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Du sang, de la chique et du mollard !
Sur l’ADN

mis en ligne le 3 août 2009 - anonymes

«  Saint-Chéron. Les voleurs de tuyaux iront derrière les barreaux. Les habitants de Saint-Chéron peuvent se rassurer : leur toilette matinale n’est plus menacée… Grâce à des mégots de cigarettes retrouvés dans la maison qu’ils ont occupée pendant trois mois, les deux voleurs ont été confondus par leur Adn  »
«  Retrouvés grâce à l’ Adn. Deux des quatre hommes qui avaient braqué, le 24 avril dernier, la bijouterie Aurélia, au 47, avenue de Saint-Ouen (17e), et emporté 200 000 euros de bijoux, ont été formellement identifiés. Des prélèvements effectués dans une voiture abandonnée dans un parking de Seine-Saint-Denis, qui avait été utilisée pour le braquage d’Aurélia, ont permis de découvrir des traces de l’Adn des deux jeunes hommes, âgés de 19 ans  »
«  Villiers-Adam. Le voleur de voitures retrouvé grâce à son Adn … Une série de prélèvements ont été effectués dans le véhicule comme sur les objets retrouvés, ce qui a permis d’isoler quatre empreintes Adn distinctes. Il a fallu attendre cet été pour que deux des quatre Adn soient identifiés grâce au Fnaeg (Fichier national automatisé des empreintes génétiques)  »

On entend ces formules presque tous les jours dans les médias. L’Adn serait la reine des preuves, la vérité implacable, irréfutable, indiscutable.

Et pourtant, on a bien envie d’en discuter. Quand on me dit «  c’est sûr, c’est ton Adn  », qu’est-ce qui me dit que c’est vraiment mon Adn ? Et, même si c’était vraiment le mien, pourquoi le seul fait qu’il y ait mon Adn quelque part suffirait à me rendre coupable du délit qui a été commis à cet endroit ? Mon Adn aurait été retrouvé sur une bouteille jetée sur un flic. Cela prouve-t-il que c’est moi qui ai jeté cette bouteille ?

Lorsqu’on entend parler d’Adn, c’est souvent au sujet de présumés violeurs en série, meurtriers de longue date, ou autre personnage monstrueux. Mais chaque jour dans les commissariats, les flics prélèvent de l’Adn à des personnes accusées de simples délits comme un vol dans un supermarché ou un tag sur un mur. Les flics demandent de cracher de l’Adn – comme si l’Adn crachait la vérité suprême.

On ne veut pas dire que l’Adn n’existe pas, serait une pure invention, un gigantesque complot, mais expliquer comment il est utilisé aujourd’hui, dans quel but et par qui.

L’Adn, qu’est-ce que c’est ?

«  Bussy-Saint-Georges. Le voleur trahi par son Adn. Joseph, 47 ans, sera jugé cet après-midi pour un important vol de barres. Retrouvé deux ans après les faits grâce à son Adn… A l’intérieur [de l’entreprise cambriolée], un gobelet en plastique sur lequel apparaît une nouvelle fois des traces Adn  »

L’Adn, ou Acide DésoxyriboNucléique est, d’après certaines découvertes scientifiques, une molécule présente dans les cellules des organismes vivants (chez les êtres humains, comme chez les animaux ou dans les plantes, mais on ne va parler ici que de l’Adn humain, c’est déjà assez compliqué comme ça). Les chromosomes sont le support de cet Adn qui code pour des informations héréditaires (comme la couleur des cheveux, des yeux, de la peau...). On dit une « séquence » Adn : une longue liste d’informations, que certains appellent le « programme génétique ».

On entend toujours parler de « l’Adn », mais il en existe deux types très différents : l’Adn nucléaire et l’Adn mitochondrial.

L’Adn nucléaire est celui qui se trouve dans le noyau des cellules. Il serait unique, chaque individu en aurait un, différent de tous les autres. Cet Adn est dans les cellules dites « vivantes » : la salive, le sang, le sperme, les bulbes des cheveux... Dès qu’il se détache du corps, il se dégrade facilement (avec le temps, la chaleur...). Quand les cellules sont encore vivantes, qu’elles ont encore leur noyau, les flics prélèvent l’Adn nucléaire, parce qu’il est le plus discriminant. Mais cela ne leur est pas toujours possible. Souvent, au moment de l’analyse, l’Adn nucléaire n’est plus exploitable, et la plupart des cellules présentes sont des cellules mortes qui ne donnent accès qu’à un Adn mitochondrial. C’est la raison pour laquelle la plupart du temps, la police scientifique ne trouve que de l’Adn mitochondrial.

En effet, l’Adn mitochondrial se conserve mieux, et plus longtemps. Il se trouve dans les mitochondries, qui sont des structures intracellulaires. Il est dans les cellules vivantes, mais aussi dans les cellules dites « mortes » : bouts de peau, cheveux sans bulbe... Cet Adn n’est pas unique, il est transmis par la mère. Des frères et sœurs, comme toutes les personnes issues d’une même lignée maternelle, ont le même Adn mitochondrial. L’Adn mitochondrial est même si peu discriminant que deux personnes n’appartenant pas à la même famille peuvent avoir le même profil d’Adn mitochondrial. Ainsi, à Mulhouse, une personne s’est vu accuser d’un meurtre du fait qu’elle partageait le même Adn mitochondrial qu’une autre personne qui ne faisait pourtant pas partie de sa famille (cf. encart ci-dessous).

Il y a Adn et Adn : une affaire de meurtre élucidée à Mulhouse
AFP - 28 mars 2009

MULHOUSE (Haut-Rhin) — Un homme mis en examen en 2004 pour le meurtre de sa femme après une analyse de son Adn mitochondrial a été définitivement mis hors de cause, a annoncé vendredi soir le procureur de la République de Mulhouse.

Le 26 décembre 2002, le corps découpé en morceaux d’une femme de 39 ans avait été découvert dans des sacs sur une friche de la ville. L’analyse génétique d’un cheveu retrouvé dans sa main avait conduit en 2003 à la mise en examen de son mari qui a fait plusieurs mois de détention préventive avant d’être placé sous contrôle judiciaire en 2005.

Les traces d’Adn mitochondrial correspondent à son empreinte génétique, mais l’expertise n’indiquait pas la possibilité qu’une autre personne puisse avoir la même.

La consultation en 2007 du fichier national des empreintes génétiques a finalement permis d’attribuer l’Adn retrouvé à un homme connu pour des faits de proxénétisme et décédé.

Le mari de la victime et l’autre homme, sans liens de parenté, avaient le même profil d’ Adn mitochondrial.

La fiabilité d’un test dépend du type d’Adn utilisé, celui mitochondrial qui provient de la superficie de la cellule pouvant être partagé par deux personnes sans lien de parenté alors que le test d’Adn provenant du noyau d’une cellule semble très fiable.

L’Adn est utilisé dans de multiples domaines, notamment pour tenter de soigner les maladies génétiques, pour établir des liens de parenté (loi sur l’immigration, recherches généalogiques...), pour déterminer des « coupables ». On parlera ici surtout de cette dernière utilisation.

On dit une « trace » et un « profil » Adn. La « trace », c’est le morceau de corps humain qui va être étudié : un poil par exemple. La trace contient un Adn nucléaire et/ou mitochondrial. De chaque trace, on peut sortir un « profil » qui se présente sous la forme d’une suite de lettres qui correspondent à une partie de l’Adn d’un individu. Ce n’est qu’un petit bout de toute la séquence Adn. Les scientifiques choisissent quelques endroits de la séquence Adn. Un profil Adn correspond à l’analyse de 8 ou 15 points de la séquence Adn. Ces petites parties sont appelées « sites » ou loci ( locus ). La plupart des bouts d’Adn analysés ne sont pas « codants », sauf un, qui correspond au sexe. Sont codantes les parties qui sont associées à des caractéristiques biologiques (physiques : couleur des yeux, de la peau... ; ou physiologiques). Il y a très peu de différences entres les parties codantes de deux personnes (car tout le monde a deux bras, deux yeux...) tandis que les parties non codantes varient beaucoup d’un individu à un autre.

Les flics utilisent l’Adn pour tenter de condamner des personnes, ils prélèvent donc des traces et en sortent des profils. Depuis 1998, les profils sont entrés dans un fichier : c’est le FNAEG, Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques, qui approche aujourd’hui un million d’Adn. Ensuite, c’est le jeu du memory  : les flics cherchent des correspondances entre les différents profils.

L’Adn n’est qu’une découverte scientifique

«  Interpellé quatre ans après à cause d’un gant. Encore une affaire élucidée grâce aux progrès de la science… Les malfaiteurs repartent avec 6000 euros, oubliant derrière eux des gants de chirurgien utilisés pour ne pas laisser de traces. Un élément conservé dans les pièces à conviction et dont l’Adn vient de parler . »

On n’avait jamais entendu parler d’Adn avant les années cinquante. Cette découverte est le fruit d’expériences et de calculs de probabilités, comme il en est pour toutes les sciences expérimentales (biologie, physique… c’est de ce type de science dont on parle ici). Souvent, on nous présente la science comme la « vérité vraie », la certitude totale. Mais la science a toujours été le fruit de tâtonnements et de doutes.

Ainsi, par exemple, les scientifiques prétendent que chaque individu a un Adn nucléaire unique. Mais cela ne peut pas être vérifié : l’ensemble des Adn des êtres humains n’a pas été prélevé.

De même, on ne prélève pour l’instant que certaines parties de la séquence Adn car, après expérience, il est établi que ces parties sont les plus discriminantes, qu’elles permettent le plus de différencier les êtres humains entre eux. Mais ces parties d’Adn sont les plus discriminantes au sein du groupe sur lequel ce test a été effectué, pas pour la terre entière. Il est fort probable que dans quelques années, on n’utilise pas les mêmes données pour établir les profils Adn, et donc que les résultats des expertises soient modifiés. Les profils Adn ont d’ailleurs déjà été modifiés et sont différents entre les pays. Ce ne sont pas toujours les mêmes sites (points ou petites parties de la séquence Adn) qui sont observés, le nombre de sites observés diffère (en ce moment on en observe 8 en France et 15 aux États-Unis). Ainsi, un homme a été accusé d’un cambriolage puis mis hors de cause du fait d’une nouvelle étude portant sur un nombre plus important de sites (cf. encart ci-dessous).

Un parkinsonien accusé d’un cambriolage à 300 km de chez lui !
Presse britannique - octobre 2000 / Indymedia Suisse - avril 2003

Février 2000. La police anglaise résout un cas de vol grâce au test de l’Adn : un parkinsonien, qui se déplace avec difficulté et qui habite à 300 km du lieu du cambriolage, est arrêté. Son Adn, examiné en 6 régions différentes, coïncide avec celui retrouvé par les enquêteurs. Le profil génétique de l’homme est déjà à disposition de la police car il avait été enregistré lors d’une bagarre musclée avec sa fille. Mais il suffit de conduire en état d’ivresse pour que la police anglaise enregistre le profil Adn. L’homme est blanchi quand son avocat demande l’examen d’un plus grand nombre de régions de l’Adn. Si l’on examine six régions seulement, les concordances dues au hasard sont fréquentes. Après le nouvel examen, le profil de l’homme et celui de l’assassin paraissent différents. La police anglaise annonce que dorénavant dix régions de l’Adn au moins seront considérées afin d’enquête.

De plus, les méthodes d’analyse de ces sites évoluent. Celle utilisée actuellement est la PCR (Polymerase Chain Reaction) : c’est une méthode d’amplification qui permet de copier en grand nombre une séquence à partir d’une faible quantité d’Adn. Cette méthode a l’avantage d’être rapide mais l’inconvénient d’être très sensible à la contamination (pollution de l’échantillon à analyser), ce qui augmente la possibilité d’erreur.

De même que les techniques d’analyse, les techniques de prélèvement, de transport et de manipulation de l’Adn évoluent au cours du temps. De plus, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, ce n’est pas une machine objective qui s’occupe de tout : les protocoles seront toujours au moins en partie effectués par des êtres humains, et donc sujets à l’erreur. Ainsi, une supposée tueuse en série est en réalité une ouvrière travaillant à l’expédition de bâtonnets de prélèvement Adn (voir l’annexe n° 1), ou encore une personne est accusée parce que deux étiquettes des prélèvements génétiques ont été interchangées (cf. encart ci-dessous).

Des erreurs humaines dans les laboratoires valent des années de prison
Las Vegas Review Journal - avril 2002 / Indymedia Suisse - avril 2003

Avril 2002. Lazaro Sotolusson est détenu dans la prison de North Las Vegas avec une accusation de violation de la loi sur l’immigration. Son voisin de cellule porte plainte contre lui pour viol, et la police ordonne un examen de l’Adn sur les deux prisonniers. Ensuite, elle introduit les deux profils génétiques dans la base de données et découvre que l’Adn de Sotolusson correspond à l’Adn trouvé sur les lieux de plusieurs délits précédents jamais résolus. Sotolusson est même reconnu par une des victimes, et passe un an en prison. Après avoir obtenu un nouveau test génétique, l’avocat de Sotolusson démontre que les étiquettes des examens génétiques avaient été échangées par le laboratoire d’analyse. Sotolusson est acquitté mais reste sous enquête pour viol sur son voisin.

New York Times - février 2003 / Indymedia Suisse - avril 2003

Septembre 2002. Josiah Sutton écope de douze ans de prison pour viol à Houston, Texas. Sur le lieu du délit on retrouve des traces d’Adn, et le laboratoire policier de Houston identifie cet Adn avec celui de Sutton. Quatre ans et demi plus tard, une société privée (Identigene) découvre que les traces trouvées appartiennent à deux personnes différentes et exclut Sutton. Il ne s’agit pas de la première faute commise par le laboratoire de la police. Le laboratoire est fermé trois ans après la condamnation de Sutton à cause du nombre d’erreurs trop élevé. Aujourd’hui la police enquête sur le laboratoire et, en 25 cas de condamnation précédentes (dont 7 capitales) où les tests génétiques ont été employés, elle a décrété la répétition des tests.

Au fur et à mesure, de plus en plus de personnes sont habilitées à effectuer des prélèvements Adn : des flics très peu formés en font, le nombre d’erreurs augmente sans doute.

En outre, lorsque l’on dit que l’Adn correspond, c’est en fait que deux profils se ressemblent, qu’il existe des similitudes entre les deux. Il y a aujourd’hui des critères qui permettent de dire «  ça ressemble suffisamment, ou pas  », ces critères changeront peut-être.

Et si les traces Adn sont utiles aux flics, s’ils prélèvent des mégots, des brosses à dent…, c’est parce qu’un fichier (le FNAEG) référence de multiples profils. L’utilisation de l’Adn comme preuve judiciaire ne peut pas se faire sans un fichage. Trouver une trace Adn sur une scène de crime ne suffit pas si celle-ci reste anonyme. Il faut la faire correspondre avec un Adn qui aura été prélevé par ailleurs sur quelqu’un, et entré dans une base de données. L’efficacité de la preuve par l’Adn reposerait donc sur l’extension de cette base de données : plus il y a de profils Adn dans le fichier, plus il y a de chances de retrouver la personne à accuser ou la chose dont on peut accuser la personne qu’on a sous la main. Alec Jeffreys est le chercheur anglais qui a découvert la «  preuve par l’ Adn  », c’est-à-dire la possibilité d’identifier quelqu’un à partir de son empreinte génétique. Selon lui, pour que cette technique fonctionne au mieux, il faudrait ficher l’ensemble de la population (ce qui est en train de se réaliser en Angleterre). On entend souvent à la radio cette idée que cela fonctionnerait mieux si le fichier des empreintes était complet : «  on a retrouvé une trace Adn, les policiers l’ont entrée dans le fichier (FNAEG), mais malheureusement, elle ne correspond à aucun individu  ». Mais Jeffreys avoue lui-même que l’extension du fichage ne peut que provoquer une augmentation des erreurs : «  créée et maintenue par des êtres humains, il y aura bien évidemment des erreurs, c’est mathématique  ». Correspondances fortuites — lorsque deux profils Adn correspondent alors qu’ils n’appartiennent pas à la même personne —, confusion dans l’enregistrement des données… Plus la base de données est importante, plus le risque d’erreur est grand.

Une hypothèse scientifique considérée comme vraie à une époque pourra être considérée comme fausse un peu plus tard. Ce n’est pas un scoop de dire ça, il en a toujours été ainsi avec la science, et il en sera toujours de même, bien qu’on veuille très souvent nous faire croire exactement le contraire. Cela ne veut pas dire que la science c’est toujours tout et n’importe quoi, que ça n’a aucun rapport avec le réel.

Mais, alors que les scientifiques présentent leurs découvertes comme des certitudes, celles-ci ne reposent que sur des doutes, et il ne peut en être autrement.

«  C’est vrai, c’est prouvé scientifiquement.  » Pourtant, toute théorie scientifique se fonde sur une représentation qui est déterminée par une idéologie. Ainsi, les sciences biologiques interprètent le vivant comme une machine qui répond aux commandes d’un programme que sont les gènes. Cette approche ou paradigme, appelé programmiste, qui réduit l’être vivant à une machine ordinateur, n’est pas le résultat des observations. Elle est construite, plaquée sur le réel, c’est elle qui produit et détermine les observations. Ce ne sont pas les observations qui la produisent. Au contraire, le programme est posé a priori comme une interprétation du vivant. Ce n’est pas l’observation du vivant qui suggère l’existence d’un programme, mais bien la vision programmiste qui fait qu’on observe le vivant d’une certaine manière. Ce n’est pas l’accumulation des données qui crée ce qu’on appelle les “révolutions scientifiques” (bouleversements des visions scientifiques du monde). Ce sont des changements dans la manière de concevoir l’objet d’étude, des changements de paradigme. Or cette conception est, elle, idéologique. Toute science, dure ou molle, s’appuie sur des a priori qui ne sont pas testables et donc ne peuvent pas être remis en cause par les données.

Pourtant, dans la société actuelle, la science est présentée comme l’archétype, le modèle de ce que constitue la vérité. S’il en est ainsi, c’est que la science trouve aujourd’hui de multiples applications à travers les techniques et les technologies. Elle permet d’ouvrir sans cesse de nouvelles productions de marchandises, de nouveaux marchés, et c’est ce qui permet à la société capitaliste de survivre et de s’étendre. De fait, aujourd’hui, beaucoup d’opinions utilisent des arguments apparemment scientifiques pour se donner une légitimité, pour qu’on les considère comme vrais. Ainsi, tel avion n’a pas pu s’écraser sur tel bâtiment public parce que l’angle de ses ailes était incompatible avec on ne sait trop quoi, à moins que ce soit le carré de l’hypoténuse qui ne l’interdise absolument. S’il est évident que c’est le jeune monsieur Bidule qui a essayé de cramer cette voiture, c’est parce que les scientifiques ont retrouvé sur une bouteille d’essence une trace Adn qui lui correspondrait. On se retrouve face à un paradoxe : aucune « vérité » scientifique ne peut être considérée comme une certitude, et pourtant aujourd’hui tout ce que la société veut faire passer pour une certitude ne peut se passer d’arguments scientifiques. La justice, par exemple, ne cesse de tenter de faire appel à des « vérités scientifiques ».

L’Adn n’est qu’une preuve juridique

«  Sainte-Luce : le corps de Marion identifié. Le procureur a néanmoins indiqué qu’une analyse Adn serait nécessaire pour “avoir une totale certitude”  »

Les juges, comme les scientifiques, présentent leurs hypothèses comme des vérités. Tout le monde sait bien qu’il ne s’agit en fait que de présomptions : ceux qui jugent ne savent jamais réellement si la personne a fait, ou non, les actes qui lui sont reprochés. C’est un avis, une opinion sur une situation. Les principes juridiques le disent eux-mêmes : la « vérité » judiciaire est déterminée par « l’intime conviction » de ceux qui jugent.

Malgré cela, souvent, les jugements sont présentées comme des « vérités ». Les arguments scientifiques, entre autres, viennent renforcer cette apparence du vrai de vrai. La justice fait très souvent appel à des experts scientifiques : elle se base sur des portraits psychiatriques, de la balistique (calcul des trajets de balles), des analyses Adn… Des experts écrivent des rapports ou témoignent à la barre, et on leur demande des résultats, des affirmations «  c’est sûr, cet homme est responsable, il lui restait une lueur de raison quand il a tué sa femme  », «  ce ne peut absolument pas être lui qui a tué cet homme car la balle est partie de la porte, or cet homme était juste devant l’armoire  », ou «  cette trace Adn trouvée sur un cheveu correspond bien au profil Adn de cette jeune femme, et il n’y a aucune autre personne sur terre qui ait le même profil que cette jeune femme  ». La justice préfère souvent se reposer sur un discours « objectif » d’expert. Un bon expert est un expert qui affirme, et dissipe ainsi les doutes. Un bon expert est un dealer de certitudes. N’importe quel expert ne peut pas faire l’affaire, la justice fournit elle-même la liste de ceux qu’elle estime être les « bons » experts. Ainsi, pour les expertises Adn (mais aussi pour les contre-expertises), en décembre 2008, moins d’une dizaine de laboratoires sont agréés par la justice française (cf. liste, annexe n°2).

Comme toutes les autres preuves, la preuve par l’Adn peut être remise en cause. Mais ce qu’il y a de spécifique avec la preuve par l’Adn, c’est qu’elle est souvent présentée comme la preuve parfaite. On entend même parler de «  la révolution de l’ Adn  ». De multiples accusations sont basées sur l’Adn, on rouvre même des enquêtes non résolues afin de procéder à des analyses Adn, qui n’existaient pas à l’époque : «  une affaire exhumée grâce à la génétique  ».

Il est possible de critiquer la certitude avec laquelle on me dit «  c’est sûr, c’est ton Adn  », comme on l’a vu tout à l’heure. Mais aussi critiquer le fait qu’une trace Adn puisse accuser quelqu’un. En septembre 2006, aux Tarterêts, les flics voulaient accuser quelqu’un parce qu’on aurait retrouvé une trace de son Adn sur un bout de pizza dans un buisson à proximité d’un lieu où il y avait eu des affrontements avec les flics ! En 2004, un homme a été accusé d’un meurtre du simple fait que l’on avait retrouvé son Adn dans un appartement (cf. encart ci-dessous).

Espérons ne pas baiser avec quelqu’un qui se fait tuer le lendemain !
Nice Matin, le 23 mars 2007

Kamel B. a clamé son innocence pendant 21 mois derrière les barreaux de la prison de Grasse.

A cause d’un prélèvement Adn pour le moins trompeur effectué en janvier 2004 sur les lieux d’un crime sordide à Antibes, Kamel B. aurait pu écoper de 30 ans de prison devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes ! Blanchi in extremis par un non-lieu (…)

Serveur dans une brasserie niçoise de la rue de la Buffa, Alain a été ligoté, bâillonné, passé à tabac avant d’être étouffé. Les experts de la police scientifique entrent immédiatement en action. La scène du crime est passée au crible. Relevés d’empreintes, tests Adn.

Trois jours plus tard, Kamel B. est convoqué par la police : son numéro de téléphone était enregistré dans le portable de la victime. (…) Et pour procéder à un test salivaire... de routine que les enquêteurs envoient pour analyse au fichier national des empreintes génétiques.

Résultat : positif. Kamel B. apparemment est trahi par son Adn. Ses empreintes génétiques correspondent à l’une de celles prélevées dans l’appartement de la victime. «  Même si, terrorisé à l’idée d’avoir à révéler son homosexualité, M. Kamel B. avait d’abord nié s’être jamais rendu au domicile d’Alain C., était-ce suffisant pour en faire un meurtrier ? , déplore son avocat. Je ne l’ai jamais cru.  »

La suite, on la connaît. Coupable génétiquement idéal, Kamel B. est écroué à Grasse. Il nie. Il a un alibi. Il n’a pas de mobile. Et aucun témoin ne l’accuse. Mais c’est derrière les barreaux de la prison de Grasse qu’il clamera en vain son innocence pendant 21 mois...

Je perds en moyenne plusieurs dizaines de cheveux par jour, je ne sais trop combien de poils, plein de bouts de peau, quand je parle je postillonne, je pisse et je chie, parfois je saigne, parfois même je fume des clopes. Au cours d’une journée, je vais dans plusieurs endroits différents, je rencontre plein de gens et je suis proche d’une multitude d’objets. Je dépose un nombre impressionnant de traces Adn dans ces lieux, sur ces personnes, sur ces objets. Je recueille au passage involontairement un certain nombre de traces Adn laissées par d’autres gens et je peux aussi volontairement déplacer des traces Adn d’autres personnes que moi. Alors, me dire que je suis coupable de quelque chose parce qu’il y a mon Adn quelque part, n’est pas un argument très convaincant.

Quelques autres raisons pour ne pas donner son Adn

«  Beauchamp-Taverny. Les cambrioleurs confondus grâce à leurs cheveux. Leurs cheveux les ont trahis. Deux hommes viennent d’être confondus grâce à une analyse Adn. Leurs cheveux avaient été retrouvés dans trois box de voitures cambriolés de la résidence de la Gare à Beauchamp  »

L’un des objectifs du fichier Adn est d’aider les flics dans leur travail d’accusation et de donner du poids, de la légitimité, aux juges pour les condamnations qu’ils prononcent. Donner son Adn, c’est augmenter le risque d’être accusé de certains faits, qu’on les ait commis ou non. De l’Adn, on en trouve partout. Une trace Adn laissée sur le goulot d’une bouteille de bière peut accuser quelqu’un d’avoir jeté cette bouteille sur un flic.

Bon, bien sûr l’inverse n’est pas vrai : ce n’est pas parce qu’on ne donne pas son Adn qu’on ne sera pas accusé. Mais une accusation par la preuve Adn est gênante, du fait que les juges la considèrent comme la preuve parfaite. Refuser de donner son Adn peut parfois permettre d’éviter une accusation pour soi : une trace qui serait déjà dans leur fichier et qui correspondrait avec mon profil, une trace qu’ils sont en train de récolter, ou une trace qu’ils trouveront dans le futur.

Refuser de donner son Adn peut permettre aussi de tenter d’éviter des accusations pour d’autres gens. Les flics veulent parfois avoir l’Adn de quelqu’un pour accuser des personnes de sa famille. S’ils ont un doute sur quelqu’un, ils tentent de prélever l’Adn du frère, et vu que les deux ont le même Adn mitochondrial, il est possible que les flics fassent des recoupements et cela peut jeter la suspicion sur des membres de la famille.

Ou, dans le cadre d’une enquête sur plusieurs personnes, si tout le monde accepte de donner son Adn sauf un, ce dernier va être soupçonné ; la situation serait différente si tout le monde avait refusé de le donner. Dans le cadre d’un fichage généralisé, si on imagine qu’un jour les flics demandent l’Adn de toute la population, s’il n’y a que quelques personnes qui refusent, celles-ci vont être classées comme les rares récalcitrants contestataires et risquent d’être dans la ligne de mire de l’Etat. Il n’en sera pas de même si plein de gens refusent, il sera plus compliqué de les réprimer. Refuser de donner son Adn, c’est plus largement tenter de participer le moins possible au système répressif qui en frappe quelques-uns pour faire peur à tous.

Mais pourquoi faut-il refuser de donner son Adn, alors qu’on sait très bien que si les flics le veulent vraiment, ils pourront le prendre de toute manière (ou avec des éléments détachés du corps ou de force dans la bouche) ? D’abord parce que la plupart des fois, ils ne le prennent pas de force, sauf dans des cas exceptionnels. Ils ne le font presque jamais quand il s’agit d’une volonté de simple fichage (c’est différent quand une personne fait l’objet d’une enquête spécifique où ils cherchent des Adn). Ensuite, parce que c’est plus compliqué pour eux s’ils doivent prendre l’Adn de force. Si les flics prennent des bouts détachés du corps, c’est techniquement complexe. Cela leur coûte sans doute plus cher car ce ne sont plus les procédures habituelles. Il faut qu’ils identifient des morceaux qu’ils estiment détachés du corps d’une certaine personne (sur un mégot, un gobelet, un pull… il faut donc se méfier des clopes et des cafés proposés), il faut que ces bouts ne soient pas dégradés pour qu’ils soient analysables, et il faut aussi que cet Adn ne soit pas mélangé avec un autre car un tel type d’amalgame peut fausser tout le test [1]. Et s’ils accusent sur cette base-là, il est encore plus facile pour la personne de dire à la justice : mais qu’est-ce qui me prouve que c’est mon Adn ? Dans certains cas plus rares, les flics prennent l’Adn de force dans la bouche. Mais c’est juridiquement interdit : il faut donc ensuite qu’ils s’arrangent pour rendre ce prélèvement légal. Dans cette opération de falsification, on peut toujours espérer que reste une petite erreur, un vice de forme.

Attention cependant, ce n’est pas une fin en soi de ne pas donner son Adn. D’abord, certains n’ont pas le choix : pour les personnes condamnées à au moins dix ans de prison, les flics peuvent prélever leur Adn sans leur autorisation. Ensuite, parmi ceux qui ont le choix, c’est bien plus difficile de refuser pour certains que pour d’autres (par exemple, pour celui qui est en prison, qui a déjà fait quelques mois en plus car condamné pour avoir refusé de donner son Adn, et à qui on le demande une nouvelle fois…) Et ce n’est pas l’acte de lutte suprême qui résoudra tous les problèmes. L’Adn est un dispositif de contrôle qui s’inscrit au milieu de plein d’autres moyens de surveillance : caméras, biométrie, empreintes digitales, photos… Aussi, ce n’est pas parce que j’ai donné mon Adn que tout est fini pour moi, que je ne peux plus rien faire d’illégal ; mais les flics ont obtenu un moyen de contrôle supplémentaire sur moi.

En refusant de donner son Adn, on remet en cause plus généralement la logique de surveillance. Cette logique du pouvoir qui voudrait nous foutre la trouille, pour qu’on ose de moins en moins faire d’actes illégaux – et ce, sachant que ce n’est pas nous qui décidons des lois, et qu’en ce moment, de plus en plus d’actes deviennent illégaux. Qu’on ne lutte pas en-dehors des chemins balisés, qu’on s’autocensure. Et si ce n’est pas le cas, si on commet quand même des actes illégaux, qu’on puisse être réprimés facilement et constituer ainsi un exemple pour faire peur à d’autres. Plus il y aura de surveillance, plus il sera difficile de résister, plus il sera facile pour les possédants et pour l’Etat de nous gérer selon leurs intérêts.

"Ouvre la bouche" : les prélèvements Adn, comment ça se passe ?

«  Meurtre. Trahi par un mégot, 16 ans après… après avoir été confondu par son Adn retrouvé sur un mégot de cigarettes… Fin 2007, un Adn a été retrouvé sur le mégot et une comparaison avec le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) a permis d’identifier Nordine M.  »

«  Crache là-dessus !  » Il y a différentes occasions où les flics peuvent nous prendre notre Adn : lors d’une garde-à-vue, lors d’une simple convocation chez les flics, ou quand on est en taule. Au début, en 1998, les prises d’Adn ne concernent que les personnes accusées de délits et crimes sexuels sur les jeunes de moins de 15 ans. Puis, progressivement, la loi a autorisé les flics à prendre l’Adn de plein d’autres personnes. Aujourd’hui, les flics peuvent demander l’Adn dans de multiples cas, la liste est longue. Elle peut concerner des personnes accusées d’infractions diverses allant du crime contre l’humanité aux simples vols et dégradations, mais aussi des personnes qui se rendent simplement à une convocation, par exemple pour témoigner ou parfois pour demander un parloir. Dans ces derniers cas, les flics ont besoin du consentement de la personne. Si celle-ci refuse, elle ne sera pas poursuivie.

Théoriquement, certaines des empreintes génétiques sont juste comparées au fichier mais pas conservées, certaines sont conservées 25 ans, d’autres 40 ans. Il est possible pour certaines personnes qui n’ont finalement pas été condamnées de demander qu’on enlève leur profil du fichier [2], mais la justice a le droit de refuser… Cette absence de conservation est en revanche garantie comme par hasard pour certains délits (les délits financiers ou les abus de biens sociaux…)

En principe, les flics demandent l’autorisation de la personne avant d’effectuer une prise d’empreinte Adn. On est censé signer un papier où on dit qu’on est d’accord [3]. Mais les flics ne le font pas toujours, ou le font sans expliquer de quoi il s’agit. Souvent, lorsqu’une personne refuse, les flics ne prennent pas son Adn. Et ce d’autant plus que parfois, les flics demandent l’Adn à des personnes qui ne sont juridiquement pas du tout obligées de le donner. Il est arrivé que les flics frappent aux portes de tout un immeuble pour demander leur Adn aux habitants, ces derniers n’étaient pas obligés de le donner, ils ne commettaient aucun délit s’ils ne le donnaient pas et ne pouvaient donc pas avoir de procès. D’autres personnes ont déjà été accusées d’avoir refusé de donner leur Adn alors que le délit dont elles étaient accusées ne figurait pas dans la liste des délits justifiant une prise d’Adn ; ces personnes ont été relaxées quant à leur refus d’Adn [4]. Bien sûr, il existe des cas où si la personne refuse de donner son Adn, les flics peuvent demander à ce que cette personne soit poursuivie pour refus d’Adn.

Concrètement, pour des prises d’empreintes « ordinaires », deux méthodes semblent utilisées suivant les pays : les flics introduisent une sorte de coton-tige dans la bouche, ou demandent à la personne de cracher sur une sorte de buvard.

Les techniques utilisées pour nous pousser à accepter de donner notre Adn sont multiples. Parfois, les flics n’expliquent tout simplement pas qu’ils vont le prendre. La personne est surprise, elle pige au dernier moment, et c’est plus dur de réagir. Ou les flics disent «  Mais si t’as rien à ne te reprocher, je vois pas pourquoi tu le donnerais pas  ». Une des autres techniques est le chantage : lorsqu’on est en garde-à-vue, on nous fait croire qu’on ne sortira pas si on ne le donne pas, qu’on va aller en taule. Lors d’une convocation, les flics peuvent menacer de mettre la personne en garde-à-vue. Et quand elle est en taule, lui dire qu’elle va prendre des années en plus si elle ne le donne pas. Évidemment, bien souvent ce ne sont que des menaces (cf encart ci-dessous).

Témoignage de quelqu’un qui se retrouve en garde-à-vue et à qui on demande son Adn :

«  Ils te remettent dans ta cellule après ils reviennent te chercher, pareil ils te disent pas pourquoi, on va dans une salle, une espèce de labo et là t’as des gens en civil, ils te font asseoir sur une chaise, il y a une table à côté de toi et y’a un gars, un espèce d’opérateur qui a un espèce de sachet en plastique, qui ouvre le sachet en plastique et là y’a un espèce de... comme une sucette en polystyrène mou, et c’était le truc pour le prélèvement Adn , ils te le disent pas en fait que c’est pour le prélèvement. Et là ils te disent « ouvre la bouche ». Et moi j’ai dit « mais... qu’est-ce que vous voulez faire en fait ?... » (…) Ensuite le gars m’a dit « le prélèvement Adn c’est obligatoire en GAV [garde-à-vue] », et moi j’ai dit « mais en fait je peux refuser » « non tu peux pas refuser, regarde derrière toi » et derrière moi y’avait le texte de loi qui disait les condamnations pour refus de prélèvement Adn . Il y avait marqué « en cas de refus 15 000 euros d’amende, et 1 an de prison », un truc comme ça. Et donc il m’a dit « si tu refuses tu vas directement ce soir à Varces [maison d’arrêt] et en plus tu auras une grosse amende  »... sur le moment ça m’a déstabilisé, ça m’a fait bizarre, quand même c’est pas un truc systématique je me suis dit « j’ai peut-être loupé un truc avant qu’on m’a pas bien expliqué, peut-être qu’ils ont raison », quoi. Du coup j’étais un peu dans l’expectative, et le gars il était impatient, du coup j’ai dit « je crois que je vais refuser quand même ». Et là le mec m’a dit « c’est n’importe quoi, tu peux pas refuser, si tu refuses tu vas vraiment en prendre pour cher, tu peux pas faire ça » (…) après ils m’ont remis dans ma cellule...là en descendant à ma cellule, j’ai croisé L. qui était en train de monter pour faire la même chose, qui ne savait pas où il allait, et j’ai eu le temps de lui dire au passage « ils vont te faire un prélèvement Adn moi j’ai refusé, tiens bon » un truc comme ça. Du coup L. il a refusé pareil. Et le gars il l’a moins fait chier. (...)

Avant de me ramener dans la cellule de GAV, le flic qui me trimballait m’a fait revenir devant l’inspectrice, en disant « eh il a pas voulu faire le prélèvement Adn eh », et ils se sont penchés sur les textes de lois en se disant est-ce que nous on rentrait dans le cadre des prélèvements Adn  ? Ils ont eu une petite discussion entre inspecteurs sur les textes de loi et tout, et ils ont dit «  mais si si c’est toutes les GAV ! », je pense qu’ils étaient pas super au point là-dessus. Ce qui est marrant c’est que c’était après coup. (...) Voilà, je n’ai pas eu de convocation pour le refus de prélèvement Adn.  »

Juridiquement, refuser de donner son Adn est un délit punissable d’un an de prison et de 15000 euros d’amende (sauf pour les personnes condamnées pour crime, où ce délit est passible de deux ans de prison et de 30000 euros d’amende). C’est comme d’habitude : il s’agit de ce qu’on risque, pas de ce qu’on va prendre. Parfois refuser de donner son Adn n’entraîne aucune poursuite, parfois cela cause un procès. A l’issue du procès, la personne est parfois condamnée, mais aussi parfois relaxée. On a cru remarquer que les juges relaxent plus facilement quand la personne n’a pas été condamnée pour les faits pour lesquels elle était soupçonnée. Et, d’après ce qu’on sait, une personne avec un casier vierge, libre, dehors lors de son procès prend en moyenne quelques centaines d’euros d’amende, et une personne en prison prend en moyenne quelques mois fermes. Comme n’importe quel délit, le délit de refus d’Adn peut être poursuivi dans un délai de trois ans. Une personne déjà condamnée pour refus d’Adn peut être reconvoquée pour une prise d’empreintes génétiques et se trouver à nouveau poursuivie et condamnée pour refus d’Adn. Mais cela n’est pas toujours le cas. Il est arrivé plusieurs fois qu’à la suite de condamnations, des personnes soient convoquées par lettre simple afin de donner leur ADN. Elles ne s’y sont pas rendues, et n’ont plus eu aucune nouvelle : ni autre convocation, ni procès.

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Le fichage Adn offre, pour les experts, des possibilités s’inscrivant au cœur du projet biométrique : plus encore que l’identification d’individus, à laquelle les empreintes digitales et les analyses d’iris répondent plus fiablement, le profil Adn, croisé avec les autres fichiers, fournit beaucoup plus d’informations. 
La société privée IGNA propose aux juges d’instructions depuis fin 2007 de recourir au «  test d’orientation géo-génétique  » (TOGG). Le suspect potentiel voit ainsi décortiquer, à partir de son profil d’Adn non codant, ce qui est pudiquement appelé son «  origine géographique  ». On parle ainsi des «  afro-américains  », des «  blancs-européens  », des «  basques  » etc.
 Rappelons brièvement, qu’a été votée en 1997 par le conseil des ministres de l’Union Européenne, une loi qui interdisait de séquencer des parties codantes de l’Adn. Et ceci afin de parer à toute critique citoyenniste qui pointerait du doigt les dérives eugénistes à ficher des caractéristiques physiques à partir de l’Adn codant . Les experts apaisent ainsi ces petites angoisses « big brotheriennes » : ils n’établissent que des corrélations entre une séquence d’Adn et une caractéristique ethnique, sans poser de lien de causalité entre cette séquence et cette caractéristique.
Afin de mieux saisir cette nuance entre lien de causalité et corrélation, très importante à ces discours d’experts englués d’hypocrisie pour contourner cette loi pas moins hypocrite, recourons à cette analogie : c’est comme si on corrélait la grippe avec le pantalon. En effet, cette maladie voit sa fréquence fortement augmentée en hiver, or en hiver, les gens portent beaucoup plus le pantalon qu’en été : ce n’est pas le pantalon qui est la cause de la grippe mais il est corrélé à cette dernière.
Ce point est central pour comprendre en quoi le fichage Adn prend toute sa place dans une logique biométrique à la sauce des criminologues du xixe siècle (dont Francis Galton, pour ne citer que lui, fondateur de l’eugénisme). Le profil Adn est utilisé non pas uniquement pour identifier des individus, mais surtout pour les caractériser. Ce point est important à souligner, car c’est en recoupant les fichiers, que des myriades de corrélations sont établies. Pour l’instant, il s’agit de leurs caractéristiques géo-génétiques, bientôt comportementalo-génétiques. On trouvera ainsi le profil du « violent », du « pervers » etc. Le profil Adn nous fournit ainsi le profil de coupable, l’ordre social trouve un reflet naturel dans le profil génétique. 


Annexes

Depuis plus de quinze ans, une criminelle était activement recherchée en Allemagne et en France pour sa participation à de multiples crimes. Surnommée, par la presse, le « fantôme de Heilbronn », cette mystérieuse meurtrière laissait traîner ses empreintes génétiques partout derrière elle.
« La preuve de son existence, c’est une empreinte Adn  », s’exclamait une journaliste de TF1 (magazine 7 à 8 du 11 mai 2008). Le site tueurenserie.org , quant à lui, dissertait avec le plus grand sérieux sur le profil psychologique de ce personnage insaisissable.
En mars 2009, finalement, la femme qui avait laissé des traces Adn sur les lieux de dizaines de crimes était identifiée. Elle fut rapidement mise hors de cause : elle travaillait dans une société fabriquant les bâtonnets qui avait été utilisés pour effectuer les prélèvements génétiques !

« La pire tueuse en série que l’Europe ait connue »

L’une des pires tueuses en série que l’Europe ait connue, a fait une nouvelle victime, une infirmière de 45 ans.

Diana P. a été découverte morte dans un fossé par des promeneurs... Les résultats des analyses Adn sont connus depuis cette semaine : son assassin est une tueuse en série surnommée «  la femme sans visage  », qui échappe à la police allemande depuis 15 ans. (…)

Une équipe de policiers formée spécialement dans le but de trouver cette tueuse a été renforcée par 30 officiers supplémentaires.

La tueuse a frappé pour la première fois le 23 mai 1993 : elle s’était présentée des fleurs à la main, à la porte de Lieselotte Schlenger, gardienne de la « Felsenkirche » (l’église perchée) d’Idar-Oberstein. Elle était parvenue à convaincre la dame de 62 ans de la laisser entrer chez elle et avait utilisé la cordelette qui liait les fleurs pour l’étrangler.

Huit ans plus tard, en 2001, un antiquaire de 61 ans avait été assassiné à Freiburg, étranglé lui aussi... L’Adn découvert sur la scène du crime était le même... Cinq mois plus tard, à quelques dizaines de kilomètres de Bad Kreuznach, une mère affolée avait apporté à la police une seringue usagée sur laquelle son fils avait marché dans un jardin public de Gerolstein, près de la frontière Belge. La se-ringue avait contenu de l’héroïne, et le sang encore présent sur l’aiguille était celui de la meurtrière.

Deux semaines plus tard, durant la nuit du 24 octobre 2001, une caravane avait été cambriolée près de Mainz, non loin de Bad Kreuznach. De l’Adn prélevé sur un biscuit découvert dehors correspondait à celui de la «  Femme sans visage  » (…)

En décembre 2003, une voiture a été volée à Heilbronn, puis retrouvée abandonnée. L’Adn de la meurtrière a été découvert sur le bouchon d’essence. A Karlsruhe, en 2005, un bar a été cambriolé durant la nuit. Son Adn a été trouvé sur 3 bouteilles de bières et une bouteille de vin vide.

En 2006, à Besançon, en France, on a trouvé son Adn sur un pistolet en plastique utilisé lors d’un cambriolage. Son Adn a également été découvert sur les scènes d’une dizaine de cambriolages dans des magasins et des bureaux, et lors de vols de voiture, en Autriche. Sur certaines scènes de crimes, les enquêteurs ont également relevé l’Adn de complices présumés, bien que, selon la police «  Ce n’était jamais les mêmes  ». Au moins 3 hommes ont été arrêtés, un Slovaque, un Serbe et un Moldave. Mais s’ils savent qui est la «  Femme sans visage  », ils n’en ont rien dit.

L’après-midi du 6 mai 2005, elle a réapparu — tout du moins, une trace d’elle. (…) Un membre de la communauté gitane locale menaçait son frère avec son pistolet et a été arrêté. La police a découvert que l’Adn de la «  Femme sans visage  » se trouvait sur l’une des balles contenues par l’arme.

En avril 2007, Michèle Kiesewetter, une policière de 22 ans, membre d’un groupe de lutte contre les stupéfiants, prenait une pause déjeuner avec un collègue dans leur voiture de patrouille à Heilbronn... Deux personnes sont montées à l’arrière du véhicule et ont tiré sur les deux policiers, par derrière, tuant Michèle Kiesewetter et blessant grièvement son collègue de 25 ans… Le seul indice était une trace microscopique d’Adn, découverte sur le siège arrière. Lors-que le prélèvement a été analysé et comparé avec la base de données nationale allemande, 3 mois plus tard, on a découvert que l’Adn était celui de la «  Femme sans visage  ».

En 2008, son Adn a encore été découvert lorsque les corps de trois trafiquants de voitures Géorgiens ont été jetés dans une rivière... Deux hommes ont été emprisonnés pour ces meurtres, un Irakien et un Somalien. Dans la vieille voiture du suspect Irakien, les enquêteurs ont prélevé l’Adn de la tueuse en série. Les policiers ont tenté d’interroger les deux suspects afin de savoir qui est cette femme dont l’empreinte génétique a été trouvée sur plus de 20 scènes de crimes à des centaines de kilomètres et une dizaine d’années d’écart. Ils n’ont pas parlé.

Malgré 12 000 heures de porte à porte, des milliers de témoignages, des centaines d’appels téléphoniques et près de 12 millions d’euros dépensés, les enquêteurs ne sont pas parvenus à identifier la meurtrière. Une récompense de 100 000 € a été offerte. Des prélèvements salivaires ont été réalisés sur des milliers de femmes dans le sud de l’Allemagne, en France, en Belgique et même en Italie.

Les médias ont suggéré qu’elle pouvait être une droguée qui tue pour voler ses victimes. La seringue suggère l’usage de drogue. Le hasard apparent des cambriolages et la petitesse des sommes volées semblent indiquer des victimes d’opportunité et un besoin désespéré d’argent liquide. Mais la police affirme qu’elle maîtrise parfaitement ses actes, un contrôle que l’on trouve rarement chez les drogués dont l’état de « manque » occasionne une absence de discernement les empêchant de prendre soin de ne pas laisser d’indices derrière eux.

Les enquêteurs allemands (…) attendent que la «  Femme sans visage  » commette enfin une erreur et laisse un indice plus parlant, une empreinte digitale, un témoin.

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Extraits de la liste des personnes titulaires de l’agrément les habilitant à procéder à des identifications par empreintes génétiques dans le cadre d’une procédure judiciaire. Décret n°97-109 du 6 février 1997. Mise à jour : 19 décembre 2008.

Liste des laboratoires agréés

 Laboratoire d’hématologie médico-légale, 43 avenue de la République, 33000 Bordeaux
 Laboratoire Toxgen, 11 rue du Commandant Cousteau, 33100 Bordeaux
 Laboratoire de génétique humaine de l’Institut national de la transfusion sanguine, 6 rue Alexandre-Cabanel, 75739 Paris cedex 15
 Laboratoire de génétique moléculaire et d’histocompatibilité – Établissement de transfusion sanguine de Bretagne occidentale, 46 rue Félix le Dantec, BP 62025, 29220 Brest cedex 2
 Laboratoire d’histocompatibilité de l’Etablissement de tranfusion sanguine de Rhône Alpes, EFS Rhône Alpes, site de Lyon, 1 et 3 rue du Vercors, 69342 Lyon
 Laboratoire de biochimie et de biologie moléculaire du Centre hospitalier intercommunal (CHI) de Poissy-Saint-Germain, 20 rue Armogis, 78105 Saint-Germain-en-Laye
 Laboratoire d’empreintes génétiques Biomnis, BP 7322, 19 avenue Tony Garnier, 69357 Lyon cedex 07
 Laboratoire d’identification génétique Codgene.
— Unité de Illkirch, rue Geiler de Kaysersberg, 67400 Illkirch.
— Unité de Marseille, bâtiment Actilauze, 201 avenue des Aygalades, 13025 Marseille
 Laboratoire de l’Institut de génétique de Nantes Atlantique (IGNA), BP 70425, 19 rue Léon Durocher, 44204 Nantes cedex 2

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Quelques références

Brochures (disponibles sur infokiosques.net) :
Adn : Au-Delà du « Non », octobre 2008.
Contre le fichage Adn, novembre 2007.
Refuser le fichage Adn, Pourquoi ? Comment ?, 2007.
Face à la police, face à la justice , L’Altiplano, février 2007. Texte disponible gratuitement sur www.guidejuridique.net

« Ouvrez la bouche », dit le policier. Deux textes sur l’usage de l’Adn dans la machine judiciaire. Juin 2009.
L’apparence de la certitude. L’Adn comme « preuve » scientifique et judiciaire. Juillet 2009. Dans le cas où on est accusé par l’Adn, certains éléments peuvent peut-être permettre de remettre en cause, notamment au tribunal, la validité de cette preuve. Ce texte développe cet aspect de la question tout en jetant une lumière crue sur le fonctionnement de la justice et de la science combinées pour mieux servir la répression. Disponible sur www.actujuridique.com.

Autres...
Preuve par l’ Adn , R. Coquoz et F. Taroni, Lausanne, 2006.
Adn et enquêtes criminelles, Que sais-je ?, Paris, 2008.

[1Parfois, dans le but d’avoir notre ADN, les flics prennent des objets dont on s’est servi dans notre
cellule de garde-à-vue : gobelet, fourchette, couteau... Pour leur compliquer la tâche, on peut frotter au sol
ces différents ustensiles afin de mélanger notre ADN avec plein d’autres ADN présents dans la cellule. En
effet, plus il y a d’ADN différents sur un objet, plus il est difficile d’en isoler un seul. On ne sait pas si une
telle technique fonctionne, mais il n’y a rien à perdre, alors...

[2Voir Face à la police, face à la justice, p.142-143 ou sur le site guidejuridique.net au chapitre 11.

[3Attention ! Les flics ne sont pas obligés de spécifier dans le document que le but est la prise
d’empreinte génétique. Par exemple, les flics peuvent demander à une personne si celle-ci est d’accord
pour donner son mégot ou son pull, sans lui spécifier que ces objets vont servir à établir son profil
génétique. De plus, cette autorisation par écrit n’est pas forcément un papier spécifique, à part ; ce peut
être tout simplement une question au cours d’un long interrogatoire. Lorsque les flics demandent à la
personne de signer le procès verbal de cet interrogatoire, ils lui demandent, l’air de rien, de signer son
consentement à une prise d’empreinte génétique !

[4Il s’agissait d’un délit de presse, appliqué du fait de la présence d’une banderole.


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