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Rien sur nous sans nous

mis en ligne le 12 août 2020 - Calvin Arium , dcaius , Gwenn SEA , HParadoxæ , Lee Antoine

Alors, tu es triggered ?

par Biaise – publié sur http://biaise.net/blog

[Avertissement de contenu : réseaux sociaux, internet, isolement, disputes, harcèlement en ligne, mention de nourriture]

Si comme moi vous socialisez beaucoup via internet, vous avez déjà vu passer des parodies et des blagues au sujet des trigger warnings (TW) ou content warnings (CW). On pourrait croire que c’est réservé à quelques bastions de trolls, mais ce n’est hélas pas le cas. Dès que le ton monte, les TW ironiques et les sarcasmes à ce sujet arrivent.

Histoire d’un faux débat

Les trigger warnings, littéralement « alerte de déclencheur », sont un outil qui sert à prévenir d’un contenu potentiellement choquant dans un média (texte, vidéo...). On dit « trigger » ou « déclencheur » car ce contenu pourrait déclencher des symptômes chez une personne souffrant de certaines maladies mentales, tels que des flash-backs, une crise d’angoisse, de la tachycardie, un mutisme, ou une dépersonnalisation. Les maladies concernées les plus connues sont le Syndrome de Stress Post Traumatique (SSPT), le Trouble Anxieux Généralisé (TAG) ou les Troubles du Comportement Alimentaire (TCA). On parle aussi de content warning quand le contenu ne sera pas choquant mais que sa nature pourrait tout de même déclencher les symptômes sus-nommés. Par exemple, parler de nourriture, de recettes de cuisine, ou mentionner un gros festin, peut atteindre les personnes souffrant d’un TCA. La mention de certaines activités en apparence anodines, comme les sports d’hiver ou un trajet en voiture peuvent aussi renvoyer au traumatisme d’une personne souffrant de SSPT.

Alors n’importe quoi peut être déclencheur ? Oui, n’importe quoi. D’où l’intérêt de noter les sujets abordés dans un contenu que l’on publie. Une pratique déjà courante que ce soit dans les bibliothèques, pour faciliter le classement, ou sur les réseaux sociaux et les blogs, avec les tags (#), pour faciliter la recherche et l’archivage. Rien de très nouveau alors ? Quand des militants ont commencé à défendre l’intérêt des TW et CW pour l’accessibilité (c’est à dire accessibilité aux personnes malades/handicapées), des réactions très vives et épidermiques ont fait surface. Certains parlaient de censures, d’autres se plaignaient qu’en procédant de la sorte on dorlote trop les gens et qu’on les coupe des dures réalités du monde extérieur. Taguer ses textes et classer les médias par sujet ne dérangeait personne, et était même très apprécié, quand sou-dain des malades mentaux·ales on expliqué que c’était particulièrement important pour elleux. Et là, catastrophe, il fallait absolument faire barrage ! Aider les malades mentaux·ales ? Et puis quoi encore !

Dorloter ?

Des experts du dimanche ont bien entendu fait leur apparition pour expliquer qu’en réalité les TW et CW seraient nocifs pour les malades, car ceci nous couperait de la dure réalité, de la vraie vie qui pique et qui brûle. De longs textes ont lancé quelques a priori faux et simplistes sur ce qu’on appelle « exposure therapy », d’autres ont parlé d’isolement, de trop rester chez soi...

Concernant l’exposure therapy, il s’agit de soigner une phobie ou un stress post traumatique en exposant læ patient·e à ce qui læ terrifie. Mais les plus paresseux des éditorialistes en herbe ont oublié de potasser le manuel. Une exposure therapy ne consiste pas à jeter une personne qui a peur de l’eau dans le grand bain. L’exposition se fait progressivement et début à doses très légères. Il se passe plusieurs jours entre chaque exposition. Les expositions sont encadrées par des thérapeutes, des soignants, si besoin une personne capable de te soigner si tu as un malaise. Le tout dans un cadre rassurant,où tu sais pouvoir facilement te mettre à l’abri si tu craques. C’est aussi accompagné d’exercices à faire chez soi, mais toujours dans l’idée de progresser lentement et régulièrement. Quel rapport entre une telle thérapie et des provocations qui apparaissent par hasard quand tu ne t’y attend pas ? Sans compter que l’exposure therapy ne fonctionne pas pour tout le monde. Parfois on passe à autre chose afin d’obtenir de meilleurs résultats. Alors qui êtes vous pour imposer vos petites expériences à de parfaits inconnus ? Croyez le ou non, les malades ne sont pas vos cobayes.

Pour ce qui est de parler d’isolement, honnêtement, quand vous voulez ! C’est un sujet très important dans le militantisme autour de l’accessibilité et du handicap. Mais l’usage d’internet est justement un point positif pour nous. Parfois, pas le choix, on ne peut vraiment pas sortir et socialiser à l’extérieur. Et quand tu es malade, les « amis » ne se bousculent pas pour te visiter à domicile. Donc nous sommes nombreux·ses à socialiser sur internet. Et c’est pour cela que nous invitons à beaucoup de vigilance, car nous sommes très présents. Et si une personne en vient à se couper de ses réseaux sociaux et sites préférés car les TW ne sont considérés que comme une vaste blague, vous aurez contribué à son isolement et à la détérioration de sa santé.

Plein la gueule

On en prend vraiment plein la gueule. En sortant de chez nous, en allant faire nos courses, en cherchant un travail ou en travaillant, en allant en cours, en visitant notre famille. Les maladies mentales sont encore énormément stigmatisées et nos demandes d’accessibilités passées sous le tapis. Rien à voir avec une impossibilité technique ou financière. Il s’agit d’utiliser les TW, parfois de baisser la lumière ou la musique dans un lieu public, de réglementer l’usage de feux d’artifice... Mais il n’y a pas de volonté. Finalement, le raisonnement, même s’il se déguise en grande envolée verbale, reste simpliste, cruel et étrangement familier... depuis quelques siècles... toujours le même. Votre base, c’est que les malades mentaux devraient s’endurcir et faire avec. Voilà, et vous, depuis votre normalité prétendue, ne devriez pas avoir à faire des efforts pour nous.

Et les efforts que NOUS faisons pour vous alors ? Nous évitons de vous parler de nos moments les plus durs pour ne pas vous faire de peine ou ne pas ruiner l’ambiance. Nous sourions quand nous avons envie de pleurer. Nous allons vous voir dans un lieu public et bruyant car vous n’avez pas envie de venir chez nous, cela vous ennuie, ce n’est pas assez mondain. Nous nous cachons pour prendre nos médicaments pour ne pas vousmettre mal à l’aise. Nous dissimulons nos cicatrices. Nous édulcorons nos symptômes et nos traumatismes. Nous en faisonts déjà beaucoup. Et le problème, c’est que plus nous vous dorlotons, plus vous en demandez. Vous voudriez que nos maladies soient plus discrètes, plus jolies. Vous voulez bien en discuter oui, pour satisfaire votre curiosité scientifique... ou voyeuse... mais pas pour nous. Pas pour nous aider. Vous voulez bien être la pour consommer notre travail, mais pas pour échanger, ni pour aider. Ça, qu’on se débrouille. Voilà votre problème à vous, psy-validistes. Persuadés de savoir, d’être éduqués, mais toujours enfermés dans de vieilles logiques cruelles et simplistes. Je ne ferai pas dans cet article de description choquante de ce qui se passe quand on est « triggered », ça a déjà été fait, et je commence à penser que si les malades ont besoin de ces textes pour trouver des camarades et des interlocuteurs, les valides ne font que les parcourir et pour certain·es assouvir leur voyeurisme. Mais que ça ne les convainc pas de changer de comportement. Et c’est pour les valides que j’écris ceci, puisqu’il faut tout vous expliquer par le menu.

Mais c’est une blague !

Si vous faites des blagues là dessus, des TW ironiques, que vous sortez des « alors t’es triggered ? » à quelqu’un parce que vous vous disputez, non seulement vous n’aidez pas, mais en plus vous nous enfoncez.

Vous croyez être à contre courant ? Mais vous êtes DANS le courant. Le courant validiste, le courant psy-validiste, le courant qui dit qu’on « naka faire des efforts enfin », le courant massif qui nous pousse toujours plus loin, plus seuls et plus stigmatisés.

Pour chaque pas que nous faisons, vous nous poussez de trois pas en arrière. Vous croyez être tellement « conscient », « woke », éduqué, sensibilisé, que vous pouvez manier l’humour et l’ironie autour de ces sujets, mais vous ne réalisez même pas le mal que vous causez. Alors reculez, écoutez, et prenez vous en à des gens qui vous causent du tort, au lieu de vous en prendre aux cibles faciles. Je sais, ce sera moins facile d’avoir l’air fort·e et brillant·e, mais que voulez vous. C’est la dure réalité.

Si vous rencontrez une personne traumatisée...

par dcaius – publié sur http://dcaius.fr/blog

... je vais mettre les pieds dans le plat avec une recommandation très claire : ne demandez pas à une personne qui a un stress post-traumatique d’où vient son stress post-traumatique. Sérieux, ne faites pas ça.

Ce texte explique cette recommandation, et donne des suggestions pour une approche respectueuse et bienveillante des personnes traumatisées.

« Qu’est-ce qui a provoqué ton stress post-traumatique ? »

Pourquoi les gens posent cette question ? On me l’a posée à de nombreuses reprises, dans un contexte professionnel comme ailleurs. Je sais bien que parfois, cela part d’une bonne intention. Si vous souhaitez savoir quelles précautions prendre avec la personne traumatisée, vous pouvez orienter votre question là-dessus. Pas besoin de demander quels étaient les évènements traumatiques qui ont déstabilisé votre interlocuteurice pour mettre en place des aménagements. Si c’est juste « par curiosité », ravalez votre curiosité, parce que la sécurité de votre interlocu-teur-ice doit passer avant cela, et vous êtes en train de lui demander de revenir sur ce qui sont probablement les moments les plus éprouvants de son existence. Cette discussion pourrait aller dans une direction à laquelle vous n’êtes pas du tout préparé-e-s. Accueillir la confidence de quelqu’un-e sur des évènements traumatisants n’est pas anodin : si vous n’êtes pas prêt-e-s à écouter la réponse, ne posez pas la question.

Les thérapeutes spécialisés en psychotraumatologie vous diront qu’il est recommandé de creuser le sujet des traumas avec précaution et pas à n’importe quel moment. Vous savez comment gérer si la personne fait une crise de panique ou déréalise parce que vous l’avez poussée à parler de ses traumas ?

Cependant, il est possible que la personne ait envie ou besoin de parler du stress post-traumatique ou des évènements traumatiques qui l’ont causé. Si vous souhaitez l’y inviter, vous pouvez le faire autrement qu’en posant une question aussi directe que « Qu’est-ce qui a causé ton stress post-traumatique ? ». Si le but de la conversation est de lui permettre de s’ouvrir sur le sujet (tout en respectant vos limites respectives et le fait que vous n’êtes pas thérapeute spécialisé en psychotraumatologie), vous pouvez lui dire tout simplement « Si tu as envie ou besoin un jour ou l’autre de parler de ce qui t’esarrivé, je suis là. » Il peut être particulièrement intéressant de préciser « Si c’est trop difficile pour moi et que j’ai besoin de faire une pause dans la conversation, ou que tu me donnes moins de détails, je te le dirai ». Cette précision est importante en premier lieu pour vous ; gardez-vous d’oublier complètement vos propres besoins parce que vous souhaitez venir en aide à quelqu’un-e, que vous soyez un-e soignant-e ou non, il est important de prêter attention à votre propre santé mentale et vos propres limites. Cette précision est importante aussi pour votre interlocuteur-ice : nombre de survivant-e-s auront peur de ne pas savoir ce qu’il est approprié de dire ou non, peur que leurs confidences soient trop difficiles à entendre et que le fait de s’être confié-e contribue finalement à leur isolement. Ce n’est pas une peur infondée ! Le fait d’avoir connu des abus émotionnels répétés, par exemple, peut donner des repères très dysfonctionnels quant à ce qu’il est approprié de faire ou dire en terme de gestion de ses propres émotions et de celles d’autrui. Le fait de verbaliser à l’avance que vous prendrez la responsabilité de poser vos limites peut donc permettre de rassurer votre interlocuteur-ice ET de plus facilement poser vos limites si le besoin s’en fait ressentir.

Il est possible que votre proche vous parle un jour de ce qui lui est arrivé. Peut-être que çaprendra des années. Peut-être que vous n’aurez jamais toutes les informations sur ce qu’il s’est passé précisément. En fait, dans la mesure où vous savez comment ne pas aggraver les symptômes chez votre proche, je ne vois pas le problème. Dans une relation très proche au long terme, parler des triggers (éléments déclencheurs de symptômes) est quasiment inévitable, et franchement souhaitable, parce qu’évidemment on a envie d’éviter de re-traumatiser autrui. Mais entendre le récit détaillé d’un évènement traumatique qu’a subi quelqu’un-e, croyez-moi, ce n’est pas indispensable pour avoir une relation (qu’elle soit amicale, amoureuse, professionnelle ou autre) avec cette personne.

Si vous ne savez pas quoi dire, il vaut mieux l’admettre plutôt que de tenir des propos bateaux qui risquent de faire plus de mal que de bien (« tout arrive pour une raison, il n’y a pas de hasard », « ce qui ne te tue pas te rend plus fort-e », « c’est la vie, c’est pas si grave, faut relativiser » etc). Ces propos qui tentent de donner un sens à des horreurs innommables avec une explication à la va-vite, non merci. C’est d’une violence incroyable. Il est compréhensible de vouloir encourager quelqu’un-e qui souffre, mais brusquer la personne en niant son vécu ne l’encouragera certainement pas.

Un-e survivant-e qui se confie le fait peut-être dans le but d’obtenir des informations sur les procédures à suivre pour avoir accès à des aides (juridiques, médicales, etc), mais il est aussi possible qu’iel attende « juste » de vous de l’écoute et de la compassion : c’est déjà beaucoup. Il est fort possible aussi qu’on ait besoin d’aide pour quelque chose qui ne vous serait pas venu à l’esprit spontanément.

Venir en aide à un-e survivant-e ne nécessite pas forcément d’avoir des discussions en profondeur sur le trauma ; peut-être que votre proche aura besoin d’être accompagné-e dans la rue durant quelques jours, quelques semaines ou quelques mois pour certains trajets (courses, rendez-vous médicaux) à cause de la phobie sociale, par exemple.

Je trouve qu’il faudrait banaliser le fait de verbaliser « Je ne sais pas quoi dire, c’est terrible, je compatis » tout simplement, et « Que puis-je faire pour t’aider ? ».

Pour résumer

• On ne demande pas à une personne traumatisée d’expliquer son vécu traumatique par le menu.

• Il est recommandé de demander plutôt quels aménagements peuvent être faits pour éviter de déclencher des symptômes chez la personne. Cela peut être fait par exemple comme cela : « Est-ce qu’il y a un sujet qu’il vaut mieux que j’évite parce que ça peut être triggering pour toi ? », « As-tu besoin d’avertissements de contenu sur certains sujets ? ».

• Si vous encouragez une conversation sur les évènements traumatiques et/ou les symptômes de stress post-traumatique avec un-e survivant-e, soyez clair-e-s sur vos intentions et sur vos propres limites.

• Peut-être que vous ne saurez jamais au courant de tous les détails des vécus traumatiques de la personne et c’est à vous de l’accepter, il n’y a pas forcément besoin d’avoir un récit détaillé pour venir en aide ou relationner de manière saine.

• Ne tentez pas à tout prix de chercher « la solution » aux problèmes complexes de votre interlocuteurice quand ce qui est attendu est surtout de l’écoute et de la compassion ou encore de l’aide logistique.

Ce que l’automutilation n’est pas

par Alistair – Hparadoxæ http://alistairh.fr/

Avertissement de contenu : automutilation, violence à l’école, mention d’alcool / alcoolisme

Aujourd’hui, vous avez lu le titre, on va parler d’automutilation, et plus précisément des idées reçues : que ce serait une manière d’attirer l’attention et une espèce de mode, quelque chose que les adolescent·e·s s’encourageraient à faire, entre autres sur les réseaux sociaux. Pour cela, je voudrais vous raconter un peu mon expérience. J’ai 14 ans, je viens de rentrer au lycée, l’année précédente j’ai vécu des trucs pas mal traumatisants, j’ai changé de secteur d’études donc je connais personne, je supporte pas d’aller en cours parce que je suis autiste et que l’école est pas DU TOUT accessible, dans ma famille aussi c’est compliqué et du coup j’ai un peu personne à qui parler.

Donc en gros je suis : isolé et en souffrance. C’est à cette période que j’ai commencé à me mutiler. On est en plein hiver, un hiver plutôt froid pour la région, du coup je mets des pulls avec des longues manches, et je suis tranquille... chez moi. Chez moi je fais ça. Au lycée j’ai passé tout l’hiver en débardeur. Je me suis même mutilé en cours. J’ai tout fait pour que ça se voie.

Vous l’avez deviné, c’est là qu’arrive le fameux « Tu fais ça pour attirer l’attention »... Mais ÉVIDEMMENT que je fais ça pour attirer l’attention ! Je suis un gamin traumatisé et isolé dont les traumas et le handicap l’empêchent de consulter des professionnels de santé. Évidemment que je fais ça pour attirer l’attention.

Attirer l’attention quand on a besoin d’aide, c’est ça qu’il faut faire, c’est comme ça qu’on survit. Quand tu as la gastro, tu prends rendez vous chez son médecin, tu lui décris ce qu’il t’arrive et tu attire son attention sur toi, sur ta souffrance pour qu’iel te prenne en charge et te donne de quoi moins souffrir et guérir. C’est normal. Ce qui n’est pas normal, c’est que la seule manière que j’ai eu d’attirer cette attention-là ce soit de me mutiler. Ce qui n’est pas normal, c’est que des gens n’aient pas accès aux soins dont ils ont besoin. C’est normal que ces gens-là essaie d’attirer l’attention. C’est pas normal qu’on ne leur offre pas une meilleure façon de le faire. Une fois cela dit, il y a d’autres facteurs aux comportements d’automutilation. C’est pas forcément QUE pour attirer l’attention, et s’est même pas forcément pour attirer l’attention du tout. Ça dépend des gens et des situations. Mais oui, c’est le cas pour un certain nombre de personnes. Et c’est pas quelque chose qu’on doit critiquer, c’est quelque chose à quoi on doit répondre en aidant la personne à obtenir l’aide dont elle a besoin. Il y a plein de raisons diverses qui peuvent faire qu’une personne n’arrive pas ou ne peut pas demander l’aide dont elle a besoin. Donc on doit, en tant que société, en tant que groupe, faire en sorte que quand quelqu’un n’y arrive pas, quelqu’un d’autre puisse aller vers cette personne, et lui demander si elle a besoin d’aide, et sous quelle forme. Et pour limiter les difficultés à demander de l’aide, une des premières choses à faire c’est d’arrêter de diffuser l’idée que c’est mal d’essayer d’attirer l’attention quand on souffre. Non c’est pas mal, c’est nécessaire. Cela étant dit, je continue mon histoire. Ce trimestre-là au lycée en EPS on faisait basket. Dehors. Et je vous rappelle, il fait hyper froid. Je vais sur le terrain et là je vois un de mes camarades de classe, lui aussi en débardeur et oh, surprise, lui aussi avec des plaies et des cicatrices plein les bras. Donc je vais le voir et je lui dis quelque chose comme « Eh regarde, c’est trop rigolo avec le froid mes cicatrices deviennent violettes ! » Et puis on passe comme ça trois minutes à comparer nos blessures.

Donc là, forcément, un œil extérieur va vous dire : « Ah bah vous voyez, ils font des blagues dessus, ils se comparent les uns aux autres c’est vraiment une manière d’avoir l’air classe, c’est n’importe quoi ».

Mais non, non et non. Comme je l’ai dis plus tôt, pour moi, me mutiler c’était (entre autres) une manière de dire : « Je souffre le martyr, je sais pas à qui le dire et comment, je sais pas quoi faire, aidez-moi s’il vous plaît. ». Et tout ça dans un contexte où je n’arrive pas à en parler et où toutes les personnes autour de moi soit ne voit rien soit font semblant de ne rien voir. Dans un monde où tout le monde fait comme s’il ne m’arrivait rien, j’ai envie, j’ai besoin que quelqu’un vienne me voir et me dise : « Oui, je vois que tu souffres, ça existe c’est réel. » Et quand je vois cette autre personne là, je me dis que peut être elle aussi elle a besoin de ça, mais je suis incapable de lui dire parce que c’est trop dur, parce que ça fait trop peur, parce que ça fait trop mal. Alors je lui parle de mes bras. Et je les compare aux siens. Ca veut dire : « J’ai vu tes bras, j’ai vu que tu souffrais, quelqu’un a vu que tu souffrais, ta souffrance est réelle, c’est les autres qui refuse de la voir et c’est pas ta faute, et regarde moi aussi je souffre. S’il te plaît, est-ce que tu peux me dire que tu le vois, parce que moi aussi je me sens seul. »

Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’on ne se mutile jamais pour le fun. Quoi qu’on dise, quoi qu’on pense et même si on n’est pas capable de dire ou de comprendre pourquoi, c’est toujours le signe de quelque chose d’autre. Et vous ferez pas disparaître ce quelque chose en faisant dis-paraître la mutilation. Une personne qui se mutile, oui on peut l’accompagner pour trouver des modes d’expression qu’ils soient moins dangereux pour elle, mais ça réglera pas le problème de fond et ça aussi il faut s’en occuper. Oui des fois il y a des abus, des communautés qui se forment et qui s’encouragent dans des comportements dangereux. Il y a ça pour la mutilation, il y a ça pour les TCA, il y a ça pour la drogue etc. Mais la solution elle n’est pas, et elle ne peut pas être, dans le fait de dire « C’est des jeunes qui font ça pour la fame ». Parce que c’est faux. Parce que même si et quand c’est ça qu’il se passe, quand tu es prêt·e à mettre ta vie en danger pour être reconnu·e par tes pairs c’est qu’il y a un problème plus profonde estime de soi et de solitude. Forcément. Et surtout très majoritairement le problème n°1 c’est que tout le monde ferme les yeux. Je me suis mutilé, j’ai affiché mes plaies, je me suis mutilé en cours, je suis venu bourré en cours, j’ai bu à l’intérieur du lycée, et je me suis fait choppé, plusieurs fois, je suis venu en cours avec un pack de bière à la main, je suis venu en cours avec un verre de whisky renversé sur moi. Pendant deux ans. Il a fallu deux ans pour que quelqu’un vienne me voir et me disent « Tu as besoin d’aide ? Je peux t’accompagner à l’infirmerie si tu veux. ». Et pas parce que personne n’avait rien vu avant mais parce que tout le monde a décidé de ne rien faire et de faire comme s’ils n’avaient rien vu.Parce que tout le monde a préféré se dire : « C’est des conneries d’adolescent, il fait ça pour être intéressant. » plutôt que d’admettre que n’importe quel adolescent qui a ce genre de comportement est en danger et en souffrance. Et il est là le vrai problème. Et c’est pour ça qu’on va toujours plus loin pour attirer l’attention. Et c’est pour ça qu’on se soutient les uns les autres là-dedans. Et c’est pour ça qu’on a besoin d’aller se voir les uns les autres et de dire : « Oui je vois ce que tu fais, je vois ce que tu t’infliges. Regarde que je m’inflige, dis-moi que ça existe. » Parce que (et là je parle surtout pour les adolescent-e-s) les personnes qui sont censées prendre soin de nous décident de ne rien voir, de ne rien faire, de ne rien dire, de faire comme si ça n’existait pas. Mais ça existe. Et pour nous il est vital que ça existe pour les autres, que les autres le voient. Parce que s’il y a que nous qui le voyons alors on est seul. Et puisque les adultes refusent l’existence de notre souffrance, oui, on est obligé-e-s de la faire exister entre nous. Et oui c’est malsain. Mais c’est pas nous qui avons 40 ans, et qui avons décidé de travailler avec des adolescent-e-s tout en décidant de ne pas leur tendre la main quand iels en ont besoin en fait.

(Ce texte est une adaptation du transcript d’une vidéo publiée par Alistair sur sa chaîne Youtube)

13 étapes pour gérer les flashbacks

par dcaius - publié sur http://dcaius.fr/blog

Avec la gracieuse permission de Pete Walker, j’ai traduit son texte « 13 steps for managing flashbacks », une ressource précieuse pour les personnes expérimentant des flashbacks du fait du stress post-traumatique. Quelques mots sur mon expérience personnelle avec ce texte. Peut-être que vous avez l’impression que ces directives ne font qu’enfoncer des portes ouvertes, peut-être que vous êtes sceptique quant à l’efficacité de ces affirmations. Pourtant, me répéter « J’ai peur mais je ne suis pas en danger », par exemple, a pu être d’une aide phénoménale lorsque j’étais en plein flashback. Il y a des moments où l’on a besoin d’entendre, de lire, de se répéter des évidences — des choses qu’on sait, qu’on a déjà entendues et lues. Il est fort possible que lorsque vous vous sentez bien, ces affirmations vous semblent évidentes, mais qu’au beau milieu d’un flashback, elles vous fasse l’effet d’une bouée de secours. Le refus de se haïr, de se culpabiliser ou de s’abandonner est aussi un engagement fort qui fait une énorme différence dans la gestion des flashbacks — engagement très difficile à prendre pour une personne traumatisée, qu’il faut réitérer avec persévérance, et qui devient de plus en plus facile avec letemps. Lorsque j’expérimentais des flashbacks plusieurs fois par jour, je gardais les affirmations en permanence sur moi pour pouvoir les relire. Mes encouragements à toutes les personnes qui ont des difficultés liées à des flashbacks, j’espère que cette ressource pourra vous aider.

13 étapes pour gérer les flashbacks – Pete Walker

1. Se dire à soi-même : « Je suis en train d’avoir un flashback ». Les flashbacks nous emmènent dans une partie de la psyché hors du temps, qui se sent impuissante, sans espoir et encerclée par le danger, tout comme nous l’étions durant l’enfance. Les ressentis et sensations que vous expérimentez sont des souvenirs passés qui ne peuvent vous faire du mal à présent.

2. Se rappeler : « J’ai peur mais je ne suis pas en danger ! Je suis en sécurité maintenant, dans le présent. » Rappelez-vous que vous êtes maintenant dans la sécurité du présent, loin du danger du passé.

3. Affirmez votre droit et votre besoin d’avoir des limites personnelles. Rappelez-vous que vous n’êtes pas tenu d’autoriser quelqu’un à vous maltraiter ; vous êtes libres de quitter des situations dangereuses et de protester face à des comportements injustes.

4. Parlez à l’Enfant Intérieur de façon rassurante. L’enfant a besoin de savoir que vous l’aimez inconditionnellement, qu’iel peut venir vous demander réconfort et protection lorsqu’iel se sent perdu·e et qu’iel a peur.

5. Décontruisez la pensée éternelle : dans l’enfance, la peur et l’abandonnement paraissaient sans fin – un futur plus en sécurité était inimaginable. Rappelez-vous que ce flashback passera comme beaucoup d’autres avant celui-ci.

6. Rappelez-vous que vous êtes dans un corps d’adulte avec des allié·e·s, des capacités et des ressources pour vous protéger que n’aviez pas lorsque vous étiez enfants. [Se sentir tout·e petit·e est un signe sûr que l’on est dans un flashback]

7. Remettez-vous doucement dans votre corps ; la peur nous entraîne dans une inquiétude très cérébrale, dans l’apathie et la rêverie.

[a] Demandez doucement à votre corps de se relaxer : sentez chaque grand groupe de muscles et encouragez-les doucement à se relaxer. (La musculature tendue envoie au cerveau des signaux de danger non-nécessaires).

[b] Respirez lentement et profondément. (Retenir son souffle est également un signal de danger)

[c] Ralentissez : se précipiter appuie sur le bouton « panique » de la psyché.

[d] Trouvez un endroit sûr et apaisez-vous : enveloppez-vous dans une couverture, tenez un animal en peluche, allongez-vous, prenez un bain, faites une sieste.

[e] Sentez la peur dans votre corps sans y réagir. La peur est une énergie dans votre corps qui ne peut pas vous faire de mal du moment que vous ne la fuyez pas ou que vous ne réagissez pas de manière auto-destructice lorsqu’elle sur-vient.

8. Résistez à la tendance de la Critique Intérieure à dramatiser et catastropher :

[a] Arrêtez le flot de pensées (thought-stopping) pour stopper l’exagération infinie du danger et l’anticipation constante dans l’espoir de contrôler l’incontrôlable. Refusez de vous culpabiliser, de vous haïr ou de vous abandonner. Canalisez la colère autodestructrice pour dire NON à l’autocritique injuste.

[b] Remplacez vos pensées négatives avec une liste mémorisée de vos qualités et de vos accomplissements (thought-substitution).

9. Autorisez-vous à ressentir votre peine. Les flashbacks sont une opportunité de relâcher des vieux ressentis non-exprimés de peur, de peine, d’abandon, et de valider et réconforter l’expérience passée de l’enfant, expérience d’impuissance et de désespoir. Il est possible de canaliser nos larmes en compassion envers soi, et notre colère en protection de soi-même.

10. Cultivez des relations dans lesquelles vous vous sentez en sécurité, et recherchez du soutien. Prenez du temps seul-e quand vous en avez besoin, mais ne laissez pas la honte vous isoler. Ressentir de la honte ne signifie pas que vous devriez avoir honte. Éduquez vos proches à propos des flashbacks et demandez-leur de vous aider à les traverser.

11. Apprenez à identifier le type de déclencheurs qui mène à des flashbacks. Évitez les personnes, les lieux, les activités et processus mentaux qui vous mettent en danger. Pratiquez la maintenance préventive avec ces 13 directives lorsque les déclencheurs sont inévitables.

12. Élucidez ce à quoi vous ramène le flashback.Les flashbacks sont une opportunité de découvrir, de valider et de prendre soin de nos blessures causées par des abus et abandons passés. Les flashbacks nous montrent aussi les besoins qui ont été laissés en suspens lors de notre développement, et peut fournir la motivation pour y pourvoir.

13. Soyez patient-e avec un processus de rétablissement lent : cela prend du temps au présent pour faire baisser l’adrénaline, et un temps considérable dans le futur pour graduellement amoindrir l’intensité, la durée et la fréquence des flashbacks. Le vrai rétablissement est un processus graduel, progressif (souvent « deux pas en avant, un pas en arrière »), pas un fantasme de sauvetage abouti. Ne vous accablez pas du fait d’avoir un flashback.

Pour moi, qu’est-ce que la pair-aidance ?

Par Lee ANTOINE, pair-aidant - entantquetelle.com

La pair-aidance m’a permis de voir autre chose que la souffrance.

Les autres patient·e·s en hospi et sur les forums web m’ont sauvé alors que j’étais désespéré Pour moi la pair-aidance c’est s’adapter aux réalités de chacun·e, respecter les différences de temporalité.

Pour moi la pair-aidance c’est intégrer ses propres limites, mais répondre et réagir au plus vite.

C’est à trois heures du matin accompagner une amie aux urgences « J’ai essayé de me tuer mais je veux essayer de vivre » qu’elle me balance.

C’est une amie qui te traine chez un psy parce qu’elle a vu que sans soutien ta vie était foutue.

C’est pointer les progrès les évolutions celles auxquelles seul·e·s toi et d’autres patient·e·s font attention.

C’est partager ses inquiétudes des angoisses, après quelques mots et un thé au lait, l’orage passe.

C’est échanger des astuces, des outils pour aller mieux, c’est espérer ensemble, qu’un jour on pourra être heureux.

C’est insuffler de l’espoir aux autres, qui, sans le faire exprès, nous rendent la pareille. Quel bien ça fait !

C’est créer et profiter de groupes d’autosupport sur internet, pour moi, et pour celleux qui en ont besoin, quand c’est pas la fête.

C’est, pour tenir dans la durée, savoir chercher de l’aide, pour, pour les autres participer au remède.

La pair-aidance pour moi aide à se sentir moins seul·e et donner de la valeur et des possibilités, quand les gens le veulent.

C’est une amie qui après une hospi ensemble, te prête une chambre chez elle, quand l’attention de tes parents s’est fait la belle.

C’est accompagner cette même amie passer sesexams à la fac, alors que d’y mettre les pieds te donne à toi aussi le trac.

C’est dire le plus vite possible jusqu’où on se sent capable de soutenir, par honnêteté, bienveillance et éviter de s’entraîner vers le pire.

C’est accepter l’avis de l’autre, ses envies qui ne sont pas les mêmes, c’est écouter activement et emphatiquement sans passer de la crème.

C’est mutuellement se rendre visite à l’hôpital, apporter ce dont ont aurait eu besoin, dans un moment où ça va mal.

C’est se dire l’un à l’autre « je t’offre mon soutien », qu’on est là l’un·e pour l’autre, même si tout va bien.

C’est avoir un pied de chaque côté de la barrière, soignant ou soigné peu importe, je reviendrai pas en arrière.

Pour moi la pair-aidance c’est l’idée que tous, on peut savoir, Qu’il n’y a pas de modèle, pas de bien ou de mauvais, à chacun·e son histoire.

Et pour vous c’est quoi la pair-aidance ?

Lee ANTOINE

#RienSurNousSansNous

Brochure parue initialement sur le site de dcaius. Possibilité de soutenir ce travail en suivant ce lien.



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