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Contre le masculinisme Petit guide d’autodéfense intellectuelle

mis en ligne le 11 mai 2020 - stop-masculinisme

Pourquoi nous ne respectons pas certaines règles de grammaire.

Le langage, comme tout outil, n’est pas neutre. Une vieille règle de grammaire prétend que « le masculin l’emporte toujours sur le féminin ». Ce n’est pas anodin : la domination d’un genre sur l’autre s’exprime jusque dans la langue et cela contribue à l’invisibilisation des femmes. C’est pourquoi nous préférons chercher un langage qui n’oublierait personne. Dans cette brochure, vous croiserez donc des « militant.e.s » qui vous enjoindront à rester « vigilant.e.s ». Cette façon de travailler les mots est un des pas vers plus d’égalité.

INTRODUCTION :

Cette brochure se veut un outil « d’autodéfense intellectuelle » : nous proposons ici quelques pistes pour identifier les discours et les pratiques de ce mouvement réactionnaire que l’on nomme le masculinisme, de manière à pouvoir mieux les repérer et les « démonter ».

Pour nous, tout a commencé à Grenoble, un soir de janvier 2011, où nous nous sommes retrouvé.e.s quelques potes à la projection d’un documentaire intitulé « Des hommes en vrai » [1] ; projection organisée par la mairie de Grenoble et en présence des membres du Réseau Hommes Rhône-Alpes. Nous avons été atterré.e.s par ce que nous avons vu et entendu ce soir-là, et nous avons alors décidé de réagir. Nous avons commencé à mieux nous informer sur « le masculinisme » et à mettre en place un travail de veille. Quelques mois plus tard, nous avons organisé une soirée publique, histoire de diffuser de l’information et de partager nos analyses.

Cette brochure est la retranscription de cet exposé, augmentée des recherches que nous avons effectuées depuis. Ces pages sont à considérer comme un travail « en cours », une étape dans nos réflexions autour de l’anti-féminisme. Elle a été écrite collectivement, ce qui nous a demandé un travail d’harmonistaion conséquent. Aussi, si quelques maladresses subsistent, merci d’être indulgent.e.s.

Le texte se découpe en quatre parties. D’abord une mise en contexte, au travers de laquelle nous tentons une définition du masculinisme et retraçons l’histoire de ce mouvement en présentant ses principaux acteurs. Ensuite, deux parties thématiques où nous décortiquons les thèmes favoris des masculinistes : « les pères bafoués » et « les violences subies par les hommes ». Enfin, la dernière partie aborde la question de la prétendue « crise de la masculinité ».

Quelles sont nos bases politiques et théoriques ?

Nous nous inscrivons dans une perspective de lutte contre le patriarcat, que nous pouvons définir comme un système social dans lequel les hommes, en tant que groupe, dominent les femmes. Cette domination passe notamment par l’exploitation et l’appropriation des femmes par les hommes : appropriation du corps des femmes (reproduction, sexualité), de leur force de travail (prise en charge gratuite du travail domestique, de l’attention et du soin portés aux autres).

Nos analyses sont donc issues de bases politiques féministes radicales et matérialistes, courant du féminisme inspiré par la pensée marxiste et qui pose un regard critique sur les positions du féminisme institutionnel. Nous pensons que les rapports de domination hommes-femmes sont imbriqués dans d’autres rapports de domination (des riches sur les pauvres, des blancs sur les non-blancs, etc.).

Conservons à l’esprit qu’il existe plusieurs axes de domination qui s’entrecroisent et gardons nous de croire que la domination masculine disparaitra dès lors que la domination économique aura disparu. Les rapports sociaux de sexe existent bel et bien en dehors des autres rapports sociaux.

D’autre part, nous réfutons les théories essentialistes qui considèrent qu’hommes et femmes sont différent-e-s « par nature » (ce qui revient à dire que la biologie déterminerait nos goûts, aptitudes et comportements, que l’inné prévaut sur l’acquis), qui ne font pas de différence entre sexe et genre (cf. ci-dessous), et qui voient bien souvent hommes et femmes comme ayant vocation à être « complémentaires dans la différence. » Nous soutenons au contraire que la « différence des sexes » n’est autre qu’une construction des dominants, prétexte à asseoir l’asservissement des femmes. Car créer des catégories, c’est forcément créer une hiérarchie entre ces catégories [2]. L’infériorisation et l’oppression des femmes est bien un projet politique. Et comme tout ce qui a été fait, ce projet peut être défait.

Nous réfutons également la nécessité de la bicatégorisation de l’humain (le fait d’être considéré.e soit homme, soit femme) : il n’y a pas de différences naturelles irréductibles entre hommes et femmes mais plutôt un continuum des sexes (le sexe étant bien entendu ici comme le sexe biologique).

Personne ne nait « homme » ou « femme » ; nous sommes pourvu.e.s de caractéristiques physiques qui se rapprochent plus ou moins de la définition biologique « pure » de l’homme ou de la femme (chromosomes, hormones et caractères secondaires qui leur sont associés, morphologie, anatomie). Mais il existe une infinie variété de positions possibles sur l’axe homme/femme de chaque caractéristique biologique.Cependant, la bicatégorisation recouvre une certaine réalité... construite. Car, dès notre naissance (plus précisément... avant même notre naissance), nous sommes assigné.e.s à devenir soit homme, soit femme, et nous grandissons en apprenant à nous identifier à des modèles et à se fondre dans les moules confectionnés pour nous (les femmes sont douces, aiment prendre soin des autres, sont endurantes / les hommes sont puissants, de bons décideurs, savent fournir des efforts physiques intenses). Ce sexe construit socialement (c’est-à-dire l’ensemble des attentes socialement construites qui nous sont imposées en fonction de notre sexe, et qui peuvent varier d’une époque et d’une société à l’autre), c’est ce que nous appelons le genre.

Dans cette brochure nous employons les termes « homme » et « femme » : on entend par là des personnes socialisées comme des hommes ou des femmes, et placées dès la naissance dans des classes de sexe que la société distingue et hiérarchise : la classe qui domine dans nos sociétés patriarcales, celle des hommes, ou la classe qui est dominée, celle des femmes. Il ne s’agit pas de considérer que ces catégories vont "naturellement" de soi, qu’elles sont figées ou qu’elles conviennent à tou.tes. Certaines personnes ne naissent ni homme, ni femme (on les appelle les intersexes). D’autres, ne se reconnaissent pas dans le genre qu’on leur assigne à la naissance. Certain.e.s décident de s’affranchir de ce genre et de l’identité censée lui correspondre. D’autres, né.e.s avec les caractéristiques de l’un des deux sexes, font le choix de transformer leur corps.

Qui sommes nous ?

Notre petite équipe est mixte. Nous sommes conscient.e.s que des hommes ne sont pas les plus légitimes pour parler des mécanismes d’oppression et de domination masculines. Premièrement parce qu’ils ne vivent pas au quotidien toutes ces pressions et ces violences. Et deuxièmement parce que les opprimé.e.s ont une meilleure compréhension des ressorts de leur oppression. Il ne s’agit donc pas, pour les hommes de notre groupe, de parler à la place des premières concernées. Mais il nous semble pertinent que des garçons prennent aussi la parole sur ce sujet, ce mouvement s’adressant avant tout aux hommes… même si de nombreuses femmes - y compris certaines identifiées comme « féministes » - peuvent être sensibles à ces discours, voire les relayer.

En espérant que cette modeste contribution vous sera utile pour aiguiser votre esprit critique et contre-attaquer les discours masculinistes que vous ne manquerez pas d’entendre.

Vigilance donc, et bonne lecture ! Et n’hésitez pas à nous faire des retours en nous écrivant par mail à stop.masculinisme@ @ @gmail.com

PREMIERE PARTIE : LE MASCULINISME QU’EST-CE QUE C’EST ?

« Masculinisme » ? Dans les dictionnaires, on ne trouve nulle part trace de ce terme et il est difficile de tomber sur une définition qui fasse consensus. Prenons les choses dans l’ordre : « masculinisme », ça sonne comme « féminisme »... Y aurait-il un lien ?

On serait en effet tenté.e de se demander s’il s’agit du pendant masculin du féminisme, ou de son contraire ? Autrement dit, les masculinistes sont-ils des hommes « antisexistes » ou « pro-féministes » qui veulent lutter au côté des femmes pour leur émancipation et contre les inégalités liées au sexe ? Ou, au contraire, les masculinistes sont-ils des hommes qui ne supportent pas cette revendication de l’égalité et n’acceptent pas de perdre leurs privilèges ?

Si nous posons ici la question c’est simplement parce que ce terme a été employé pour décrire des réalités fort différentes. Tantôt utilisé comme un équivalent du (pro)féminisme, tantôt comme un synonyme d’antiféminisme. Puisque le flou semble persister, nous souhaitons clarifier les choses. Il n’est en effet pas possible d’utiliser le même mot pour décrire une chose et son contraire, à moins d’être soi-même partisan de la confusion.

Le masculinisme : petite mise au point

Exercice de définition

Au début des années 1990, Michèle Le Doeuff a, semble t-il pour la première fois, donné une définition de ce terme. Elle explique qu’elle a forgé le terme « masculinisme » pour « nommer ce particularisme, qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation (il n’y a qu’eux qui comptent et leur point de vue) » [3]

Seuls les hommes et leur point de vue comptent. Voilà qui décrit assez bien l’approche masculiniste. Mais pour aller un peu plus loin dans cette direction, on peut dire que le masculinisme est l’une des expressions de la misogynie et de l’antiféministe. Et cette idéologie diffuse a accouché d’un mouvement social ; un mouvement organisé d’hommes, parfois violents, hostiles à l’émancipation des femmes et souhaitant conserver leurs privilèges et leur position de pouvoir au sein de la société.

La signification du terme « masculinisme », compris comme une forme d’anti-féminisme, a fini par s’imposer. Aujourd’hui, il est majoritairement utilisé en référence à des discours visant à défendre les intérêts des hommes et à les présenter comme les victimes des féministes qui seraient « allées trop loin » et des femmes en général (mères castratrices, épouses abusives...). Avec Martin Dufresne, membre du collectif québécois masculin contre le sexisme, on considère qu’il est possible de regrouper aujourd’hui sous le terme masculiniste, « tous les discours revendicateurs formulés par les hommes en tant qu’hommes » [4]

Le masculinisme : une idéologie réactionnaire

Cette idéologie antiféministe ne progresse pas de manière isolée. Elle est dans l’air du temps réactionnaire. Elle s’inscrit dans le cadre de ce mouvement général de la pensée qui nie les rapports de domination et conteste aux opprimé.e.s le droit légitime à combattre l’oppression et à revendiquer l’égalité.

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 Ce qu’on peut entendre :
Pourquoi réclamer encore l’égalité, puisqu’elle est « déjà-là » ? Inscrite dans les textes de lois. Les femmes votent, travaillent...il faut en finir avec « la guerre des sexes » !
Pourquoi faudrait-il s’excuser pour la colonisation ? C’est du passé ! Et puis on ne va pas repentir pour quelque chose que l’on n’a pas fait !
Pourquoi dénoncer le racisme, puisque tout le monde à les mêmes droits et que l’antiracisme est devenu « religion d’État » ?
Pourquoi continuer à faire des gay pride ? L’homosexualité n’est plus taboue, tous les gays s’affichent dans les rues, aujourd’hui !

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Voilà ce qu’on entend pratiquement partout [5]. Depuis de (trop) nombreuses années, on constate en effet une montée de l’humeur dite « anti-politiquement correcte ». Non seulement les dominant.e.s se plaignent de ne pouvoir rien dire d’insultant et de stigmatisant à l’encontre des dominé.e.s, mais en plus, ils n’ont pas de difficultés à se faire passer pour des opprimé.e.s, des victimes : du « racisme anti-blanc », du « sexisme anti-mec », de « la tyrannie des grosses », ou encore du « mal-être des riches », etc.

Si le masculinisme est bien dans l’air du temps, on peut également dire que l’idéologie masculiniste est aussi vieille que le patriarcat. On remarque en effet qu’à chaque fois que les rapports entre les sexes ont été bousculés parce que les femmes se sont mobilisées pour revendiquer des droits et l’égalité, les discours et les réflexes masculinistes ont surgi. Ce fut le cas, par exemple, dans la France de l’époque révolutionnaire (1789-1799). Bien que les femmes aient participé au processus révolutionnaire et malgré quelques avancées obtenues à ces premières heures, elle furent exclues de la vie politique. Les républicains, mâles, s’inquiétaient de la « masculinisation » des femmes patriotes qui risquait de menacer la Nation dont la famille devait constituer le socle. Ils leur ont donc refusé le droit de voter et d’être élues, ainsi que celui de porter des armes et de se regrouper [6].

Ainsi, cet exemple illustre un phénomène bien connu : à chaque fois que les dominé.e.s se lèvent pour briser leurs chaînes, à chaque fois que l’ordre social et ses hiérarchies vacillent, les dominant.e.s leur opposent une résistance ; mettant au point des discours et des stratégies de défense et, parfois, contre-attaquant avec violence. C’est bien ce qui s’est passé après la dernière vague du féminisme dans les années 1970. On a alors connu, à partir des années 1980-1990, une contre-offensive idéologique et un retour en arrière, un ressac - ce que les féministes anglo-saxonnes nomment le « backlash » [7]

Le masculinisme : un mouvement social réactionnaire

Le masculinisme n’est pas seulement un ensemble de discours qui constitue une idéologie dangereuse. Il désigne également un mouvement social réactionnaire. Le terme « masculinistes » sert à désigner des antiféministes militants. Mais attention, les masculinistes ne sont pas tous d’ignobles types qui vitupèrent contre les femmes les traitant de « féminazies », d’incorrigibles machos et autres caricatures du masculin viril et décomplexé. La mouvance masculiniste est plurielle. Elle est certes composée de machos revendiquant leur « statut » d’homme (en d’autres termes leur supériorité sur les femmes), mais aussi de groupes organisés de pères divorcés, d’ex-conjoints amers, ou encore d’hommes se plaignant de subir les effets d’une « crise de la masculinité ».

En tant que tel, le mouvement masculiniste tire ses origines des combats menés par des groupes d’hommes divorcés contre le versement des pensions alimentaires.
Aux Etats-Unis, dans les années 1950, et malgré une propagande massive vantant les bienfaits du bonheur conforme de la vie familiale (institution un temps déstabilisée par l’envoi des hommes au front), le nombre des divorces augmente. Se sentant lésés, des hommes divorcés décident de s’organiser en groupes de pression pour défendre leurs intérêts, notamment sur le plan financier, tels des militants d’une forme de « syndicalisme patriarcal » [8]. Ils contestent le principe de la pension alimentaire, qu’ils refusent de payer. Ainsi la question du divorce et de ses enjeux sont, dès l’origine, au cœur des combats masculinistes.

Plus tard, dans les années 1970-1980, les thématiques des masculinistes se diversifient et leur rhétorique évolue. Il n’est plus seulement question d’argent dans les cas de divorce, mais de la souffrance des hommes qui traverseraient une « crise » profonde d’identité et auraient perdu leurs repères. En réalité les hommes viennent d’être bousculés par le mouvement féministe. En effet, dans les pays occidentaux, les luttes féministes des années 1970 ont abouti à des résultats concrets sur le plan de l’éducation et du travail, mais également des mœurs et de la contraception. Les féministes sont parvenues à politiser la vie privée et à mettre en lumière le fait que le personnel est politique. Dans la sphère publique comme dans la sphère privée, les rôles traditionnels des hommes et des femmes sont de plus en plus rejetés.

Dans la « classe » des hommes, certains réagissent plus mal que d’autres. L’émancipation des femmes leur est insupportable. La perte de leur statut social, de leurs privilèges, et du contrôle sur « leurs » femmes, leur est tout bonnement inacceptable. Ils vont donc adopter une grille de lecture masculiniste. Il est alors question, dans les discours, de femmes qui détruisent « leurs » hommes par égoïsme, obsédées par leur carrière, ne songeant qu’à leur plaisir, leur liberté s’exerçant au détriment des hommes et de la vie de famille. Pour ces hommes, il est urgent de se reprendre en main. Ils se présentent comme des victimes des femmes, du féminisme ou encore du « matriarcat », système social imaginaire dans lequel les femmes surpuissantes exerceraient un pouvoir sans partage, notamment sur les enfants. Mais ils ne veulent pas en rester là. Ils veulent reconquérir leur pouvoir et même acquérir de nouveaux privilèges, notamment en cherchant à contrôler l’éducation de leurs enfants. Pour cela tous les moyens sont bons. Certains n’hésitent pas à reprendre à leur compte les analyses féministes, en inversant le sens du rapport de domination et en réclamant, sans vergogne, l’égalité... pour les hommes aussi.

Le masculinisme aujourd’hui en France

En France, on entend encore peu parler du « masculinisme » que ce soit en tant qu’idéologie ou mouvement réactionnaire, et les études sur le sujet sont rares. Le terme n’étant pas très utilisé, et comme pratiquement personne ne se réclame du masculinisme, le phénomène reste largement méconnu.

Pourtant, dans les faits, les masculinistes font de plus en plus parler d’eux, de leurs théories et de leurs revendications. Depuis plus de vingt ans, avec le reflux de la vague féministe, des groupes d’hommes se constituent, notamment pour défendre les droits des pères séparés et pour dénoncer le « sexisme à l’envers » et les discriminations qu’ils subiraient. Leurs idées percent d’autant plus facilement qu’elles s’inscrivent dans un contexte de crise économique et de recul des mouvements sociaux progressistes. Le fait que les femmes travaillent et qu’elles gagnent les moyens de leur autonomie (même si les inégalités salariales persistent et que la précarité les touchent davantage) les rendraient responsables du « malaise » des hommes qui se plaignent de la « féminisation » de la société. Le discours de victimisation des hommes se diffuse pendant que le lobbying des groupes masculinistes marche à plein régime. Les médias relaient en effet sans discontinuer les discours sur la prétendue crise de la masculinité, les droits soi-disant bafoués des pères ou les hommes victimes de violence dans le couple.

Aujourd’hui, le polémiste Eric Zemmour tout comme l’essayiste Alain Soral, par exemple, bénéficient de nombreuses tribunes pour propager leurs thèses masculinistes. Les rayons « psychologie » et « sexologie » des librairies et des bibliothèques regorgent de livres à tendance masculiniste. A la télévision, des émissions sur des thèmes « sociétaux », des films et des séries véhiculent un imaginaire masculiniste. C’est notamment le cas du film documentaire « Des hommes en vrai », diffusé sur France 2 en 2009 et qui a connu un vrai succès. Des masculinistes, dont l’association SOS Papa, s’invitent dans le débat sur la garde alternée des enfants. D’autres sont invités à s’exprimer à l’occasion d’événements institutionnels sur le thème de l’égalité homme-femme. C’est le cas des membres du « Groupe d’étude sur les sexismeS » (GES) invité à la « Quinzaine de l’égalité Rhône-Alpes » à la Roche-sur-Foron en octobre 2011.

Des événements à prétention scientifique sont également l’occasion de propager des thèses masculinistes en leur offrant la caution de la science. On peut citer l’exemple du « colloque » au titre évocateur : « Couples : hommes victimes, femmes violentes, c’est fini ! », organisé par l’association SOS hommes battus en octobre 2011.

Qui sont les masculinistes ?

Masculinistes, hoministes, même combat ?

On l’a dit : pratiquement personne ne se réclame du masculinisme. Comme il est rare de voir des gens assumer ouvertement le fait d’être raciste – ce qui explique l’usage du fameux « je ne suis pas raciste mais » – il est rare de voir des masculinistes assumer fièrement cette étiquette qui est, on l’a vu, un synonyme d’anti-féminisme. Rejetant le terme « masculiniste », certains se définissent comme « hoministes ». Là encore, il n’existe pas de définition de ce terme. Bien que des hoministes dénoncent l’homophobie, récusent certaines valeurs attachées au genre masculin (comme l’agressivité, la compétition ou le culte de la virilité), et même prônent l’égalité entre les sexes (c’est ce qu’on peut lire dans le « Manifeste hoministe »), ils continuent pour autant de prêcher la cause des hommes et des pères dans un contexte de domination masculine. L’important est ici de souligner que ce néologisme a été conçu pour brouiller les pistes. Cette pirouette lexicale est une manière habile pour des masculinistes de se présenter sous un meilleur jour tout en défendant des thèses moins ouvertement misogynes et antiféministes... mais si l’emballage diffère, le contenu est globalement identique. L’hominisme constitue donc une version édulcorée du masculinisme qui permet aux plus virulents, tels Yvon Dallaire [9], de s’abriter derrière des positions pseudos-égalitaristes.

Comment s’y retrouver dans la nébuleuse masculiniste ?

La nébuleuse masculiniste se compose d’une multitude de groupes d’hommes qui s’expriment en tant qu’hommes et au nom des hommes : groupes de pression masculins, associations de défense des pères, groupes de parole, sectes new age [10] de « thérapie masculine », stages de développement personnel, etc. Bien sûr, tout ces groupes n’ont pas les mêmes objectifs, ni les mêmes pratiques et stratégies. Comme on l’a vu, tous les masculinistes ne partagent pas non plus les mêmes analyses, les mêmes valeurs ni les mêmes visions du monde. Il ne prônent pas tous le retour des femmes au foyer et l’affirmation de la masculinité virile, par exemple.Toutefois, leurs actions visent toujours à relativiser voire à nier la domination masculine. Ils partagent de nombreux points communs. Pour eux, les hommes et les femmes sont « par nature » différents et complémentaires ; hommes et femmes ont des intérêts contradictoires, et les hommes doivent défendre en priorité leurs intérêts ; les hommes seraient enfin des victimes des femmes et/ou des féministes.

On peut regrouper en deux grandes catégories les groupes masculinistes :

1. Les associations de défense des « droits des pères », ou la « branche paternelle » du mouvement :

Usant et abusant de slogans consensuels tels que : « pour l’égalité parentale » ou le « droit des enfants à voir ses deux parents », des groupes de pression masculinistes cherchent à mettre à mal les droits des femmes sous prétexte de défense de la paternité. Dès les années 1980, des associations (« SOS Papa » en France ou « Fathers 4 Justice » dans les pays anglo-saxons) se sont en effet créées pour défendre les intérêts des pères dans lessituations conflictuelles de divorce ou de séparation. Hélène Palma en recensait plus d’une vingtaine, rien qu’en France (« SOS divorce », « Mouvement de la condition paternelle », « Les Papas = Les Mamans », etc.) [11].

Leurs actions visent, au niveau individuel, à fournir concrètement un soutien juridique aux hommes qui cherchent à obtenir la garde de leurs enfants ou qui contestent le versement (ou le montant) d’une pension alimentaire. Sur le plan politique et institutionnel, leur démarche consiste principalement à mener des actions de lobbying auprès des législateurs et législatrices dans le but de faire promulguer des lois favorables aux pères. En France, ces associations luttent depuis plusieurs années pour imposer le modèle de la garde alternée. Elles ne sont d’ailleurs pas étrangères à la loi de 2002 sur la garde alternée, et font pression pour faire adopter une nouvelle loi, proposée en 2009 et en 2011 par les députés UMP Richard Maillé et Jean-Pierre Decool, visant à la rendre systématique.

Présentes et très actives sur internet, à travers divers sites, blogs, forums, et réseaux sociaux, ces associations ont développé des stratégies de communication efficaces et bénéficient d’une forte visibilité dans les médias. En Amérique du Nord, en Australie et en Angleterre, contrairement à la France où les défenseurs de la « cause des pères » ne se sont pas encore trop faits remarquer sur ce terrain, les activistes masculinistes sont adeptes des actions spectaculaires et des coups d’éclat médiatiques. Le groupe le plus connu et le plus virulent est certainement « Fathers 4 Justice ». Ses membres n’hésitent pas à harceler et terroriser leurs ex-compagnes. Ils dénoncent les injustices et les discriminations dont les pères seraient victimes. Ils pourfendent la justice qui serait au main des « lobbys féministes ». Déguisés en super-héros, ils se perchent en haut d’édifices publics pour faire parler d’eux. En Grande-Bretagne, ils aspergent les parlementaires de poudre violette (couleur des suffragettes... et de leur mouvement) et manifestent bruyamment dans les rues au cours de parades viriles. Mais c’est aux Etats-Unis et au Canada que les activistes de la cause des pères sont les plus offensifs, adressant par exemple des menaces aux magistrat.e.s comme aux élu.e.s si leurs revendications ne sont pas entendues [12].

2. Les groupes de parole et de soutien psychologique

Les groupes de parole masculins sont souvent rattachés à des associations aux objectifs plus généraux que les groupes de défense des droits des pères. Parfois inspirés des expériences de non-mixité masculine réalisées dans le sillage des luttes féministes, et reprenant à leur compte le principe des « groupes de conscience » féministes, ces groupes d’hommes prétendent parler d’eux et entre eux pour « mieux vivre leur condition d’hommes ».

Ces groupes d’hommes qui se centrent sur la « condition » et « l’identité » masculine, disent vouloir développer l’écoute, libérer la parole intime, exprimer des émotions... entre hommes. Séduisante en apparence, leur démarche – qu’ils prétendent « a-politique » – est pourtant critiquable. Composés majoritairement d’hommes hétérosexuels, quadra ou quinquagénaires, parfois divorcés, en réalité ces groupes se préoccupent en priorité des difficultés que les hommes rencontrent dans leurs rapports aux femmes (mères, ex-épouses, compagnes...). Dans ces groupes, les discussions tournent vite autour du malaise de ces hommes qui se lamentent sur leur vie et leur statut de victimes. Leur objectif est de trouver du confort psychologique et sa fierté perdue d’être un homme. Pas question ici d’essayer de comprendre les mécanismes de la domination masculine, ni de remettre en cause ses privilèges masculins. Ceux qui souffrent, les victimes, ce sont eux, les hommes.

Ceux qui doivent s’émanciper, se libérer (de l’emprise des femmes), ce sont eux, les hommes. Dans cette nébuleuse de « groupes de parole » masculins, on trouve la « mouvance Guy Corneau ». S’inspirant de la pensée du psychanalyste québécois Guy Corneau, le Réseau Hommes – dont des ramifications existent aujourd’hui en France, en Belgique et en Suisse – est crée en 1992 et promeut le principe des groupes d’hommes. Des hommes constituent des groupes d’une dizaine de personnes et organisent des réunions régulières, dans le but « de permettre à des hommes de parler sans être jugés ». Si le fait de vouloir partager son « vécu », son « senti », le tout en « toute discrétion », est en soi quelque chose de louable, le Réseau Hommes fonctionne comme un organe de renforcement des hommes [13]. Le but du Réseau Hommes Québec est bien « d’accroître l’estime et le rayonnement de leur personne par un mode de vie authentique et responsable ». En se focalisant sur leurs vécus et leurs souffrances personnelles, ces hommes s’empêchent de voir les souffrances des femmes et de reconnaître leur responsabilité dans ces souffrances. Et ils rejettent toute analyse politique des rapports de pouvoir exercés par la classe des hommes.

Le pôle plus mystique de cette nébuleuse est occupé par les « Nouveaux guerriers ». Si l’appellation peut faire frémir, il ne faut pas imaginer que l’on a affaire à des soldats du machisme le plus caricatural. Il s’agit plutôt d’un mouvement issu du new age et dont les adeptes s’inspirent directement des méthodes de développement personnel et de la philosophie de leur leader, le poète Robert Bly, inventeur du concept de « mythopoétique ». Leur idée de départ, séduisante au demeurant, est de devenir des « guerriers de l’intérieur » en lutte pour « éradiquer l’homme machiste transmis par leurs pères » [14]. Au début des années 1980, quelques hommes se prétendant féministes se lancent dans une aventure qui prendra le nom de : « l’Aventure initiatique du nouveau guerrier ». Et ces Nouveaux guerriers souhaitent partager leurs expériences. Ils organisent des week-end initiatiques et pratiquent des rituels ésotériques au sujet desquels le secret est scrupuleusement gardé. À la fin des années 1990, afin d’abandonner un nom trop stéréotypé, ils créent le Man Kind Project (MKP) ou « Projet humanité », une organisation aujourd’hui implantée dans de nombreux pays, dont la France. Dès l’origine de leur « aventure », la question centrale est la (re)découverte de la véritable essence de la masculinité. Dans leur vision mysthique et essentialiste, le « masculin » ne peut qu’être transmis par les hommes, comme le dit Robert Bly : « Nos pères n’ont pas pu nous donner ce dont nous avions besoin, nous avons été élevés par des femmes auprès de qui nous ne pouvions apprendre la masculinité ; nous devons donc nous l’enseigner les uns les autres ». Si les Nouveaux guerriers disent respecter le « féminin » et les femmes dont ils estiment être complémentaires, ils se plaignent du pouvoir qu’elles détiendraient depuis toujours. Notamment le « pouvoir maternel », cette emprise qu’elles auraient sur les enfants, au détriment des hommes.

Les maîtres à penser du masculinisme :

Le mouvement masculiniste, comme tout mouvement, possède ses penseurs et ses chefs de file plus ou moins influents. On trouve dans cette catégorie autant des auteurs et « penseurs » médiatiques que des universitaires (psychologues, sociologues, historiens,etc.), des thérapeutes ou des présidents d’associations militantes.

On peut en citer quelque-uns (en France et au Quebec), parmi les plus connus et les plus prolixes :

 Yvon Dallaire, psychologue et sexologue québécois, est l’auteur de nombreux ouvrages masculinistes. Il possède sa propre maison d’édition, « Option Santé », et dirige le site web « coupleheureux.com ». Il intervient par ailleurs dans les médias et donne des conférences un peu partout dans le monde. Il a également présidé trois congrès francophones internationaux intitulés « Paroles d’hommes », dont les différentes éditions (en 2003, 2005 et 2008) ont réuni des centaines de personnes. Il promeut librement des idées antiféministes, défendant la fierté d’être un homme et condamnant les violences féminines. Les titres de deux de ses livres en disent long : « Fier d’être un homme », « Violence contre les hommes ».

 Patrick Guillot est président du « Groupe d’Etude sur les SexismeS » (GES), et anime le site internet « lacausedeshommes.com ». Il est l’auteur de plusieurs livres pour défendre la cause des hommes et pourfendre la « misandrie », qu’il qualifie d’aversion ou de haine des hommes.

 Guy Corneau est un psychanalyste québecois, auteur entre autres du livre « Père manquant, fils manqué », créateur et maître à penser du Réseau Hommes. Ses écrits sont très fréquemment cités comme des modèles à suivre par les hommes qui fréquentent le Réseau Hommes et ses ouvrages ayant attrait au développement personnel (qui ne concernent pas que les rapports hommes – femmes) rencontrent un succès considérable. Il anime des conférences à travers le monde entier.

 Eric Verdier, psychologue français, chercheur à la Ligue française de la santé mentale et président de l’association « Les Papas = Les Mamans », est un lobbyiste de la cause des pères et intervient régulièrement auprès des institutions pour, pèle-mêle, dénoncer l’homophobie et promouvoir les « droits des pères ». N’hésitant pas à plaindre les hommes qui seraient victimes de violences et de discriminations, il a rédigé un « Manifeste citoyen pour les garçons, les hommes et les pères », et a également participé au film « Des hommes en vrai » (2009).

 Serge Ferrand, journaliste et réalisateur québécois, il est l’auteur de la bande dessinée misogyne « Les vaginocrates » (AMCO éditions) et des films qui ne le sont pas moins « Entre père et fils » (2002) et « La machine à broyer les hommes » (2004). Il apparaît régulièrement dans les médias québécois pour répandre ses discours antiféministes.

 Daniel Welzer-Lang est un sociologue français spécialiste des études sur les hommes et le masculin. Se présentant comme pro-féministe et reprenant à son compte des analyses féministes radicales, il s’est petit à petit éloigné de ces analyses, tenant des propos et soutenant des thèses de plus en plus ambigües. Sa trajectoire intellectuelle et politique - du proféminisme au masculinisme - est exemplaire des dangers que représente l’intérêt pour la question du « masculin » et des souffrances des hommes, lorsqu’elle est traitée par des hommes qui s’affranchissent des théories féministes. Le contenu de son dernier ouvrage sur le « crise » de la masculinité illustre bien ses positions masculinistes (« Nous, les mecs. Essai sur le trouble actuel des hommes », Payot, 2009).

Les masculinistes défendent à leur manière un projet de société réactionnaire et hostile aux femmes. Ils entendent bien garder leurs privilèges masculins mais n’ont souvent pas l’honnêteté de le reconnaître. Ils utilisent des pirouettes rhétoriques, inventent des concepts farfelus dans le but d’inverser les rôles, faisant passer les hommes pour les victimes d’une société « matriarcale », dont les rênes seraient tenus d’une main de fer par les féministes. Mais loin de concerner seulement une minorité d’illuminés, de machos fanatiques et d’hommes revanchards, ces idées dangereuses, auxquelles les médias offrent un large écho et dont l’audience ne cesse de croître, gagnent également des femmes et certains milieux féministes et antisexistes. Et le thème des « droits des pères » est certainement l’accroche idéale pour convertir le plus grand nombre à la sensibilité masculiniste.

DEUXIEME PARTIE : QUE CACHE LA « CAUSE » DES PERES ?

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 Ce qu’on peut entendre :
« Les juges et les lois, ça m’fait pas peur
C’est mon fils ma bataille, Fallait pas qu’elle s’en aille
Oh Oh Oh
Je vais tout casser, si vous touchez
Au fruit de mes entrailles, Fallait pas qu’elle s’en aille »
Daniel Balavoine, Mon fils, ma bataille, 1980.

« C’est une tragédie,
Une nouvelle marche en arrière
Leur partielle, meurtrière justice,
A posé son gros cul sur le droit des pères. »
Cali, Le droit des pères.

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C’est sans nul doute le sujet favori des masculinistes, et certainement le plus populaire, celui qui rend leur combat sympathique dans « l’opinion publique » : la défense des « droits des pères ». A en croire les militants de la cause des pères, ces derniers veulent tous vivre pleinement leur paternité. Les hommes ne demanderaient qu’à exercer leur rôle parental. Mais la justice leur arracherait leurs enfants pendant que leur « ex » les traineraient dans la boue et en justice.

Dénoncer l’injustice, crier sa colère et susciter la compassion : voilà le cocktail masculiniste autour de la question des droits des pères. Et ce cocktail pourrait bien nous exploser au nez, si on avait la mauvaise idée de ne pas creuser plus loin. Il est évident qu’il faut être vigilant.e à toute éventuelle injustice et que tout parent, père ou mère, devrait pouvoir maintenir le lien qu’il souhaite avec son enfant. Méfiance donc concernant certaines décisions de justice qui ont tendance à perpétuer les clichés sexistes en considérant un peu trop systématiquement les mères comme personnes prioritaires dans le lien parent-enfant. Une des constantes du sexisme reste en effet l’assignation des femmes au rôle de mère et le désinvestissement des hommes des fonctions parentales.

Il est donc parfaitement légitime que les pères souhaitent s’investir dans l’éducation de leurs enfants et contribuer aux tâches parentales. Dans ce domaine, les hommes ont d’ailleurs beaucoup de retard à rattraper. Ils ont encore beaucoup d’efforts à fournir avant de pouvoir prétendre en faire autant que les femmes. On ne peut donc que les encourager dans ce sens là.

Cependant, les masculinistes ne cherchent ni à lutter contre le sexisme ni à atteindre l’égalité dans ce domaine, contrairement à ce qu’ils ne cessent de dire. Ils cherchent plutôt à défendre leurs intérêts d’hommes en se victimisant, et à conserver du pouvoir sur leur (ex)femme. Comme à l’accoutumée, les masculinistes se présentent comme des victimes. Victimes des femmes, des féministes, des mères et du système judiciaire, hostiles aux hommes et unies pour leur « confisquer leurs enfants ». Derrière l’aspect noble de la cause des pères, il n’est pas difficile de trouver d’autres intentions, beaucoup moins louables.

Organisés en groupes de soutien (juridique et psychologique) et en groupes de pression, des hommes, des pères, militent contre ce qu’ils considèrent être une forme de discrimination systématique. En France, SOS-Papas est l’association la plus connue. Mais, on l’a dit, il existe plus d’une vingtaine d’associations de défense des pères. Moins adeptes des coups d’éclats médiatiques que les activistes de Fathers for justice, ces associations offrent une aide concrète aux pères divorcés (aide juridique, conseils, etc.) et font pression sur les tribunaux pour influer sur les décisions des juges dans les affaires de divorce. Un autre champ d’action consiste à faire un lobbying intensif auprès des élu.e.s et des député.e.s. SOS-papas a par exemple joué un rôle de lobbying important pour l’instauration de la loi sur la résidence alternée de 2002. Et cet activisme paye, puisqu’après avoir fait une proposition pour « rendre la résidence alternée obligatoire dès la naissance et dès que n’importe quel père l’exige », des députés de la frange dure de l’UMP déposaient en 2009 puis en 2011 une proposition de loi qui a fait grand bruit.

Les demandes de garde alternée encore minoritaires

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 Ce qu’on peut entendre :
« Nous sommes des milliers de pères
Le nez dans la poussière
Les milliers qu’ils ont jetés
Dans ce cachot, ce piège à rat, cette misère
Des milliers à pleurer
Madame la justice, enlevez vos œillères
Des milliers à mendier
Notre droit des pères »
Cali, Le droit des pères.

« Dans la grande majorité des cas de divorce, l’enfant est confié à la mère. Les pères se font confisquer leurs enfants, on leur refuse le droit de garde et d’exercer pleinement leur rôle de père. »
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À la suite d’un divorce ou d’une séparation, la garde des enfants est encore aujourd’hui en France majoritairement confiée à la mère. C’est vrai. Mais les défenseurs des droits des pères sous-entendent que cela poserait problème. Pour eux, les hommes seraient systématiquement lésés.

Il arrive en effet que des hommes n’obtiennent pas la garde de leurs enfants alors qu’ils la réclament. Mais rappelons que, si la résidence principale des enfants est fixée la plupart du temps chez la mère (à 79% dans le cadre d’un divorce et à 84% lors d’une séparation), c’est à la demande des deux parents. Ce qui signifie que, dans la grande majorité des cas, les deux parents se sont déjà mis d’accord sur le lieu de résidence de l’enfant, avant la procédure de divorce ou la séparation. Et les deux parents choisissent encore la plupart du temps que l’enfant aille chez sa mère.

Il n’y a donc pas tellement d’enfants « arrachés à leur père », contrairement à ce que laissent croire les défenseurs « des droits des pères ». Les pères qui demandent que l’enfant réside avec eux au quotidien, ou même la moitié du temps, ne sont pas aussi nombreux que les masculinistes l’affirment : la grande majorité des pères s’arrange très facilement avec le fait que la mère ait la garde principale de l’enfant. Bien souvent, ils ne sont pas prêts à chambouler toute l’organisation de leur vie pour accueillir à plein temps ou à mi-temps leurs enfants. Il faut donc en finir avec ce mythe des pères systématiquement « lésés », contraints qu’ils seraient de renoncer à leur souhait d’obtenir la garde principale ou la garde alternée.

Garde alternée et « co-parentalité » : le modèle idéal ? :

Pour la frange « droit des pères » des masculinistes, la garde alternée est forcément le modèle idéal. Aussi, tentent-ils de l’imposer de manière systématique dans les procédures de divorce ou de séparation. Alors que la loi de 2002 a contribué à faciliter le recours à la garde alternée [15], les défenseurs de la cause des pères veulent aller plus loin. Ils militent à présent pour que la garde alternée deviennent la règle et non plus l’exception. Ils réclament une loi établissant la garde alternée « par défaut », obligeant les parents souhaitant déroger à cette règle à justifier leur position.

Quels arguments les partisans de la garde alternée avancent-ils le plus souvent ? Premièrement, l’intérêt de l’enfant : ce modèle serait idéal, d’une part, pour les enfants qui ont « le droit de voir leurs deux parents » et qui ont « autant besoin d’un père que d’une mère ». Deuxièmement, le souci d’équité : ce modèle serait idéal surtout pour les pères qui obtiendraient la reconnaissance de leurs droits et arracheraient aux femmes l’égalité dans le domaine parental. Face à ces arguments, on a toutes les raisons d’être sceptique.

Les enfants d’abord, disent-ils :

Il ne s’agit pas de dire que la majorité des pères ne se préoccupent jamais du bien être de leurs enfants. Il s’agit plutôt ici de signaler que les masculinistes n’hésitent pas à mettre l’argument de « l’intérêt supérieur de l’enfant » au service de leurs intérêts à eux.

Pour attester du bien-fondé de leur démarche, ils vont convoquer toutes les théories disponibles dans la littérature grand public et « scientifique » sur la fonction du père et l’importance du lien père-fils (et, moins souvent, père-fille). Que nous disent ces théories ? Qu’il ne faut surtout pas distendre et encore moins rompre le lien avec le père. C’est l’équilibre psychique et affectif de l’enfant qui en dépendrait, tout comme la construction de sa personnalité. Sans père, il n’aurait pas les repères nécessaires, ce qui expliquerait que les garçons qui grandissent sans père ont toutes les chances de finir délinquants.

Ces spéculations s’appuient sur de vagues notions de psychanalyse, franchement contestables. Les enfants n’ont pas besoin, par nature, d’un père et d’une mère biologiques. Par contre, ils ont besoin d’amour et d’attention, de la part notamment d’adultes bienveillant.e.s. Mais la sacralisation de la figure du père qui repose sur une vision figée et « naturelle » de l’ordre des sexes - un père c’est censé être comme ça et servir à ça - est fort utile pour les masculinistes. Elle donne aux hommes une importance, leur attribue un rôle de choix. Les masculinistes sont avant tout intéressés à valoriser les hommes. Ici, ce qui compte c’est la valorisation sociale de la figure du père. Que, dans les faits, les hommes soient aujourd’hui encore souvent absents ou démissionnaires dans la parentalité, qu’ils n’hésitent pas à se décharger de leurs responsabilités éducatives sur les femmes... les masculinistes s’en fichent. Par contre, ils n’hésiteront pas à imputer aux mères isolées la responsabilité des échecs, des souffrances et des déviances sociales des enfants. Ce ne sont donc pas les enfants d’abord, mais plutôt : le père d’abord !

L’égalité pour tou.te.s ! :

C’est au nom de l’égalité que les masculinistes réclament l’application du principe juridique de la « co-parentalité ». Partant du principe que les hommes sont « maltraités » dans le domaine de la parentalité, les militants de la cause des pères disent vouloir en finir avec cette injustice. En réalité, ils convoquent ce principe de « co-parentalié » afin de mettre les pères en situation avantageuse pour négocier avec leur « ex » les conditions de « l’après-rupture ». Certes, les pères ont des droits. Mais si la « co-parentalité » implique des droits, elle implique également des devoirs. Dans une perspective d’égalité, ce principe de co-parentalité est, en théorie, idéal. Or, aujourd’hui, l’égalité dans les relations hommes-femmes n’est pas une réalité sociale, à commencer par le partage des tâches parentales. On peut donc difficilement appliquer à une réalité donnée un principe qui lui est étranger, aussi juste soit-il. Puisque la réalité est insupportable,changeons-la ! Mais certainement pas en commençant par accorder plus de droits aux hommes avant qu’ils aient fait la preuve que des changements effectifs étaient à l’oeuvre. En d’autres termes, que les pères n’attendent pas qu’on leur ouvre des droits sans qu’il s’acquittent de leurs obligations. C’est pourtant ce qu’essayent de faire les masculinistes, pour qui le mot « égalité » signifie avant tout que les intérêts des hommes sont prépondérants sur le bien-être de leur entourage.

Derrière la bataille pour la garde alternée : l’argent

La plupart des litiges portent sur la pension alimentaire

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les pères sont astreints à payer des sommes astronomiques en pensions alimentaires. Ce qui est injuste et scandaleux ! »
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Verser de l’argent à la mère quand elle hérite de la garde de l’enfant : voilà une question qui fâche. Les défenseurs de la cause des pères y voient un moyen pour les femmes de « saigner » financièrement les hommes.

Rappelons que les deux parentsont tou.te.s deux une « obligation d’entretien » (en nature ou en argent) de leurs enfants. D’après la loi, le versement d’une pension alimentaire dépend du mode de résidence des enfants et des ressources des parents. Elle est généralement versée au parent chez lequel est fixée la résidence habituelle de l’enfant puisque c’est lui qui prend en charge les frais liés à l’entretien et à l’éducation des enfants. La pension alimentaire se conçoit donc comme une contribution du parent qui n’exerce qu’un droit de visite et d’hébergement. Le calcul du montant de la pension alimentaire se base sur ses revenus. Il ne s’agit bien souvent que de maigres compensations dues à la mère. Si le montant de la pension est « astronomique », c’est que les revenus de ce parent sont eux aussi certainement « astronomiques ». Où est donc l’injustice ?

Quand on épluche les compte-rendus de divorces, on constate que les conflits ont principalement deux causes.
Les désaccords entre les parents portent :

• sur le lieu de résidence des enfants, et par conséquent, sur le principe du versement d’une pension.

• seulement sur le montant de la pension.

En réalité, les situations litigieuses sont très minoritaires dans les cas de séparation. Et quand il y a litige, contrairement à ce qu’expriment les défenseurs des droits des pères, il ne tourne pas autour du « droit de l’enfant de voir ses deux parents ». Ne soyons pas dupes des stratégies des masculinistes cherchant à nous apitoyer sur la prétendue « relation père-enfant brisée ». Les conflits portent généralement sur des questions financières et plus particulièrement sur le montant de la pension alimentaire. « Dans la très grande majorité des divorces (85%), le juge entérine un accord des parents à la fois sur la résidence et sur le montant et les modalités de la pension alimentaire (…) Il reste ainsi 10% des divorces où le juge a dû trancher un désaccord persistant (…) Le conflit porte probablement plus sur le montant de la pension que sur son principe : le parent chez qui est fixée la résidence demande une pension dont le montant est jugé trop élevé par l’autre (9% des couples divorçants). » [16]

La garde alternée : un modèle financièrement avantageux pour les hommes

Dans le cadre d’une résidence alternée, la loi prévoit un partage « équitable » des frais liés à l’éducation des enfants. Par conséquent, dans 75% des cas de divorces avec résidence alternée, aucune pension alimentaire n’est prévue, ni versée.

Cette situation semble idéale, puisque les deux parents sont encouragés, l’un.e et l’autre, à pourvoir à l’éducation et à l’entretien des enfants.
Or, les parents qui pratiquent l’alternance n’ont généralement pas les mêmes revenus. Rappelons que les femmes continuent de gagner statistiquement moins que les hommes. [17]En outre, la majorité des femmes qui ont des enfants effectuent l’essentiel du travail domestique et parental. [18] A la différence des hommes, les femmes doivent lutter aujourd’hui pour concilier leur activité professionnelle et le travail domestique et parental – c’est le principe de la « double journée » de travail des femmes. Mais la priorité continue d’être mise sur les enfants, au détriment de leur vie professionnelle et de leur autonomie financière. Il n’est dès lors pas rare que, pendant la durée de vie du couple, le salaire des hommes progresse et celui des femmes stagne ou régresse. Dans ces conditions, les écarts de revenus entre l’homme et la femme ont donc souvent tendance à se creuser pendant la vie commune. Et lors du divorce ou de la séparation, les inégalités de revenus sont encore plus marquées qu’avant.

Lorsque la garde alternée est décidée (ou imposée automatiquement, comme cela risque d’arriver), avec comme conséquence un partage strict (50/50) des charges, les femmes ont donc toutes les chances de subir un préjudice financier. Puisque même dans les cas de fortes inégalités de revenus en faveur du père, il n’est pas automatiquement contraint de verser une pension. [19]

En obtenant la résidence alternée, les hommes échappent au dispositif de redistribution que constitue la pension alimentaire (qu’ils auraient dû verser si l’enfant vivait chez sa mère). Ils sont certes dans l’obligation d’assurer un entretien en nature de leur enfant, à égalité avec leur ex-compagne, mais comme ils bénéficient en majorité d’une meilleure situation financière, cette obligation pèse moins lourd sur leur budget. En outre, la résidence alternée ne garantit pas, par magie, un investissement à égalité des deux parents dans le soin effectif aux enfants. Les inégalités dans la répartition des tâches qui existaient au sein des couples perdurent la plupart du temps après la séparation. Les mères gèrent beaucoup plus de « détails » du quotidien (suivi matériel, médical, scolaire ainsi que l’habillement, les loisirs, les vacances...). Cette prise en charge occasionne forcément plus de dépenses pour les mères. C’est pourquoi, même dans les cas où le père et la mère ont les mêmes revenus, la mère est généralement amenée, dans les faits, à engager davantage de frais.

Tel qu’il est pensé actuellement, c’est à dire sans prise en compte des rapports sociaux de sexe et des déséquilibres en matière d’investissement parental, le système de la résidence alternée est donc injuste et inégalitaire. L’aménagement qu’il suppose est en effet souvent avantageux pour les hommes et pénalisant pour les femmes. On comprend pourquoi les masculinistes y sont tant attachés. Il s’agit d’un moyen d’éviter de perdre une partie de leur capital économique et de revoir leur niveau de vie à la baisse. Il s’agit également d’un moyen de conserver, sur le plan financier, une supériorité sur leur ex-femme.

La dimension financière est donc bien présente à l’esprit des défenseurs de la cause des pères. On est en droit de douter sérieusement des motivations réelles de ces pères militants qui réclament la résidence alternée à tout prix… même lorsqu’ils affirment le faire par amour pour leurs enfants.

Au-delà de la question de l’argent, les masculinistes y voient une dimension symbolique. Il s’agit pour eux de « ne pas perdre la face ». Avec la garde alternée, ils s’affranchissent de l’obligation qu’ils jugent infamante, de verser de l’argent à leur « ex ». C’est une manière pour eux de prendre une revanche, de punir les femmes, à commencer par celles qui ont décidé de les quitter.

Garde alternée et enjeux de pouvoir :

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 Ce que l’on peut entendre :
« On refuse de donner leur chance aux pères alors qu’ils veulent tout simplement l’égalité entre les deux parents »
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Pour les masculinistes, le pouvoir qu’ils sont en mesure d’exercer sur leurs femmes et leurs enfants les préoccupe davantage que l’égalité. Bien souvent, en situation de rupture, les hommes se retrouvent confrontés à la menace de perdre leur position privilégiée de chef de famille. Conserver leur position suppose de garder le contrôle sur leur femme et leurs enfants. L’enjeu est alors de taille.

Avec la résidence alternée, les hommes revanchards entrevoient une possibilité concrète de garder une emprise sur leur ex-femme et un pouvoir sur la famille, même à l’issue de son éclatement. En effet, pour envisager en pratique la mise en place d’une garde alternée, il faut que les deux parents ne s’éloignent pas physiquement l’un de l’autre. Cela nécessite également de devoir se parler et de communiquer régulièrement, davantage que lorsqu’il s’agit seulement de négocier un droit de visite. Les femmes se voient ainsi forcées de conserver une relation étroite avec leur ex, même lorsqu’elles ne le souhaitent pas. On sait en outre que l’enfant est un moyen de pression sur les femmes et que les négociations autour du soin et de l’éducation des enfants offrent une prise aux hommes qui exercent du harcèlement. Avec la garde alternée, il est quasi impossible de s’extraire de l’emprise de son ex-conjoint, ou de refaire sereinement sa vie. Pourtant c’est ce dont beaucoup de femmes ont besoin après une séparation. À commencer par celles qui ont subi, ou qui continuent de subir, des violences de la part de leur ex-conjoint.

Le règlement de la question de la garde des enfants est donc crucial quand il s’agit, pour la mère, de couper les ponts. Dans le cadre des séparations pour cause de violences conjugales, l’éloignement du conjoint violent est une nécessité. L’imposition de la résidence alternée est dans ce cas une parfaite aberration. Contraindre les mères à cette décision peut en effet avoir des conséquences très graves. Or, la justice n’est pas toujours au fait de la réalité des violences (physiques, psychologiques comme sexuelles), ni toujours sensible aux arguments avancés par les défenseures des femmes victimes de violences. Dans le but de simplifier les procédures et de désengorger les tribunaux, la tendance actuelle est plutôt à la recherche de conciliation entre les deux parties. Plus simple, la solution de la résidence alternée permet de répondre à ce souci d’efficacité. Il est pourtant évident que les femmes en situation de danger souhaitant rompre le lien avec l’homme qui exerce/exerçait des violences, envers elles et/ou envers les enfants, ne peuvent qu’être hostiles à la résidence alternée [20]. Mais, même dans ces situations, les masculinistes – dont les revendications gagnent de l’audience – voudraient leur imposer cette pernicieuse proximité... au nom de « l’égalité ».

La garde alternée : pourquoi les femmes n’en voudraient pas ? :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les femmes réclament l’égalité. Pourquoi refusent-elles alors la résidence alternée ? En plus les pères sont aujourd’hui beaucoup plus proches de leurs enfants. C’est fini le temps du père autoritaire et absent »
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En théorie, les mères auraient tout intérêt à l’alternance. En partageant le poids des responsabilités parentales, la garde alternée pourrait représenter une forme de libération. En effet, dans le couple, elles continuent à prendre en charge l’essentiel du travail parental du fait des inégalités persistantes dans la division des rôles sexués. La garde alternée serait alors, idéalement, une mesure de rééquilibrage au bénéfice des mères. Un moyen de libérer du temps aux femmes et de leur ouvrir autant de possibilités qu’aux pères de reconstruire une vie familiale, de développer leur vie professionnelle, sociale, etc. Il n’est en effet jamais trop tard pour réclamer l’égalité. Si la rupture conduit à plus d’égalité, tant mieux ! Et si, en plus, les hommes réclament de s’investir davantage dans les tâches parentales, où est le problème ?

Pourtant beaucoup de mères sont réticentes à la mise en place de la résidence alternée en cas de séparation.
Pourquoi ? La plupart d’entre elles ne s’opposent pas au principe de la résidence alternée : tout dépend, avec qui et dans quelles conditions. « Pas avec ce père-là » disent-elles. Tous les pères ne sont en effet pas prêts à s’engager, à égalité, dans la prise en charge des enfants. Au lieu de les réduire, la garde alternée reconduit les inégalités et la domination masculine.

Le mythe des « nouveaux pères » :

On entend de plus en plus de discours sur ces « nouveaux pères », dont on ne finit pas de vanter les mérites. Véritables « papas-poules », les nouveaux-pères se passionneraient pour leurs enfants, en feraient même leur priorité, leur accordant autant, sinon plus d’intérêt et de temps, que les femmes. Or, ces nouveaux pères – la plupart du temps jeunes et issus des classes moyennes intellectuelles des grandes villes – restent encore une minorité statistique. Une minorité survalorisée. Mais il vaudrait sur-valoriser ces pères, souvent jeunes. Au prétexte de vouloir activement impliquer les hommes dans le domaine parental en mettant en avant les comportements exemplaires de quelques-uns, on grossit un phénomène, on travestit la réalité. Même certains milieux féministes participent à cette mystification. Et les défenseur.e.s des nouveaux pères en voient partout. Par conséquent in finit par croire que les nouveaux pères sont partout. Ce ne serait plus une minorité de pères qui s’investirait concrètement dans le travail parental, mais tous les pères. On est bien en présence d’un mythe qui sert à valoriser les hommes une fois de plus [21].

En pratique, les mères déplorent que le partage des tâches liées à l’éducation et aux soins apportés aux enfants reste très inégalitaire. Et après la séparation, bien souvent, cette situation perdure. Aussi leur est-il difficile de croire ceux qui leur promettent de changer et de s’impliquer réellement. Non, les « nouveaux pères » ne courent pas les rues. « Pas avec ce père-là ! », cela signifie que les femmes n’ont pas confiance en leur « ex » dans le rôle d’éducateur au quotidien. Les connaissant, elles ne les voient pas prendre ce rôle au sérieux et changer radicalement de mode de vie, en faisant de la prise en charge de l’enfant leur priorité. Basées sur leur expérience, les appréhensions que les mères expriment sont souvent fondées. Lorsque la garde alternée est décidée, elles se retrouvent à assumer le plus souvent le rôle traditionnel impliquant de veiller au suivi médical et au suivi scolaire. Le père est, lui, décrit comme un « ado » qui découvre la réalité des contraintes que suppose la prise en charge effective d’un enfant : le souci permanent du bien-être de l’enfant et l’ajustement nécessaire de l’organisation de sa vie et de son espace pour accueillir l’enfant dans un cadre sécurisant. Plutôt que d’affronter de telles responsabilités, certains préfèrent continuer de privilégier l’implication dans les domaines gratifiants, tels que le jeu et les loisirs.

Il y a une chose qui est bien absente des débats sur la garde alternée : le poids que représente le souci permanent du bien-être de l’enfant. Et cette charge mentale, ce sont en majorité les femmes qui l’assument. Elles effectuent bien souvent le travail de suivi, ce qui constitue un double travail pour elles : assumer la responsabilité de l’enfant lorsqu’il est là, mais aussi lorsqu’il est absent. Les mères qui partagent la garde de leurs enfants disent devoir s’assurer que le père « fait correctement son boulot de parent ». Elles sont également en situation de devoir « rattraper ses erreurs ». Mais tout cela reste invisible et les femmes ne sont pas reconnues pour ce travail qui produit stress et fatigue.

La garde alternée : ou comment se décharger sur d’autres femmes :

Comment les pères s’y prennent-ils quand l’enfant est chez eux et qu’ils ne peuvent plus, désormais, déléguer le travail à la mère de l’enfant ? Des observations et des enquêtes révèlent que, une fois la résidence alternée obtenue par les pères, ceux-ci sont souvent loin de s’impliquer dans leur rôle de père et de prendre les mesures appropriées. Il faudrait en effet qu’ils acceptent quelques sacrifices, notamment en adaptant leurs horaires de travail, en désinvestissant partiellement la sphère professionnelle, en renonçant à certaines de leurs activités et à une partie de leur vie sociale. Or, on ne trouve pas que des papa-poules attachants, qui se plient en quatre pour leur enfant, comme le personnage central du film « Kramer contre Kramer » [22]. Au contraire, il arrive très souvent qu’ils se délestent en partie de leur charge de parent en la transférant à des tiers. Et qui sont ces tiers ? Quasi systématiquement d’autres femmes. Ils confient en effet l’enfant à leur nouvelle conjointe, à des membres de leur famille (mère, sœur, etc.) ou bien, quand ils peuvent se le permettre financièrement, à des personnes rémunérées pour cela (personnel de maison, nounous, baby-sitter...).

Les mères manipulatrices et le « Syndrôme d’Aliénation Parentale » :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les mères sont prêtes à tout pour obtenir la garde principale de l’enfant, y compris aux pires mensonges. Elles montent leurs enfants contre le père. Elles inventent ou exagèrent des situations de violence pour discréditer les pères et leur confisquer leurs enfants ».
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Voilà ce qu’on peut entendre dans la bouche des masculinistes militants de la cause des pères, au sujet des conflits autour de la garde des enfants. Le thème de l’instrumentalisation des enfants par les mères manipulatrices est récurrent chez les masculinistes, mais ils ne sont pas les seuls à le penser. Cette idée de mères qui laveraient le cerveau de leurs enfants fait même figure de lieu commun à partir duquel des masculinistes essayent d’élaborer de grandes théories générales, misogynes et sexistes. Pour donner de la crédibilité à cette idée reçue, ils recourent au concept de « Syndrome d’aliénation parentale » (SAP). C’est Richard Gardner (1931- 2003), professeur de pédopsychiatrie étasunien, qui a inventé ce concept bien utile pour les masculinistes, au milieu des années 1980. Voilà comment il définit ce prétendu « syndrome » : « Le SAP est un trouble propre aux enfants, survenant quasi exclusivement dans les conflits de droit de garde, où un parent (habituellement la mère) conditionne l’enfant à haïr l’autre parent (habituellement le père). Les enfants se rangent habituellement du côté du parent qui se livre à ce conditionnement, en créant leur propre cabale contre le père » [23].

En Amérique du Nord comme en Europe, cette dangereuse théorie est utilisée dans les affaires de divorce par les avocats et les associations de soutien aux pères séparés. Elle tombe à point nommé pour certains masculinistes qui trouvent, avec le SAP, un moyen redoutable pour faire peser le doute sur les paroles des enfants et des ex-conjointes – et qui les discréditent a priori – chaque fois que des violences sont dénoncées. Le propos ici n’est pas de dire que les femmes ne seraient pas capables d’exercer des formes de « manipulation » sur leurs enfants pour les « monter contre » leurs pères, mais il est urgent de rappeler que la plupart des violences commises par les hommes sont encore aujourd’hui largement passées sous silence et que la plupart des victimes (enfants ou femmes) n’osent pas parler. Avec ce genre de théories farfelues, prônées comme des vérités absolues, la parole des femmes – et des enfants en particulier avec l’utilisation du « SAP » – a plus de mal à se faire entendre.

En filigrane : remettre en cause le droit des femmes à disposer de leur corps

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 Ce que l’on peut entendre :
« Aujourd’hui, une femme peut avorter ou poursuivre une grossesse sans l’accord de son partenaire. C’est injuste, les hommes n’ont pas leur mot à dire ! Depuis qu’elles ont accès à la contraception et à l’avortement, les femmes ont pris tout le pouvoir sur la reproduction ! »
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Si la question de la garde alternée occupe l’essentiel de leur temps, les défenseurs des droits des pères ne s’arrêtent pas là. Certains vont jusqu’à revendiquer le droit de pouvoir intervenir sur une grossesse, en décidant de l’interrompre ou, le plus souvent, de la poursuivre. Au nom d’un autre « droit », le droit sacré des hommes à la paternité, ils exigent d’être pris en compte. Se plaignant des femmes qui auraient tout le pouvoir dans ce domaine, ils souhaitent en finir avec ce qu’ils appellent « l’empire du ventre », le « matriarcat » ou la « domination matrile ». Il leur apparaît logique que la société corrige ce qu’ils considèrent comme une injustice originelle : le fait de ne pas disposer de la capacité de gestation. N’étant pas doté de la fonction biologique permettant à leur corps de recevoir un enfant, des hommes réclament en quelque sorte réparation. Pour cela ils invoquent un principe de « co-décision » en matière de droits procréatifs, encadré par la loi, ce qui reviendrait à donner aux hommes un pouvoir sur le ventre des femmes.

Le contrôle de la fonction reproductive des femmes a toujours été un enjeu pour les hommes. Mais depuis l’augmentation de l’accès aux moyens de contraception et d’interruption de grossesses – du moins pour certaines catégories de femmes, dans certaines régions du monde – les hommes ont vu ce contrôle leur échapper partiellement. Voilà une situation que les masculinistes ne supportent pas. Plutôt que de vouloir simplement un retour en arrière, avec la revendication de nouveaux « droits », ils partent à la conquête de nouveaux privilèges.

En France, la loi Veil, qui dépénalise partiellement l’avortement [24] et encadre les pratiques d’interruption volontaire de grossesse (IVG), stipule que les femmes majeures souhaitant avorter n’ont besoin d’aucune autorisation : ni du géniteur, ni de leur propre père, ni de leur mari... ni de qui que ce soit d’ailleurs. Elles seules sont maîtresses de leur décision. Elles seules décident de ce qu’il advient de leur corps. Fruit des luttes féministes, l’accès à l’IVG est un droit précieux qui reste bien fragile. Dans les faits, il est semé d’embûches : culpabilisation, délais d’attente, imposition d’un « entretien psycho-social » et de la « semaine de réflexion » etc [25].. Autant d’épreuves pour les femmes qui souhaitent avorter. Dans un contexte réactionnaire où les voix contre l’avortement se font de plus en plus entendre, l’offensive des militants de la cause des pères menace de fragiliser encore plus ce droit. En réclamant le droit à la paternité (avec ou sans l’accord de la femme selon les tendances), les masculinistes révèlent leur volonté explicite de contrôler la fécondité, le corps et la vie des femmes. Et pour cela, certains n’hésitent pas à s’allier à des groupes anti-avortement s’il leur paraît nécessaire de trainer une femme en justice afin qu’elle ne puisse pas interrompre une grossesse qu’elle ne désire pas poursuivre. C’est sur cette question que les affinités politiques et idéologiques entre les groupes d’extrême droite, les extrémistes catholiques et les militants de la cause des pères sont les plus apparentes.

On peut citer à ce sujet l’exemple de Steven Hone, un anglais qui a intenté une procédure judiciaire pour empêcher sa « maîtresse » d’avorter. Cité dans un texte consacré au masculinisme [26], son avocat avait déclaré : « La vérité c’est que les pères n’ont que des droits très limités dans la législation actuelle, certains diraient même qu’ils n’ont aucun droit. Malheureusement, c’est du moins le point de vue des pères, les pères ont en revanche de lourdes obligations vis-à-vis des enfants, et c’est ce que des gens tels que Steven Hone estiment totalement injuste. Les pères doivent payer pour leurs enfants et s’en occuper. Nous pensons que c’est une bonne chose, que ces obligations instaurent un sens des responsabilités chez les pères, mais en même temps, si nous voulons qu’ils assument ces responsabilités, alors il faut accepter que les pères aient leur mot à dire sur les grossesses ».

Le fait que la question du projet d’enfant soit l’objet de négociation ne semble pas être un problème en soi. Par contre, on voit que derrière les revendications masculinistes d’un droit de « co-décision », apparaît la question de l’appropriation des corps et des capacités reproductives des femmes.

TROISIEME PARTIE : HOMMES BATTUS, FEMMES VIOLENTES ?

Les masculinistes affectionnent tout particulièrement un autre thème, celui des « violences ». Non pas celles auxquelles on pense directement quand on évoque les relations hommes femmes, à savoir les violences subies par les femmes. Non, les masculinistes sont préoccupés par d’autres violences qui seraient, selon eux, méconnues et volontairement occultées : les violences subies par les hommes, dont les femmes seraient évidemment responsables.

Si l’on écoute les masculinistes, les violences contre les hommes n’intéresseraient personne. Elles seraient systématiquement passées sous silence. Détentrices du monopole de la souffrance, seules les femmes auraient, d’après eux, le droit de se plaindre. Les masculinistes ne supportent pas que l’on considère les femmes comme d’« éternelles victimes », et les hommes comme des « bourreaux en puissance ». Pour défendre leurs thèses et nous prouver qu’ils voient juste, les masculinistes avancent plusieurs pistes.

Violences faites aux femmes : des chiffres « gonflés » ? :

Les enquêtes, les études et les statistiques concernant les violences faites aux femmes, notamment les violences conjugales, seraient biaisées, trafiquées, et partiales. Tout serait mis en œuvre pour aller dans le sens des femmes et stigmatiser les hommes. Les masculinistes dénoncent une « arnaque monumentale » et contestent les résultats des études qui, pourtant, convergent et font consensus. Pour eux, toutes les études, tous les rapports, sont réalisés par des femmes - féministes qui plus est - donc forcément « orientées ». Dirigées par le « lobby féministe » qui vivrait de « l’industrie des violences conjugales », les recherches sur les violences travestiraient la réalité. Elles rendraient compte d’un « pseudo fléau », inventé de toute pièce. Mais surtout, ces recherches ignoreraient volontairement les hommes, victimes eux aussi de violence. Les plus radicaux des masculinistes n’hésitent donc pas à recourir à la rhétorique du « complot ». Pour eux, il existe des rapports et des chiffres sur les violences subies par les hommes, mais tout ceci est soigneusement « caché à la population ».

On peut illustrer cette volonté de discréditer les recherches féministes sur les violences en donnant un exemple. La publication des résultats de la première grande enquête française sur les violences faites aux femmes, l’enquête ENVEFF (enquête sur les violences envers les femmes en France), a déclenché une véritable fronde antiféministe, début 2000. Que des femmes, féministes, soient les auteures de cette enquête suffisait pour eux à semer le doute quant à son objectivité. Mais le soupçon a plus spécifiquement porté sur la méthode utilisée. On peut se réjouir que les masculinistes et leurs allié.e.s de circonstance [27] expriment un intérêt pour la rigueur scientifique. Pourtant, quand il s’agit de citer des études et des chiffres leur permettant d’affirmer qu’en réalité, les violences subies par les femmes ne sont pas si nombreuses, ou que ce sont les hommes les premières victimes de ces violences, ils se montrent moins regardants avec la science. Il n’hésitent pas à convoquer un patchwork de sondages contestables et d’extraits de rapports sur la criminalité et la délinquance. Ils s’évertuent à citer toujours plus d’études non-scientifiques et de chiffres sortis de nulle part.

Les hommes sont-ils persécutés ? :

Pour les masculinistes, si les violences subies par les hommes à cause de (leurs) femmes sont tues, c’est pour la simple et bonne raison qu’elles ne sont jamais enregistrées par les services de police. D’une part, parce que les hommes auraient honte de porter plainte, ce qui expliquerait le faible nombre de plaintes et de procédures judiciaires. D’autre part, parce que la police refuserait systématiquement de croire les hommes battus et, par la même occasion, d’enregistrer leurs plaintes. Les institutions qui font respecter l’ordre, la police et la justice, accorderaient plus de crédit aux dires d’une femme qu’à ceux d’un homme. Tout cela conduirait donc à sous-estimer les violences subies par les hommes, notamment dans leur couple.

Les masculinistes seraient donc sensibles aux pressions (sociales, psychologiques, institutionnelles) que subissent les victimes de violences. Ils dénoncent les obstacles qui empêchent ces victimes d’être reconnues comme telles, mais uniquement lorsqu’il s’agit d’hommes. Quant aux femmes, qu’il leur soit difficile de vaincre la peur et la honte d’aller porter plainte, que la confrontation avec des policiers, en majorité des hommes, se déroule dans un environnement pas franchement chaleureux, cela, manifestement, les masculinistes préfèrent ne pas le savoir. Ce qui compte pour eux c’est de se présenter comme des victimes d’un « sexisme à l’envers », persécutés parce qu’ils sont des hommes.

Les violences psychologiques : l’arme favorite des femmes ?

Pour les masculinistes, si l’on ne parle pas de la violence subie par les hommes à cause des femmes, c’est aussi parce que ces violences seraient moins visibles. Il s’agirait avant tout de violences psychologiques. Ainsi, les hommes seraient fréquemment victimes de violences psychologiques dans le huis-clos du couple. On de la domination masculine sur les femmes, d’amplifier les chiffres es et de nier que les hommes peuvent aussi être victimes, de la violence des femmes notamment. Pour lire une réponse peut ainsi lire que « la violence psychologique est l’arme favorite de la femme » [28]. Moins capable que les hommes d’user de la force physique, les femmes auraient développé d’autres armes, n’hésitant pas à recourir au chantage et à la manipulation. Cette thèse essentialiste mobilise le mythe de la femme perverse et calculatrice, de l’intrigante. Sachant utiliser la loi pour elle, celle-ci n’hésiterait pas à aller jusqu’à provoquer les coups de son compagnon pour obtenir ce qu’elle désire : le divorce, la garde des enfants, etc. « Elles n’attendent que ça, que leur homme réagisse », ou encore « c’est comme si elle me disait : qu’est-ce que t’attends ? », voilà le type d’horreurs que l’on peut entendre [29]. Pour les masculinistes, les hommes en détresse, à la fois contraints malgré eux à la violence et victimes de ces subtiles manœuvres féminines, seraient même souvent poussés au suicide.

Voilà donc le tableau que peignent les masculinistes de la violence dans les rapports hommes femmes. Or la réalité est tout autre. Puisqu’ils veulent brouiller notre perception de la réalité, il faut bien rappeler certaines évidences qu’on aurait tort de croire partagées par toutes et tous. Tâchons donc de démonter ces arguments, et de renvoyer ces discours à ce qu’ils sont : des fantasmes que les masculinistes aimeraient nous faire prendre pour la réalité dans le but de diffuser leurs idées réactionnaires, victimistes et anti-femmes.

Les hommes, victimes de violences ? :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les hommes sont les grands oubliés dans l’histoire. De leur souffrance, personne ne cause, alors qu’ils sont les premières victimes de violence (agressions, meurtres...). »
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Oui, des hommes sont victimes de violence. Notre propos n’est pas d’aller à l’encontre de cette évidence. C’est l’occasion de rappeler que, dans nos sociétés inégalitaires, les rapports sociaux sont violents. Le capitalisme est un système social violent, tout comme le patriarcat. Les hommes et les femmes sont donc confronté.e.s, dans leur vie, à la violence (physique, verbale, sociale...). Quant à la violence physique plus spécifiquement, si les mâles (enfants et adultes) en sont familiers, c’est qu’on leur apprend très tôt qu’elle est pour eux une ressource, un moyen pour s’imposer et pour s’affirmer face aux autres – c’est pour cela que des adultes peuvent tolérer des comportements violents de la part d’un petit garçon, mais pas d’une petite fille. Dans leur éducation et les différents lieux de leur socialisation, les hommes sont confrontés à la violence. S’ils la subissent parfois, ils apprennent également à l’apprivoiser et à l’utiliser à leur profit, notamment contre des plus faibles qu’eux et, surtout, contre les femmes. Contrairement aux filles et aux femmes, ils sont légitimes à y avoir recours. Des millénaires de domination masculine et de culte de la virilité ont abouti à la croyance que les garçons sont prédisposés à avoir des comportements violents et qu’il faut même les encourager dans ce sens (« c’est bon pour la confiance en soi »). Les filles, elles, n’en auraient pas besoin. Elles disposeraient d’autres « armes » telles que la douceur, la sensibilité, l’empathie...

La violence d’hommes contre d’autres hommes :

Les hommes connaissent le langage de la violence et ils peuvent être victimes de violences, mais cette violence est, dans l’immense majorité des cas, exercée par d’autres hommes. Les guerres sont des pratiques éminemment masculines qui engagent des hommes, contre d’autres hommes, pour le contrôle ou la conquête des territoires sur lesquels des hommes établissent leur domination. La « bagarre » pour défendre son honneur, ses biens (dont les femmes, considérées comme la propriété des hommes) ou pour imposer son autorité sur un groupe, sont aussi des pratiques masculines. Non pas parce qu’ils sont disposés génétiquement à se battre, mais parce que la société des hommes leur en a donné la possibilité. Quand les hommes sont victimes de violence, inutile donc de chercher la femme ou les femmes qui en seraient responsables. En regardant autour, on trouvera plutôt d’autres hommes. Si les masculinistes veulent nous apitoyer sur les hommes victimes de violences, c’est pour mieux s’attaquer aux femmes qu’ils jugent responsables de leur malheur. S’ils avaient vraiment à coeur de lutter contre les causes et les effets des violences que les hommes subissent ou même s’infligent, il faudrait qu’ils s’en prennent d’abord aux valeurs véhiculées par le patriarcat, ainsi qu’au modèle archaïque de la masculinité (virilisme, honneur, culte de l’agressivité, esprit de compétition, quête de la performance...) [30].

Quid de la violence des femmes ? :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les femmes aussi sont capables de violence ! »
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Cela ne fait pas de doute mais, pour les masculinistes, personne n’en parlerait. Dans leurs discours on retrouve les figures de femmes tyranniques, de mères castratrices ou infanticides. Ces figures totémiques sont mobilisées pour discréditer les discours féministes et attester de la prévalence de la domination féminine.

Démonter le mythe de la non-violence féminine...

Pour une fois, on ne les contredira pas sur un point. La non-violence féminine est un mythe. Les femmes peuvent agresser, torturer, tuer. Les violences féminines ont toujours existé. Elles peuplent même nos imaginaires. Songeons à la figure guerrière de l’amazone, de la « veuve noire » qui tue son mari, de la sorcière maléfique ou de la cruelle marâtre. Mais cette violence est encore bien souvent taboue, parfois même niée. Il faut dire que la reconnaissance de cette réalité a pu mettre dans l’embarras des féministes, et être source de division. En effet, la priorité a toujours été, dans les luttes féministes (et elle continue de l’être), la reconnaissance des violences subies par les femmes. Il y a pourtant un vrai enjeu politique à reconnaître l’existence des violences féminines. Cela permet de combattre les idées reçues et d’en finir avec l’idée de « nature féminine ». S’il y a des femmes violentes, c’est bien la preuve qu’elle ne sont pas pacifistes, douces et passives par nature. Non, les femmes ne sont pas génétiquement prédisposées à prendre soin des autres et à être à l’écoute, comme elles ne sont pas allergiques par essence à la violence [31]. Si elles usent moins de la violence que les hommes, c’est simplement parce qu’elles ont, à l’origine, subi une forme de violence de la part des hommes : celle de se voir interdire l’accès à la violence.

Mais cette vérité dérange. En effet, on a du mal à se réjouir que l’accès à la violence puisse représenter une forme de libération, même pour celles qui en ont été dépossédées. Et on pourrait se dire que reproduire des comportements traditionnellement masculins (virilité et usage de la force) n’est pas une perspective enthousiasmante pour en finir avec toutes les dominations. Mais cette vérité ne dérange pas seulement pour de bonnes raisons. Elle dérange les hommes jaloux de leurs privilèges et celles et ceux qui aimeraient bien que chacun, chacune, reste à sa place. Pour une femme, employer des moyens violents, faire couler le sang, et semer la mort revient à transgresser les frontières de genre, en plus des frontières légales. Les femmes donnent la vie, elle ne peuvent pas donner la mort. C’est considéré comme « contre-nature ». Voilà du moins ce que beaucoup pensent. Ainsi, les femmes ne seraient, par exemple, pas faites pour tenir une arme. Les armes seraient affaire d’hommes. Et puis elles auraient mieux à faire. Tel est le message adressé aux femmes depuis toujours !

Il y a donc, même dans le camp des « progressistes », une négation du droit des femmes à la violence, notamment à la violence politique. D’ailleurs, on jette quasi systématiquement le doute sur les intentions des femmes que l’on surprend à choisir des options radicales de lutte. On les soupçonne de le faire par amour (pour un beau révolutionnaire) et d’avoir été trop faibles ou naïves (ou les deux) pour éviter d’être instrumentalisées pour une cause dont les enjeux leur échappent forcément [32]. On voit bien qu’en dissuadant les femmes d’utiliser des moyens violents - au nom de la prétendue « nature féminine » et du partage sexué des rôles - y compris pour libérer leur communauté des oppresseurs, on cherche aussi à les dissuader d’utiliser ces mêmes moyens pour se libérer elles-mêmes de la domination masculine

....mais rester prudent.e

S’il paraît important de briser ce tabou et de faire avancer la connaissance sur les violences des femmes, il ne faut pas sous-estimer le risque que cela comporte. Celui de donner le bâton pour se faire battre par les anti-féministes et les masculinistes de tous poils. Ces derniers se servent en effet du thème des violences féminines pour discréditer les combats et les analyses féministes. Ils y voient un moyen idéal de relativiser ou de nier la réalité de la domination et des violences structurelles masculines. Il faut donc être très vigilant.e.s face aux discours sur le thème des violences des femmes.

Les idéologues réactionnaires aiment aujourd’hui se présenter comme des briseurs de « tabous », des penseurs iconoclastes – sous-entendant que la « morale » progressiste a pris le pouvoir et que l’égalité est déjà là. Il convient donc toujours de questionner les motivations des personnes et des groupes qui souhaitent en finir avec les « idées reçues » sur les violences des hommes et des femmes. Pourquoi par exemple, suite à la publication des premières enquêtes sur les violences envers les femmes, a-t-on constaté une forte demande de recherches et de statistiques sur les violences subies par les hommes ? Quelles sont les intentions réelles derrière l’intérêt soudain pour ces violences ? Pourquoi s’échiner à vouloir « révéler la vérité cachée des violences conjugales » et se plaire à constater l’existence de violences au sein des couples lesbiens ? Pourquoi marteler, comme le fait Elisabeth Badinter, que « la violence n’a pas de sexe », et qu’on ne parle que trop rarement de violence féminine [33] ? Comment interpréter le fait qu’un historien comme Christophe Régina s’enorgueillisse autant d’étudier un objet d’étude « ignoré » : la violence des femmes [34] ?

Difficile en effet de n’y voir qu’un désir éperdu de vérité. Cela s’apparente bien plus à une volonté de relativiser les violences masculines et ressemble à une riposte d’hommes, entrainés par une vague profonde de misogynie, ne supportant pas d’être enfermés dans « le rôle du méchant ». Un réflexe, en quelque sorte, de dominants, cyniques ou blessés dans leur égo, niant l’évidence et cherchant tous les moyens pour conserver sinon leurs privilèges, du moins un certain confort psychologique : si les femmes aussi sont violentes, les hommes peuvent considérer que leur responsabilité est atténuée. Ainsi, face à l’offensive masculiniste, il faut établir des garde-fou pour que la reconnaissance des violences des femmes ne soit pas utilisée dans le but de minimiser les violences masculines et renverser l’ordre des proportions. Rappelons que par rapport aux violences des hommes, les violences commises par des femmes sont en nombre nettement inférieur. Ainsi, un préalable indispensable s’impose avant de parler des violences des femmes. Il faut rappeler l’inégalité persistante des rapports sociaux de sexe et la prévalence des violences masculines. Et même en prenant de telles précautions il peut être difficile d’éviter les dérives masculinistes.

Les hommes, eux aussi victimes de violences conjugales ? :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Il y a 138 rapports scientifiques qui disent que la violence conjugale, c’est symétrique, c’est quasiment 50/50. »
Serge Ferrand

« Il y a 25 000 hommes victimes de violences conjugales contre 17 000 femmes ».
L’association canadienne « l’Après-rupture »

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On entend ici et là les masculinistes se plaindre que les hommes sont autant que les femmes, voire même davantage, victimes de violences dans la sphère domestique. Ils seraient harcelés et battus, comme les femmes. Mais personne n’aurait le courage de le reconnaître. Voilà pourquoi l’une des revendications principales des masculinistes dans ce domaine porte en France sur la « désexuation » des politiques de luttes contre les violences conjugales. Dans son manifeste, le GES (Groupe d’Etude sur les SexismeS) dénonce le caractère « sexué » des termes « violences faites aux femmes » utilisés dans les lois sur la protection des victimes, tout comme le caractère ciblée (sur les femmes uniquement) des aides allouées [35]. Comme au Québec, les masculinistes français réclament des fonds publics et une prise en charge des hommes victimes de violences conjugales par des structures d’accueil ou des associations adhoc de type « SOS hommes battus ».

Des hommes peuvent être victimes de violences dans leur couple. Personne ne le nie. Et il arrive qu’ils n’osent pas porter plainte, notamment du fait de l’intériorisation des normes de genre qui veut que les hommes ne doivent pas se montrer faibles. À partir de quelques cas montés en épingle et avec lesquels ils essayent de nous apitoyer, les masculinistes nous disent qu’il s’agit d’un phénomène d’une importance majeure. Or, ce n’est pas le cas. Contre les délires de la frange radicale du masculinisme militant, il est urgent de rappeler quelques évidences. D’une part, les violences domestiques touchent en premier lieu et à une majorité écrasante les femmes. Ensuite, dans le couple et dans la famille, ce sont les hommes qui sont responsables des violences les plus répétitives et les plus brutales, notamment celles qui peuvent entrainer la mort. Il n’est pas question de « 50/50 », et encore moins d’inverser le sens des proportions. Nettement plus fréquentes, répétitives et graves, ces violences conjugales subies par les femmes constituent un « fait social ». Il ne s’agit pas de faits marginaux et isolés. Précisons ici qu’il faudrait d’ailleurs, le plus souvent possible, parler de violences « masculines » plus que de violences « domestiques » ou « conjugales ». L’usage de ces adjectifs a comme effet d’escamoter les responsables de ces violences (les hommes) [36] qui prennent sens dans un système de pouvoir - la domination masculine - et se produisent selon des scripts bien connus. Elles visent à maintenir la subordination des femmes et à réaffirmer le pouvoir des hommes sur les femmes et les enfants.

Etat des lieux des violences conjugales en France :

Bien que les femmes soient exposées aux violences dans l’espace public et sur leurs lieux de travail (qui sont des espaces particulièrement sexistes), c’est bien dans le couple que les femmes subissent le plus de violences physiques, psychologiques et sexuelles. S’il est difficile de connaître précisément le nombre de victimes de ces violences qui ont lieu à l’abri des regards, dans l’espace confiné du foyer, on estime que 10% des femmes sont victimes de violences conjugales. Ces violences peuvent aller jusqu’au meurtre. Sur les 184 cas d’homicides conjugaux recensés en France en 2008, on compte 156 femmes pour 27 hommes. Ce qui représente un femme tuée tous les trois jours par son mari, conjoint, amant, ou « ex ». Depuis des années, ces proportions ne changent pas. Et les enquêtes montrent que, quand les hommes sont tués par leur compagne, dans les trois quarts des cas, les victimes sont des hommes qui battaient leur conjointe. Il est donc question de légitime défense. Là encore, il ne faut pas mettre sur le même plan des réactions violentes qui s’expriment de part et d’autre. L’une étant majoritairement offensive, l’autre défensive ou réactionnelle. C’est en effet pour échapper à une situation à laquelle elles ne voient pas d’issue, où la violence perdure depuis des années, que des femmes passent à l’acte. À l’inverse, les mobiles principaux reconnus pour les hommes qui passent à l’acte sont la jalousie et la séparation. Les hommes qui tuent « leur » femme ne supportent pas de perdre le contrôle ou de perdre « ce qui leur appartient ». Et la réaction peut-être extrêmement brutale.

Une précision s’impose ici. A vouloir mettre en avant les meurtres et assassinats conjugaux, qui font souvent la une des journaux, conférant un aspect « spectaculaire » et morbide des violences sexistes, on prend le risque de masquer la violence au quotidien qui touche le plus grand nombre. Il faudrait plutôt insister sur le fait que les homicides conjugaux révèlent crûment les droits que s’arrogent les hommes sur les femmes. Le droit de disposer d’elles et de se considérer comme propriétaires de leur corps et de leur vie, ce qui peut aller jusqu’à se permettre de les leur prendre définitivement.

La « co-responsabilité » de la violence : une théorie dangereuse :

Les masculinistes nient cette réalité sociale. Il ne veulent pas entendre parler de violences sexistes ni des mécanismes de domination qui existent dans les couples hétérosexuels. Pour eux, s’il y a de la violence dans un couple, il ne s’agit que d’une histoire d’individu.e.s et de psychologie. Des individu.e.s qui s’aiment et qui, pour des raisons que des masculinistes s’efforcent pathétiquement d’expliquer par des différences de nature, finissent par entrer dans une spirale de violence au « débordement malheureux » [37]. Au delà de cette vision romantique des relations de couple inspirée de la littérature de gare, ce qui nous est dit est extrêmement grave. Il y aurait une « co-construction » de la violence conjugale. Théoricien de la « symétrie de la violence », le psychologue québecois Yvon Dallaire renvoie les deux protagonistes dos-à-dos, tou.te.s deux responsables du dérapage violent. « La guerre conjugale se pratique à deux », nous apprend Elizabeth Badinter. Suivant ce raisonnement fallacieux, on serait tenté.e.s de conclure que les torts sont toujours partagés et qu’il « faut arrêter de blâmer toujours les mêmes ». Mais surtout, on finirait par penser que les femmes sont responsables de la violence qu’elles subissent. Finalement, elles n’auraient à s’en prendre qu’à elles-mêmes.

Quoiqu’en pensent les masculinistes, il faut admettre qu’il existe un rapport de force asymétrique dans les rapports sociaux de sexe et qu’on retrouve bien cette asymétrie dans les relations amoureuses et dans le couple. Or, avec leurs théories psychologisantes, les masculinistes entretiennent intentionnellement la confusion entre « conflit » et « domination violente ». Il faut rappeler que le conflit suppose une réciprocité alors que la domination s’exerce dans un seul sens et vise à assujettir l’autre. Mais, pour Yvon Dallaire et sa clique, tout est histoire de conflit interpersonnel, de « guerre conjugale ». L’enjeu serait de tendre vers l’harmonie, l’adaptation de l’homme et de la femme, tellement différent.e.s par nature. Tellement différent.e.s qu’illes ne peuvent s’entendre, l’un préférant se murer dans le silence, pendant que l’autre souhaite communiquer. Innées et irréductibles, ces différences pourraient conduire l’homme à réagir avec agressivité. Ainsi, ce genre de raisonnement permet de justifier les violences conjugales. Les masculinistes tentent donc de minimiser la responsabilité des hommes. Concrètement, ils travaillent à protéger judiciairement les hommes violents et à retarder la condamnation des violences physiques et sexuelles à l’encontre des femmes.

L’argument de la violence psychologique :

Certains masculinistes savent qu’ils ne peuvent pas contester le fait évident que ce sont majoritairement les hommes, et non les femmes, qui s’autorisent à engager la force physique dans la relation à l’autre, notamment pour régler les problèmes. Peu leur importe ! Comme on l’a vu, pour accréditer leur thèse, ils prétendent que s’il existe une violence dont les hommes seraient les (premières) victimes, c’est bien la violence psychologique. Or, ici encore, rien de plus faux. Les femmes n’ont pas le monopole de cette forme de violence qui tend à se substituer à la violence physique, de moins en moins tolérée socialement. Bien souvent les hommes profitent de leur position de pouvoir dans la relation et de la peur que leurs réactions inspirent pour exercer des pressions sur l’autre. Que ce soit sous la forme du chantage affectif (s’en prendre aux enfants, menacer de se suicider...) ou par le biais d’allusions, d’actions de contrôle et d’interdictions fermes (tout faire pour connaître les faits et gestes de l’autre, l’empêcher de rencontrer ou de parler avec ses ami.e.s ou des membres de sa famille, lui imposer des façons de s’habiller, de se coiffer, ou de se comporter en public, etc.).

Les hommes sont-ils eux-aussi violés et agressés sexuellement ? :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les hommes aussi sont victimes de viols mais personne n’en parle. Il y a donc urgence. Il faut porter secours aux hommes violés, les grands oubliés des luttes contre les violences sexuelles. Et il faudrait même arrêter de considérer que les violences sexuelles sont le propre des hommes. »
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Ainsi, pour les masculinistes, des femmes peuvent violer, notamment des enfants, et exercer des sévices à caractère sexuel. Ces images très fortes, qui n’entraînent que peu de commentaires lorsqu’il s’agit d’hommes, déclenchent souvent un torrent de critiques lorsqu’elles sont le fait de femmes. On se souvient de l’emballement médiatique suscité par Lynndie England, cette soldate américaine propulsée sous les feux des projecteurs en 2004 après la parution de photos la représentant en train de tenir en laisse un prisonnier irakien nu, à la prison d’Abu Ghraib [38].

Le viol des hommes : une pratique d’hommes contre d’autres hommes :

Oui, des hommes subissent des viols et sont confrontés à toute la gamme des agressions sexuelles. Il n’existe, a priori, rien qui ne les en protège. Le comble est peut-être qu’elle est devenue une sorte d’icône, incarnant, à elle seule, les tortures et humiliations pratiquées en Irak par l’armée américaine pour démoraliser les ennemis de la « démocratie ». Plutôt que de retenir l’horreur des exactions perpétrées par une armée d’occupation dans un conflit totalement asymétrique, les médias et l’opinion publique sont tentés, en commentant les photos de cette soldate, de retenir tout autre chose : que même une femme peut se prêter à ces pratiques cruelles.hommes subissent des violences sexuelles, dans l’immense majorité des cas, une fois encore, c’est le fait d’autres hommes. Dans les prisons, mais aussi dans les casernes ou les internats, le viol est une pratique relativement répandue. La promiscuité, l’enfermement et l’imposition d’une discipline de fer sont propices aux violences sexuelles. Le viol sert à assujettir les plus faibles, les plus vulnérables et les plus isolés. Il sert également à mater des formes de résistances à l’autorité. Sa fonction est d’établir et de maintenir une hiérarchie dans la classe des hommes. Le viol fonctionne comme une punition contre la dignité et l’honneur masculin. C’est le cas dans des situations de guerre ou de conflits armés où, tout comme le viol des femmes, le viol des hommes fait partie de l’arsenal des armes de guerre. Depuis quelques années, il est même de plus en plus fréquent dans les zones de conflit. Le viol est un moyen efficace d’écraser l’ennemi et de terroriser les populations. Et même lorsqu’il est commis contre des hommes, le viol est un crime sexiste. L’objectif des agresseurs est en effet de déshonorer leurs victimes masculines, en les traitant « comme des femmes ». Soumis et pénétrés, les hommes violés sont « abaissés » au rang de femmes. Et en perdant leur statut d’homme, ces derniers sont susceptibles d’être rejetés par leur communauté, en tant que « mâles féminisés ».

Le viol des hommes est une réalité sociale. On doit dénoncer et combattre ces violences. Mais cela doit être fait sans faire des hommes les premières victimes des violences sexuelles. Il est en effet dangereux d’énoncer au sujet de ces violences des propos tels que « Les hommes sont réduits au statut de violeurs alors qu’ils sont aussi victimes », « L’attention se focalise seulement sur les femmes », « Il ne faut pas établir une hiérarchie entre les victimes d’agressions sexuelles » [39], et ceci pour plusieurs raisons. Cela laisse tout d’abord penser qu’on minimise, volontairement, la réalité des hommes violés. Pour quelles raisons et pour servir les intérêts de qui ? Des femmes ? Des lobbies féministes ? Ensuite, attirer l’attention sur les hommes victimes permet bien souvent d’évacuer la question de la responsabilité des hommes dans ce type spécifique de violence. Parce que s’il existe bien des femmes qui violent et abusent sexuellement autrui, comme on peut le lire sur des forums internet ou dans la presse d’autant plus attirée par de telles histoires qu’elles sont rares, il existe surtout des femmes quotidiennement agressées, forcées, humiliées, détruites par des hommes.

Le viol : un crime contre les femmes :

Une femmes sur six subit une agression sexuelle dans sa vie. Il y a au moins 75000 femmes violées par an en France. Par conséquent le viol ne relève pas de l’extraordinaire. Il n’est ni un accident isolé, ni le fait de dangereux psychopathes ou de drogués. Les agressions sexuelles sont majoritairement commises par des personnes proches des victimes. Dans 70% des cas la victime connaissait son agresseur. Le viol fait partie du répertoire classique des violences masculines, en temps de guerre où il a toujours été utilisé comme une arme contre les femmes, comme en temps de paix. Contrairement à l’idée que, protégées par les lois, les femmes porteraient aujourd’hui plainte « pour un oui ou pour un non », utilisant la dénonciation de viol pour briser les hommes, il faut rappeler que le viol est le crime le plus sous-signalé. Sur 75 000 victimes en moyenne, 10 000 seulement portent plainte. Pour cela, il faut pouvoir dépasser la peur, la honte, et être préparée à l’épreuve d’un éventuel procès. Contrairement aux fantasmes des masculinistes, la justice ne réserve pas un sort particulièrement sévère aux hommes accusés de viol. Faute de preuves suffisantes, beaucoup d’accusés ne sont pas condamnés. Sur les 10000 personnes jugées par an, seulement 2000 sont condamnées. Il y a donc plus d’hommes agresseurs qui échappent à la condamnation que de femmes perverses qui manipuleraient les policiers, les juges et l’opinion.

Contre les manœuvres de diversion des masculinistes (détourner l’attention ou la focaliser sur les hommes victimes), il faut en effet sans cesse rappeler l’ampleur et la banalité des violences sexuelles qui fonctionnent comme un moyen puissant de coercition et de punition des femmes, de toutes les femmes, puisque la peur du viol est intériorisée par la majorité d’entre elles. Le viol et la peur de l’agression (dans la rue, au travail, dans le couple) agit comme une contrainte permanente qui entrave la liberté des femmes : s’interdire de fréquenter certains espaces, à certaines heures, éviter de sortir seule, contrôler ses gestes et ses paroles qui pourraient être interprétées comme des invitations à la sexualité, éviter de s’habiller d’une manière qui pourrait être jugée obscène et justifier l’agression (qui n’a jamais entendu ce type de propos : « habillée comme elle l’était, elle l’a bien cherché » ?). Cette terreur patriarcale, les hommes ne la subissent pas. Ils continuent en revanche à jouir de libertés et d’une sécurité psychologique dont ils ont, en tant qu’hommes, le privilège.

Que le viol soit un crime essentiellement perpétré par des hommes, certains masculinistes sont tout de même bien contraints, parfois, de le reconnaître. Mais c’est aussitôt pour lui trouver une cause (biologique ou psychologique) et pour fournir des excuses aux violeurs. Les hommes seraient victimes de leurs pulsions, victimes de leurs hormones. Cela expliquerait le comportement ardent, fougueux, impatient, un trop plein de passion, face à l’objet de leurs désirs. Une caractéristique du masculin viril, donc. Voilà un argument grossier, mais qui peut s’avérer efficace, pour disculper les agresseurs. Si des hommes passent à l’acte c’est parce qu’ils n’auraient pas pu contrôler des pulsions sexuelles trop fortes. À la différence des femmes, les hommes auraient, « naturellement », de gros besoins sexuels. Jamais rassasiés, ils seraient, paradoxalement, bien faibles face à ces pulsions que leurs hormones commandent. Un trop plein de testostérone, considérée comme l’hormone mâle par excellence, pourrait entraîner une perte de contrôle. Malheureusement largement répandue dans la société, cette idée est fausse. La testostérone est présente chez les deux sexes, mais ne transforme pas pour autant les femmes en violeuses. Tout comme le trop plein de sperme que de veilles croyances associent à l’excès d’énergie masculine, le trop plein de testostérone n’a pas le pouvoir qu’on veut bien lui prêter pour justifier l’agressivité et l’empressement des hommes à convaincre les femmes de satisfaire leurs prétendus besoins sexuels. Christine Delphy évoque le mythe entretenu chez les ados que « leurs testicules pourraient « éclater » comme des grenades trop mures » [40]. Or, il n’y a pas de « besoins » sexuels naturels et différents selon le sexe biologique. Le sexe est culturel, le fruit d’un apprentissage. Si les hommes veulent pouvoir jouir sans entrave au détriment des femmes qu’ils se permettent d’assaillir, c’est qu’on leur a laissé penser que rien ne pouvait leur être refusé. Et le viol n’est pas l’expression d’une sexualité mal canalisée, le résultat d’un trop plein de frustration ou d’un désir sexuel irrépressible. Il est plutôt l’expression d’une volonté d’asseoir et de réaffirmer un pouvoir sur les femmes.

Les hommes se suicident-ils plus que les femmes ? :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les hommes se suicident plus que les femmes, c’est la preuve qu’ils souffrent plus. Et si les hommes se suicident c’est presque toujours à cause d’une rupture, ou du « rapt » de leurs enfants. Ce sont donc les femmes les responsables de leur malheur. »
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Les études sur ce sujet montrent que quasiment partout dans le monde le nombre de suicides est plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Le rapport est en moyenne de trois hommes pour une femme. Cet écart est important. Mais cela ne signifie pas pour autant que les hommes sont plus malheureux ou plus désespérés que les femmes. Ils ne désirent pas plus en finir avec la vie. Cela signifie plutôt que les hommes ont un taux de réussite plus élevé que les femmes. Concernant les tentatives de suicide, les choses sont en effet différentes. La proportion de tentatives de suicide est identique chez les hommes et les femmes. Dans certaines régions, elle a même tendance à être plus élevée chez les femmes [41]. Cette inégalité devant le suicide, dont les masculinistes s’emparent pour étayer leurs thèses victimisantes, n’est pas une inégalité devant l’envie de mourir ou le passage à l’acte. La différence ne se situe que du côté du résultat : les hommes « réussissent » plus souvent que les femmes à s’ôter la vie.

Le genre et le suicide :

Cette situation tient tout d’abord aux méthodes employées pour se donner la mort. Les hommes ont une préférence pour les moyens plus violents et par là même plus efficaces : armes à feu, pendaison, chute, etc. Les femmes, quant à elles, recourent davantage à des armes « douces », moins efficaces, comme la prise de médicaments. Cette différence devant les moyens utilisés pour se tuer rend compte des différences de construction des hommes et des femmes et de l’assignation de celles-ci à des rôles passifs. Dans leur éducation, les femmes sont encouragées à la modération, à craindre la force et la brutalité, à éviter les excès. Les hommes, quant à eux, sont incités à s’affirmer, à réussir ce qu’ils entreprennent, seuls, sans avoir à demander de l’aide. Ayant fait le choix de se donner la mort, leur fierté les pousse à réussir l’acte ultime : survivre serait vécu comme un échec. Les femmes, que leur construction a rendues plus accessibles à la culpabilité, auront plus tendance à se mettre en situation d’échec pour ne pas faire de mal à leurs proches, ou ne pas manquer à leur devoir de mère en abandonnant leurs enfants.

Les hommes ont par ailleurs un accès facilité aux armes, notamment les armes à feu. C’est le cas dans certaines activités de loisir telles que la chasse, mais aussi dans l’armée, la police et les métiers de la sécurité majoritairement peuplés d’hommes. Les armes, dont les hommes ont traditionnellement eu le monopole, ont servi l’hégémonie masculine [42]. Mais elles peuvent, dans certaines circonstances, être retournées contre eux, comme dans des cas d’homicides et de suicides. Si les hommes meurent plus suite à des tentatives de suicide, la raison est donc à chercher du côté du système patriarcal qui attribue aux hommes des obligations (comme ne jamais se montrer faibles,ni accepter l’échec, ni l’aide des autres) et des prérogatives (comme celle de posséder des armes).

Rendre les femmes responsables du suicide des hommes :

Les masculinistes s’échinent à chercher des femmes derrière les suicides d’hommes. Pour eux, ça ne fait pas de doute, la majorité des hommes qui se suicident ont été poussés au bord de l’abîme par des femmes, leurs (ex) femmes. La séparation et le fait de ne plus voir ses enfants (attribution de la garde à la mère et complications judiciaires) seraient la première cause des suicides des hommes. Cette affirmation revient souvent dans les discours masculinistes. Elle sert parfaitement la « cause des pères » et la croisade anti-femmes. Mais c’est également une croyance très partagée.

Or cela est faux. Précisons, d’emblée, qu’il n’existe pas de raison unique à un suicide. Il est impossible de réduire la cause d’un suicide à un seul facteur. Mais si on cherche le facteur le plus déterminant, il ne faut pas se tourner du côté des femmes. La rupture conjugale n’est pas la première cause de suicide chez les hommes, même si on considère qu’elle représente en moyenne 15% des motifs [43]. Il faut plutôt regarder du côté de la sphère du travail et de l’économie. Pour les hommes qui ont appris que le travail est primordial dans leur identité d’hommes, la perte de leur emploi et le chômage augmentent leur vulnérabilité et les risques. La précarité et l’insécurité économique, tout comme l’absence de perspectives, sont à l’origine du plus grand nombre de suicides. Ce qui explique l’élévation de leur taux en tant de crise.

Il convient également de souligner que la catégorie d’hommes la plus touchée est celle des jeunes bi et homosexuels. Souvent stigmatisés et rejetés, ces derniers connaissent un taux de suicide de 7 à 13 fois supérieur à celui de jeunes hétérosexuels. Ce taux tristement élevé résulte des très fortes pressions sociales à se conformer à la norme hétérosexuelle, ainsi que de toutes les violences verbales, physiques, sexuelles que subissent les jeunes homosexuels ou présumés tels. Et ces violences homophobes sont très souvent le fait d’hommes.

Sur ce sujet, les masculinistes ne sont pas bavards [44]. Ces derniers s’intéressent uniquement, ou presque, aux suicides des hommes adultes, hétérosexuels, séparés ou divorcés. On comprend bien que la chose qui les préoccupe n’est pas la souffrance des hommes en général, comprendre ses causes et trouver des moyens pour la combattre, mais bien la souffrance qu’on peut attribuer aux femmes : cette souffrance dont se plaignent ces hommes en particulier, dont le profil correspond bien aux militants de la cause des pères (blancs, hétérosexuels, quadra ou quinquagénaires, appartenant à la classe moyenne). En réalité, les masculinistes ne cherchent pas concrètement à lutter contre les causes du mal-être des hommes. S’ils le souhaitaient, ils feraient tout autre chose et renonceraient à désigner les femmes comme responsables de leurs malheurs, et à défendre, comme le font les masculinistes les plus durs, les valeurs du modèle masculin-viril qui pousse les hommes à détruire et à s’autodétruire. Le thème des suicides des hommes est utilisé uniquement de manière idéologique et opportuniste pour nourrir leur argumentaire et servir leur combat dans un esprit revanchard. Et si les masculinistes pointent un prétendu accroissement du nombre de suicides depuis les années 1970, c’est pour dénoncer les effets destructeurs, pour les hommes, des conquêtes féministes et de la « féminisation de la société ». Or, contrairement à ce qu’ils avancent, le nombre de suicides des hommes n’augmente pas dans les sociétés occidentales. Celui des femmes, en revanche, est en hausse.

Quel que soient les taux respectifs de suicide, il est erroné et dangereux de dire que les hommes souffrent plus que les femmes. Rappelons que le désespoir ne s’exprime pas seulement par l’acte suicidaire. Il peut prendre la forme de la dépression qui touche davantage les femmes. Mais les souffrances des femmes n’intéressent pas vraiment les masculinistes, obnubilés qu’ils sont par leurs propres souffrances et leur malaise, qu’il relient à une prétendue « crise de la masculinité ».

QUATRIEME PARTIE : DES HOMMES EN "CRISE" ?

Le sujet est à la mode : des livres, des articles de magazines, des reportages télé ou des émissions de radio y sont consacrés. Les médias relaient en effet cette idée qui semble largement partagée : les hommes vont mal, le masculin est en crise. Les hommes auraient perdu leurs repères au sein de la famille, du couple et dans la société en général. Quant à la « masculinité », elle ne se porterait pas mieux. Associée à des valeurs d’un autre temps et synonyme de virilité, elle aurait aujourd’hui une image dépréciée. Telle que les masculinistes la décrivent, la situation des hommes est très préoccupante. Il leur faut donc réagir. L’omniprésence de ce discours dans la sphère médiatique nous montre une fois de plus que, quand les hommes s’expriment, de surcroît pour se plaindre, ils bénéficient instantanément de plus d’attention que les femmes.

Pour certains d’entre eux, il est urgent de défendre la suprématie contestée du mâle et de réaffirmer les spécificités masculines. Pour les autres, il est vital de réinvestir la « masculinité » de sens et de valeurs positives. Qu’ils soient pour une hiérarchie entre les hommes et les femmes ou pour « l’égalité et la complémentarité dans la différence », tous réaffirment l’importance de définir clairement les identités sexuées et de rappeler la différence entre hommes et femmes. Et dans cette société qu’ils souhaitent divisée en deux catégories bien distinctes,les masculinistes prétendent appartenir à la catégorie la plus mal traitée. Ainsi, alors que les hommes restent très majoritairement en position de pouvoir au sein de la société, un discours lancinant affirme qu’il est devenu terriblement difficile d’être un homme. Mais comment un groupe social dominant peut-il s’affirmer en crise ?

« Crise de l’identité masculine » : de quoi parle-t-on ?

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les hommes sont, à l’heure actuelle, le seul groupe contre lequel on peut déblatérer publiquement sans que personne, ni eux-mêmes, n’ose prendre leur défense. L’homme a laissé dire parce que lui-même en est venu à croire qu’aujourd’hui être homme, c’est tout ce qu’il ne faut pas être. De héros, les féministes en ont fait des zéros. »
Yvon Dallaire, Homme et fier de l’être, Option Santé.

« Je suis malade c’est ça je suis malade
Tu m’as privé de tous mes chants
Tu m’as vidé de tous mes mots
Et j’ai le cœur complètement malade
Cerné de barricades t’entends je suis malade »
Serge Lama, Je suis malade

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La « crise de l’identité masculine » est l’un des thèmes de prédilection des masculinistes. C’est également un des points les plus compliqués à analyser, notamment parce que la notion de crise reste très floue, comme on le verra plus bas. Certes la « crise » peut référer à des souffrances bien réelles que vivent des hommes, à des questionnement bien légitimes quant à leur identité, ou encore à des insatisfactions et à des désirs sincères de changer leurs comportements et leurs rapports aux femmes. Mais plus généralement, le thème de la « crise de la masculinité » permet encore une fois d’attirer toute l’attention sur les hommes et de les faire passer pour des victimes. Prétendant être déboussolés, des hommes se plaignent d’être rejetés, caricaturés, stigmatisés, traités injustement. Ils recherchent la compassion et profitent de l’intérêt qu’on leur porte pour attaquer les femmes, et plus particulièrement les féministes.

Rappelons qu’il ne s’agit pas de dire ici qu’aucun homme ne souffre. Des hommes peuvent souffrir d’être exploités, pauvres, discriminés et opprimés à cause de leur religion, de leur couleur de peau, de leur orientation sexuelle ou de leurs idées politiques. Des hommes peuvent souffrir de l’enfermement dans des rôles et des postures que les lois du genre et que la société patriarcale leur imposent. Les timides, les faibles, les trop sensibles et les pas sûrs d’eux souffrent d’être écrasés par d’autres hommes qui leur rappellent sans cesse qu’il y a une hiérarchie aussi au sein de la classe des hommes. Ainsi, si ces hommes souffrent, ce n’est certainement pas parce qu’ils sont nés hommes et qu’à ce titre la société a voulu leur en faire baver. Contrairement aux femmes qui sont, en tant que femmes, infériorisées, exploitées, et discriminées, les hommes n’ont pas à souffrir d’une oppression liée à leur sexe. Ils devraient dès lors se poser la question de l’origine de leur malaise ou de leur souffrance ; car celle-ci ne trouve certainement pas son origine dans le prétendu pouvoir dont les femmes useraient et abuseraient, comme les masculinistes veulent pourtant nous le faire croire. S’il existe néanmoins une souffrance dont des hommes, en tant qu’hommes, peuvent souffrir, c’est bien celle de devoir renoncer à certains de leurs privilèges. Ainsi, face aux revendications des femmes en lutte pour l’égalité, des hommes ont tout simplement peur de perdre leurs privilèges. Les discours masculinistes sur le malaise des hommes et la crise de l’identité masculine ne sont en réalité que l’expression d’une réaction d’orgueil et des craintes d’un groupe social dominant qui souhaite conserver sa position.

Il s’agit alors de considérer avec prudence cette notion de « crise » prétendument vécue par les hommes, en gardant à l’esprit deux choses. D’une part que ce thème de la « crise » émerge au sein d’une société encore très clairement patriarcale, et que, d’autre part, chaque poussée émancipatrice entraîne des réactions de défense des privilèges de la part des dominants. Or, le travail d’éclaircissement autour de cette question n’est pas aisé. On l’a dit, le masculinisme est une nébuleuse et les masculinistes aiment à brouiller les pistes. Certains n’hésitent pas à se dire favorables à l’émancipation des femmes et à l’égalité des sexes. D’autres affirment même avoir appris au contact des féministes et rejettent le modèle viril dominant de la masculinité. Chose encore peu commune, ces hommes souhaitent exprimer leurs émotions et acceptent de dire la « douleur d’être un homme ». Ils pourraient bien réussir à nous attendrir. Mais le plus souvent, quand des hommes parlent de « crise », notamment au sein des groupes de paroles masculins, c’est pour mettre en avant leurs « problèmes d’hommes », et uniquement leurs problèmes, que l’on devrait prendre au sérieux, quel que soit d’ailleurs notre avis sur la question de l’égalité hommes-femmes. Évacuant d’emblée la question des rapports de pouvoir des hommes sur les femmes, ils se focalisent sur les vécus individuels masculins, privilégiant la dimension psychologique des problèmes. Quand la parole se libère, c’est bien souvent pour exprimer une somme de ressentiments plus ou moins confus. Les groupes masculinistes canalisent cette parole narcissique et ces anecdotes personnelles éparses d’hommes en manque de confiance, de maris divorcés ou de pères séparés de leurs enfants, tout cela dans le but de fabriquer des thèses victimisantes et hostiles aux femmes. Pour contrer ce discours il faut décortiquer les mots, qui ne sont pas choisis par hasard.

La « crise » semble être devenue un des concepts fourre-tout utilisé dans le discours que notre société tient sur elle-même. Or, sous ce vocable, on peut ranger tout et n’importe quoi. Les masculinistes se sont eux-aussi emparés de cette idée. Pour eux, « l’identité masculine » aurait été vidée de sa substance et la plupart des hommes se retrouveraient perdus, sans voix claire et forte qui clamerait : « être un homme c’est ça ! ». La nostalgie d’un temps où les identités sexuées et les rôles genrés étaient – selon eux – plus clairs semble les animer ; précisons toutefois que « plus clairs » signifie souvent « plus clairement en faveur des hommes ». Pour les masculinistes, l’origine de leurs problèmes remonte aux luttes féministes des années 1960 et 1970. Ainsi, même si ces luttes sont loin d’avoir aboli le patriarcat, elles semblent avoir complètement déboussolé certains d’entre eux qui affirment à qui veut l’entendre que les hommes sont stigmatisés et ne trouvent plus leur place dans la société, depuis que les femmes se sont libérées et ont pris du pouvoir. Ils se sentent incompris et ne savent plus comment se comporter : viril ou tendre, autoritaire ou à l’écoute, au boulot ou auprès des enfants, chef de famille ou papa poule.... Qu’est-ce qu’être un homme aujourd’hui ? Qu’est ce que la société et les femmes attendent des hommes ? Voilà le genre de questions qu’aiment à (se) poser les masculinistes.

La crise commencerait dès l’école :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Les garçons réussissent moins bien à l’école que les filles. Ils sont désavantagés par le système scolaire. Il faut sauver les garçons »
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« Sauvons les garçons » est le titre d’un livre écrit en 2009, par Jean-Luc Auduc, directeur adjoint de l’IUFM de Créteil, membre du Parti Socialiste. Les explications que cet auteur avancent pour expliquer sa thèse sont tendancieuses et renforcent les mythes des hommes victimes. Des masculinistes défendent eux-aussi l’idée que l’institution scolaire se serait dangereusement « féminisée » et serait devenue globalement défavorable aux garçons, qui ne pourraient plus y exprimer une « saine agressivité ».

Effectivement, les filles réussissent mieux à l’école et à l’université (du moins les premières années) que les garçons. Mais le chômage et la précarité les touchent plus fréquemment, leurs salaires restent inférieurs à ceux des hommes et elles occupent plus souvent des emplois subalternes. Quant aux hommes, ils continuent d’être sur-représentés dans les domaines socialement valorisés (comme l’informatique, les sciences ou la finance) et représentent encore la majorité des effectifs des grandes écoles. Il y a donc là un paradoxe. Les difficultés scolaires des garçons – que les masculinistes exploitent pour développer leur thèses victimisantes – ne produisent pas ce que le système méritocratique aurait, logiquement, dû produire : un avantage des filles sur les garçons dans l’accès aux professions et aux positions sociales les plus intéressantes. En effet, malgré un taux de réussite scolaire statistiquement meilleur pour les filles et obtenu au prix de véritables efforts, les garçons bénéficient encore d’une protection patriarcale invisible qui leur donne un avantage dans le monde du travail. Où se trouve donc l’injustice ?

Quant au monde de l’enseignement, il est en effet aujourd’hui plutôt féminin. Comme les professionnel.le.s de la petite enfance, les enseignant.e.s du primaire sont majoritairement des femmes. Partant de ce constat, des masculinistes n’hésitent pas à affirmer que les femmes, majoritaires dans ces métiers, utilisent leur position pour dévaloriser les garçons et favoriser les filles. L’échec scolaire des garçons serait donc dû à cette « revanche de classe » orchestrée par un clan professoral dominé par les femmes. Plutôt que de s’attarder sur de tels fantasmes, il serait plus judicieux de chercher à savoir pourquoi l’éducation des jeunes enfants est un travail encore très largement assumé par les femmes et – volontairement – délaissé par les hommes. Dans leur parcours d’orientation professionnelle, les filles n’échappent pas facilement à l’idée reçue qu’elles sont « naturellement » disposées à s’occuper des enfants. Quant aux hommes, autrefois majoritaires dans l’enseignement – on pense à la figure de l’instituteur autoritaire sous la IIIème république – ils ont progressivement déserté ces métiers pour des emplois mieux valorisés et mieux rémunérés. Quand, toutefois, de jeunes hommes choisissent, par conviction, le métier d’instituteur ou de s’occuper de très jeunes enfants, il y a de fortes chances qu’ils reçoivent pour cela plus de considération que de mépris ou d’hostilité, contrairement à ce qu’affirment les masculinistes dénonçant les prétendues discriminations subies par des hommes dans le secteur de la petite enfance.

Enfin, il conviendrait de préciser de quels types de difficultés scolaires on parle et du sens qu’on peut leur attribuer. S’il s’agit de résistance à l’apprentissage, d’échecs aux examens ou de difficultés mesurées à l’aune des comportements d’insoumission (qui se traduisent en général par des sanctions), bien souvent en effet, les garçons sont statistiquement plus concernés que les filles. Mais c’est bien parce que, contrairement aux filles dont on attend de la docilité, la transgression des règles et le défi de l’autorité sont des comportements globalement mieux acceptés de la part des garçons. Ils fonctionnent même comme un vecteur d’affirmation de soi et d’intégration dans le groupe des pairs. D’autre part, la croyance en l’intelligence – les garçons doutent moins que les filles d’en être dotés – plutôt qu’en l’effort, caractérise plus le rapport des garçons à l’école et peut expliquer leur détachement vis-à-vis de la réussite scolaire. Il est clair que, dans ces conditions, les garçons s’exposent davantage à des parcours chaotiques au sein de l’institution scolaire. Mais c’est encore le prix à payer pour « entrer » dans la masculinité et profiter des privilèges qui lui sont attachés.

« L’identité » masculine ? :

Pour les masculinistes, les hommes seraient en manque de modèles masculins positifs auxquels ils pourraient s’identifier et qui leur redonneraient la fierté d’être un homme. Pourtant, une simple observation des caractéristiques et des rôles des personnages masculins produits par les industries de la culture suffit à balayer cette idée. Dans la littérature comme dans les fictions audiovisuelles, les personnages principaux sont toujours majoritairement des mâles. Ils disposent d’une palette de profils, d’attributs, et d’un répertoire d’actions largement plus riche et diversifié que les personnages féminins. Quant aux héros et super-héros qui disposent de super-pouvoirs, ils sont toujours bien plus nombreux que les héroïnes... et super héroïnes. Si la société est à l’image des symboles culturels dont elle se dote, il y fait toujours bon être un homme ! Toujours est-il que, pour les masculinistes, en quelques décennies tout ce serait inversé. La situation serait alarmante et exigerait du changement. Les plus virulents et réactionnaires exigent un retour à l’ordre passé dans lequel le règne de l’homme sur l’ (les) espèce(s) ne souffrait, de leur avis, nulle contestation. Les plus « sensibles » tendent l’oreille aux critiques des féministes qui appellent à remettre en cause les rôles traditionnels. Mais dans quel but ? Nous allons en effet creuser cette question. Il n’en demeure pas moins que les deux catégories sont à la recherche de « l’identité masculine » perdue et de tous les moyens de valoriser les hommes à travers des modèles positifs de « masculinité ».

Le terme même d’identité pose problème. Il n’y a en effet « d’identité » que construite dans le rapport des individu.e.s à d’autres individu.e.s et à la société dans son ensemble. Or, parler d’une « identité » masculine, pensée comme naturelle et déconnectée du social, c’est succomber à l’idéologie « essentialiste » ou « naturaliste » : les individu.e.s, leurs goûts, leurs comportements, etc. seraient déterminé.e.s par la biologie. Les hommes et les femmes auraient, dès le départ, des fonctions et des identités différentes. Et ces différentes irréductibles expliqueraient les choix opérés au cours de leur vie. Aux femmes l’éducation des enfants, le travail domestique et relationnel, le domaine du sensible. Aux hommes le sens de l’initiative, les activités physiques, la rationalité et le commandement. Cette vision, que nous combattons, tend à légitimer les inégalités et la hiérarchie entre les hommes et les femmes. Nous ne sommes en effet pas plus « programmé.e.s » génétiquement pour effectuer certains types de tâches que pour diriger ou être dirigé.e.s. Nous ne sommes pas non plus programmé.e.s pour nous sentir plus masculin que féminin. Nous sommes par contre élevé.e.s dans la croyance en la différence des sexes qui permet d’attribuer des rôles et de justifier les hiérarchies. Dans ce système hiérarchisé, le « masculin » comme le « féminin » occupent donc la place qui leur a été attribué : les hommes en haut et les femmes en bas. Ainsi, le genre masculin est le genre de la domination. Quant à l’identité masculine, elle renvoie forcément au groupe social qui a le pouvoir : les hommes. Pourquoi, dans ces conditions, continuer à être attaché.e à cette « identité » masculine, dont les masculinistes nous disent qu’elle traverse une crise ? La défense et la valorisation de l’identité masculine est, à nos yeux, toujours suspecte. Suspecte d’être au service d’une volonté de pouvoir sur les femmes. Et vouloir dissocier le bon grain masculin de l’ivraie virile ne signifie pas forcément l’abandon d’un telle volonté. En effet, on verra plus loin qu’il ne suffit pas d’inventer et de démultiplier des identités masculines pour que la domination masculine cesse.

Maintenant que l’on a défini de manière un peu plus précise ce qu’une « crise de l’identité masculine » peut vouloir dire pour les masculinistes et pour nous, il est temps de décortiquer et démonter les discours des deux principales tendances quant à ce phénomène. Il faut garder à l’esprit que cette catégorisation est perméable et que les différentes positions s’étendent sur un éventail qui va d’un masculinisme « traditionnaliste » à un masculinisme pseudo-progressiste, dans un souci commun de victimisation des hommes et de renforcement de leur pouvoir. La victimisation n’est qu’un moyen au service du seul objectif : la défense du pouvoir des hommes.

Traditionnalistes et machos décomplexés : « c’était mieux avant ». :

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 Ce que l’on peut entendre :
« L’homme est par nature un prédateur sexuel usant de violence. »
Eric Zemmour, Le premier sexe, Denoël

« J’ai envie de violer des femmes
De les forcer à m’admirer
Envie de boire toutes leurs larmes
Et de disparaître en fumée »
Michel Sardou, Les villes de solitude

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Nous vivons une époque réactionnaire. Le racisme et la xénophobie se portent bien. Le sexisme et l’homophobie s’expriment sans honte. La culpabilisation des pauvres va bon train. L’apathie ambiante et le repli individuel ne laissent pas présager un changement rapide d’ambiance. Dans ce contexte, Eric Zemmour, « polémiste », star des médias français, « bonapartiste » revendiqué et auteur d’un ouvrage à succès intitulé « Le premier sexe », portant sur ce qu’il juge être une « féminisation de la société », peut affirmer tranquillement le genre d’ignominies citées plus haut. Tout comme Alain Soral, essayiste anciennement « de gauche » devenu cadre du Front National, nombreux sont les hommes, plus ou moins célèbres, qui appellent de leur vœux un retour en grâce de l’idéologie viriliste et un retour en arrière en ce qui concerne les rapports femmes - hommes.

Pour ces hommes, l’égalité a ses limites. Ils ne se cachent pas de penser qu’il est bon que les hommes dominent et que les femmes se soumettent. D’ailleurs, la nature aurait doté les hommes des moyens de leur supériorité. Convoquant en effet la « Nature » et la biologie, leur vision de « l’homme », proche d’un documentaire animalier, met largement en avant la force physique, les muscles, la poigne. L’homme c’est bien évidemment celui qui « a des couilles », s’impose dans l’espace, parle fort, se comporte en conquérant, en prédateur, défend le foyer et existe de manière violente face à ses congénères. Un guerrier moderne en quelque sorte, un battant, qui n’a pas à « s’excuser » d’être un homme. Leur critique de la faiblesse – caractère féminin – et la revendication d’une virilité agressive sont en outre fortement teintées d’homophobie. Ainsi, Zemmour n’hésite pas à critiquer ce qu’il nomme « l’idéologie gay » qui pousserait tous les hommes à devenir « des femmes comme les autres ». Il s’agit en somme d’une nouvelle génération de « machos » qui ajoutent une couche de théorie nauséabonde aux vieilles réflexions de comptoir.

Pour cette frange traditionnaliste des masculinistes, si l’identité masculine est en crise, c’est parce que les femmes ont déserté les rôles et la place qui leur étaient traditionnellement assignés : à savoir la boniche à la maison avec enfants et casseroles, la potiche frivole ou la femme-objet sexuel. La famille nucléaire et l’autorité patriarcale, base à leur yeux d’un ordre social sain, serait en danger. C’est la raison pour laquelle ils ne supportent pas les comportements d’insoumission et en appellent au retour à l’autorité. Ils analysent ainsi les comportements rebelles de certain.e.s jeunes – surtout quand il s’agit de pauvres et non-blanc.he.s – comme le résultat logique de l’absence de poigne paternelle. Dans ce cadre, on imagine aisément la haine qu’ils vouent à la plupart des féministes, évidemment « castratrices », accusées d’avoir réussi à imposer les « valeurs féminines » au détriment des valeurs masculines et mis en place un système politique et social de type « matriarcal ».

D’un point de vue plus général, ils s’insurgent contre le « politiquement correct », qu’ils accusent de scléroser la pensée. Ils se plaignent de vivre dans une société qui protègerait ses « minorités », où il devient impossible de critiquer ou se moquer, par exemple, des « noir.e.s », des « arabes », des femmes, des handicapé.e.s, des gros.ses, etc. Ils accusent celles et ceux qui ont combattu pour leur émancipation et pour l’égalité, d’avoir pris le pouvoir et d’orchestrer aujourd’hui une censure institutionnelle : féministes, anti-racistes, homosexuel.le.s. Avec cette critique du « politiquement correct » qui peut recevoir aujourd’hui un écho relativement large, de vieux hommes blancs hétérosexuels et de droite aiment à se présenter comme des hérauts de l’anti-conformisme, pourfendeurs du nouvel ordre moral, appelant à la désobéissance civile. Grossière pirouette rhétorique mais tactique politique payante.
Qu’on en juge par la couverture de la revue Médias qui affirme « femmes, juifs, arabes, noirs, handicapés, homosexuels : ce qu’on ne peut plus dire », affichant une Marianne bâillonnée [45].

Personne n’est dupe. Qui détient le pouvoir aujourd’hui ? La classe politique (assemblée nationale, sénat, ministères, conseils régionaux et municipaux...) est composée à 80% d’hommes. Quant aux entreprises du sacro-saint CAC40, elles sont toutes dirigées par des hommes. Soyons clair-e-s. Nous ne souhaitons pas être dirigé-e-s et exploité-e-s de manière égalitaire par des hommes et des femmes. On se passerait bien de chefs. Mais il se trouve que les chefs sont très majoritairement des hommes. Au quotidien, qui continue de tirer profit de l’extorsion d’un travail gratuit (travail domestique et soin des enfants) ? Qui occupe l’espace public, la nuit notamment, de manière quasi hégémonique ? Dans les rapports sociaux de sexe, le pouvoir et les privilèges sont encore entre les mains des hommes. Le « matriarcat », la « féminisation » de la société ne sont que des concepts absurdes et des mythes censés alimenter la paranoïa victimiste des hommes et leur haine des femmes.

Au XXe siècle, les régimes totalitaires ont réussi à magnifier un certain idéal masculin en imposant le culte de la virilité. Cette entreprise a conduit les hommes à s’entretuer, à violer et à massacrer des femmes par millions lors de deux guerres mondiales [46]. On aurait pu penser, après un tel désastre, que l’image de l’homme guerrier, le soldat conquérant et les valeurs mortifères qu’il véhicule allaient être sévèrement remises en question. Certes, autrefois hégémonique, le modèle classique du masculin viril a perdu un peu de sa superbe. Les luttes féministes ont largement contribué à ce résultat. Toutefois, même si d’autres modèles de « masculinité » émergent et même si sa légitimité tend à s’éroder, ce modèle du masculin viril n’a pas disparu. Loin s’en faut. Il se porte même plutôt bien. On continue d’offrir aux petits garçons des armes en plastique et les ados cherchent toujours à savoir qui a « la plus grosse » [47]. Quant à la guerre, la vraie, elle a beau s’être éloignée de nous, dans nos sociétés pacifiées, elle a été remplacée par une autre guerre, celle de tou.te.s contre tou.te.s. En effet, dans le capitalisme globalisé, les valeurs de la compétition et de l’agressivité ont plus que jamais la côte. Pour s’imposer, dans le monde du sport comme dans celui de l’économie, il faut savoir écraser l’autre. Managers et coachs travaillent à réveiller nos instincts de « battant.e.s » et à exploiter les faiblesses de nos ennemi.e.s. Hommes et femmes sont, presque à égalité, sommé.e.s d’intégrer ces valeurs destructrices.

Dans un tel contexte, et bien qu’il paraissent dater d’un autre âge, les discours masculinistes sur le besoin d’autorité et d’agressivité - « source de vie » (dixit Yvon Dallaire) – rencontrent un écho grandissant. Il ne faudrait donc pas prendre à la légère les embardées revanchardes des masculinistes traditionnalistes. Elles nous rappellent que la racine de cette idéologie à combattre, sur le long terme, est toujours aussi vivace. Cependant, il ne faut pas sous estimer la nocivité d’autres ennemis, moins clairement identifiables au premier abord, qui pointent le bout de leur nez.

Les « faux-amis » : vers un masculin positif ? :

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 Ce que l’on peut entendre :
« Apprendre à se parler entre hommes à propos de la paternité, de la sexualité, la place de l’homme au sein de la famille ou de la Société et l’appréhender – pour une fois – comme une victime de discriminations plutôt qu’en coupable… »
Eric Verdier, Et si on mettait l’homme au programme ?, altersexualite.com

« Tu sais, ne crois pas trop tout ce qu’on te dit,
ne crois pas trop tout ce que tu lis
c’est difficile d’être un homme aussi »
Michel Berger, C’est difficile d’être un homme aussi, 1980.

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Dans la grande famille des masculinistes, il y a ceux qui veulent se démarquer des masculinistes « purs et durs ». Pour cela ils peuvent choisir de se donner le nom « d’hoministes ». Ils disent ne pas se reconnaître dans la masculinité virile, semblent avoir adopté une éthique égalitaire et retenu quelques leçons du féminisme, notamment l’idée que le dépassement des rôles genrés pourrait leur être profitable. Ainsi certains d’entre eux, entrainés par la vague du new age, adeptes du « développement personnel » et baignant dans une sous-culture psychanalytique, remettent formellement en cause la pression à la virilité, la compétition entre hommes, ou l’agressivité comme mode d’expression principal. Ils pensent qu’il est bon, en tant qu’homme, d’accepter « la part féminine de sa personnalité ». Ils font souvent partie de groupes de paroles d’hommes et accordent une place importante à l’expression des émotions, se permettant, bien souvent sur le tard, de pleurer en public ou d’avoir des gestes de tendresse entre hommes. Ainsi, s’ils cherchent à (re)trouver la force d’être des hommes, des vrais, ils ne veulent pas pour autant cacher leurs souffrances et acceptent de se mettre à nu en se montrant tels qu’ils sont, vulnérables.

Des hommes à la conquête de leurs émotions

Qu’ils appartiennent à la mouvance sectaire des « Nouveaux guerriers » [48] ou aux groupes de soutien et de thérapie, tels que ceux du Réseau Homme de Guy Corneau, ces hommes se retrouvent en « non-mixité » (entre hommes) pour partager leurs expériences et réfléchir à leur masculinité. Dans ces groupes, l’accent est mis uniquement sur les récits de vie, les anecdotes personnelles, les parcours individuels. Au cours de séances d’introspection collective, ils explorent leurs conditions d’hommes, questionnent leurs rapports à leur père, à leur mère, interrogent leurs relations avec les femmes.

Ceux qui ont des enfants se projettent dans le personnage du père moins distant, plus affectueux. La démarche de ces « nouveaux hommes » ou « nouveaux pères », qui s’autorisent la sensibilité, paraît bien séduisante et déclenche de prime abord l’empathie. Mais entamer cette démarche n’acquitte pas les hommes de leur responsabilité dans le maintien des rapports de pouvoir asymétriques entre les hommes et les femmes.

Qu’on ne se méprenne pas. On ne peut que se réjouir que des hommes parlent d’eux, expriment leurs émotions face à d’autres hommes. C’est même un pas important pour des hommes qui ont rarement appris à le faire. À la différence des hommes, les femmes – qui ont été affectées aux activités domestiques, d’éducation des enfants et de soins aux autres – ont développé des compétences et des qualités telles que l’expression de ses ressentis, l’écoute ou l’empathie. Si les hommes ont été jusqu’à aujourd’hui contraints de mettre à distance leurs émotions et de se montrer insensibles, ce n’est pas à cause des femmes qui se seraient accaparées le domaine du sensible et les qualités dites « féminines », comme s’en plaignent des masculinistes. Mais c’est le produit de la division sociale des rôles qui s’est faite au profit des hommes. Que ces derniers souhaitent remettre en question ces rôles et découvrent aujourd’hui les vertus de ces qualités « féminines », tant mieux ! Mais, s’il peut s’agir d’une première étape vers une remise en cause profonde de leurs comportements et une prise de conscience des dégâts causés par leur construction masculine, il ne s’agit pas d’une fin en soi, de quelque chose dont on pourrait se contenter. Que quelques hommes se mettent en effet à exprimer émotions, souffrances et empathie n’a pas comme conséquence la fin de la domination masculine. L’expression des émotions de la part des hommes n’est ni bonne « en soi », ni une garantie de progressisme ou de « pro-féminisme ». Francis Dupuis-Déri souligne à ce sujet que « l’expression ou non des émotions n’a pas en soi de signification politique. Pour le dire de manière crue, une esclave ne sera pas libre si elle convainc son maître d’exprimer ses émotions, et le maître ne sera pas moins maître s’il exprime des émotions. Dans la même veine, de grands artistes masculins ont exprimé avec brio des émotions par leur art tout en restant de parfaits misogynes. L’expression des émotions ne signifie donc ni être juste, ni être à égalité avec l’autre, ni être féminin ou féministe. » [49].

Les limites et les dangers de la non-mixité masculine

À force de se regarder le nombril, on finit par ne plus voir... que son nombril. Toutes ces litanies sur les mères castratrices et les pères absents, ces complaintes sur le père qu’ils ne savent pas être, ces doutes sur le mari qu’ils essayent d’être, etc. donnent le tournis. Mais surtout, à les entendre, on finirait pas croire que les difficultés et la souffrance des hommes est le seul sujet digne d’intérêt. En effet, plus ils parlent d’eux, moins ils parlent d’autre chose : comme de la souffrance autrement plus importante des femmes ou des rapports sociaux de sexe, dans lesquels les hommes, en tant qu’hommes, occupent la position dominante. Et quand de surcroît, ensemble, ces hommes se mettent à chercher des responsables à tous leurs malheurs, les premières personnes qui leur viennent à l’esprit sont souvent des femmes (mères, belles-mères, compagnes, ex, etc.). On voit bien alors la facilité avec laquelle ces paroles masculines peuvent, sans un cadre d’analyse sociale et politique adéquat, glisser vers l’expression simple d’une misogynie latente. Derrière leur apparence respectable et leurs belles intentions, les masculinistes (ou hoministes) exploitent ces paroles d’hommes, sincères ou non, pour les retourner contre les femmes.

Nous avons donc toutes les raisons de nous méfier des groupes de parole d’hommes. La non-mixité masculine choisie, n’est pas une forme bonne en soi. Elle est même plutôt problématique. Quand les membres d’un groupe social dominant décident de se réunir, ce n’est en effet jamais très rassurant. Presque toujours, c’est parce qu’ils ont quelque chose à gagner dans la non-mixité : un enrichissement personnel, un gain de confiance en soi, une possibilité d’élargir la palette de ses comportements. Quand il s’agit d’aborder le vécu des hommes en ce qu’il peut avoir de douloureux, de conflictuel ou de difficile à vivre, on trouve des candidats. Par contre, dès qu’il est question de remettre en cause ses comportements vis-à-vis des femmes et de questionner sa place d’homme dans la société et les privilèges qui lui sont attachés, il n’y a plus personne. La majorité refuse de s’adonner à ce qu’ils considèrent être de « l’auto flagellation » ou de la culpabilisation. Ils affirment ne pas faire de politique et ne seraient pas dans l’idéologie. Au final, la non-mixité masculine sert le plus souvent le projet d’améliorer le confort psychologique de ces hommes et de renforcer la solidarité entre dominants.

Voilà pourquoi il convient d’être vigilant.e.s et de toujours questionner les motivations des hommes qui font le choix de la non-mixité. Et cette vigilance ne doit pas nous quitter, quand bien même le but affiché de ces hommes serait de s’émanciper du modèle du masculin viril et de s’ouvrir à d’autres hommes qui rejettent également ce modèle-là. On n’est jamais à l’abri des dérives masculinistes. Depuis la fin des années 1970 et dans le sillage des luttes féministes, des expériences de non-mixité masculine sur des bases antisexistes ou proféministes ont bien eu lieu [50]. Quoique très rares, elles ont permis à des hommes de prendre mieux conscience de leurs comportements oppressants, de se responsabiliser sur les questions de la contraception, de construire des relations de solidarité avec les féministes. Mais même parmi les militants en contact avec les mouvements féministes, des écueils de la non-mixité masculine n’ont pas pu être évités. Symétrisation des souffrances des hommes et des femmes, relativisation de la domination et des violences masculines, victimisation des hommes et retournement des analyses féministes pour servir l’intérêt des hommes, etc.

Si l’on peut souhaiter que de plus en plus d’hommes se retrouvent pour exprimer et analyser les difficultés qu’ils rencontrent, il est indispensable qu’ils conservent à l’esprit les cadres d’analyses féministes et se rappellent en permanence le contexte social et politique. Si le travail sur soi en non-mixité masculine consiste à se convaincre que les hommes ne sont pas si mal et qu’ils ne font pas que du mal, mieux vaut fuir ces espaces. Car une simple volonté d’épanouissement personnel quand, qu’on le veuille ou non, on fait partie des dominants, ne fait qu’asseoir sa position. Pour les hommes qui souhaitent vraiment remettre en question leur place dans la société et contribuer à détruire le système patriarcal, pourquoi ne pas s’attaquer aux racines du problème, en eux, en commençant par reconnaître leurs comportements sexistes et leur propre violence ?

En finir avec le masculin ? :

Les discours sur le malaise des hommes et la « crise de la masculinité » nous posent sérieusement problème. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu les décrypter pour mieux les démonter. Pour aller plus loin, on aimerait pouvoir faire un pas de côté et donner un autre sens à l’expression de cette « crise ». En effet, si elle est vraiment en crise, quel est l’intérêt de vouloir à tout prix sauver la « masculinité » ? Y-a-t’il vraiment quelque chose à garder d’une identité sociale qui n’existe qu’à travers la domination d’un groupe sur un autre ? Plutôt que de chercher à la revendiquer et à la réaffirmer, pourquoi ne pas déserter l’identité masculine ?

On pourrait tout à fait se réjouir que la confiance en la suprématie des mâles vacille et que tremble le masculin, le genre de la domination. Si tel était vraiment le cas, nous pourrions faire une force du trouble semé dans l’ordre social sexuel. Pour cela, il faudrait prendre le contre-pied total de ce que font les masculinistes. Contrairement à eux, nous ne souhaitons pas que les hommes redéfinissent leur identité masculine en réaffirmant l’importance du masculin. Nous ne croyons pas qu’en développant, contre le modèle du masculin viril, une multitude de masculinités différentes, même « positives », la hiérarchie des classes de sexe et l’oppression des femmes disparaitra.

Ainsi, le projet de nos « faux-amis » masculinistes ne nous convient pas. Nous préférons plutôt explorer d’autres possibles pour atteindre l’égalité et la justice. Et pour cela, nous nous passerions bien du masculin. Les hommes peuvent en effet relever un défi autrement plus ambitieux : en finir avec le masculin, en tant qu’identité et pratiques [51]. Il s’agirait de devenir des « traitres à leur classe de sexe » en agissant concrètement à l’encontre des oppressions dirigées contre les femmes et en explorant des identités radicalement nouvelles et détachées du référentiel masculin.
Pourquoi en effet continuer à se poser la question : qu’est-ce qu’être un homme ? Il est en effet possible de réinvestir de sens la question de l’identité autrement que par le prisme de la différence des sexes. Pourquoi, par exemple, ne pas tenter de sortir de la binarité des genres (masculin – féminin), par trop enfermante, en produisant une variété infinie de genres ?

CONCLUSION :

Le masculinisme est une lame de fond revendicatrice d’hommes craignant de perdre leurs privilèges au sein d’une société encore très clairement patriarcale. Ce n’est pas un phénomène nouveau. Comme on l’a vu, il s’inscrit dans une longue suite de réactions à l’émancipation des femmes. Il est bien en cela un mouvement réactionnaire et doit être rangé aux côtés des montées xénophobes et sécuritaires de ces dernières années. Dans ce climat propice aux expressions d’orgueil des groupes sociaux dominants, on parvient à faire croire que le confort de certain.e.s serait menacé par « les autres ». Pour les hommes qui produisent un discours revendicateur en tant qu’hommes, « les autres » sont bien évidemment les femmes, toutes les femmes, et pas seulement les féministes. La dangerosité de l’idéologie masculiniste tient sûrement au fait qu’elle a donné naissance à un véritable mouvement social, vaste, pluriel et organisé, ainsi qu’à l’écho globalement très favorable que ses idéologues rencontrent dans les médias.

Le thème pour le moins sentimentaliste des « droits des pères » constitue à la fois le principal champ d’action des masculinistes et un redoutable cheval de Troie. Pourtant il est facile de démontrer que les situations de divorces ou de séparations restent très majoritairement défavorables aux femmes plutôt qu’aux hommes. Le système de la garde alternée, revendication chérie des masculinistes, est un moyen de pression efficace pour des « nouveaux pères » imaginaires et rarement de bonne foi. Il constitue très souvent un piège social et économique pour les femmes.

L’examen rigoureux de la réalité concernant les rapports de violence entre hommes et femmes aura quant à lui permis de contrer la thèse irrecevable d’une violence équivalente, sinon plus importante du côté des femmes. Si les femmes ne sont par par nature non-violentes, qu’il s’agisse des violences psychologiques ou du viol, on a bien affaire à des armes utilisées socialement par les hommes contre les femmes. Des armes qui ne sont que la traduction en actes d’un système social inégalitaire et lui-même violent. Enfin, derrière l’emploi fallacieux des chiffres des suicides, on aura débusqué une réalité pourtant claire : les femmes tentent aussi souvent que les hommes de mettre fin à leurs jours. La fable des hommes persécutés ne tient donc pas : si les hommes subissent des violences, c’est dans l’écrasante majorité des cas le fait d’autres hommes.

Il fallait, pour terminer, démonter l’idée de « crise de la masculinité », une thèse malheureusement fédératrice. Après avoir montré que le système scolaire était loin d’être aussi défavorable aux garçons que les masculinistes l’affirment, la pertinence même d’une identité masculine figée ou à reforger a pu être questionnée. L’homme viril, autoritaire et naturellement violent loué par les masculinistes traditionnalistes restera toujours un ennemi à combattre. Le « faux-ami », à la conquête de ses émotions au sein de groupes de parole, semble être un danger plus pernicieux pour celles et ceux qui cherchent des rapports nouveaux entre femmes et hommes, puisque, sous couvert de recherche d’une nouvelle masculinité, il cherche une fois de plus à placer les intérêts des hommes en première place. La « masculinité » n’est donc pas en crise. Après avoir été légèrement ébranlés par les critiques féministes, les hommes sont simplement en train de renouveler et réaffirmer leur position de pouvoir.

Pour nous qui luttons pour une société libérée de tous les rapports de domination, quels qu’ils soient, le masculinisme constitue un obstacle de taille. Nous ne nous situons pas au-dessus de la mêlée et gardons en tête que, pour changer les rapports sociaux, un aller-retour permanent entre théorie et pratique est nécessaire. C’est pourquoi nous avons voulu partager ce que nous avons appris, collectivement, en quelques mois ; en espérant que l’outil que constitue ce texte puisse servir à quiconque voudra aiguiser sa vigilance.

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Radiorageuses, une nébuleuse d’émissions de féministes, de meufs, de gouines, de trans, et de femmes... http://www.radiorageuses.net

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KOHLER François, Le souffle du désert.

[1Des hommes en vrai, de Patrice Chilowicz, 2009.

[2Pour approfondir, on peut se référer aux travaux éclairants de Colette Guillaumin, Nicole-Claude Mathieu, ou Christine Delphy.

[3LE DOEUFF Michèle, L’étude et le rouet. Des femmes, de la philosophie, etc., Paris, Seuil, 1989.

[4DUFRESNE Martin, Masculinisme et criminalité sexiste, in Recherches féministes volume 11,
n°2, 1998.

[5Les phrases en italique situées au début de certains paragraphes sont soit des citations de militants masculinistes, auquel cas on indique leur source, soit des phrases que nous avons déjà entendues dans la rue, dans des conversations, etc. Dans tous les cas, ces assertions, que nous proposons de démonter, sont signalées par la mention « CE QU’ON PEUT ENTENDRE ».

[6LAMPRON E. M., Liberté, fraternité, masculinité : les discours masculinistes contemporains du Québec et la perception des femmes dans la France révolutionnaire, in « Le mouvement masculiniste au Québec ».

[7FALUDI Susan, Backlash, la guerre froide contre les femmes, 1993.

[8Un mouvement contre les femmes – Identifier et combattre le masculinisme, brochure.

[9Voir plus bas pour une présentation du personnage.

[10Le new age est un courant spirituel né dans la deuxième moité du 20ème siècle aux Etats-Unis, caractérisé par une approche individuelle et éclectique de la spiritualité, qui permettrait, à terme de changer l’humanité. Il s’agit aussi d’un débouché commercial juteux pour une foule d’auteur.e.s aux théories farfelues qui profite de la quête de sens des classes aisées occidentales.

[11PALMA Hélène, La percée de la mouvance masculiniste en Occident, www.genreenaction.net.

[12En France, quatre membres de SOS Papa ont été jugés pour avoir aidé un homme à enlever son enfant. Cet homme animait alors la section SOS papa d’Aix-en-Provence. Le procès a eu lieu début 2009 et il a été condamné à 6 ans de prison.

[13Il se trouve que les femmes sont nombreuses aux événements publics organisés par le Réseau hommes qui accueille même en son sein des groupes de femmes. Ce n’est peut-être pas un paradoxe si l’on prend en compte le fait que les théories et les méthodes du développement personnel attirent majoritairement des femmes.

[14Les nouveaux guerriers : du proféminisme au masculinisme, brochure, 2012.

[15Elle serait utilisé aujourd’hui dans 15% des divorces prononcés en France, le plus souvent dans les cas de divorce par consentement mutuel, selon une Enquête du Ministère de la Justice publiée dans Infostat justice en 2009.

[16CHAUSSEBOURG Laure, La contribution à l’entretien et l’éducation des enfants mineurs dans les jugements de divorce, INFOSTAT JUSTICE, bulletin d’informations statistiques n°93, février 2007.

[17Selon l’INSEE, les femmes sont payées 25% de moins que les hommes.

[18Selon Anne-Marie Devreux, 3 pères sur 4 se déclarent non-participants dans le domaine parental, quel que soit le nombre d’enfants. DEVREUX Anne-Marie, Autorité parentale et parentalité. Droits des pères et obligations des mères ?, Dialogue, 2004.

[19CHAUSSEBOURG, op. cit.

[20On peut retrouver des témoignages dans le film Prends garde à toi, document pédagogique s’adressant à des acteurs sociaux qui travaillent auprès de femmes victimes de violences domestiques et auprès d’auteurs de violences. Réalisé par Maïté Debats et Carole Prestat, APIAF, décembre 2005, Toulouse.

[21Pour un démontage du mythe de la « nouvelle paternité », voir A-M. Devreux, op. cit.

[22Kramer vs Kramer, film américain de Robert Benton, avec Dustin Hoffman, 1979.

[23Extrait traduit tiré d’un article de Gardner publié en 1993 dans la revue National Law Journal. Voir la brochure Un mouvement contre les femmes, op.cit.

[24D’un crime, l’avortement ne devient « plus » qu’un délit...

[25Pour plus d’information sur les luttes autour de l’IVG, lire COLLECTIF IVP, Avorter. Histoires des luttes et des conditions d’avortement des années 1960 à aujourd’hui, Tahin Party, 2008.

[26Issu du dossier que la chaîne de télévision franco-allemande Arte a consacré au masculinisme sur son site le 22 mars 2005, en lien avec la projection du documentaire In nomine patris.

[27On pense notamment aux réactions offusquées d’Elisabeth Badinter et de Marcela Iacub qui accusent cette enquête et les chercheuses féministes de victimiser les femmes, d’exagérer les effets de la domination masculine sur les femmes, d’amplifier les chiffres et de nier que les hommes peuvent aussi être victimes, de la violence des femmes notamment. Pour lire une réponse argumentée à ces critiques, on peut se réfèrer à l’article de Maria De Koninck et Solange Cantin paru dans la revue Nouvelles questions féministes (Vol 23-n°1, 2004), La critique de l’Enveff signée par Marcela Iacub et Hervé Le Bras ou l’arroseur arrosé.

[28Dixit Sophie Torrent, auteure de Hommes battus : un tabou au coeur de tous les tabous, éditée par Yvon Dallaire.

[29Ces phrases sont extraites du film documentaire Des hommes en vrai, de François Chilowicz, basé sur des témoignages d’hommes.

[30C’est toutefois ce que tentent de faire les représentants de la branche la moins virulente du mouvement masculiniste. Mais il faut préciser que ces derniers s’arrangent quand-même pour quasi systématiquement rejeter la faute sur les femmes qui, selon eux, exerceraient sur leurs partenaires une pression insupportable en exigeant qu’ils se comportent en « vrais » hommes.

[31CARDI Coline, PRUVOST Geneviève, La violence des femmes : occultations et mises en récit, Champ Pénal, Le contrôle social des femmes violentes, Vol VIII, 2011.

[32BUGNON Fanny, Quand le militantisme fait le choix des armes : les femmes d’Action Directe et les médias, in Sens-public (revue Web), 22 mai 2009.

[33La vérité sur les violences conjugales, paru dans L’Express, lundi le 20 juin 2005.

[34Dans son livre, La violence des femmes, il sous-entend, sans jamais le démontrer, que les violences exercées par les femmes sont sous-estimées et volontairement tues.

[35Lire par exemple le Manifeste pour la désexuation sur le site du GES : http://g-e-s.over-blog.com/pages/manifeste-pour-la-desexuation-4788650.html

[36ROMITO Patrizia, Un silence de mortes. La violence masculine occultée, Syllepse, 2006.

[37Dixit Yvon Dallaire, 2002.

[38Le comble est peut-être qu’elle est devenue une sorte d’icône, incarnant, à elle seule, les tortures et humiliations pratiquées en Irak par l’armée américaine pour démoraliser les ennemis de la « démocratie ». Plutôt que de retenir l’horreur des exactions perpétrées par une armée d’occupation dans un conflit totalement asymétrique, les médias et l’opinion publique sont tentés, en commentant les photos de cette soldate, de retenir tout autre chose : que même une femme peut se prêter à ces pratiques cruelles.

[39Ces idées peuvent même se retrouver dans un livre consacré au viol, dans lequel l’un des enjeux est d’impliquer les hommes sur ces questions : Le viol, un crime ordinaire, d’Audrey Guiller et Nolwenn Weiler, Le Cherche-midi, 2011.

[40DELPHY Christine, Un troussage de domestique, Syllepse, 2011.

[41DUPUIS-DERI Francis in BLAIS Melissa et DUPUIS-DERI Francis, Le mouvement masculiniste au Québec, l’anti-féminisme démasqué, Les éditions du remue-ménage, 2008.

[42Voir à ce titre les travaux de Paola Tabet, anthropologue féministe italienne, qui a bien montré que les hommes se sont arrogés le monopole des armes et des techniques.

[43DUPUIS-DERI Francis, op. cit.

[44A l’exception notable d’Eric Verdier (voir Introduction), qui utilise souvent cette position pour rendre le reste de son analyse imperméable à la critique.

[45Médias, n°21, été 2009.

[46CORBIN Alain (sous la direction de), Histoire de la virilité, Tome 3, Seuil, 2011.

[47FALCONNET George, LEFAUCHEUR Nadine, La fabrication des mâles, Seuil, 1975. Beaucoup de constats tirés de cette enquête sur la construction masculine sont encore d’actualité, même si elle date du milieu des années 1970.

[48« Les nouveaux guerriers : du proféminisme au masculinisme », brochure, 2012.

[49DUPUIS-DERI Francis, Les hommes proféministes : compagnons de route ou faux-amis, in Recherches féministes, vol. 21, n°1, 2008, p.149-169.

[50Autour notamment de l’association ARDECOM (Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine) et de la revue Types-Pas rôles d’hommes, mais aussi autour des différentes rencontres anti-patriarcales organisées dans les milieux libertaires. Pour une présentation de ces expériences, voir notamment JACQUEMART Alban, Les hommes dans les mouvements féministes français (1870-2010). Sociologie d’un engagement improbable, Thèse de doctorat, EHESS, juin 2011.

[51Sur ce sujet, on trouvera une analyse des réflexions masculines radicalement anti-masculinistes dans la thèse de Léo Tiers-Vidal, De « L’Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination, Editions L’Harmattan, Paris, 2010.


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