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Les comprimés d’iode des tranquillisants contre l’angoisse nucléaire

mis en ligne le 27 mars 2011 - Roger Belbéoch

La décision de distribuer des comprimés d’iode stable au voisinage des
centrales nucléaires françaises a donné lieu à des commentaires d’experts médicaux très proches du lobby nucléaire, pour qui seuls les iodes radioactifs auraient des effets néfastes sur la santé (du moins, c’est ce qu’ils prétendent dans les médias). Ainsi, en prenant ces comprimés d’iode stable, en cas d’accident grave, la population serait totalement protégée. Tout se passe donc comme si le cocktail de radionucléides qui seraient rejetés en même temps que les iodes (césium, ruthénium, argent, strontium, plutonium et autres transuraniens), une fois inhalés et ingérés, n’avaient aucun effet
sur la santé. Il est vrai que, contrairement aux iodes radioactifs, qui ont pour cible la thyroïde sur laquelle ils se fixent, ces radioéléments ne donneraient pas d’effets spécifiques facilement identifiables sur des organes particuliers. Il serait donc difficile pour les personnes contaminées de les discerner parmi les maladies « normales » et les experts pourraient facilement camoufler leurs effets.

S’il n’est pas possible pour les individus d’identifier les cancers radioinduits non spécifiques, alors il n’est pas nécessaire pour les gestionnaires et leurs conseillers scientifiques d’en tenir compte, d’autant plus que ces cancers n’apparaîtraient que plus tardivement. Les iodes radioactifs ayant un effet spécifique sur la thyroïde, et cela à relativement court terme (on l’a vu après Tchernobyl avec l’apparition des cancers chez les enfants biélorusses), il n’est donc pas possible de les négliger dans les gestions postaccidentelles. Ainsi, le comprimé d’iode stable devient miraculeusement l’antidote absolu contre les effets des rejets radioactifs en cas d’accident nucléaire grave.

Quelques précisions sur les prises d’iode stable

L’iode stable est administré préventivement pour saturer la thyroïde et
empêcher qu’elle n’absorbe ensuite les iodes radioactifs rejetés dans les accidents nucléaires. Dans cette situation, la thyroïde serait protégée des effets du rayonnement causés par ces iodes radioactifs ingérés ou inhalés. (Nous ne discuterons pas ici des contre-indications médicales qui ne sont peut-être pas aussi anodines qu’on nous l’assure.)

Les experts de la Commission internationale de protection radiologique
(CIPR) dans la publication 63 de 1992 (Principes pour l’intervention pour la protection du public en cas d’urgence radiologique) donnent quelques indications sur les procédures à respecter pour que la prise d’iode stable soit efficace. Remarquons que ces experts ont attendu pour nous livrer leurs réflexions que Tchernobyl ait montré indiscutablement le développement de problèmes thyroïdiens, entre autres des cancers, chez les enfants des régions contaminées en Biélorussie, Ukraine et Russie. L’effet désastreux sur la population prenant directement conscience qu’elle avait été contaminée, malgré les dénégations officielles, n’est certainement pas étranger au souci soudain porté aux iodes radioactifs chez les experts internationaux et
les gestionnaires nationaux.

La rapidité de la prise d’iode est le point important

La CIPR précise : « L’absorption d’iode radioactif est généralement
stoppée cinq minutes après l’administration de cent milligrammes d’iode stable (pour les adultes). » (art. 70) Encore faut-il que cette ingestion d’iode stable soit faite avant que l’iode radioactif ait agi notablement en saturant la thyroïde, ce qu’indique l’article 71 : « Le bénéfice maximum est clairement obtenu en prenant les tablettes d’iode stable avant l’exposition aux iodes radioactifs ou le plus tôt possible après. L’administration quelques heures après l’exposition à une incorporation unique d’iode radioactif peut réduire l’activité de la thyroïde d’un facteur pouvant aller jusqu’à 2. Une petite réduction de la dose à la thyroïde pourrait être obtenue si l’administration d’iode
stable est retardée au-delà de six heures et l’action protectrice est nulle au-delà de douze heures après que l’ingestion/inhalation d’iode radioactif a cessé. » Ainsi, la CIPR indique que l’efficacité d’une prise d’iode stable pour réduire les effets des iodes radioactifs est très petite après un délai de six heures pour les personnes sous un panache d’iodes radioactifs.

Prenons ces six heures comme référence. Pour les habitants proches du réacteur à problèmes, il faudrait que le directeur de la centrale donne l’alerte suffisamment longtemps avant le début des rejets pour que tous les gens concernés soient correctement informés (par exemple, qu’ils aient le temps de rentrer chez eux chercher leur comprimé) sinon leur protection serait réduite, voire illusoire, du moins pour le réacteur de leur voisinage, mais pas forcément pour un désastre sur les autres sites. Un vent normal de 20 à 30 km/h transporterait l’iode radioactif à une distance comprise entre 120 et 180 km en six heures. C’est la distance au-delà de laquelle il serait éventuellement possible de se protéger. Un vent plus violent de 40
km/h porte la distance à 240 km. Enfin, dans la vallée du Rhône particulièrement nucléarisée, si le mistral ou la tramontane soufflent à une vitesse d’environ 60 km/h, la distance que l’on pourrait protéger se situe au-delà de 360 km. On voit, compte tenu de l’implantation des centrales nucléaires dans notre pays, que c’est l’ensemble du territoire qu’il faudrait protéger et non pas la population des quelques kilomètres au voisinage des réacteurs.

Le Pr Schlumberger de l’Institut Gustave-Roussy concluait de la façon
suivante son article intitulé « Les cancers de la thyroïde après Tchernobyl » publié dans la très officielle revue de la Société française de radioprotection, Radioprotection (1994, vol. 29, n° 3, p. 397-404) : « L’accident de Tchernobyl a montré que les populations vivant à plusieurs centaines de kilomètres de la centrale (région de Brest notamment) (il s’agit de la région de Brest-Litovsk en Biélorussie, à la frontière polonaise) peuvent être fortement contaminées et développer dans les années qui suivent un cancer de la thyroïde.

Ceci montre que les plans d’intervention doivent être établis au niveau
d’un pays, voire d’un continent. » On voit que la distribution d’iode dans un périmètre de 5 km autour des centrales françaises est un signe de panique irrationnelle et d’incompétence notoire des autorités qui seraient chargées de gérer une « urgence radiologique » (terme pudiquement utilisé officiellement pour catastrophe nucléaire). Irrationalité non pas par rapport à l’éventualité d’un désastre nucléaire mais par rapport à l’efficacité de ces autorités pour gérer de tels événements. À moins bien sûr que ces distributions de comprimés d’iode stable ne soient pas envisagées pour protéger les thyroïdes de la population mais pour réduire ce que les experts en catastrophes
industrielles nomment maintenant le « risque psychologique » qui
pourrait conduire les habitants près des centrales nucléaires à exiger rapidement leur mise à l’arrêt. En cas d’accident grave, ce « risque psychologique » pourrait amener des « turbulences sociales » particulièrement redoutées des gestionnaires. Ils espèrent qu’une population qui se croit protégée demeure plus calme. En somme, ces comprimés d’iode stable n’auraient qu’un rôle de tranquillisant. De plus, on essaie par cette procédure de responsabiliser les gens. En somme, s’il leur arrive des ennuis de santé après un accident nucléaire, ce sera parce qu’ils n’ont pas pris correctement leur
iode stable. C’est la victime qui devient responsable. Une trouvaille !

Quelques problèmes
 Faut-il donner les comprimés aux enfants quand ils vont à l’école ? Faut-il les confier aux enseignants ?
 Faut-il que les gens qui quittent leur habitation emportent les comprimés avec eux ?
 Faut-il que les étrangers aux communes concernées se déclarent à la
mairie pour obtenir leurs comprimés ?
 Comment procéder pour les gens qui habitent hors de la zone concernée par les comprimés et vont travailler dans cette zone ? Devront-ils se déclarer dans les mairies, faudrait-il les ficher ?
 Faut-il avertir les touristes qui ont l’intention de se rendre dans des zones à haut risque qu’ils devront avoir leur comprimé ? Où pourront-ils l’obtenir ? Dans les agences de tourisme ? Dans les syndicats d’initiative ? Dans les mairies ? Ces organismes distributeurs devront-ils être ouverts en permanence 24 h/24 ?
 Si l’information pour la prise d’iode est faite par radio, ne faudrait-il pas fournir à la population des récepteurs à piles pour le cas où l’accident nucléaire s’accompagnerait d’une panne de courant ?

Finalement le système soviétique qui interdisait à la population de se déplacer hors du lieu de résidence sans une autorisation, simplifierait notablement la gestion de ces comprimés d’iode stable. L’organisation autoritaire de la société est probablement la meilleure solution pour gérer l’énergie nucléaire !



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