuvent intervenir : on est censé·e se détendre, c’est un moment qui est fait pour ça. Mais certaines discussions ou interactions peuvent parfois être stressantes : un mec relou, une discussion absurde, les voisin·e·s outré·e·s, les flics, etc. Parfois, on s’ennuie parce que la musique est naze mais, si on se retrouve à passer des disques, alors on a besoin de concentration. On pourrait s’amuser en soirée à demander aux fumeuses et aux fumeurs si iels sont vraiment en train d’apprécier leur cigarette, mais là n’est pas la question. C’est généralement quand on se réveille le lendemain matin, avec la gorge en feu, qu’on décide d’arrêter.

On a aussi tendance à s’engrener et à fumer clope sur clope quand on est en groupe. On est beaucoup à constater qu’on fume souvent bien plus que notre consommation habituelle dans certains moments collectifs, les réunions, le travail, les fêtes, etc. On fume alors non seulement par mimétisme mais aussi dans des mécaniques inconscientes d’intégration et d’appartenance au groupe. En effet, comme pour le style vestimentaire, le vocabulaire employé ou le fait de fumer des roulées plutôt que des blondes, la consommation de tabac à tendance à s’harmoniser entre les membres du groupe.

Gardez bien à l’esprit que, si la clope paraît tellement appréciable, c’est à cause des situations auxquelles elle est associée. C’est la situation elle-même — ou son contexte — qui est particulière. Une fois que le besoin de cigarette aura disparu, les situations heureuses seront meilleures sans cigarette et les situations de stress seront moins stressantes. Et surtout, on peut carrément se lâcher et faire la bringue sans fumer de tabac.

Chapitre 8 : Qu’est-ce qu’on abandonne ?

On n’abandonne rien du tout en arrêtant de fumer. C’est la peur qui nous paralyse à l’idée d’arrêter, la peur d’être privé·e d’un plaisir, d’une récompense ou d’un soutien. On appréhende que quelques moments particuliers ne soient plus aussi agréables sans cigarette et qu’elle nous manque pour faire face aux situations difficiles. On est conditionné·e et persuadé·e d’avoir une faiblesse, que la clope possède un effet mystérieux dont nous avons besoin, ou qu’il y aura un vide en nous quand on arrêtera de fumer. Encore une fois : la clope ne comble pas un vide, elle le crée. Il n’y a rien à abandonner et, une fois que votre corps sera débarrassé de ce petit monstre et que vous serez affranchi·e du conditionnement, vous n’aurez ni envie, ni besoin de fumer.

Prenons l’exemple des repas : le tabac ne les améliore pas, au contraire il les gâche. D’abord parce qu’il détruit progressivement le goût et l’odorat, mais aussi parce que, à force d’attendre sa clope, on en vient à ne plus apprécier son repas. Observez celles et ceux qui fument à table, ou juste à côté, tout en sachant que ça dérange les autres : ce n’est pas qu’iels s’en foutent, mais iels sont tiraillé·e·s en permanence entre la frustration de ne pas fumer, le remord de déranger les autres et la frustration de rater la discussion en sortant fumer.

On commence souvent à fumer dans des moments de sociabilité, quand on est jeune et timide, et on se forge alors la certitude qu’on ne pourra jamais apprécier ces situations sans fumer. Ensuite, on construit des habitudes et des réflexes à partir de ça. Je me souviens que j’utilisais souvent la clope et l’obligation de fumer à l’extérieur comme prétexte pour m’échapper de certaines situations ou de discussions. C’est vrai que c’est pratique d’avoir une excuse toute faite pour pouvoir sortir, mais je me rends compte, maintenant que je ne fume plus, que je n’ai aucun problème pour en trouver d’autres !

Non seulement il n’y a rien à abandonner, mais il y a surtout beaucoup à gagner. Quand on essaye d’arrêter, on tente de se concentrer sur les aspects positifs pour la santé ou sur l’argent qu’on économise. Évidemment, ce sont de bonnes raisons, mais ce ne sont pas les seules, et les bénéfices psychologiques sont les plus importants : 

1. La fin de l’aliénation.

2. Ne plus subir ce sentiment de mépris de la part de soi-même et des autres.

3. Ne plus se torturer pour savoir si on arrivera un jour à se débarrasser de ce truc.

Chapitre 9 : L’aliénation

Les mécanismes du tabagisme reposent donc sur la dualité d’une dépendance physique et d’une dépendance psychologique. Cette dépendance psychologique constitue une véritable aliénation.

Les discours sur l’importance de la liberté, le fait d’être maître·sse de sa vie et de ses choix, sont assénés en permanence par les propagandistes de tout poil. Cependant, la liberté proposée par le système capitaliste est toute relative : cette idéologie nous pousse à travailler pour assouvir des besoins construits de consommation de marchandises et de services. Et sur ce plan, la cigarette est une des trouvailles les plus rentables du xxe siècle !

Quand on a une clope à la bouche, on n’a qu’un seul souhait, même sans s’en rendre compte : celui de ne jamais avoir fumé. On en fume la plupart sans les apprécier et même sans en être vraiment conscient·e. C’est uniquement après une période d’abstinence qu’on souffre de l’illusion d’apprécier la clope : la première de la journée ou celle après un repas. Les circonstances où elle devient vraiment précieuse sont les périodes où on essaye d’arrêter, ou lorsque les normes nous l’interdisent, comme dans les lieux publics.

Ces interdits, qui se limitaient il y a quelques années encore à quelques cas isolés comme le métro, s’appliquent aujourd’hui à tous les lieux publics, à tous les restaurants, réduisant de plus en plus l’espace des fumeurs et des fumeuses aux coins sordides, aux aquariums d’aéroports et autres locaux à poubelles. Dans certaines législations, on trace sur les trottoirs des lignes qui interdisent aux fumeurs et aux fumeuses de s’adonner à leur plaisir trop près des bâtiments. Ce qui donne le loisir aux citoyen·ne·s zélé·e·s de faire un scandale lorsque quelqu’un·e ose transgresser la règle et fumer hors des marquages prévus à cet effet. Ne vous inquiétez pas, quand vous ne fumerez plus, il vous restera plein d’occasions de faire chier ces fanatiques de l’ordre et de la discipline, pas la peine de se pourrir la santé pour ça. Et dites-vous bien que ce n’est pas à ces tristes personnages que sont dues vos angoisses, mais au petit monstre dans votre ventre qui attend sa dose de nicotine.

Je me souviens que, quand je fumais, j’évitais de faire certaines choses parce que je savais que je ne pourrais pas fumer en les faisant. En y repensant, je me demande combien de trucs je n’ai pas faits à cause de ça. C’est fou de se rendre compte à quel point ça peut conditionner notre existence. Ce qui est vraiment cool quand on arrête de fumer, c’est de se sentir affranchi·e de cette aliénation. On arrête de passer le plus clair de son temps à crever la clope [1] et le reste à souhaiter ne plus jamais avoir à en fumer une.

Chapitre 10 : L’argent

Cette question est assez évidente et on va donc la traiter très rapidement. Évidemment fumer coûte cher et, même si on fume du tabac à rouler qu’on achète au Luxembourg, ça reste assez problématique d’enrichir l’industrie du tabac pour se ruiner la santé. Sur ce sujet, l’auteur du bouquin original dit un truc intéressant concernant les adolescent·e·s. Lors de ses consultations, il leur demande s’iels ne s’inquiètent pas de cet argent qui part en fumée et, selon lui, la réponse ressemble en général à : « Je peux me le permettre, ça ne fait que quelques euros par jour et je pense que ça en vaut la peine. C’est mon seul vice, alors bon… » L’expert no 1 se vante alors de leur rétorquer : « Je ne peux pas y croire. Vu ton âge, et comme tu fumes un paquet par jour, tu vas dépenser durant toute ta vie environ cinquante mille euros pour ces cigarettes. Et que vas-tu faire de cet argent ? Tu ne te contentes pas de brûler les billets ou de les jeter par la fenêtre. Tu utilises cet argent pour te ruiner la santé, pour te détruire les nerfs et la confiance, pour endurer une vie d’aliénation, de mauvaise haleine et de dents tachées. Ça doit t’inquiéter, non ? » Selon lui, à ce stade, il apparaît souvent qu’iels n’ont jamais envisagé le problème sous l’angle de leur vie entière.

C’est important de prendre conscience du fait que, si on n’arrête pas de fumer, alors on est parti·e pour fumer toute sa vie. Et évidemment, fumer toute la vie, ça coûte beaucoup d’argent, entre autres.

Alors, sans tomber dans le truc de : « Whaou, imagine ce que tu pourrais faire avec cet argent ! », on peut envisager ça d’une manière plus réjouissante. Cet argent, on n’aura tout simplement plus besoin de le gagner ! Quand on cherche à s’affranchir du salariat, c’est un atout considérable !

Vous allez bientôt fumer votre dernière clope — pas tout de suite, souvenez-vous des instructions initiales. Tout ce que vous aurez à faire, pour rester non-fumeuse ou non-fumeur, sera de ne pas tomber une nouvelle fois dans ce piège. Autrement dit, ne fumez pas cette première cigarette. Si vous craquez, ne dites pas : « Juste une ! », ça n’a aucun sens. Sachez qu’elle vous coûtera des milliers d’euros, des milliers d’euros distribués à des actionnaires sordides. La seule chance pour qu’elle ne vous coûte pas ces milliers d’euros, c’est qu’elle vous tue avant d’arriver à cette somme.

Chapitre 11 : La santé

Par l’encrassement des poumons, les substances contenues dans la fumée empoisonnent progressivement le système sanguin. Nos poumons permettent à l’oxygène que nous inhalons d’être acheminé par les artères vers l’ensemble de notre corps. En réduisant l’apport en oxygène, on étouffe progressivement les muscles et les organes, et on contribue ainsi à les affaiblir : l’organisme devient par conséquent plus poussif, et ses capacités immunitaires et cognitives sont amoindries.

Évidemment, ces mécanismes sont lents et progressifs, ce qui fait qu’on ne s’aperçoit de rien. On ne se sent pas malade, on se sent chaque jour comme le jour précédent et on se dit que notre petite forme est une conséquence naturelle de notre vieillissement ou de la vie qu’on mène.

Parfois, notre désintérêt pour notre propre corps s’inscrit dans une logique plus consciente. Atterré·e par le culte du corps des salles de fitness et par les injonctions permanentes à la standardisation des corps, on finit par mépriser le fait même de prendre soin de soi et de son corps. Je ne prône pas une attention maniaque au bien-être personnel, à la vie saine et équilibrée à tout prix, qui sont devenues des arguments commerciaux indispensables pour cibler les « consom’acteurs ». En revanche, on peut légitimement s’interroger sur la propension de la propagande capitaliste à encourager les tendances excessives et les comportements d’autodestruction dans le but de vendre sa camelote à une population aliénée.

La santé est le domaine dans lequel le conditionnement agit le plus et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, on n’est pas vraiment conscient·e des risques encourus. En fait, on ne peut pas se permettre de penser aux risques encourus pour la santé, sinon le plaisir — déjà illusoire — qu’on prend à fumer disparaîtrait aussi. On préfère éviter soigneusement le sujet, en pensant que le danger ne concerne que les autres.

C’est pour ça que les traitements chocs, comme les images sur les paquets, sont tellement inefficaces : il n’y a que les non-fumeuses et les non-fumeurs pour s’intéresser à ces mises en scène grotesques. À ce propos, je pense que ça n’est pas un hasard si ces images sont si peu réalistes : elles nous permettent ainsi de nous réfugier dans l’ironie, pour ne pas être trop atteint·e·s.

Quand on est fumeuse ou fumeur, on prend comme tout le monde les précautions nécessaires pour ne pas se faire renverser par une voiture quand on traverse la rue et on rend ainsi quasiment nulles les chances pour que ça arrive. Pourtant, si on continue à fumer, on est quasiment certain·e de développer un jour une des maladies causées par le tabac. On n’en est toutefois pas conscient·e : c’est le conditionnement qu’on subit en permanence qui nous aide à l’occulter. Parce qu’on a toutes et tous connu, ou entendu parler, de pépé René. Pépé René, c’est celui qui fumait trois paquets par jour et qui a vécu en pleine forme jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Par contre, on s’intéresse beaucoup moins aux milliers de personnes qui perdent leurs dents ou qui meurent chaque jour à cause du tabac.

Une autre idée reçue très répandue concerne la toux : beaucoup de gens qui fument ne sont pas inquiet·e·s pour leur santé parce qu’iels ne toussent pas. C’est plutôt inquiétant au contraire, car la toux est un réflexe physiologique qui permet de se débarrasser des corps étrangers présents dans nos poumons. La toux en elle-même n’est pas une maladie mais un symptôme qui prouve que notre corps essaye de rejeter les goudrons et les poisons cancérigènes contenus dans la fumée. Si on ne tousse pas, ces poisons entrent dans les poumons et s’attaquent à l’organisme.

C’est un peu comme de laisser rouiller sa voiture, sauf que dans ce cas et quand elle sera complètement pourrie, ça ne sera pas dramatique : il suffira d’en acheter une autre ou d’aller à vélo et à pied. L’organisme, lui, est unique. Or, on ne se contente pas de le laisser se dégrader : on le détruit délibérément. Une fois qu’il sera foutu, peu importe tout l’argent qu’on pourrait avoir : il n’y a pas de seconde chance.

Réveillez-vous ! Vous n’avez pas besoin de fumer : le tabac ne vous apporte absolument rien. Pour quelques instants, sortez la tête du sable et posez-vous la question suivante : si vous étiez certain·e que la prochaine cigarette serait celle qui déclencherait la maladie — cancer ou autre — seriez-vous prêt·e à la fumer ? Plutôt que la maladie, qui est difficile à imaginer, pensez à la chimiothérapie et aux séances de radiothérapie : dans ces moments-là, vous ne prévoyez pas le reste de votre vie mais plutôt le début de votre mort.

Comme les autres, les personnes dans cette situation ne pensaient pas que ça allait leur arriver à elles. Le pire n’est même plus la maladie elle-même, mais le fait de savoir qu’on l’a cultivée soi-même pendant si longtemps, en fumant ces saloperies. Pendant toute notre vie avec la clope, on se dit : « J’arrête bientôt », ou, « Il faut que j’arrête. » Essayez d’imaginer ce que ressentent celles et ceux qui sont arrivé·e·s à la dose fatale. Pour elles et eux, le conditionnement est terminé. Iels comprennent enfin la nature de cette « habitude », et ont quelques longs mois d’agonie pour y penser.

Vous avez encore une chance. Le tabagisme est une réaction en chaîne : chaque cigarette appelle la suivante et ainsi de suite. C’est ce qui vous arrive, à vous aussi. Si vous avez déjà décidé que vous allez arrêter de fumer, continuez à lire. Si vous doutez encore de cette volonté, sautez le reste de ce chapitre, vous y reviendrez quand vous aurez fini le livre. 

Beaucoup d’études ont été réalisées sur les dégâts que le tabac peut causer à la santé, plus ou moins sérieuses et plus ou moins influencées par les cigarettiers. Le problème est que, quand on fume et jusqu’à ce qu’on décide d’arrêter, on ne veut rien savoir. Les avertissements inscrits sur les paquets sont une pure perte de temps : on n’en tient pas compte et, si on les lit, on en allume une aussitôt.

On considère le danger pour la santé comme une roulette russe ou comme le fait de traverser un champ de mines. C’est faux : ce n’est pas une loterie mais un phénomène progressif qui a déjà commencé. À chaque bouffée, les goudrons cancérigènes s’introduisent dans vos poumons : c’est un petit pas de plus vers le cancer, une des pires maladies qu’offre la cigarette. Mais elle contribue à en provoquer bien d’autres, comme les AVC, artérioscléroses, pancréatites chroniques, emphysèmes, problèmes de dents, angines, thromboses, bronchites et autres asthmes chroniques.

Même si ça se fait vraiment rare, il y a encore des fumeurs et des fumeuses persuadé·e·s que les effets du tabac sont exagérés. Évidemment, c’est l’inverse : il paraît que la cigarette est le tueur numéro un de la société occidentale. En plus, quand la clope cause la mort ou qu’elle est un facteur déterminant de celle-ci, elle n’est pas toujours mise en cause. Par exemple, beaucoup d’incendies sont dus à des mégots et dans un même registre, on peut se demander ce qu’il en est des accidents de voiture. Combien de fois on quitte la route des yeux pour chercher ses clopes dans son sac, pour les allumer, pour en rouler une ? Sans parler des fois où elle tombe entre deux sièges et qu’on conduit d’une main, tout en se contorsionnant pour essayer de la récupérer de l’autre.

L’effet du conditionnement est tel que nous tendons à penser, comme le mec qui tombe d’un immeuble dans La Haine : « Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. » Parce qu’on s’en est bien sorti·e jusqu’à présent, on pense que la prochaine cigarette n’y changera rien. Ne soyez pas dupe : il en va de même pour vous, avec la différence que vous ne pouvez pas savoir, lors de votre chute, à quelle distance du sol vous vous trouvez.

Il faut voir les choses sous un autre angle. Cette « habitude » est une chaîne pour la vie : chaque cigarette créant la nécessité d’en avoir une suivante. Le problème est qu’on ne sait pas combien de temps ça va tenir, et que chaque clope allumée est un pas de plus.

Chapitre 12 : La confiance en soi

C’est une idée reçue bien tenace mais, elle aussi, complètement fausse : la cigarette ne favorise pas la confiance en soi. Quand on arrête de fumer, on s’affranchit d’abord de ce petit sentiment d’insécurité permanent : « Où est-ce que j’ai mis mon tabac ? », « Relou·e ! T’as encore perdu les feuilles ! », l’incertitude de trouver un tabac ouvert tard le soir, l’urgence de fumer une clope avant que le train démarre, la crainte de se faire emmerder par quelqu’un·e parce que c’est interdit de fumer ici, la pause en réunion qui commence à se faire attendre, la pluie sur le local à poubelles, etc. Les personnes qui ne fument pas ne connaissent pas ces angoisses : c’est le tabagisme qui génère ça.

Le simple fait de réunir les conditions pour être en mesure de fumer, c’est déjà un gros boulot en soi ! J’ai fait de la route récemment avec des potes fumeurs, et c’était marrant de voir le manège permanent : « Quelqu’un a du feu ? », « T’as pas une feuille ? », « J’te chope une clope », etc. Quand j’ai arrêté, dans les premiers temps, j’avais en permanence l’impression d’oublier un truc en sortant de chez moi. C’est bête mais rien que le fait de ne plus avoir les poches gonflées par l’attirail — le tabac, les feuilles, les filtres, le briquet, etc. — est un soulagement en soi, on se sent légèr·e. Sans parler de celles et ceux qui fument des tubes : là, il faut carrément un sac pour transporter tout le bordel !

Encore une fois, le sentiment de détente qu’on ressent quand on fume est dû uniquement au soulagement des symptômes de manque, ce qui nous donne l’illusion de nous détendre face aux situations de stress. Évidemment, ces situations ne disparaissent pas avec l’arrêt de la clope mais, quand on n’est plus soumis·e à la dépendance, on y fait simplement face, sans avoir à gérer un problème d’addiction en plus. Ça permet de se tourner directement vers les causes des tensions ou, en tout cas, de ne pas les occulter en se réfugiant dans la clope. La vie continue avec ses hauts et ses bas, mais ce qui est sûr, c’est qu’on gagne une sérénité et une énergie précieuses qui permettent d’aborder ces situations plus facilement.

En ce qui concerne la confiance en soi, le tabac a plutôt tendance à la détruire qu’à la renforcer car, à long terme, l’état de dissonance cognitive dans lequel il nous maintient peut être ravageur. La dissonance cognitive est la tension interne que vit une personne, la contradiction entre ce en quoi elle croit — ses structures morales — et ses actions concrètes. Par exemple, avoir des convictions anti-autoritaires et malgré tout exercer de l’autorité sur ses enfants ou son entourage ; être convaincu·e de l’injustice sociale de l’héritage et malgré tout en accepter un ; être en lutte contre le système patriarcal et se rendre compte qu’on reproduit pourtant ses schémas de domination ; etc. Ces mécanismes font partie de l’expérience humaine et sont plus ou moins conscients, difficilement identifiables et souvent bien plus complexes que la simple binarité des exemples précédents. En tout cas, ils peuvent être plus ou moins destructeurs, en fonction du niveau de violence avec lequel ils s’exercent au sein de la personne.

Le tabagisme offre des exemples frappants de dissonances cognitives qui se répondent à l’infini. Toutes les raisons pour lesquelles on fume sont à un moment ou à un autre en tension avec les raisons qui nous poussent à ne plus fumer. Quel que soit notre rapport à la clope, le fait de fumer est régulièrement en contradiction avec nos convictions sur la nocivité du tabac et le cynisme des industriel·le·s. On sait que c’est mauvais de fumer, et en même temps on trouve que c’est la classe de fumer. On sait que le « modèle américain » est une construction propagandiste qui nous pousse à consommer, et pourtant on se la pète en fumant derrière des lunettes de soleil et les cheveux aux vent, comme dans les films. À un moment, cette dissonance s’exprimait clairement sur les paquets eux-même : la moitié du packaging était dédiée à la propagande de la marque — visuels évocateurs de liberté et finesse des slogans, éloge de la virilité, etc. Sur l’autre moitié, la « prévention » étatique : photos chocs et slogans en lettres capitales, beaucoup moins fins ceux-là pour le coup ! On manipule en permanence des photos de cancers purulents, on pioche son tabac au milieu des injonctions autoritaires et infantilisantes du type : « Fumer tue ! Arrêtez maintenant ! », on considère comme une attitude nocive pour soi et pour les autres ce qu’on considère aussi comme un plaisir. J’imagine que tout cela doit créer des conflits plus ou moins conscients et plus ou moins violents qui, à la longue, nuisent à la confiance en soi et entretiennent la culpabilité et la haine de soi. Haine de soi sur laquelle peuvent compter les industriel·le·s, car une personne qui se déteste et qui manque de confiance en elle sera bien moins encline à s’affranchir de la cigarette, comme des autres marchandises d’ailleurs. Évidemment, ces tendances ne disparaissent pas avec l’arrêt de la clope, car elles sont à l’œuvre à tous les niveaux de l’organisation sociale, mais s’affranchir du tabac est une manière simple et efficace de recouvrer un bon niveau de cohérence et surtout pas mal de confiance en soi.

La culpabilité est un autre sentiment sur lequel les classes privilégiées s’appuient pour exercer leur domination. Les institutions séculaires capitalistes ont largement repris à leur compte les pratiques exercées depuis plusieurs siècles par les religions monothéistes. Si la culpabilité peut être considérée comme un outil nécessaire à la socialisation — par exemple en limitant les désirs de jouissance ou de pouvoir chez les personnes — la façon dont elle s’exerce au sein des sociétés occidentales est pour le moins problématique. On est tiraillé·e en permanence entre, d’un côté, des envies puissantes de jouissance suscitées par une propagande acharnée et, de l’autre, la culpabilité d’y céder. La propagande marchande s’appuie sur ces mécanismes pour nous maintenir dans des rôles passifs de consommation.

Quand on fume, on ressent à un moment ou à un autre de la culpabilité, quand on se rend compte des effets sur la santé ou quand on prend conscience de son aliénation. La plupart du temps on l’occulte car fumer est un automatisme, mais ces sentiments continuent d’exister inconsciemment et ils refont surface régulièrement, quand on croise une affiche, un hôpital, dans une quinte de toux, à la vision des dents jaunies, etc. Ce sentiment ne se dissipera que quand vous aurez vous-même décidé de mettre un terme à cette dépendance.

Les derniers chapitres ont traité des avantages que vous trouverez à devenir non-fumeuse et non-fumeur. Pour être honnête, il faut en contrepartie développer les avantages à être fumeur ou fumeuse. Ces considérations sont développées dans le prochain chapitre.

Chapitre 13 : Les avantages de la cigarette

...

Récit interlude : Flandres-Provence

L’odeur de la clope le matin me rappelle le hangar où je travaillais l’été quand j’étais adolescent. Il y avait pas mal de types que j’admirais là-bas, et ils avaient tous un point commun : ils fumaient toute la journée. Les patrons étaient « cools » et on avait le droit de fumer. Pour préparer nos palettes de produits d’entretien, on était équipés de transpalettes électriques. Ces machines, on peut s’asseoir sur le capot quand elles roulent, ça permet de se reposer en chemin entre deux manutentions. Ça permet aussi de s’en griller une, une main sur le manche de l’appareil, une main pour la clope.

Je me souviens d’un collègue à peine plus vieux qui, contrairement à moi, ne venait pas pour se faire un peu d’argent de poche. D’un été à l’autre, il était toujours là. Il avançait, son corps sec courbé sur le transpalette, dans la chaleur étouffante du hangar, en tirant sur sa clope.

À l’époque, je fumais déjà depuis un moment, mais c’est chez Flandres-Provence que c’est devenu vraiment excessif. Au moins, au lycée, j’étais obligé d’arrêter quand j’allais en cours !

Au hangar, il y avait aussi un ancien, je ne sais pas depuis combien de temps il était là, mais il avait connu le père des patrons. Il avait en permanence au bec des Gitanes Maïs. Les Gitanes Maïs, c’était un peu comme les roulées, ça s’éteignait quand tu ne tirais pas dessus, comme ça tu pouvais l’avoir tout le temps à la bouche et, à la moindre occasion, hop, un petit coup de briquet. Ça puait tellement, ces trucs !

Au fond du hangar, il y avait Thierry. Lui, il ne préparait pas les commandes. On l’avait collé un matin au reconditionnement et personne, depuis, n’aurait pu le remplacer. Pour reconditionner une palette de Carolin pour laver par terre, tu enlèves le film, tu ouvres les cartons un par un, tu mets sur chaque bidon une collerette promotionnelle pour indiquer les « offres » et les « réductions », tu refermes le carton et tu le poses sur la palette d’à côté. Le Thierry, c’était une vraie machine. Il tournait à huit palettes par jour. Autant dire que ses Marlboro, il les fumait sans les mains !

En y repensant, j’ai remarqué que le seul qui ne fumait pas dans cette équipe, c’était Fernand le contremaître. Un rude connard, celui-là.


PARTIE 2

L’amour c’est comme une cigarette,
Ça brûle et ça monte à la tête.

Sylvie Vartan.

Chapitre 14 : La méthode classique

Les méthodes classiques sont basées sur la volonté, et on considère généralement qu’arrêter de fumer est un véritable exploit. Beaucoup de monde en est persuadé et les ouvrages à ce sujet avertissent d’emblée de la difficulté de l’opération.

En fait, pour arrêter de fumer, ce que vous avez à faire est... de ne plus fumer. Et ce n’est pas juste une boutade ! Personne ne vous force à fumer à part vous-même et, contrairement à la nourriture et à l’eau, le tabac n’est pas du tout indispensable à votre survie. Ce n’est pas difficile d’arrêter et cette difficulté a été créée en essayant de mettre la réussite sur le compte de la volonté. On croit devoir faire preuve d’une extraordinaire abnégation pour renoncer au tabac. Il existe beaucoup de méthodes plus ou moins originales pour nous aider à arrêter de fumer, mais toutes amènent à penser qu’on fait un sacrifice.

On ne décide pas de devenir fumeur ou fumeuse. On essaye simplement de fumer une première clope et, comme elle a un goût infect, on est convaincu·e qu’arrêter ne sera jamais un problème. Dans les premiers temps, on ne fume que quand on le veut car on n’est pas encore aliéné·e. Il se peut ainsi que plusieurs jours, voire plusieurs mois, passent entre deux clopes. On fume dans les soirées, en présence d’autres fumeuses et fumeurs, ou dans d’autres circonstances où on agit par mimétisme. Avant de s’en rendre compte, on achète régulièrement du tabac et on croit fumer uniquement quand on en a envie, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive trop tard qu’on fume tous les jours. Il nous faut assez longtemps pour réaliser qu’on est accro, car on a l’illusion de fumer pour le plaisir et surtout pas par obligation. Quand on fume une clope, on croit l’apprécier et on pense pouvoir arrêter quand on voudra.

C’est généralement quand on décide d’arrêter qu’apparaît le problème. Les premières tentatives se situent le plus souvent dès les premières années, à cause de l’argent — on en a souvent peu — ou de la santé, pour continuer une activité sportive par exemple. Quelle que soit la motivation, c’est très souvent dans une situation difficile qu’on prend conscience qu’on doit arrêter et, dès qu’on passe à l’acte, le petit monstre dans le ventre, la dépendance physique, manifeste sa faim. On veut alors fumer et, comme on s’est promis de ne plus le faire, on stresse davantage. Ce qu’on utilise habituellement pour se calmer — la clope — n’est plus disponible, et notre souffrance augmente. Après une période de torture, on adopte le célèbre compromis : « Je vais réduire progressivement », ou même on laisse tomber : « Ce n’était pas le bon moment, j’attendrai une période plus propice. » Mais quand toutes les causes de stress ont disparu, l’envie d’arrêter de fumer disparaît aussi, et ce n’est que lors de la mauvaise passe suivante que l’idée reviendra. Bien sûr, ce n’est jamais le moment. La vie offre toujours des situations stressantes, en particulier dans le modèle socio-économique dans lequel on évolue. Et la vie des fumeurs et des fumeuses en particulier ne devient jamais moins stressante, parce qu’une partie de leur stress est dû à la cigarette : alors que leur consommation de nicotine augmente, iels deviennent de plus en plus nerveux et nerveuses, et l’illusion que la cigarette est indispensable augmente.

Après les premiers échecs, on se réfugie souvent dans l’espoir de se réveiller un jour et que notre envie de fumer aura disparu. Cet espoir est entretenu par les histoires qui circulent à propos d’ex-fumeurs et ex-fumeuses qui affirment avoir subitement perdu l’envie de fumer, par exemple après une grippe sévère. Ce n’est jamais aussi simple que ça : en général la personne s’est bien préparé·e à arrêter et n’a fait qu’utiliser la grippe comme tremplin. Le plus souvent, les personnes qui prétendent avoir arrêté « comme ça » ont en fait subi un choc. Soit un·e proche est décédé·e d’une maladie de la clope, soit iels ont eu très peur. Mais c’est plus facile de dire : « J’ai décidé d’arrêter un jour, tout simplement. »

Pendant presque toute notre vie, l’attitude habituelle est de remettre la décision finale — celle d’arrêter — au lendemain. Pourtant, il arrive parfois qu’un élément précis nous incite à passer à l’acte. Quelle que soit la raison, on sort un instant la tête du sable pour réfléchir aux avantages et aux inconvénients. On découvre alors ce qu’on a toujours su, et la conclusion ne fait aucun doute : il faut arrêter de fumer. Pourtant, même si on sait qu’on ferait mieux de ne pas fumer, on croit qu’on va faire un grand sacrifice. C’est une illusion, mais une illusion extrêmement puissante. Sans savoir pourquoi, on est persuadé·e que la cigarette est très utile pendant les bons et les mauvais moments de la vie.

Avec les méthodes classiques, avant même d’amorcer une tentative d’arrêt, ces fausses certitudes que la société nous a inculquées, et celles qu’on a soi-même construites, pèsent de tout leur poids. Il faut ajouter à ça l’illusion encore plus néfaste et ancrée qui consiste à croire qu’il est extrêmement difficile d’arrêter.

On a toutes et tous rencontré des personnes qui, n’ayant pas fumé depuis plusieurs mois, meurent encore d’envie de fumer une clope. Il y a ces ex-fumeurs et ex-fumeuses qui sont insupportables, celles et ceux qui ont arrêté depuis des années mais qui regrettent toujours la cigarette, sans parler des personnes qui sont devenu·e·s impitoyables avec celles et ceux qui fument encore... Entendue aussi, l’histoire de cette personne qui, après avoir tenu des années, a fumé une cigarette qu’elle croyait innocente et s’est subitement remise à fumer. On croise encore des fumeurs et des fumeuses gravement malades, qui visiblement n’apprécient plus la cigarette, mais qui continuent à se détruire en s’obstinant à fumer. Et évidemment, certain·e·s d’entre nous sont certainement déjà passé·e·s par l’une de ces épreuves.

Alors, au lieu de commencer en pensant : « Super ! Vous savez quoi ? Je ne fume plus ! », notre premier sentiment est qu’on va effectuer une mission impossible. On croit très fort que les fumeurs et les fumeuses sont condamné·e·s à vie : « Quand on est fumeur, on est fumeur toute sa vie. » Beaucoup prennent même leurs dispositions pour prévenir leur entourage : « Je suis en train d’arrêter, je vais sûrement être insupportable pendant les prochaines semaines. Soyez indulgent·e·s. » Ces tentatives-là sont vouées à l’échec.

Supposons maintenant que, en utilisant le vocabulaire des méthodes classiques, on « tienne quelques jours sans craquer ». Nos poumons se sont progressivement décongestionnés, on n’achète plus de tabac et on ne subit plus la pression sociale antitabac, puisqu’on ne fume plus. C’est super, mais les motivations qui nous ont poussé·e à arrêter nous apparaissent maintenant beaucoup moins évidentes. C’est comme quand on se fait peur en voiture ou qu’on perd un·e proche dans un accident de la route : pendant quelques temps, on sera plus prudent·e mais, petit à petit, on recommencera à rouler trop vite.

D’autre part, le petit monstre dans notre ventre n’a pas eu sa dose depuis longtemps. On ne ressent pas de douleur physique, juste une indéfinissable sensation de vide qui, si elle n’était pas due au manque de nicotine, ne nous dérangerait absolument pas. On ignore pourquoi c’est si important, mais on « sait » qu’on a besoin d’une clope. Le petit monstre réveille alors le grand monstre, confortablement installé dans l’inconscient par le lavage de cerveau impitoyable. Alors cette même personne qui, il y a quelques jours seulement, dressait la liste de toutes les raisons qu’elle avait d’arrêter, cherche maintenant n’importe quelle excuse pour recommencer.

Des excuses comme :

1. « La vie est courte. De toute façon, je pourrais mourir d’un instant à l’autre, renversé·e par une voiture ou la tête fracassée par un pot de fleurs. J’ai arrêté trop tard, et puis on peut attraper un cancer avec n’importe quoi aujourd’hui alors bon. »

2. « Je n’ai pas choisi le bon moment. J’aurais dû attendre après les vacances / après cette fête / après tel événement stressant / etc. »

3. « Je n’arrive pas à me concentrer. Je deviens irritable et je suis en permanence de mauvaise humeur. Je n’arrive pas à travailler correctement et mon entourage ne me supporte plus. Pour l’intérêt de tou·te·s, il faut que je me remette à fumer. »

À ce stade, généralement, on replonge. On taxe une clope ou on fume sur celle de quelqu’un·e, et le tiraillement s’amplifie. D’un côté, il y a l’immense soulagement de mettre fin au manque : le petit monstre a enfin sa dose. De l’autre, et si on a tenu assez longtemps, cette clope a un goût exécrable et on se demande pourquoi on la fume. On pense alors qu’on manque de volonté, mais ce n’est pas le cas : on a juste changé d’avis en prenant une décision parfaitement cohérente au vu des informations dont on disposait : « À quoi bon être en bonne santé si c’est pour être chiant·e et malheureux·euse ? Il vaut bien mieux avoir une vie agréable et un peu plus courte qu’une longue vie misérable. » Heureusement, cette dernière conclusion est complètement fausse : qu’elle soit longue ou courte, la vie est vraiment plus agréable sans cigarette.

La souffrance qu’on endure n’a rien à voir avec l’angoisse due au manque physique de nicotine. Celle-ci en est à l’origine, mais le problème est avant tout psychologique : on doute de son choix, on est persuadé·e qu’on fait un sacrifice et on se sent frustré·e, ce qui génère du stress. Or, dans ce type de situation, le petit monstre nous disait : « Fume une clope. » Alors, depuis qu’on a arrêté, on en veut une mais on sait qu’on ne peut plus en avoir. Ce dilemme nous déprime et envenime la situation.

La difficulté est encore aggravée parce qu’on attend quelque chose qui ne vient pas. Quand on obtient le permis de conduire, on a atteint notre but une fois qu’on a réussi l’examen, on ne se pose pas plus de questions que ça. Le principe des méthodes basées sur la volonté est de dire : « Si je peux tenir assez longtemps sans fumer, l’envie finira par disparaître. » Comment peut-on savoir que c’est terminé ? En fait, ça ne le sera jamais, tout simplement parce qu’il n’y a rien à attendre. On a arrêté au moment même où on a fumé cette dernière cigarette, et on attend maintenant de voir combien de temps on va encore tenir. On subit alors une agonie psychologique, due au doute qui habite notre esprit et, bien qu’il n’y ait aucune douleur physique, l’effet n’en reste pas moins très puissant. On est malheureux et malheureuse, et on se sent vulnérable. Au lieu d’oublier la clope, on en devient complètement obsédé·e. Il peut y avoir des jours et des semaines de dépression totale.

Notre esprit est envahi de doutes et de craintes : « Combien de temps vais-je souffrir ? Est-ce que je serai à nouveau heureux·euse ? Comment vais-je me motiver à sortir du lit le matin ? Est-ce que je pourrai encore apprécier un repas ? Comment vais-je faire face à une situation stressante ? Comment vais-je faire pour sortir, pour aller boire un coup dans un bar ? Est-ce que je vais devoir arrêter de voir mes potes ? »

On pourrait citer des dizaines d’autres questions. On attend que les choses s’améliorent et, bien sûr, plus on s’apitoie sur soi-même, plus la cigarette devient précieuse.

En fait, quelque chose se passe mais on n’en est pas conscient·e : si on peut survivre trois semaines sans nicotine, l’appétit physique pour ce poison disparaît. La sensation de manque de nicotine est si légère qu’on ne s’en rend même pas compte et, après quelques semaines passées sans fumer, on se dit qu’on est libéré·e. C’est là qu’on fait généralement la connerie d’en allumer une, juste pour se le prouver, et on la trouve alors infecte, ce qui nous conforte dans notre idée. Mais de la nicotine fraîche a de nouveau été introduite dans notre organisme. Cette nicotine commence déjà à faire effet et, bientôt, on entend le petit monstre au fond de nous qui dit : « Tu en veux une autre. » On s’était vraiment débarrassé·e de l’habitude, mais on a replongé aussi sec. On n’en allume pas immédiatement une autre, on se dit qu’on ne veut surtout pas recommencer. On attend alors qu’un délai assez long soit passé, des heures, des jours, voire des semaines, jusqu’à ce qu’on puisse enfin se dire qu’on ne s’est pas fait avoir et qu’on peut s’en permettre une autre. On est retombé·e dans le piège et on se trouve déjà sur une pente ­glissante.

Celles et ceux qui réussissent avec cette méthode ont tendance à trouver le chemin long et difficile parce que le principal problème est le conditionnement. Bien longtemps après, alors qu’on ne ressent plus aucun manque physique, on meurt encore d’envie de fumer. Et enfin, si on réussit à tenir assez longtemps, on finit par se rendre compte qu’on ne retombera plus. On cesse alors de se morfondre, on accepte que la vie continue et, surtout, qu’elle est aussi agréable sans tabac.

Beaucoup réussissent avec les méthodes basées sur la volonté mais la voie est très difficile. Et même celles et ceux qui ont réussi restent toute leur vie vulnérables, car iels gardent les séquelles du conditionnement : iels sont persuadé·e·s que la clope a le pouvoir d’améliorer les choses, dans les bons moments comme dans les mauvais. C’est d’ailleurs intéressant de constater que bon nombre de non-fumeuses et de ­non-fumeurs sont aussi soumi·se·s au conditionnement et sont tout à fait d’accord avec cette idée.

Ça explique aussi que certain·e·s, qui ont arrêté pendant longtemps, se remettent à fumer. Beaucoup s’autorisent un cigare ou une cigarette occasionnelle, comme une « petite gâterie », ou pour se convaincre qu’iels trouvent ça dégueulasse. C’est bien ce qui se passe, c’est dégueulasse, mais la nicotine qui pénètre dans l’organisme déclenche à nouveau le cercle vicieux. La suivante n’est pas meilleure, et on est alors convaincu·e qu’on peut fumer sans risque. Une fois retombé·e dans le piège, on essaye de se persuader : « J’arrêterai juste après les vacances, après Noël, après tel événement, etc. » Trop tard : on est déjà redevenu·e accro, le même vieux piège s’est encore refermé.

La notion de plaisir n’a absolument rien à voir avec la dépendance à la nicotine, et elle n’a jamais rien eu à voir. Si on se mettait à fumer parce qu’on trouve ça agréable, personne n’aurait jamais fumé plus d’une clope dans sa vie. Puisqu’on ne peut pas se croire assez stupide pour fumer sans aimer le goût que ça a, on est bien obligé·e de croire que ça nous plaît... C’est complètement inconscient car, si, quand on fume, on était conscient·e des fumées qui s’insinuent dans nos poumons, même l’illusion du plaisir ne tiendrait pas. On fume parce qu’on n’a pas ces considérations-là à l’esprit. Observez les fumeuses et les fumeurs, ça vous aidera : vous verrez que, une cigarette à la main, iels n’ont l’air tranquille que quand iels ont oublié cette cigarette. Les moments où iels s’en rendent compte, iels prennent une attitude gênée et ont tendance à s’excuser.

On fume pour satisfaire le petit monstre... Quand vous l’aurez chassé de votre bide et quand vous aurez chassé le grand monstre de votre esprit, vous n’aurez plus ni besoin ni désir de fumer.

Chapitre 15 : Ralentir sa consommation

Beaucoup prennent la décision de réduire leur consommation, en vue d’un arrêt définitif ou pour essayer de contrôler leur addiction, et certaines méthodes recommandent même de réduire avant d’arrêter. Malheureusement, ça ne sert à rien. Évidemment, moins on fume, mieux c’est. Par contre, en tant qu’étape pour arrêter, réduire est une erreur qui peut amener à rester accro toute sa vie.

En général, la démarche de réduire fait suite à l’échec d’une tentative d’arrêter. Après quelques heures ou quelques jours d’abstinence, à bout de nerfs, on en vient à penser qu’on ne peut pas vivre sans la clope. On décide alors de se remettre à fumer, mais en se limitant à quelques cigarettes bien choisies, pensant qu’en réussissant à se limiter à cinq par jour on pourra alors soit se maintenir soit se limiter davantage.

On se met dans une situation insupportable :

1. C’est l’angoisse : on reste dépendant·e de la nicotine. On maintient le monstre vivant à la fois dans notre ventre et dans notre esprit.

2. On passe son temps à attendre la prochaine cigarette.

3. Avant de diminuer, on allumait une clope dès qu’on en avait envie. On soulageait ainsi notre besoin, au moins partiellement. Maintenant, en plus du stress habituel, on s’inflige celui d’avoir à supporter quasiment continuellement les angoisses dues au manque de nicotine. On se condamne à être malheureux·euse et en permanence de mauvaise humeur.

4. On avait l’habitude de fumer la majorité de nos clopes machinalement, sans y penser ni y prendre plaisir. Maintenant qu’on attend plus d’une heure avant chacune d’entre elles, on les « apprécie » toutes. Mais le plaisir qu’on prend à la fumer n’est pas dû à la clope elle-même, il est dû à la fin de la période d’agitation causée par le manque physique de nicotine ou le manque psychologique de cigarette. Plus la période d’abstinence entre deux cigarettes est longue, plus on « apprécie » celle qui y met fin.

La principale difficulté quand on arrête de fumer ne concerne pas la dépendance physique. On est capable de s’abstenir dans une voiture neuve, à la gare, au resto ou à l’hôpital. Beaucoup ne fument pas en présence des non-fumeurs et des non-fumeuses et, même dans les transports en commun, l’interdiction est plus ou moins respectée. On est même plutôt content·e quand les circonstances nous empêchent de fumer, et on prend parfois un certain plaisir à passer un long moment sans fumer. Ça nous donne l’espoir qu’un jour, enfin, on arrêtera définitivement.

Le problème principal est le conditionnement, l’illusion que la clope est une sorte de soutien ou de récompense, et que la vie ne sera jamais la même sans elle. Au lieu de vous détourner de la cigarette, le fait de limiter votre consommation vous rend encore plus triste, vous convainc que la cigarette est une chose essentielle et qu’on ne peut pas vivre pleinement sans elle. On a l’illusion que moins on va fumer, moins on aura envie de fumer, mais c’est en fait exactement l’inverse. Moins on fume et plus on souffre du manque de nicotine, et plus on apprécie les rares clopes qu’on s’accorde. Ça ne nous fera pas arrêter, bien au contraire.

Ce qui est paradoxal c’est que, plus les cigarettes deviennent rares, plus elles ont mauvais goût. Celles qui nous paraissent les plus fortes, celles qui brûlent la gorge et font tourner la tête, ce sont celles qu’on a attendues le plus longtemps, comme la première de la journée. En même temps, ce sont celles qu’on apprécie le plus, justement parce qu’on les a attendues longtemps. On n’apprécie pas cette première clope à cause de son goût et de son odeur, on l’apprécie parce qu’elle met fin à dix heures d’abstinence…

Quitte à fumer, autant fumer à fond. Diminuer, ça ne marche pas et c’est même la pire forme de torture. Fumer n’est pas une habitude dont on se sépare progressivement : c’est la dépendance à l’égard d’une drogue. Cette dépendance amène à en vouloir toujours plus, et pas l’inverse.

On l’a vu, le problème principal quand on veut arrêter n’est pas la dépendance physique à la nicotine, mais la fausse croyance que la clope nous procure du plaisir. Cette fausse croyance est inculquée par le conditionnement qu’on subit avant même de commencer à fumer, puis elle est renforcée par notre propre expérience du tabagisme. En réduisant sa consommation, on renforce cette illusion au point que la cigarette en vient à dominer notre vie : on finit alors par se convaincre qu’il s’agit d’une chose très précieuse.

Diminuer, ça ne fonctionne pas, car ça implique de la volonté et de la discipline pour tout le reste de la vie. Arrêter est bien plus facile et bien moins douloureux. Après votre période de sevrage — période très courte à l’échelle d’une vie — vous n’aurez plus à vous soucier de tout ça.

Les quelques succès en diminuant la consommation concernent des périodes de réduction relativement courtes, suivies de l’arrêt total. Ces personnes ne doivent pas leur réussite à ce processus de réduction ; la réduction a été au contraire un obstacle supplémentaire qui n’a fait que prolonger leur galère.

Ce type de comportement permet d’illustrer toute la futilité du tabagisme. Au lieu de nous convaincre d’arrêter, il renforce l’impression qu’une clope est encore plus appréciable après une longue période d’abstinence.

Vos choix sont alors les suivants :

1. Réduire votre consommation à vie. Ce qui veut dire vous imposer une existence de torture. Heureusement pour vous, vous n’y arriverez pas !

2. Continuer à fumer et à vous étouffer de plus en plus. À vie également.

3. Être indulgent·e avec vous-même et arrêter.

Autre point important : la cigarette occasionnelle, ça n’existe pas. Fumer est une réaction en chaîne qui durera le reste de votre vie, sauf si vous faites quelque chose pour y remédier.

N’OUBLIEZ PAS :
EN ESSAYANT DE RÉDUIRE VOTRE CONSOMMATION,
VOUS VOUS ENFONCEREZ ENCORE PLUS
DANS LA DÉPENDANCE.

Chapitre 16 : Juste une p’tite clope

Cette idée est un mythe que vous devez chasser de votre esprit. Une seule « p’tite clope » a suffi pour que vous commenciez à fumer. Une seule « p’tite clope », celle qui vous a aidé·e à affronter une rude épreuve, ou celle que vous avez allumée pour célébrer une grande occasion, a suffi pour ruiner votre tentative d’arrêter.

Cette « p’tite clope » suffit, quand on a réussi à mettre fin à sa dépendance, à nous faire retomber dans le piège. Parfois, on la fume seulement pour se persuader que ça ne nous fait plus rien : son goût infect nous convainc décidément qu’on en est débarrassé·e et qu’on ne retombera plus jamais sous son emprise. Malheureusement, elle suffit au contraire à nous faire replonger.

C’est vraiment important de comprendre qu’il est impossible de ne fumer qu’une seule cigarette. C’est la pensée même d’une cigarette particulière, comme celle que vous fumez avec un verre ou pour commencer la journée, qui vous empêche d’arrêter. C’est bien ce mythe qui est responsable du dilemme permanent auquel vous êtes confronté·e quand vous décidez d’arrêter de fumer.

Prenez la résolution de ne plus envisager une cigarette ou un paquet comme un extra que vous pouvez vous autoriser. Ne dissociez pas l’idée d’une seule cigarette de celle d’une vie entière d’aliénation et d’autodestruction. En fait, vous n’avez qu’une seule alternative : aucune cigarette, ou une vie entière avec le tabac, avec tous les inconvénients que ça comporte. Arrêtez de vous punir vous-même avec cette idée de la petite cigarette providentielle. N’ayez pas peur, vous pouvez arrêter. Pour ça, il est nécessaire de bien comprendre trois points fondamentaux dont on a déjà parlé :

1. On ne se prive de rien. Arrêter ne présente que des avantages.

2. La « p’tite clope » n’existe pas. Elle vous condamne à une vie d’aliénation et de maladie.

3. Ne vous croyez pas différent·e des autres. Le fait que vous fumiez depuis très longtemps ou que votre rapport avec la clope vous semble particulier ne change rien. N’importe qui peut arrêter.

Chapitre 17 : De temps en temps

Quand on fume beaucoup, on a tendance à envier les fumeuses et les fumeurs occasionnel·le·s. Évidemment, quand on fume peu, on prend moins de risque pour la santé et ça coûte moins cher, mais ça comporte aussi des inconvénients majeurs. En fait, les personnes qui fument occasionnellement sont aussi accros et malheureuses que les « grand·e·s » fumeuses et fumeurs : leurs rares cigarettes leurs sont extrêmement précieuses, et iels s’infligent une vie de discipline, à tenter sans cesse de maîtriser leur consommation.

Rappelez-vous que personne n’apprécie réellement ses cigarettes. L’unique plaisir est le soulagement des symptômes de manque de nicotine : la drogue soulage le manque que son absence a provoqué. La tendance naturelle est donc de fumer à la chaîne. Pourtant, trois raisons nous dissuadent de fumer sans retenue :

1. L’argent. Ça reviendrait trop cher.

2. La santé. Pour satisfaire le manque, il faut ingérer un poison. La capacité de supporter ce poison dépend des personnes et d’où elles en sont dans leur vie.

3. La discipline. Elle est imposée par la société, le travail, l’entourage et surtout par les fumeuses et les fumeurs elleux-mêmes. Elle résulte du conflit permanent qui se joue dans leur esprit.

Il existe deux catégories de fumeurs et de fumeuses occasionnel·le·s : 

1. Celui ou celle qui est tombé·e dans le piège mais qui ne s’en est pas encore rendu·e compte. Ne l’enviez pas, iel est à peine sur le premier barreau de l’échelle, mais bientôt iel fumera comme les autres. C’est comme ça que tout le monde commence, personne ne devient une grande fumeuse ou un grand fumeur d’un seul coup.

2. L’ancien·ne « grand·e fumeur·euse » qui maintient une petite consommation parce qu’iel croit ne pas pouvoir arrêter. Cette catégorie-là est la plus triste de toutes et on peut distinguer plusieurs nuances.

D’abord, celles et ceux qui se limitent à cinq clopes par jour. Quand on ne fume que cinq clopes par jour, on ne soulage son état de manque qu’une heure par jour environ. Le reste du temps, même sans s’en rendre compte, on lutte contre le manque. Si on n’en fume que cinq, ce n’est pas parce que c’est la dose qui satisfait pleinement notre besoin, mais parce qu’on pense qu’il s’agit d’un bon compromis entre notre « plaisir » et le risque pour notre santé.

Ensuite, il y a celles et ceux qui ne fument que le soir — ou que le matin. Dans ce cas, on s’inflige de supporter le manque pendant la moitié de la journée, afin de pouvoir se soulager le reste du temps. Pourquoi se priver du plaisir de fumer la moitié du temps ? C’est que, ici encore, cette privation est imposée par une raison qui est étrangère à toute notion de plaisir.

Un cas particulier concerne celles et ceux qui arrêtent pendant des périodes assez longues, plusieurs mois, puis qui reprennent et fument alors pendant plusieurs mois avant d’arrêter à nouveau. Comme dans les cas précédents, ce n’est pas pour une raison liée au plaisir qu’on arrête de fumer pendant six mois, mais pour diminuer les risques de maladies. Même quand on a arrêté pendant plusieurs semaines et que la dépendance physique a bel et bien disparu, le conditionnement, lui, reste entier. À chaque fois, on espère qu’après ces quelques mois d’abstinence on n’aura plus envie de recommencer, mais on retombe invariablement. Beaucoup envient ces personnes qui peuvent apparemment maîtriser leur tabagisme. À tort, car dans ce cas on est loin de maîtriser quoi que ce soit : quand on fume, on regrette de fumer et, quand on cesse de le faire, on n’a qu’une seule hâte, c’est remettre ça au plus vite. Drôle de vie : quoi qu’on fasse, on a envie de faire le contraire.

Il y a des personnes qui ne fument que dans des moments particuliers, comme les fêtes, mais ces occasions deviennent de plus en plus fréquentes et, avant de s’en rendre compte, on ne fait déjà plus partie de cette catégorie…

Enfin, il y a celles et ceux qui, après avoir arrêté, s’en autorisent une exceptionnellement. C’est le cas quand, après avoir arrêté, on veut se donner l’illusion de ne pas être en train de replonger. Tôt ou tard, on fume régulièrement et on revient au point de départ, avec le fardeau supplémentaire d’une nouvelle tentative ratée, qu’il va falloir gérer émotionnellement.

En stabilisant votre consommation, vous ne donnez pas satisfaction à votre corps : vous maintenez un équilibre précaire entre sa demande et les scrupules que vous avez à fumer. Cette drogue est responsable d’un lent processus de dégradation de vos ressources physiques et mentales : votre courage pour l’affronter diminue peu à peu, entraînant ainsi une diminution de l’intervalle entre deux cigarettes.

Et puis franchement, on se ment régulièrement : on fume bien plus souvent qu’on ne l’admet, et beaucoup de fumeurs et fumeuses considéré·e·s comme « occasionnel·le·s » sont, à y regarder de plus près, des fumeurs et des fumeuses comme les autres. Évidemment, on considère que les circonstances où on fume en une soirée ce qu’on fume d’habitude en une journée sont exceptionnelles. Observez les « petit·e·s » fumeuses et fumeurs en soirée : iels fument autant que les autres.

Il n’y a aucune raison d’envier les fumeurs et les fumeuses occasionnel·le·s. Les personnes les plus difficiles à aider ne sont pas celles qui trouvent qu’arrêter est difficile mais, au contraire, celles qui pensent qu’iels peuvent arrêter quand bon leur semble. C’est relativement facile de convaincre les grand·e·s fumeuses et fumeurs qu’iels n’apprécient pas vraiment leurs cigarettes. En revanche, c’est très difficile avec les personnes qui fument occasionnellement.

En fait, le dilemme est toujours le même : quand on fume, la cigarette apparaît anodine, ou même provoque un sentiment de dégoût, mais qu’on en soit privé·e et elle devient, en revanche, l’objet de toutes les convoitises. C’est tellement triste de passer sa vie à galérer à limiter sa consommation et, immanquablement, de finir par retomber progressivement. En maintenant une consommation minimum, on s’inflige une vie de discipline et de déception permanente. Le seul moyen de sortir de cette situation est d’arrêter de fumer, tout en arrêtant de se morfondre à propos de ça.

Chapitre 18 : Une habitude sociale

C’est évident que la santé et l’argent sont les deux raisons principales qui nous poussent à arrêter. On n’a même pas besoin de la peur du cancer pour se rendre compte que la clope nous pourrit la vie : notre organisme nous prévient du danger, et chacun·e sait que c’est un poison, dès la première bouffée avalée.

Il faut s’intéresser aux raisons qui nous poussent à fumer plutôt qu’à celles qui nous incitent à arrêter, car c’est de ce côté-là que les choses ont changé ces dernières années. La raison majeure qui nous a incité à fumer a été la pression de notre entourage et de la société. Le seul avantage véritable que la clope ait jamais eu est bien ce « plus » social : fumer a été, à une certaine époque, une habitude parfaitement respectable.

Il n’y a pas si longtemps, c’étaient les « durs » qui fumaient. Les hommes qui ne fumaient pas étaient considérés comme des « mauviettes », et les mecs ont peiné fortement pour devenir accros. Les premières clopes étaient pénibles mais on finissait par s’y faire. Dans tous les bistrots, les salles de jeux, les clubs, la majorité des mecs tiraient fièrement sur leur clope ou leur cigare. Il y avait en permanence un nuage dans la pièce, et tous les plafonds étaient jaunis par la nicotine. Les femmes aussi peinaient fortement pour devenir de vraies fumeuses et correspondre ainsi à l’image de la femme sophistiquée et indépendante que la propagande des cigarettiers a construit en parallèle de celle du cowboy Marlboro.

Aujourd’hui, la situation est plus complexe. Les stéréotypes de l’homme fort et de la femme libérée perdurent mais on voit en même temps apparaître une nouvelle philosophie. Celle-ci tend à considérer les fumeurs et les fumeuses comme des « faibles ». En effet, les « winners du xxie siècle » n’ont pas besoin de fumer, iels ne veulent pas dépendre de cette drogue. Mais iels continuent tout de même à cultiver leur côté rebelle en fumant. Ainsi, chacun·e évolue tiraillé·e entre ces deux tendances.

Quand on fume, on est chaque jour harcelé·e par les interdictions légales et morales et par les ex-fumeurs et ex-fumeuses qui sont souvent les plus impitoyables. Notre « habitude » apparaît de plus en plus déplacée et nous plonge dans une tension intérieure considérable : d’un côté, on est conscient·e de s’empoisonner et d’être manipulé·e par une industrie nauséabonde et, de l’autre, on ne peut pas s’empêcher de fumer, parce qu’on est accro.

Aujourd’hui, l’image de « winner-la-classe-à-Dallas » existe en parallèle de celle de « loser-paumé·e-sans-volonté », véhiculée par la religion du bien-être de salles de sport. On est censé·e prendre du plaisir avec ces paquets qui véhiculent une philosophie de mort et de renoncement. Vu de l’extérieur, c’est frappant, et l’aspect même des paquets est aux antipodes de ce que devrait être un objet de plaisir : les messages et les images arborées sont morbides et culpabilisantes. Pour les industriel·le·s, l’effet est maintenant double : en plus de générer des profits colossaux, le plaisir pris à fumer, et l’acte de fumer en général, génèrent de la honte et de la culpabilité. À l’instar du shopping, des jeux d’argent, de la pornographie et des autres « plaisirs coupables », l’aliénation par le tabac produit un sentiment d’impuissance et une image de soi dégradée, qui sont des leviers considérables pour façonner les esprits des consommateur·trice·s. En plus d’être aliéné·e par un produit très lucratif, on se dévalorise plus ou moins consciemment, ce qui renforce notre capacité à satisfaire les objectifs du système capitaliste.

Le tabagisme peut d’ailleurs être considéré comme une formidable allégorie de la pensée consumériste : en ne comblant que le vide qu’il a lui-même créé, le tabac n’a aucune utilité hors du système qui le produit. Au même titre que beaucoup de marchandises, qui sont produites à outrance pour satisfaire des besoins construits par une propagande acharnée qu’on subit au quotidien.

Chapitre 19 : Le Timing

Si on part du principe que le tabac ne vous fait que du mal, c’est maintenant qu’il faut arrêter. Pas la peine d’appliquer ça à la lettre, évidemment, mais il va quand même falloir respecter un certain timing. Pour mettre toutes les chances de votre côté, choisissez bien le moment où vous allez franchir le pas.

Tout d’abord, identifiez les circonstances où la clope vous paraît primordiale. Si vous avez des activités intenses et que vous fumez parce que vous avez l’impression que ça diminue votre stress, choisissez une période relativement calme pour arrêter, pendant des vacances par exemple. Si vous fumez essentiellement pendant des périodes de détente ou d’ennui, choisissez au contraire une période où vous serez très occupé·e.

Recherchez une période d’environ trois semaines et essayez d’anticiper tout ce qui pourrait vous conduire à un échec. Vous ne pouvez pas vous permettre de gâcher votre projet à cause d’une fête et, s’il y en a une dans votre période, préparez-vous à l’idée d’y participer sans fumer et sans pour autant vous sentir frustré·e.

À partir de maintenant, prenez l’affaire très au sérieux et faites-en une priorité. C’est facile d’arrêter de fumer mais vous allez quand même devoir vous focaliser là-dessus, pas question de faire ça par-dessus la jambe.

N’essayez pas de réduire votre consommation pour anticiper : comme on l’a déjà vu, ça ne ferait que renforcer l’illusion que la clope procure du plaisir. Quand vous fumerez votre dernière clope, vous vous concentrerez sur son goût et son odeur, et vous penserez combien ce sera chouette de ne plus avoir à les supporter. En attendant, fumez.

NE TOMBEZ PAS DANS LE PIÈGE DE VOUS DIRE :
« PAS MAINTENANT, PLUS TARD. » 
ÇA FINIRAIT PAR NE PLUS ÊTRE UNE PRIORITÉ.

DÉCIDEZ MAINTENANT
DU MOMENT OÙ VOUS ALLEZ ARRÊTER
ET ATTENDEZ-LE AVEC IMPATIENCE.

Maintenant que vous avez choisi la date où vous allez arrêter, vous avez un plan. Rappelez-vous que vous n’abandonnez absolument rien, au contraire. On ne fume que pour soulager un besoin chimique de nicotine mais ce n’est pas la dépendance à la nicotine elle-même qui nous aliène, c’est le conditionnement et la dépendance psychologique qui en résulte. Chacun·e contribue à sa manière à son propre conditionnement, et fabrique sa propre image de la cigarette.

La règle de continuer à fumer jusqu’à la fin du livre peut sembler contradictoire mais ce n’est pas le cas : quand on se trouve face à un obstacle qui nous paraît insurmontable, on a besoin de notre béquille. Le fait d’arrêter de fumer apparaît alors comme une double épreuve : non seulement il faut effectuer une tâche difficile — arrêter — mais en plus on ne peut plus avoir recours à son soutien habituel, la cigarette. S’il fallait arrêter immédiatement, beaucoup ne prendraient même pas la peine de lire ce livre. Alors que là, c’est parfait : vous pouvez continuer à fumer pendant que vous arrêtez ! Vous vous débarrassez de vos craintes et de vos peurs et, quand vous finissez par écraser cette dernière clope, vous êtes déjà une non-fumeuse ou un non-fumeur et, surtout, vous vous en réjouissez.

C’est assez difficile de définir le moment propice pour arrêter. Plus haut, je vous conseillais de choisir d’arrêter dans une période où la clope est, pour vous, de relativement moindre importance. De choisir une période de vacances si vous fumez essentiellement quand vous êtes stressé·e, et vice versa. En fait, ce n’est pas forcément le meilleur moyen pour réussir et, au contraire, vous pouvez choisir précisément ce que vous considérez comme le pire moment. En effet, après vous être prouvé que vous pouvez faire face à la « pire » des situations sans la cigarette, les autres situations courantes ne vous poseront plus aucun problème. Inversement, avoir en tête que l’avenir réserve des situations plus compliquées que celle qu’on a choisie pour arrêter s’inscrit dans la logique de la certitude que la clope nous apporte quelque chose.

Pour ma part, j’ai arrêté dans une période de tourmente, et je dois dire que ça m’a bien aidé de faire au moins un truc positif à ce moment-là.

Pourtant, on ne peut pas préconiser ça pour tout le monde ; ça provoquerait certainement d’énormes réticences chez beaucoup, qui gardent une forte appréhension de leur vie sans cigarette. Essayeriez-vous d’arrêter si on vous demandait de choisir le pire moment ? Pour rentrer dans l’eau de la rivière, il y a des gens qui préfèrent plonger directement et d’autres qui préfèrent s’immerger petit à petit.

On pourrait utiliser une technique similaire à celle préconisée dans le chapitre 13, concernant les avantages de la cigarette. Le chapitre précédent aurait pu se terminer par : « Nous allons voir dans le prochain chapitre quel est le meilleur moment pour arrêter. » Vous tournez la page et découvrez en gros caractères : « Maintenant. » C’est effectivement le meilleur conseil, mais bon…

C’est un aspect subtil et paradoxal du tabagisme : quand on est stressé·e, on pense que ce n’est pas le moment d’arrêter et, quand tout va bien, on se fout complètement d’arrêter.

Quand vous avez fumé votre première clope, avez-vous vraiment pris la décision de fumer le reste de votre vie, tous les jours, sans être capable d’arrêter ? Allez-vous continuer le reste de votre vie, chaque jour, toute la journée, sans être capable de vous arrêter ? Alors quand arrêterez-vous ? Demain ? L’année prochaine ? L’année suivante ?

Ne vous faites pas d’illusions, l’envie de fumer ne disparaîtra pas comme ça, un matin, par enchantement. La dépendance tend à s’accroître, et pas l’inverse. Si vous n’y arrivez pas aujourd’hui, qu’est-ce qui vous fait croire que ça sera plus facile demain ? Allez-vous attendre d’avoir contracté une maladie irréversible ? Ça sera trop tard, malheureusement. Le piège serait de croire que maintenant n’est pas le bon moment, et que ça sera plus facile demain.

Vous pouvez aussi considérer les choses comme ça : puisque vous avez déjà décidé que vous n’allez pas vous faire avoir jusqu’à la fin de vos jours, alors le moment où vous devrez franchir le pas viendra de toute façon, que ce soit facile ou non. Plus vous attendrez et plus ça sera difficile d’arrêter. Le moment de dire stop est venu : c’est maintenant, ou le plus vite possible.

Chapitre 20 : La clope va-t-elle me manquer ?

Non. Une fois que le petit monstre avide de nicotine sera mort, c’est-à-dire quand votre organisme aura cessé d’exiger sa dose de nicotine, tous les effets du conditionnement auront disparu. Vous vous sentirez paré·e, physiquement et psychologiquement, pour faire face au stress et aux tracas de la vie, et tout à fait disposé·e à profiter des bons moments.

Il y a quand même un danger, c’est l’influence des fumeurs et des fumeuses. On dit que l’herbe est toujours plus verte chez les voisin·e·s, et on a effectivement tendance à penser que les autres sont mieux loti·e·s que nous. C’est le cas quand on arrête de fumer, alors qu’on sait pertinemment que les inconvénients sont sans commune mesure avec les prétendus avantages.

Avec le conditionnement, le bourrage de crâne incessant auquel on a été soumis·e depuis notre enfance, on peut comprendre pourquoi beaucoup se sont mis·e·s à fumer. Mais quand on sait qu’il s’agit d’un jeu de dupes, c’est l’influence des fumeurs et des fumeuses qui nous pousse à retomber, alors qu’on avait finalement réussi à arrêter.

Comme toute dépendance, la vôtre ne peut qu’empirer. Si vous n’êtes pas satisfait·e de fumer aujourd’hui, dites-vous bien que demain sera pire. N’enviez donc pas celles et ceux qui fument et, au contraire, quand vous serez en leur compagnie, observez-les : leurs comportements, leurs mimiques et leurs manies sont d’excellents antidotes.

Chapitre 21 : La prise de poids

L’une des inquiétudes les plus répandues quand on arrête de fumer, c’est qu’on risque de rapidement prendre du poids. C’est le cas pour les personnes qui essayent d’arrêter avec les méthodes basées sur la volonté et qui voient dans la nourriture une aide pour soulager leurs sensations de manque.

La sensation de manque de nicotine est une impression de vide, située entre le plexus et l’estomac, qu’on confond donc naturellement avec la faim, qui se situe à peu près au même endroit. La tendance habituelle est donc de remplacer la nicotine par de la nourriture. Mais, si la faim peut être satisfaite en mangeant, le besoin de nicotine, lui, ne disparaît pas en se goinfrant.

Comme avec n’importe quelle drogue, le corps s’immunise rapidement contre la nicotine, et elle cesse de soulager complètement les angoisses dues au manque. Dès l’extinction de la cigarette, la nicotine quitte rapidement l’organisme, provoquant chez les usagèr·e·s une faim quasi permanente de la substance. C’est pour ça que l’addiction à la clope s’accompagne souvent d’autres excès, notamment de nourriture et d’alcool. C’est très important de bien dissocier ces comportements, qui, même s’ils peuvent être liés par certains aspects, sont bien distincts.

Une fois que le petit monstre a quitté notre corps, le sentiment d’insécurité prend fin et on reprend confiance en soi. C’est à ce moment-là, si vous en avez besoin, que vous retrouverez l’assurance nécessaire pour prendre en main d’autres problèmes. Pour l’instant, concentrez-vous sur l’arrêt de la clope ; le reste vous vous en occuperez plus tard si vous en avez toujours envie.

Chapitre 22 : Les faux stimulants

On utilise de faux stimulants pour arrêter de fumer, genre se dire que l’argent économisé permettra de partir en vacances ou de s’acheter un truc. Ce type de motivation est naturel dans notre culture consumériste, mais elle est hypocrite, car chaque fumeur et chaque fumeuse qui se respecte préférera fumer cinquante-deux semaines par an plutôt que de partir en voyage. En plus, il subsiste une appréhension dans notre esprit : non seulement on ne doit plus fumer de l’année, mais en plus on a peur de ne pas pouvoir apprécier nos futures vacances sans cigarettes. Tout ça ne fait qu’augmenter le sentiment de sacrifice, ce qui rend la cigarette encore plus précieuse à nos yeux. Il faut au contraire se concentrer sur l’autre côté du problème : « Qu’est-ce que ça m’apporte ? Pourquoi ai-je besoin de fumer ? »

Vous pourriez aussi vous dire : « Je vais pouvoir m’acheter une bagnole, un terrain, etc. » Il s’agit d’une fausse motivation : ce prétexte vous fera certainement tenir quelques temps mais, une fois que vous aurez cet objet ou cette propriété, vous sentirez qu’il vous manque toujours quelque chose et vous trouverez tôt ou tard une raison pour replonger.

N’utilisez pas cette motivation. De toute façon, l’argent que vous ne dépenserez pas en tabac, vous le dépenserez ailleurs, parce que l’argent finit toujours par être dépensé. Et puis, inutile d’en faire toute une histoire : si vous avez envie d’un objet, vous vous le procurerez quoi qu’il arrive, que vous fumiez ou non. Et encore mieux : débarrassé·e de ce besoin coûteux, cet argent, vous n’aurez tout simplement plus à le gagner !

Chapitre 23 : Les drogues

J’entends ici par drogue toute substance qui provoque un changement physiologique ou une modification de l’état de conscience de la personne qui la consomme. Pour ma part je consomme occasionnellement du cannabis et quelques drogues de synthèse en petites quantités. Mon propos est donc situé dans une pratique qui me paraît maitrisée, en tout cas au moment où j’écris ces lignes.

Chaque drogue peut engendrer des mécanismes de dépendance et des comportements problématiques. C’est particulièrement le cas dans la culture capitaliste, où les modes de consommation aggravent les comportements individualistes, les problèmes de santé, l’aliénation au travail, à l’argent et à l’industrie ; et favorisent la pauvreté, l’isolement, la haine de soi, la violence et le renoncement.

Mon but ici n’est pas d’inciter à consommer des drogues, mais à reconnaître les effets positifs ou « utiles » de certaines substances. En effet, je considère que dans le cadre d’une pratique raisonnable, chaque drogue peut être intéressante, individuellement ou collectivement. L’usage de drogues est une constante dans les cultures humaines, elles sont largement utilisées pour soigner, détendre, stimuler, atteindre des rapports fusionnels avec l’environnement et accéder aux autres mondes.

Malgré les graves problèmes sociaux que génère la consommation excessive et généralisée d’alcool, on peut reconnaître que cette substance permet de se détendre et de se désinhiber très facilement. Dans la culture occidentale, la prise d’alcool en groupe peut être un moment de partage et de découverte de l’autre dans le lâcher-prise. La consommation de cannabis est souvent une démarche plus individuelle (ou en petits groupes) et permet de se détendre et d’accéder à des états de conscience modifiés, où certaines sensibilités sont exacerbées. Le peyotl et l’ayahuasca sont employées depuis longtemps par des chaman·es en Amérique centrale et en Amazonie, pour accéder, au nom du groupe, au monde des esprits, dans un souci d’équilibre global et pour soigner des blessures et des traumatismes. Le café, le thé ainsi que la coca et ses dérivés sont des stimulants utilisés dans des buts rituels, récréatifs ou productivistes.

Ce qui est surprenant avec la façon de consommer le tabac dans la culture occidentale, c’est qu’il n’y a aucun effet positif notoire : pas de modification de l’état de conscience, pas de stimulation de l’organisme, pas de dimension méditative ou apaisante. Au mieux, fumer du tabac apporte un sentiment d’appartenance au groupe, une complicité entre usagèr·es qu’on peut observer dans la consommation de n’importe quelle drogue. Physiquement, la nicotine provoque une augmentation de la pression artérielle, une accélération du rythme cardiaque et une libération d’adrénaline, qui sont plutôt des phénomènes angoissants. Elle fait aussi un peu tourner la tête au début, mais même cet effet « bénéfique » disparaît très vite quand on fume régulièrement. Le seul effet est de combler le manque que la substance a elle-même créé. Par rapport à ce que peuvent apporter d’autres drogues, on peut dire qu’il n’y a franchement aucun intérêt à fumer du tabac.

On a tendance à associer la clope avec les autres drogues, comme on a tendance à l’associer avec plus ou moins tout. Il faut dissocier très vite la clope des autres substances que vous aimez consommer. Vous pouvez tout à fait continuer à boire du café, à prendre de l’alcool, des amphétamines ou des psychotropes sans fumer de tabac. C’est très important d’être conscient·e qu’il n’est pas nécessaire de tout arrêter parce qu’on arrête la clope. Au contraire, ça vous compliquerait énormément la tâche. Si vous tenez vraiment à remettre en question votre consommation d’alcool ou d’autres substances, vous le ferez plus tard, ça n’est pas le moment pour l’instant. D’autant que les rouages des autres drogues sont différents de ceux du tabagisme, et nécessitent donc une approche différente.

L’association du tabac avec le cannabis pose un problème bien spécifique. Certaines personnes ne fument pas de cigarettes mais fument des joints du matin au soir, en pensant être accro à la weed. Mais même si le cannabis possède un petit pouvoir addictif, c’est généralement à la nicotine contenue dans le tabac de leurs joints que ces personnes sont accro. Cette confusion entre les deux substances est très problématique car elle induit notamment une consommation quotidienne et excessive de cannabis. Or, à de telles doses, cette plante est dangereuse : elle peut déclencher des maladies psychiques ou aggraver des troubles pré-existants — schizophrénie, paranoïa, etc. — particulièrement chez les adolescent·es.

La weed est une plante très puissante qui, bien utilisée, peut apporter de nombreux bienfaits, notamment dans un usage thérapeutique. Le scandale de son interdiction sans nuance par les autorités, les modes de production et de consommation que cette prohibition induit, le tabou autour de l’utilisation de cette plante et l’absence totale d’initiation qui laissent les adolescent·es seul·es face à son expérimentation mériteraient de lui consacrer un ouvrage entier…

Si vous voulez continuer à consommer de la weed c’est possible, mais il faudra le faire sans tabac. Ça veut dire fumer pur, vapoter ou ingérer ; et ne plus jamais fumer sur des joints roulés avec du tabac. C’est un coup classique, on se fait surprendre en soirée : c’est sympa, il y a un pétard qui tourne, on tire dessus et oups, on se rend compte qu’il contient du tabac. Ça peut suffire pour que les rouages de l’addiction à la nicotine s’enclenchent à nouveau et mènent progressivement à la reprise de la cigarette. Donc à éviter absolument.

Si vous prenez d’autres drogues, il faudra aussi être bien vigilant·e au moment des premières prises suivant l’arrêt de la cigarette. Car même si la substance n’est pas directement mélangée avec du tabac c’est très fréquent d’associer la cigarette avec les autres drogues, particulièrement en contexte festif. Mais comme pour le reste, une fois que vous aurez dissocié les autres substances de la cigarette, vous verrez que très vite vous n’y penserez plus, même dans les moments de lâcher-prise.

INTERLUDE : ET APRÈS ?

Depuis le premier tirage de Tumer Fue, le chapitre sur les drogues est celui qui a suscité le plus de discussions et de critiques. Effectivement, la façon de traiter ces questions peut paraître un peu légère, au vu des expériences désastreuses que l’on vit individuellement ou dans notre entourage, et vu les conséquences sociales de la consommation massive de substances addictives.

Les dépendances font partie intégrante du fonctionnement de la société capitaliste, patriarcale et coloniale. Elles sont cultivées dès l’enfance, et exploitées à des fins d’enrichissement et d’aliénation. Le sucre, les écrans, les jeux vidéo, les médicaments, le travail, la bouffe, le porno : qui n’est pas en galère avec un produit du capitalisme ? Nos existences sont tiraillées entre l’excès et le contrôle, monopolisées par la recherche de plaisirs immédiats et insatiables, et pour beaucoup détruites par l’alcool et les drogues. À quel point ces mécanismes nous empêchent-ils de prendre en main nos vies et nos destinées collectives ?

Poursuivons les discussions, partageons les expériences, soutenons les personnes qui tentent de s’émanciper, inventons des façons de prendre en charge les addictions et refusons les modèles aliénants. Merci pour vos retours, continuez à nous écrire !


Partie 3

J’ai le droit de me taire et d’fumer,
en gardant mes menottes aux poignets.

Eddy Mitchell.

Chapitre 24 : C’est parti

Nous y voilà ! Vous trouverez dans ce chapitre les instructions pour arrêter de fumer. Si vous les suivez à la lettre, cette démarche vous apparaîtra relativement facile, et peut-être même vraiment agréable. Mais attention, il est indispensable de bien suivre toutes les recommandations.

Il y a deux choses que vous devez faire avant tout : 

1. Prenez la décision que vous ne fumerez plus jamais.

2. Ne vous morfondez pas. au contraire, Réjouissez-vous.

Vous vous dites peut-être que le livre pourrait se terminer par ce chapitre et j’imagine que vous commencez à en avoir marre de lire ce truc. En revanche, c’est hyper important de continuer à lire jusqu’au bout, sinon vous commencerez tôt ou tard à regretter la clope. Pour que vous soyez sûr·e de réussir, il est indispensable de vous préparer à ce que sera l’après-cigarette et aux pièges qu’il faudra éviter.

Pour que votre projet réussisse, il faut être absolument résolu·e. La bonne attitude ne consiste pas à espérer la victoire mais à savoir qu’on a pris la bonne décision, qu’elle est irrévocable et que c’est gagné. Il ne faut jamais remettre ce principe en question. Au contraire, allez même au-delà et réjouissez-vous de votre décision.

Si vous pouvez être sûr·e de vous dès le début, ça sera facile. C’est pour que vous en soyez convaincu·e que le reste du livre vous sera très utile.

Avant de commencer, il est nécessaire de bien connaître et comprendre plusieurs points :

1. Soyez sûr·e que vous pouvez y arriver. Votre rapport à la clope n’est en aucun cas pire que celui des autres. Il n’y a que vous, et vous seul·e, qui pouvez vous forcer à fumer.

2. Il n’y a absolument rien à abandonner et les aspects positifs sont énormes, sur le plan de la santé, de la confiance en soi, etc. Les bons moments seront toujours aussi bons et les mauvais toujours aussi mauvais. À la différence près que vous serez ravi·e d’avoir arrêté de fumer.

3. Rappelez-vous que « juste une p’tite clope », ça n’existe pas. Fumer est à la fois la dépendance à l’égard d’une drogue et une réaction en chaîne. En faisant une fixette sur la clope, vous vous punirez sans raison.

4. Considérez simplement que le fait de fumer n’est pas une habitude mauvaise pour la santé mais bien l’aliénation par une drogue. Acceptez le fait que vous avez contracté cette maladie et que vous ne la ferez pas disparaître en vous enfonçant la tête dans le sable. Souvenez-vous que cette maladie dure toute la vie et qu’elle ne peut que empirer. Le seul moyen d’y mettre un terme est d’arrêter. Et le meilleur moment, c’est maintenant.

5. Distinguez bien la maladie, c’est-à-dire la dépendance chimique, de l’état d’esprit dans lequel on est quand on est fumeur ou fumeuse. Si vous aviez la possibilité de revivre le moment où vous avez commencé à fumer, j’imagine que vous ne voudriez pas retomber dans cette dépendance. Cette occasion, vous l’avez aujourd’hui. Quand vous aurez pris la décision finale et fumé votre dernière clope, vous serez déjà un non-fumeur ou une non-fumeuse. Un fumeur ou une fumeuse est une personne qui doit vivre en se détruisant avec le tabac. Un non-fumeur ou une non-fumeuse n’y est pas obligé·e et s’en porte bien mieux. Une fois que vous avez pris la décision, votre but est en fait atteint. Savourez votre victoire immédiatement. Même si vous restez encore quelques jours sous l’influence de la nicotine, cette influence va aller en s’amenuisant.

La clé de la facilité est d’être certain·e que vous réussirez à vous abstenir pendant toute la période de sevrage, soit trois semaines au maximum. Si vous y êtes bien préparé·e, ça va le faire.

À ce stade du livre, si vous vous êtes ouvert·e à ces propos, vous avez sûrement déjà pris la décision d’arrêter. Vous devez même être impatient·e de vous lancer et d’évacuer le poison de votre corps.

Si l’idée ne vous enchante pas, ce sera pour l’une des raisons suivantes :

1. Il y a quelque chose que vous n’avez pas assimilé. Relisez les cinq points précédents et demandez-vous si vous êtes d’accord. Si un doute subsiste, relisez les chapitres correspondants.

2. Vous avez peur de l’échec. Ne vous en faites pas, continuez simplement à lire, le succès ne fait pas de doute. Le tabagisme est une énorme escroquerie et, maintenant que vous êtes conscient·e qu’il s’agit d’un jeu de dupes, ça ne vous posera aucun problème de déjouer ce piège.

3. Vous êtes d’accord avec tout ce qui précède et pourtant vous êtes toujours malheureux ou malheureuse. Arrêtez de vous morfondre ! Réjouissez-vous de ce qui est en train de se passer : vous êtes en train d’échapper à ce piège sinistre.

Répétez-vous bien avant de vous lancer que c’est trop bien d’être non-fumeuse et non-fumeur. Maintenez-vous dans cet état d’esprit pendant la période de sevrage. Après cette période, allant de cinq jours à trois semaines grand maximum, il ne vous sera même plus nécessaire de vous en convaincre : ça sera complètement évident. La seule chose qui restera à comprendre sera pourquoi vous vous êtes fait avoir pendant si longtemps. Il faut tout de même insister sur deux risques très importants :

1. Attendez d’avoir complètement terminé le livre et de l’avoir bien assimilé pour passer à l’acte. Je sais, c’est long, mais on y est presque.

2. Il faut éviter deux malentendus à propos de la période de sevrage. Tout d’abord vous pourriez croire inconsciemment que vous êtes condamné·e à trois semaines de souffrance : c’est faux. Mais évitez aussi de tomber dans un autre piège, celui qui consiste à penser qu’il suffit de ne pas fumer pendant trois semaines pour être définitivement libéré·e. Rien ne se passera après la troisième semaine ! Vous n’entrerez pas soudainement dans la peau d’un non-fumeur ou d’une non-fumeuse. Il n’y a pas de sentiment spécifique — même si le fait de ne plus fumer demeure une libération et une vraie source de joie quotidienne.Si vous déprimez pendant ces trois semaines, vous déprimerez aussi par la suite. Vous devez absolument commencer avec l’idée que vous n’allez plus fumer et que c’est super. Alors, après quelques semaines, toute tentation aura disparu.

Chapitre 25 : La période de sevrage

Pendant les trois semaines qui suivront votre dernière clope, vous aurez peut-être parfois des crises de manque. Les symptômes que vous observerez peuvent être classés en deux catégories :

1. Les crises de manque de nicotine. C’est une sensation de vide et de malaise semblable à la faim, de légers tiraillements au-dessus de l’estomac.

2. Les crises psychologiques. Ce sont certains événements tels que la pause café, la fin du repas, les soirées, les contrariétés, la peur, etc.

L’échec des personnes essayant d’arrêter par le seul recours à la volonté est dû à l’absence de compréhension et de différenciation de ces deux phénomènes distincts, à savoir les dépendances physiques et psychologiques. Ce type de confusion explique aussi que beaucoup replongent, même après une très longue période d’abstinence, pourtant débarrassé·e·s depuis longtemps de leur dépendance à la nicotine.

Les symptômes de manque dus à la nicotine sont pratiquement imperceptibles, mais il ne faut pas sous-estimer leur pouvoir. Si on ne mange pas pendant longtemps, il arrive qu’on ressente des brûlures d’estomac. Même s’il s’agit plus de démangeaisons et de gargouillements que d’une réelle douleur, la faim rend vite irritable et tendu·e. Notre faim de nicotine est tout à fait comparable, mais il y a néanmoins une différence fondamentale : nous avons besoin de nourriture pour survivre, mais absolument pas de nicotine. Avec le bon état d’esprit, on réussit rapidement à maîtriser ces symptômes.

Même en suivant une méthode basée sur la volonté, la faim de nicotine s’estompe rapidement après quelques jours d’abstinence, et c’est le deuxième facteur qui crée alors la difficulté. On a pris l’habitude de soulager notre besoin de nicotine à certaines occasions — avec un café, après le repas, après l’amour — et on pense alors machinalement que la clope est indispensable dans ces moments là. Alors, c’est comme si, un matin, on changeait de côté la manette des clignotants de notre voiture : même si on est au courant de la modification, pendant plusieurs semaines on va systématiquement enclencher les essuie-glaces avant de changer de direction... Notre comportement quand on arrête de fumer est similaire. Les premiers jours d’abstinence, le mécanisme se manifestera à certains moments et vous penserez : « Je veux une clope. » Si vous contrez ce mécanisme à la racine, il disparaîtra rapidement.

Les situations les plus courantes sont les soirées et, plus largement, quand on boit des coups. Avec la méthode classique, on arrive déjà dépité·e de ne pas avoir sa cigarette, et on se sent encore plus frustré·e quand les potes fument : on a l’impression de rater quelque chose. Notre association de la cigarette avec la fête nous fait souffrir, ce qui aggrave notre dépendance psychologique. Si on fait preuve de volonté pendant une période suffisante, on finira par accepter son lot et reprendre une vie normale. Mais le conditionnement n’est pas tout à fait déconstruit et on voit des personnes qui, des années après avoir arrêté par la contrainte, crèvent toujours d’envie d’en fumer une dans ce genre de situation. Mais il n’y a aucune raison de se torturer ainsi, absolument aucune.

Il est essentiel de contrer dès le début l’effet du conditionnement. Ça doit être très clair pour vous : vous n’avez pas besoin de la cigarette, et si vous continuez à la considérer comme un support ou un stimulant, vous ne faites que vous torturer. Il n’y a aucune raison à ça !

Abandonnez le concept de la cigarette en tant que plaisir. Parfois, on se dit : « Si seulement il y avait une cigarette inoffensive ! » Il y en a, mais bon, quand on fume des cigarettes à l’eucalyptus, on se rend vite compte que ça n’a aucun intérêt. La seule différence entre fumer une cigarette de framboisier et fumer une cigarette de tabac, c’est la nicotine. On peut ergoter sur le fait que le Fleur de Pays a meilleur goût que l’eucalyptus, mais on a rarement vu quelqu’un·e fumer tous les jours de toute sa vie des cigarettes à l’eucalyptus ou au framboisier. Le problème est que la dépendance à la nicotine nous empêche d’être lucide. Il faut que ça soit clair dans votre esprit : la seule véritable raison pour laquelle vous fumez est ce besoin de nicotine. Quand vous vous en serez débarrassé·e, vous n’aurez pas plus de raisons de vous mettre une clope dans la bouche que dans l’oreille.

Que les angoisses soient dues au manque physique de nicotine — sensation de vide — ou à un déclic psychologique, il vous faut les accepter. Il n’y a pas de douleur physique, juste une gêne. Et avec le bon état d’esprit, soyez certain·e que ça ne sera très vite plus un problème. Ne vous tracassez pas à propos du manque : la sensation elle-même n’est pas méchante et vous ne la ressentirez que quelques jours. Le problème principal est l’association de cette sensation avec le désir d’une cigarette, et le sentiment de rater quelque chose.

Quand ça arrive, au lieu de vous laisser aller à un sentiment de regret, dites-vous un truc du genre : « Je sais ce que c’est. Ce sont les symptômes du manque de nicotine, c’est ce qui fait souffrir les fumeurs et les fumeuses toute leur vie et c’est ce qui les pousse à continuer à fumer. Les non-fumeurs et les non-fumeuses ne connaissent pas ces angoisses. Ce n’est qu’un tour de plus de cette drogue. C’est super, elle est en train de quitter mon corps. »

Dans les premiers jours, vous allez faire face aux situations dans lesquelles vous aviez l’habitude de fumer : moments de la journée, fêtes, lieux particuliers, activités particulières. Ne les évitez pas. La première fois qu’on vit une de ces situations, par exemple la première soirée ou le premier long trajet en voiture, on peut ressentir la gêne. Une fois ce moment passé, et parfois même pendant, on se réjouit de ne pas avoir à fumer et ça procure beaucoup de plaisir. Et ce qui est génial, c’est que lorsque ces situations se présentent la deuxième fois, elles sont beaucoup plus faciles à vivre. On a alors déconnecté la cigarette d’un moment en particulier, rompu l’association dans notre esprit. Même si vous en bavez un peu la première fois, vous pouvez être certain·e que les fois suivantes seront beaucoup plus faciles à gérer. Et alors le top du top, ça sera quand vous vous rendrez compte, après une soirée par exemple, que vous n’y avez même pas pensé !

Vous allez subir au cours des trois prochaines semaines un léger trauma mais, pendant ces trois semaines et pour le reste de votre vie, quelque chose d’extraordinaire va se produire : vous allez vous débarrasser de la clope. Cette victoire fera bien plus que compenser l’infime trauma : elle vous amènera certainement à trouver les symptômes de manque relativement plaisants. Ils vont devenir des raisons de vous réjouir.

Vous pouvez voir ce processus comme un jeu, où le petit monstre est une sorte de parasite à l’intérieur de votre ventre. Vous allez l’affamer pendant quelques semaines, et lui va essayer de vous pousser à en allumer une pour se maintenir en vie. Méfiez-vous, car à certains moments il essayera de vous rendre malheureux·euse, parfois à des moments où vous ne serez pas sur la défensive. Quelqu’un·e vous offrira peut-être une clope alors que vous aurez oublié que vous avez arrêté. Vous sentirez alors un léger sentiment de frustration en vous le rappelant. Soyez prêt·e d’avance à affronter ce genre de situation. Quelle que soit la tentation, soyez sûr·e qu’elle est le fait du monstre qui loge dans votre ventre. Chaque fois que vous lui résistez, vous gagnez une bataille qui aurait pu être fatale.

Dans tous les cas, n’essayez pas d’oublier la clope. C’est une attitude qui pousse à la dépression : on essaye de survivre chaque jour avec l’espoir de finir par l’oublier. Mais c’est exactement comme avec l’insomnie : plus on s’en inquiète et moins on arrive à dormir.

De toute façon, vous n’arriverez pas à oublier. Les premiers jours, le petit monstre ne se lassera pas de vous le rappeler, et vous ne pourrez rien y faire. Tant qu’il y aura des gens qui fument, de la publicité pour les cigarettes et des bureaux de tabac, vous ne pourrez pas oublier. Mais en fait, il n’y a aucune raison d’oublier. Il n’y a rien de mal à ce qui vous arrive ; au contraire, c’est super ! Même si vous y pensez cent fois par jour, savourez chaque moment. C’est trop bien d’être libre à nouveau et de ne plus avoir à étouffer. Vous verrez que les symptômes de manque peuvent devenir des moments de plaisir. Et vous serez surpris·e de la rapidité avec laquelle ça vous sortira de l’esprit !

Pendant cette période, restez mobilisé·e et vigilant·e dans votre démarche, et ne doutez pas du bien-fondé de votre décision. Si le doute s’installe, vous allez vous lamenter et ça empirera. Utilisez plutôt ces moments de doute comme une motivation supplémentaire. Si vous êtes déprimé·e, rappelez-vous que la clope ne fait qu’aggraver les choses.

Dans les moments difficiles, rappelez-vous que :

1. Vous aviez de puissantes raisons d’arrêter.

2. La cigarette que vous pourriez vous accorder vous coûtera le risque de ne plus vous en sortir.

3. Par-dessus tout : ce sentiment n’est que passager. Chaque moment est un pas de plus vers la libération. Respirez un bon coup et ça va passer.

Encore un point très important : vous n’allez pas passer le reste de votre vie à réprimer des déclics psychologiques, ou à vous persuader par des artifices mentaux de ne plus avoir envie d’une cigarette. Et même si vous le faisiez, même si vous vous répétiez, comme dans la méthode Coué, que vous n’avez pas besoin de fumer, alors vous n’aurez pas besoin de vous le répéter longtemps car la douce vérité est... que vous n’avez vraiment aucune raison de fumer ! C’est même la dernière chose à faire. Assurez-vous donc que vous ne vous ferez plus jamais avoir.

Chapitre 26 : Juste une p’tite taffe

Cette fameuse « petite taffe » a causé la perte de bon nombre de tentatives. On tient héroïquement le coup pendant quelques jours et puis on s’accorde une taffe ou deux pour surmonter notre angoisse. L’effet que ça produit sur notre moral est dévastateur.

Cette taffe n’a même pas bon goût et ça nous conforte dans l’idée qu’on n’a pas besoin de fumer. En fait, l’effet est tout à fait inverse : le petit monstre avide de nicotine a été affamé pendant plusieurs jours, et la misérable taffe a dû être pour lui un soulagement extraordinaire. Votre cerveau enregistre inconsciemment l’arrivée de nicotine toute fraîche, et toute votre laborieuse préparation est sapée. Une petite voix s’élèvera bientôt au fond de vous et dira, en dépit de toute logique : « Elles sont si précieuses, j’en veux une autre ! »

Cette petite taffe a deux effets néfastes :

1. Elle permet au petit monstre de survivre.

2. Plus grave, elle renforce le grand monstre, la dépendance psychologique.

Si vous en avez pris une, la suivante viendra encore plus facilement. Rappelez-vous qu’il a suffi d’une seule cigarette pour que vous vous mettiez à fumer.

Chapitre 27 : Suis-je un cas à part ?

Les combinaisons de facteurs qui déterminent le degré de facilité avec lequel on arrête sont infinies. Il est évident que le caractère de chacun·e, son environnement familial, ses activités propres et toutes les particularités personnelles entrent en jeu. Certaines activités sont un peu moins propices que d’autres mais, à partir du moment où la dépendance psychologique est dépassée, l’influence de l’environnement est peu significative.

Cependant, un exemple intéressant est le milieu médical, dans lequel arrêter la clope se révèle particulièrement difficile. On pourrait pourtant penser le contraire, car les personnes qui soignent connaissent particulièrement les effets dramatiques du tabac sur la santé, et voient tous les jours les tristes conséquences de cette industrie. Mais si leur environnement leur fournit de solides raisons d’arrêter, il ne rend pas pour autant l’acte plus facile, et ce pour plusieurs raisons :

1. La conscience permanente des risques encourus crée une peur. Et la peur est l’une des situations dans lesquelles on a besoin de soulager ses symptômes de manque.

2. Le travail des soignant·e·s est très stressant. Iels ne peuvent pas soulager leur surplus de stress — dû au manque de nicotine — pendant qu’iels exercent.

3. Iels éprouvent un stress supplémentaire. En croyant devoir donner l’exemple, iels se mettent davantage la pression.

Pendant les pauses bien méritées, alors que le stress est momentanément suspendu, iels s’accordent une clope. Celle-ci devient extraordinaire car on lui attribue à tort tout l’effet bénéfique de la pause. Ce constat s’applique évidemment à toutes les situations où on est forcé·e de s’abstenir pendant d’assez longues périodes. Si on essaye d’arrêter, on est malheureux·euse de devoir se priver et on ne profite pas pleinement de la pause. À cause de l’association — en fait, de la confusion — entre le plaisir que procure la pause et le soulagement du manque, la cigarette apparaît comme un bienfaiteur universel. En revanche, si vous refusez d’agir en fumeur ou fumeuse conditionné·e et que vous cessez de penser à la clope comme à un objet de convoitise, vous verrez qu’on peut toujours apprécier un tel moment, même au début, quand le corps réclame sa dose de nicotine.

L’ennui représente une autre situation délicate, particulièrement s’il alterne avec des périodes de stress. Par exemple quand on fait beaucoup de route ou quand on s’occupe de tout petits enfants : aussi stressant que ça puisse être parfois, ce sont des activités souvent monotones. Quand on essaye d’arrêter de fumer, cette monotonie offre l’occasion de regretter la cigarette, ce qui accroît le sentiment de dépression.

Encore une fois, on peut venir à bout de ce problème très facilement en l’abordant avec l’état d’esprit adéquat. Ne vous tourmentez pas si tout semble en permanence vous rappeler que vous ne fumez plus. Utilisez ces occasions pour vous réjouir du fait que vous êtes en train de vous débarrasser du petit monstre. Si vous abordez les choses de façon positive, ces symptômes de manque pourront devenir des moments agréables.

Rappelez-vous que, quels que soient votre âge, votre milieu social et vos activités, vous arrêterez avec une grande facilité si vous suivez les instructions.

Chapitre 28 : Les principales causes d’échec

Les échecs ont deux causes essentielles. La première est l’influence des autres fumeurs et fumeuses. Quelqu’un·e allumera une clope devant vous à un moment où vous serez particulièrement vulnérable, dans un bar, une soirée, etc. On a déjà longuement traité ce sujet : ce genre de situation doit être pour vous l’occasion de vous rappeler que l’idée d’une seule cigarette est inconcevable. Réjouissez-vous car vous avez rompu le cercle vicieux. Rappelez-vous que, la clope au bec, ce sont les fumeuses et les fumeurs qui vous envient de ne pas fumer.

L’autre cause d’échec, la plus répandue, est le mauvais jour. Il faut que ça soit bien clair avant que vous ne commenciez : il y a des mauvais jours pour tout le monde, fumeur, fumeuse, non-fumeur ou non-fumeuse. Quand on fume et qu’on est dans un mauvais jour, on a envie d’une cigarette et on dramatise notre cas. Si votre mauvaise journée tombe pendant la période de sevrage, tenez le coup ! Rappelez-vous que vous connaissiez également des mauvais jours quand vous fumiez ; sinon vous n’auriez jamais décidé d’arrêter. Au lieu de râler, dites-vous qu’aujourd’hui c’est pas terrible mais que ça ne serait pas mieux avec la cigarette. Ça ira mieux demain ! Au moins, vous aurez fait un truc super : vous aurez arrêté de fumer.

Quand on fume, on est obligé·e de fermer les yeux sur les mauvais côtés du tabac. Si on tousse, ce n’est jamais à cause de la clope : on prend froid tout le temps. Dès qu’on a renoncé à fumer, on a tendance à expliquer tous nos problèmes par le fait d’avoir arrêté. Maintenant, quand votre voiture tombera en panne, vous penserez : « Dans un moment pareil, j’aurais fumé une clope. » C’est clair, mais elle n’aurait pas du tout résolu le problème ! Ne vous punissez pas en vous morfondant pour une béquille illusoire. Vous créez une situation impossible : vous regrettez de ne pas avoir une cigarette sous la main, mais vous savez que vous déprimeriez encore plus si vous en fumiez une. Vous savez qu’en décidant d’arrêter de fumer vous avez fait le bon choix : ne vous punissez pas en doutant de votre décision.

Chapitre 29 : Les substituts

Pour pallier l’absence de la cigarette il existe plein de substituts, comme les chewing-gums, les bonbons, les cigarettes sans tabac, le Champix, etc. N’en prenez aucun ! Ils rendent votre tâche encore plus difficile : si vous ressentez l’envie d’une cigarette, ces palliatifs ne feront que prolonger le mal et le rendre insupportable. Avoir recours à un substitut, c’est admettre que vous avez besoin de fumer ou de combler un vide. En cédant à ce chantage, vous ne ferez que vous torturer et prolonger les symptômes de manque. Ces substituts ne vous soulageront pas car c’est de nicotine dont vous avez besoin, et de rien d’autre. Le résultat sera que vous continuerez à penser à la clope. Rappelez-vous :

1. Il n’existe aucun substitut à la nicotine.

2. Vous n’avez pas besoin de nicotine. Ce n’est pas une nourriture mais un poison. Quand vous ressentez une pointe dans le ventre qui vous dit que vous avez besoin d’une cigarette, rappelez-vous que ces angoisses sont l’apanage des seul·e·s fumeuses et fumeurs. Considérez ces sensations comme les preuves des mécanismes de cette drogue : elles annoncent la mort prochaine du monstre.

3. Souvenez-vous que ce sont les cigarettes qui créent le manque, et surtout qu’elles ne comblent rien. Plus vite vous apprendrez à votre esprit qu’il n’y a aucune raison de fumer, ni de remplacer la cigarette, plus vite vous serez libre.

Certains substituts contiennent effectivement de la nicotine — vapoteuses, chewing-gums, patchs, etc. C’est à bannir absolument. Les fabricant·e·s de ce genre de substances expliquent que ça vous fait perdre l’habitude de la cigarette, sans souffrir des symptômes de manque. Mais le mécanisme de la cigarette repose sur le soulagement des symptômes de manque, et ces substituts, en vous apportant de la nicotine, ne font que prolonger la dépendance chimique et donc aussi la dépendance psychologique.

Beaucoup d’ex-fumeuses et ex-fumeurs deviennent accros à la vapoteuse. On voit même des personnes qui continuent à vapoter alors qu’elles ont repris la clope depuis longtemps. Ne croyez pas que vous ne deviendrez pas dépendant·e de ces trucs juste parce qu’ils sont infects ou ridicules : rappelez-vous comment ça s’est passé avec la clope…

Les autres substituts, sans nicotine, ont un effet similaire : les bonbons, la nourriture, etc. La distinction entre la sensation de vide créée par le manque de nicotine et la faim est extrêmement délicate. Cependant, les remèdes à l’une ne peuvent pas satisfaire l’autre : ce n’est pas en mangeant que vous allez oublier la clope. Le principal danger de ces substituts est qu’ils prolongent la dépendance psychologique, qui est le problème principal. En considérant que vous avez besoin de quelque chose pour remplacer la cigarette, vous admettez implicitement que vous faites un sacrifice. La déprime propre à la méthode classique est due à ce sentiment de sacrifice. Avec les substituts, vous ne ferez que remplacer un problème par un autre. En mangeant, vous mangerez, et c’est tout : en très peu de temps, vous en reviendrez à la clope.

Vous n’avez pas besoin de substituts. Les angoisses sont le fait d’une envie irrationnelle du poison et elles disparaîtront rapidement. Que ça vous serve de soutien pour les jours à venir, savourez votre libération : vous vous affranchissez enfin de ce poison et de cette aliénation.

Ne vous inquiétez pas si vous mangez ou si vous buvez plus que d’habitude. Évitez juste de grignoter entre les repas ou de picoler dès le matin, sinon vous aurez juste remplacé le problème de la clope par celui de la bouffe ou de l’alcool, au risque de ne pas apprécier à sa juste valeur le fait d’avoir arrêté de fumer. Si c’est nécessaire, vous résoudrez ces problèmes quand vous serez définitivement débarrassé·e de la clope. Concentrez-vous là-dessus pour le moment.

Chapitre 30 : Face à la tentation

Les conseils donnés jusqu’à présent sont plus à considérer comme des instructions à suivre à la lettre que comme de simples suggestions. Pour ce qui concerne la question de savoir si vous devez éviter toute tentation pendant la période de sevrage, c’est difficile d’être aussi affirmatif. Chacun·e doit prendre sa propre décision, mais voici quelques suggestions pour vous aider.

Encore une fois, c’est la peur qui nous maintient dans la clope toute notre vie. Cette peur se manifeste de deux façons :

1. « Comment pourrais-je survivre sans cigarette ? ». Cette peur est illustrée par le sentiment de panique quand on réalise qu’on est bientôt à court de tabac. Cette peur n’est pas imputable au besoin physique de nicotine, mais à la dépendance psychologique, l’idée qu’on ne peut pas vivre sans tabac. Elle atteint son paroxysme quand on finit son paquet, alors que les symptômes du manque physique sont pourtant au plus bas. Ne vous inquiétez pas, cette panique est seulement d’ordre psychologique : c’est la peur de l’échec. En fait, sous l’emprise de la nicotine, vous manquez de lucidité. Ne paniquez pas, faites confiance à ce qui est dit ici et lancez-vous.

2. La seconde phase de cette peur se situe à long terme. Vous craignez que certaines situations dans le futur ne soient pas aussi agréables. Vous êtes persuadé·e que les ex-fumeurs et ex-fumeuses gardent de lourdes séquelles de ce manque. Là encore, ne vous inquiétez pas : si vous arrivez à vous lancer, vous verrez que c’est tout l’inverse.

En pratique la tentation se présente sous deux aspects principaux : 

1. « Je garderai des clopes à portée de main, je me sentirai mieux en sachant qu’elles sont là. »

Alors là, c’est l’échec assuré ! Si on a des cigarettes à disposition lors de la période de sevrage, ce sera facile d’en allumer une dans un mauvais moment. Au contraire, si vous n’en avez pas, le temps que vous taxiez une clope ou que vous trouviez un bureau de tabac, vous aurez certainement changé d’avis car les angoisses durent très peu de temps.

La principale raison qui nous pousse dans ce genre de situation, c’est qu’on n’est pas persuadé·e d’avoir envie d’arrêter. Rappelez-vous que les deux clefs du succès sont :

— la certitude qu’on veut arrêter ;
— l’état d’esprit positif : « C’est trop bien que je ne sois plus obligé·e de fumer. »

Pourquoi avez-vous besoin de cigarettes si vous arrêtez de fumer ? Si vous ressentez toujours la nécessité de garder des cigarettes sur vous, je vous conseille de relire d’abord le livre. Allez, sérieusement, jetez tout.

2. « Devrais-je éviter les situations stressantes et les sorties durant la période de sevrage ? »

Évidemment, il n’y a aucun intérêt à se mettre sous pression inutilement ; évitez donc les événements stressants. En revanche, n’hésitez pas à sortir. Vous n’avez pas besoin de cigarette, même si vous êtes encore sous l’influence de la nicotine. Sortez, réjouissez-vous de ne plus fumer et faites ce que vous aimez ; buvez, prenez des drogues, riez, voyez vos ami·e·s, faites l’amour, cassez des trucs, insultez des flics. Ça vous apportera rapidement la preuve que la vie est tout aussi bien sans cigarette. Pensez à ce que ça sera quand le petit monstre aura disparu de votre corps.

Chapitre 31 : La dernière clope

Allez, c’est parti ! Vous avez décidé de votre parfait timing. Vous êtes prêt·e à fumer votre dernière clope. Avant de vous lancer, vous pouvez vous demander une dernière fois :

1. Êtes-vous certain·e du succès ?

2. Ressentez-vous de l’abattement ou, au contraire, êtes vous ravi·e ?

Si vous avez le moindre doute, n’hésitez pas à relire ce livre. Ce n’est vraiment pas le moment de déconner.

Quand vous vous sentirez prêt·e, fumez-la.

Fumez-la seul·e et consciencieusement, en vous concentrant sur chaque bouffée, sur le goût et sur l’odeur. Concentrez-vous sur les fumées quand elles entrent dans vos poumons. Concentrez-vous sur la nicotine qui s’introduit dans votre corps. Quand vous l’éteignez, savourez le fait de ne plus jamais avoir à faire ce geste. Savourez la joie d’être libéré·e de cette aliénation et de quitter cet univers d’idées noires.

Chapitre 32 : Dernier avertissement

Ce livre vous aide à arrêter de fumer et à trouver cette tâche relativement facile. Mais faites très attention : ce n’est pas parce que vous arrêtez facilement que vous ne risquez pas de recommencer.

NE VOUS FAITES PLUS AVOIR !

Peu importe depuis combien de temps vous avez arrêté et à quel point vous êtes certain·e de ne plus jamais redevenir accro : décidez une fois pour toutes que plus jamais vous ne fumerez la moindre bouffée de tabac, quelle qu’en soit la raison.

Rappelez-vous que cette cigarette ne vous apportera rien. Vous n’aurez alors aucun manque à soulager et elle aura un goût détestable. En revanche, elle introduira de la nicotine fraîche dans votre organisme et déclenchera la réaction en chaîne que vous connaissez. Vous n’aurez alors qu’une seule alternative : supporter ces angoisses le temps que la dépendance disparaisse, ou replonger irrémédiablement dans ce triste cercle vicieux. Soyez chic, ne vous infligez pas ce supplice.

Après avoir arrêté très facilement avec la fameuse méthode, j’ai repris la clope quelques mois plus tard en commettant la fameuse erreur de : « Juste une p’tite clope. » Ça allait plutôt bien dans ma vie en général, et j’étais serein par rapport à la cigarette, encore un peu stupéfait que ça ait aussi bien marché. Un soir, il y avait des potes à la maison, on s’est fait une bouffe sympa et puis tout le monde est allé·e se coucher. J’ai trainé un peu devant la cheminée, j’étais bien et il y avait un paquet de tabac à rouler qui traînait. Là, ça m’a frappé d’être aussi détaché, que ça ne me donne pas envie du tout, et puis je me suis dit : « Tiens, je vais en fumer une pour voir. » J’ai donc roulé une clope avec un petit sentiment de nostalgie condescendante pour cette époque où « comme un débile, je fumais clope sur clope ». Elle était dégueu, je ne l’ai même pas terminée et je suis allé me coucher avec la bouche pâteuse. Deux semaines plus tard, j’ai revu en voyage un pote qui venait de reprendre la clope, et j’en ai fumé une avec lui pour délirer. Un mois plus tard, je fumais mes vingt clopes par jour.

En gros, j’ai expérimenté exactement le piège dont parle le bouquin. On en fume une, elle est dégueulasse et ça nous rassure. On se dit qu’on ne peut pas retomber dedans. Alors, on perd la méfiance. On croit pouvoir fumer seulement de temps en temps, puis on fume de plus en plus régulièrement, et ce jusqu’à ce que ça redevienne quotidien et indispensable. Le pire, c’est que je me rendais compte en direct de ce qui se passait !

Quand il a fallu arrêter une nouvelle fois, j’ai relu le bouquin. J’ai refait tout le chemin, et c’était plus difficile que la fois précédente parce que je doutais de ma réussite à long terme. Surtout, je m’en voulais de devoir tout recommencer à zéro et que ce soit si difficile, alors que j’avais déjà réussi une fois et que j’étais hyper bien dans ma vie sans tabac. J’avais l’impression de m’infliger quelque chose que j’aurais vraiment pu éviter.

Je ne fume plus depuis quatre ans maintenant, et je suis persuadé que je ne fumerai plus pour deux raisons : non seulement je n’ai pas envie de ça pour moi, mais surtout je n’ai pas du tout envie de refaire le chemin pour arrêter.

Les fumeurs et les fumeuses qui arrêtent et recommencent avec facilité posent un problème particulier. On pourrait croire qu’iels recommencent parce qu’iels sont toujours accros et ont envie d’une cigarette : c’est faux. En fait, en arrêtant si facilement, iels perdent toute méfiance par rapport à la cigarette et pensent que, même si iels replongent, iels s’en sortiront à nouveau sans problème. Quand vous aurez arrêté, surtout ne faites pas la même erreur ! Ça ne se passe pas comme ça : c’est facile d’arrêter de fumer, mais c’est impossible de contrôler sa dépendance. La seule chose essentielle, pour rester non-fumeuse ou non-fumeur, est de ne pas toucher une seule cigarette, un seul cigare, un seul pétard ou n’importe quoi qui contienne de la nicotine. Refusez les cigarillos qu’on vous propose en soirée et, si vous aimez fumer la weed, fumez-la pure.

Chapitre 33 : F.A.Q.

Vous n’êtes pas un cas à part. Les problèmes que vous pourrez rencontrer n’ont rien d’extraordinaires. Ils sont de quatre types différents et aucun n’est insoluble ! En cas de problème, n’hésitez pas à vous référer à cette « foire aux questions » et à la liste en fin de bouquin.

1. DOIS-JE AVEC PEUR DE L’ÉCHEC ?

Il n’y a aucune honte à échouer, alors que ça serait dommage de ne pas essayer. Vous n’avez absolument rien à perdre, et la pire chose qui puisse vous arriver est l’échec : dans ce cas, ça ne sera pas pire que maintenant. Pensez en revanche à comment ça serait super de réussir : si vous n’essayez pas, l’échec est garanti.

2. VAIS-JE ÊTRE MALHEUREUX·EUSE ?

Ne vous en souciez pas et demandez-vous simplement ce qui pourrait vous arriver de si terrible si vous deviez ne plus jamais fumer : rien du tout. Au contraire, c’est certain qu’il vous arrivera des trucs pas cools si vous continuez. Ce sont les mécanismes du tabagisme qui créent ce sentiment de panique : en arrêtant, vous en finissez avec ces craintes irrationnelles.

Si vous sentez que vous paniquez, respirez profondément : ça vous aidera à reprendre vos esprits. Quand j’ai arrêté de fumer, on m’a transmis quelques petits exercices de respiration, ça m’a beaucoup aidé. Si vous êtes avec d’autres personnes qui vous dépriment, fuyez-les. Allez dans une autre pièce ou allez faire un tour dehors. Si vous avez envie de pleurer, n’ayez aucune honte, les pleurs aident à soulager les tensions et à se sentir mieux. Si vous en ressentez le besoin, pleurez, criez, cassez des trucs, défoulez-vous. Rien ne peut contrer l’effet du temps et, à chaque moment qui passe, le petit monstre en vous se rapproche un peu plus de la mort : savourez votre victoire inéluctable.

3. DOIS-JE SUIVRE TOUTES LES INSTRUCTIONS ?

Certain·e·s fumeuses et fumeurs expliquent que cette méthode ne fonctionne pas. Iels racontent alors comment iels ont ignoré innocemment non pas une, mais presque toutes les recommandations. Pour que vous soyez certain·e de les connaître toutes, elles sont résumées à la fin du chapitre.

4. POURQUOI JE N’ARRÊTE PAS DE PENSER À LA CLOPE ?

C’est tout à fait normal. N’essayez surtout pas de vous forcer à oublier, vous créerez une phobie et ajouterez des problèmes au lieu d’en supprimer. Rappelez-vous l’analogie avec l’insomnie. Ce qui importe ce n’est pas que vous pensiez très souvent à la cigarette, mais ce que vous pensez d’elle. Si vous vous dites : « Comme j’aimerais fumer une clope ! » ou, « Quand est-ce que je serai enfin libre ? », vous serez malheureux et malheureuse. Dites-vous simplement : « Tiens, marrant, j’y pense encore. Eh ben dis donc, quelle merde ce truc. »

5. Quand est-ce que la sensation du manque physique se dissipera ?

La nicotine quitte votre organisme très rapidement, mais c’est difficile de dire exactement quand votre corps n’en demandera plus. Ce sentiment de vide et cette sensation d’inquiétude sont provoquées par la faim, la dépression et le stress. Le rôle de la clope est de l’accentuer fortement. C’est pour ça qu’en arrêtant avec la méthode classique on ne sait jamais exactement quand on n’est plus dépendant·e. Même après que notre organisme s’est débarrassé de toute la nicotine, lorsque l’on ressent une faim de nourriture ou un stress quelconque, on se dit encore : « Je veux une clope. » Le fait est que vous n’avez pas besoin d’attendre que la nicotine s’en aille : les symptômes sont si futiles qu’on en est rarement conscient·e. On connaît simplement ce sentiment : « Je veux une clope. » Quand vous quittez le ou la dentiste après un traitement douloureux, vous n’attendez pas que le mal cesse : vous continuez votre vie et vous êtes content·e que ce soit terminé, mais vous n’attendez pas que la douleur ait complètement disparu pour reprendre vos activités.

6. JE CRÈVE TOUJOURS D’ENVIE D’UNE CLOPE.

Dans ce cas, vous vous comportez de manière carrément stupide. Comment pouvez-vous prétendre que vous voulez devenir non-fumeur ou non-fumeuse et, en même temps, avoir envie d’une cigarette ? Dire : « Je veux une cigarette », c’est dire : « Je veux être un fumeur, je veux être une fumeuse. » Les non-fumeuses et les ­non-fumeurs n’ont pas envie de cigarettes. Vous avez déjà fait votre choix, arrêtez donc de vous tourmenter. 

7. J’ai l’impression d’avoir abandonné la vraie vie.

Pourquoi ? Il ne s’agit pas d’arrêter de vivre, il s’agit simplement d’arrêter d’étouffer. Vous subirez pendant les prochains jours un léger trauma : votre corps va réclamer sa dose de nicotine. Mais vous n’êtes pas pire qu’avant : c’est ce dont vous avez souffert depuis votre première clope, à chaque fois que vous dormiez. Ça ne vous dérangeait pas tant auparavant, et dites-vous bien que, si vous n’arrêtez pas, ça durera le restant de vos jours. Cette gêne légère, vous ne la ressentirez que trois semaines au maximum ; après, ça sera terminé. La vie est belle : sortez, même quand il y a plein de gens qui fument — ce qui est d’ailleurs de plus en plus rare. Rappelez-vous que ce n’est pas vous qui êtes privé·e de quoi que ce soit, mais celles et ceux qui fument qui se gâchent la vie. Profitez de votre nouvelle vie dès le début.

8. Pourquoi suis-je déprimé.e et irritable ?

C’est parce que vous n’avez pas suivi une ou plusieurs instructions : trouvez lesquelles. Certain·e·s comprennent et sont d’accord avec tout ce qui est dit ici et pourtant iels commencent abattu·e·s, comme s’il leur arrivait quelque chose de terrible. Vous êtes en train de faire un truc génial, de réaliser un vœu très cher, celui de tous les fumeurs et de toutes les fumeuses. Le but est d’acquérir un état d’esprit où, à chaque fois qu’on pense à la cigarette, on se réjouisse et on se dise : « Super, je ne fume plus. » Si c’est votre objectif, pourquoi attendre ? Commencez immédiatement avec cet état d’esprit et ne le perdez jamais.

LA LISTE

Pour réussir, suivez ces instructions à la lettre.

1) Prenez la décision solennelle de ne plus jamais fumer, mâcher ou avaler quelque chose qui contient de la nicotine — y compris les pétards roulés avec du tabac.

2) Que ça soit bien clair dans votre esprit : vous ne renoncez à rien. Il n’y a absolument aucun gain à espérer de la cigarette : ce n’est qu’une illusion créée par cette drogue. Gardez bien cette idée en tête.

3) Un fumeur ou une fumeuse confirmé·e, ça n’existe pas. Vous faites partie des millions de personnes qui se sont fait avoir par ce piège subtil. Comme toutes les autres personnes qui croyaient ne pas pouvoir s’en sortir, vous êtes libéré·e.

4) Ne vous laissez pas torturer par le doute. Si vous deviez mesurer les avantages et inconvénients, la conclusion serait sans aucune hésitation : « Arrête, c’est stupide. » Rien ne pourra changer ça, vous avez pris la bonne décision. 

5) N’essayez pas d’oublier la cigarette, et ne vous inquiétez pas si vous y pensez souvent. Profitez de ces occasions pour réaliser à quel point c’est super de ne plus fumer.

6) N’utilisez aucune forme de substitut, ça ne ferait qu’enraciner votre dépendance.

7) Ne conservez pas de cigarettes à portée de main. Jetez tout ce qui vous reste de tabac ou de cigarettes, chez vous, dans votre voiture et dans les endroits que vous fréquentez régulièrement. Ne les donnez pas ; jetez-les ou brûlez-les. Peu importe le prix que ça coûte, de toute façon ça partira en fumée, que vous les fumiez ou non. Videz les cendriers et sortez vos poubelles.

8) N’évitez pas les fumeurs et les fumeuses et, au contraire, observez-les quand vous en avez l’occasion. Iels sont malheureusement un excellent antidote.

9) Ne vous faites pas avoir par la facilité avec laquelle vous arrêtez. Ne vous dites pas que si vous reprenez ce n’est pas grave et qu’il vous suffira de relire le livre pour arrêter de nouveau. Ne jouez pas avec le feu, ça ne marchera pas quarante fois.

10) Ne vous attendez pas à ce que quelque chose de spécial vous arrive, une révélation ou quoi que ce soit. Continuez simplement votre vie en profitant des bons moments et en supportant les mauvais.

11) Renouez avec votre respiration. La vie est une histoire de respiration et, pour la cigarette comme pour le reste, elle est d’une grande aide pour se calmer et soulager les tensions. Maintenant que la vôtre n’est plus entravée par la clope, profitez-en !

12) Ne changez pas votre style de vie sous prétexte que vous avez arrêté de fumer.

Derniers conseils

Vous avez arrêté de fumer ! Trop bien ! Vous pouvez maintenant profiter de la vie en non-fumeuse ou non-fumeur. Voici les dernières recommandations, suivez-les scrupuleusement :

• Gardez le livre à portée de la main. Si à un moment vous êtes en galère, vous pourrez relire la F.A.Q., la liste et les passages vous concernant. Si vous donnez ou prêtez votre exemplaire, vous pouvez toujours vous procurer la version numérique en la demandant à cette adresse :

tumerfue[at]riseup.net

• Dans les premiers temps restez vigilant·e : vous allez sans doute être surpris·e par la facilité avec laquelle vous allez arrêter. Il ne faut pas baisser la garde trop vite non plus : un seul faux pas et c’est reparti…

• Si vous enviez les gens qui fument, n’oubliez pas qu’iels vous envient aussi. Ce n’est pas vous qui êtes malade.

• Souvenez-vous des raisons pour lesquelles vous avez décidé d’arrêter.

• Réjouissez-vous de ne plus être fumeur ou fumeuse.

• Ne doutez jamais de votre certitude de ne plus jamais fumer. Vous savez que c’est la bonne décision.

• Si jamais vous vous dites : « Tiens, si j’en fumais une ? », souvenez-vous que « une », ça n’existe pas. La question que vous devez vous poser n’est pas : « Et si j’en fumais une ? », mais : « Est-ce que j’ai envie de me coller ces trucs dans la bouche et de les allumer, tous les jours de toute ma vie ? »

• Enfin, ce n’est pas parce que vous en avez fini avec la clope qu’il ne faut plus avoir de feu sur vous. Il y a tant à faire avec un briquet...


Préfecture du Puy-en-Velay, 1 er décembre 2018, acte III des Gilets Jaunes.

Annexes

Les deux textes suivants ont croisé notre route durant la fabrication de Tumer fue. Ils apportent un regard historique et caustique sur la question de la critique du tabac dans les milieux militants. Il convient de les juger avec leur époque, et certaines tournures comme certains concepts qui y sont employés peuvent sembler daté·e·s. Ils nous ont toutefois paru pertinents voire même réjouissants par endroits.

Nous nous permettons de les reproduire ici en annexes, certain·e·s que leurs auteurs et éditeur·ice·s n’ont, comme nous, que faire du droit d’auteur et qu’iels sauront au contraire reconnaître la réclame gratuite et désintéressée qui est faite à leurs ouvrages.

La cigarette du condamné

Cet article de Piergiorgio Bellochio, écrit en 1964 en Italie, a été publié dans le recueil Nous sommes des zéros satisfaits, paru aux Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances en 2011. La présente traduction est de Jean-Marc Mandosio.

Depuis la publication du rapport Terry [2], nous savons avec une absolue certitude qu’en fumant nous renonçons à plusieurs années de notre vie. Nous pourrions vivre jusqu’à soixante-dix ans, nous mourrons à soixante ; nous pourrions vivre jusqu’à cinquante, nous mourrons à quarante… Pour ne rien dire des altérations progressives, de cette quasi-mort qu’est la maladie : nous pourrions vivre en assez bonne santé jusqu’à tant d’années mais nous deviendrons infirmes, nous vieillirons, nous commencerons à mourir avec cinq ou dix ans d’avance. Ce sont là des données effrayantes, qui devraient avoir des effets retentissants. Au lieu de quoi, le fumeur ne semble pas disposé à réagir : la vente de cigarettes ne diminue pas. Tout le monde écrit des articles sur le sujet, tout le monde les lit, tout le monde en parle, mais personne n’arrête de fumer.

Que l’homme moyen s’amuse à regarder des films stupides, qu’il ne réagisse pas aux crimes de Franco, qu’il ne se soucie aucunement des Indiens qui meurent de faim ou des Noirs réduits en esclavage par les Blancs, c’est peut-être déplorable, mais ce n’est pas incompréhensible. L’indifférence au rapport Terry prouve en revanche, s’il en était besoin, que l’homme moyen se soucie tout aussi peu de sa propre vie.

Il n’a pas encore appris à s’y intéresser. Le rapport Terry est « consommé » comme une information excitante, comme un spectacle palpitant, de la même façon qu’un film, une chronique sportive ou une bande dessinée sur les Martiens : c’est intéressant, sérieux, remarquable, mais ce n’est pas vrai. Cela ne nous concerne pas. Rien ne nous concerne. Nous sommes des consommateurs, un point c’est tout. Ce phénomène est le plus singulier et le plus inquiétant, mais il y a aussi d’autres composantes. Par exemple, la méfiance envers la science. Ou le fatalisme, avec ses deux faces complémentaires : la conviction de ne pas pouvoir modifier sa propre condition, déterminer son propre avenir, doublée d’une certitude magico-infantile d’échapper au destin général, d’être épargné (« Lui oui, et lui aussi… mais pas moi »).

On est tenté de porter un jugement pessimiste sur l’homme moyen, caractérisé par une stupidité toujours croissante. Autre tentation : considérer que cet homme n’est que trop conscient de sa condition. S’il est vrai que la méfiance envers la science est le fruit de l’ignorance, il est également vrai que cette science s’est jusqu’ici montrée plus qualifiée pour tuer que pour guérir, tout comme il devrait être évident que cette science est la propriété d’un petit nombre, de ceux qui ont les moyen de la financer, autrement dit qu’il s’agit d’une science asservie à ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique (c’est aussi pour cette raison qu’elle apparaît surtout comme quelque chose de magique, c’est-à-dire comme une chose qui nous échappe, une chose irréelle). Et s’il est vrai que le tabac est nocif, l’atmosphère des villes où nous vivons est saturée de bien d’autres poisons, de la fumée des usines aux gaz des automobiles. Qui fera un rapport sur ces autres causes de mortalité ? Et quand bien même on le ferait, quel effet produirait-il ? Le monopole des tabacs pourrait peut-être voir sa production et ses bénéfices fléchir ; il paraît en revanche impensable que Fiat soit contraint à cesser de fabriquer des automobiles. Qui plus est, dans un monde où l’on se dirigeait tranquillement, avec les essais nucléaires, vers la destruction de l’humanité, et où cela n’a cessé qu’à partir du moment où les producteurs de bombes (les maîtres de la science) eurent accumulé les munitions plus que suffisantes pour atteindre l’objectif (la fin de toute vie sur la planète), si bien que la poursuite des essais en question eût été anti-économique ; dans un tel monde, c’est plutôt celui qui penserait encore que sa propre vie lui appartient qui paraîtrait déraisonnable et absurde. Celui qui cesserait de fumer après avoir lu le rapport Terry ferait penser à quelqu’un qui, en pleine inflation, continuerait obstinément à mettre de côté de l’argent dans sa tirelire.

La vérité est que cet homme moyen, le nouveau prolétaire, se soucie comme d’une guigne de la bombe H, du smog ou du tabac. Il est encore totalement accaparé par le problème de la survie quotidienne. Quand il n’est pas chômeur ou travailleur précaire, et même lorsqu’il jouit d’un emploi relativement sûr, la société de consommation lui présente sans cesse de nouveaux paliers à atteindre, afin d’absorber toute son énergie. Pourquoi se préoccuper d’une cigarette ? Le seul argument sérieux contre le tabac qu’il soit à même de comprendre est le coût. S’intéresser à sa propre santé est un privilège que la très grande majorité des hommes ne peut pas encore se permettre.

Vincennes ou la tabagie permanente

Ce témoignage d’Henri Gobard, professeur d’anglais à Paris 8 dans les années 1970, est tiré du livre Vincennes, une aventure de la pensée critique, paru en 2009 chez Flammarion. Il raconte la « libération du tabagisme » dans cette université, symbole des tentatives utopistes de l’après-Mai.

Les événements de Mai 1968 ont eu au moins deux conséquences spectaculaires : la création de l’université de Vincennes et la libération du tabagisme. Dix ans après, tout est remis en cause : le ministère de la Santé fait campagne contre la cigarette et le maire de Paris fait campagne contre notre campus. […] En effet, l’esprit de Mai souffle encore dans le bois de Vincennes, puisqu’il a été au-delà du célèbre : « Ils ont interdit d’interdire. » Le seul résultat apparent de cette double négation, c’était la transformation du monde universitaire en tabagie permanente. Or, Vincennes, en plein forêt, devait-elle polluer l’atmosphère des fumées contestataires ?

J’avais moi-même accompli ma révolution personnelle avec quelques mois d’avance, puisque j’avais décidé en février 1968 de cesser mon absurde consommation de cigarettes, qui s’élevait jusqu’à trois paquets par jour. Comme toute décision individuelle se renforce dans une insertion sociale, j’avais rejoint les courageux pionniers du Comité national contre le tabagisme, qui lutta seul face au SEITA [Service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes] [3] pendant un siècle avant d’être enfin reconnu d’utilité publique. À l’ouverture de l’université de Vincennes, j’ai donc été placé en pleine contradiction : refuser la liberté tabagique à mes étudiants, c’était renier les conquêtes de Mai ; mais accepter les fumeurs, c’était me renier moi-même et risquer de rechuter définitivement dans cette manie misérable, symptôme irréfutable de l’aliénation à la société de gaspillage et d’ersatz qui détourne du plaisir gratuit de respirer pour le remplacer par la compulsion payante à s’enfumer en enfumant les autres. Alors ?

Les premiers contacts avec les étudiants furent parfois tendus. Comment ! Ne pas fumer, à Vincennes ! On me demanda si ça allait, la tête. Je les rassurai en leur disant que c’était précisément pour que ça aille encore mieux, que la santé de tous bénéficierait d’un air non pollué, etc. Désastreuse stratégie, le discours sanitaire me transformait en pasteur pasteurisé et coercitif. J’étais obligé de recourir à quoi, au fait ? À quelle autorité ? Je n’avais aucun recours que de céder ou résister, c’est-à-dire me taire et subir ou m’expliquer jusqu’au bout et montrer qu’il ne s’agissait pas de folklore, mais d’un problème de la vie quotidienne et que ne pas vouloir en parler, c’était d’avoir un cadavre dans la bouche [4], ou un mégot.

J’avais de plus la chance d’affronter des étudiants en psychologie qui par définition devraient être sensibilisés à ce type de problème. J’ai d’abord essayé la logique formelle en montrant que si l’interdiction d’interdire s’appliquait à elle-même il fallait alors aussi interdire d’interdire d’interdire et qu’on ne s’en sortait plus à moins de se référer aux distinctions de Bertrand Russell dans Principia Mathematica. L’argument pollution paraissant bien faible à côté des marées noires et autres dangers chimiques ou atomiques. L’allusion au cancer apparaissait comme un infâme terrorisme médical et le discours de l’air pur avait des relents réactionnaires du type : mens sana in corpore sano. Et pourtant je ne pouvais accepter une salle remplie de fumeurs debout, de fumeurs assis et de mégots par terre, et de parler plusieurs heures dans une tabagie d’autant plus épaisse que, les fumeurs étant nécessairement frileux, ils s’empressent toujours de fermer hermétiquement les fenêtres par où pourrait passer leur ennemi mortel : le courant d’air.

Alors, à bout d’arguments et redoutant le pire, mais prêt à l’affronter, j’ai dû répondre à la question d’un étudiant exaspéré par mes explications rationnelles : « Mais enfin, qu’est-ce que ça peut vous faire, à vous, si ça nous plaît à nous de nous intoxiquer ? » C’était la condamnation sans appel de ce qu’il pouvait y avoir d’encore un peu paternaliste dans mon attitude et c’est ce qui m’a sauvé, car je suis enfin devenu moi-même et j’ai admis que je leur demandais de ne pas fumer essentiellement parce que je ne supportais plus le tabac. Miracle, cet aveu de pure convenance personnelle a créé ce fameux consensus que je désespérais de ne voir jamais naître !

Remerciements

Merci à toutes les personnes qui ont permis la réalisation de ce livre, à celles et ceux qui ont été enthousiasmé·es par cette idée bizarre. Merci aux personnes qui le diffusent avec acharnement, celles qui l’ont adapté en brochure et rendu disponible sur infokiosques.net, celles qui nous ont fait des retours et en ont parlé autour d’elles. Merci de donner un écho et du sens à ce projet.

Ce livre a été pensé et fabriqué sur la route. Il n’aurait pu se faire sans tous ces lieux où l’on trouve à chaque fois les ami·es, les ressources et le temps nécessaires pour avancer. Merci à celles et ceux qui inventent et peuplent cette myriade de refuges.

[1Crever la clope : expression ordinaire du Nord de la France pour dire « avoir très envie d’une cigarette ».

[2N.d.T. : Luther L. Terry, Smoking and Health : Report of the Advisory Committee to the Surgeon General of the Public Health Service, U.S. Department of Health, Education and Welfare, 1964.

[3N.d.E. : Le Service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) était une régie d’État disposant d’un monopole sur la fabrication et la vente de ces produits jusqu’en 1970.

[4N.d.E. : Référence à la citation de Raoul Vaneigem dans son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, publié en 1967 : « Ceux qui parlent de révolution et de lutte des classes sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qu’il y a de subversif dans l’amour et de positif dans le refus des contraintes, ceux-là ont dans la bouche un cadavre. »


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Relectures : atelier nancéien de correction
Mise en brochure : souslaplage@@@riseup.net



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