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Polyalgies Le début de la fin des haricots, vol.2

mis en ligne le 22 octobre 2021 - MCS

Poly : Préfixe qui vient du grec πολλοί (polloí) qui signifie « plusieurs ».
Algie : Du grec ancien ἄλγος, álgos, « douleur ».

Avant-propos : Texte écrit à l’origine en 2019, il a été rédigé dans le but de faire un retour critique sur le modèle polyamoureux, à une époque où j’aurais bien eu besoin d’en trouver. Il fait suite au texte Le début de la fin des haricots, également disponible sur Infokiosques.net. L’idée ici n’est pas de se placer en spécialiste du sujet, mais de partager un vécu. Précision, si le texte paraît hétérocentré, c’est simplement qu’il correspond à mon histoire. Enfin, ce texte est aujourd’hui publié avec le consentement de la personne concernée lors des faits évoqués.
Pour toute remarque, vous pouvez écrire à mc-stite@@@riseup.net

I. La volonté de sortir de la monogamie, l’origine du polyamour

Une petite histoire du polyamour, du féminisme et de l’anarchisme.

Dans Sex slavery, l’anarchiste Voltairine de Cleyre (1866-1912) condamne les méthodes d’éducation genrées et les idéaux de beauté. Mais surtout, elle attaque directement les lois du mariage, qui permettent impunément aux hommes de violer leurs épouses. Elle affirme que le mariage n’est autre que de l’esclavage sexuel.

En 1907, Voltairine de Cleyre, lors de la conférence « Le mariage est une mauvaise action », déclare que « seule la distance ménagée permet l’épanouissement des relations amoureuses. Le contrat de mariage imposant une promiscuité des âmes et des corps va à l’encontre de l’amour ».

L’origine se trouve aussi dans le discours d’Emma Goldman, qui formule une critique radicale des relations hommes-femmes. Elle met en évidence la persistance de « l’instinct de propriété du mâle », même parmi les révolutionnaires : « dans son égocentrisme, l’homme ne supportait pas qu’il y eut d’autres divinités que lui », une analyse qu’elle développe dans La Tragédie de l’émancipation féminine, publié dans Mother Earth en mars 1906.

Elle s’oppose aux conceptions traditionnelles de la famille, de l’éducation et des rapports de genre. Elle s’attaque à l’institution du mariage dont elle dit que « c’est premièrement un arrangement économique... [la femme] le paie avec son nom, sa vie privée, son estime de soi, toute sa vie ».

Au début des années 1920, naissent au sein des mouvements marxistes et libertaires, la première théorisation du polyamour, sous le nom d’« amour-camaraderie » chez Alexandra Kollontai, qui en définit trois principes :

- l’égalité des rapports mutuels,
- l’absence de possessivité et la reconnaissance des droits individuels de chacun des membres du couple,
- l’empathie et le souci réciproque du bien-être de l’autre.

En 1929, Jean-Paul Sartre propose à Simone de Beauvoir, après un an de relation, un « pacte de poly-fidélité », lui proposant de vivre des amours multiples entre lesquelles leur relation resterait la principale. Beauvoir acceptant, il s’exclame : « Nous allons réinventer le couple ! » Leur exemple, publiquement assumé, marquera fortement les milieux intellectuels parisiens, même si la publication de leurs correspondances montre que cette situation fut quelquefois difficile et douloureuse.

Le terme « polyamory » apparaît pour la première fois aux États-Unis au cours des années 1960, en référence à la pratique non-monogame responsable décrite dans En terre étrangère, un roman de Robert A. Heinlein, auteur américain de science-fiction, qui aura une importante influence sur la contre-culture des années 1970 aux États-Unis. Il ne devient d’usage courant qu’à partir de la fin des années 1990, principalement sur Internet.

Depuis la seconde moitié des années 2000, le polyamour obtient une visibilité médiatique de plus en plus importante. Des ouvrages, comme The Ethical Slut (« La Salope Éthique ») ou, en France, les livres de Françoise Simpère (qui préfère employer le terme de « lutinage », qui pour ma part me dégoute tant il ressemble à un pseudonyme lubrique pour se pécho au salon de l’érotisme), exposent le concept polyamoureux et dispensent des conseils relationnels.

De manière générale et comme dans la plupart des relations humaines, on retrouve un principe de base : la confiance. Dire ce que l’on pense, ce que l’on désire. Suivre ses engagements. Poser des questions. Ecouter beaucoup. Calmer les peurs. Travailler sur ses propres galères de confiance en soi/en les autres. Etre cohérent et généreux, être particulièrement vigilant en début de relation où le flou artistique peut être vraiment douloureux (« je te dis que je t’aime mais je vais te faire du yoyo affectif/pas répondre à tes appels/te proposer qu’on se voie etc. »). Exprimer ses besoins. Se remettre en question sur la négligence, l’anxiété, et s’excuser quand on foire. Soigner les blessures quand on a fait du mal à un.e partenaire. Essayer de comprendre pourquoi. Parler, discuter, communiquer.

Ne soyons pas naïfs, la fluidité ne sortira pas de la baguette de Merlin l’enchanteur.

(Et non, cette phrase n’est pas lubrique)

II. Tout le monde peut-il être poly ?

« Jalousie (…) Si je n’écris pas ton nom, j’ai peur que tu sois là toujours au creux de moi, cicatrice suppurante de la fêlure initiale, l’endroit où ça a craqué après des années d’érosion, des années de résistances »
Wendy Delorme.

Quand on parle de modèle poly, on parle très rapidement de jalousie, le poly étant même parfois présenté comme une solution durable pour éradiquer la jalousie, ce problème un peu moche dont on n’est pas super fièr.es et qu’on aimerait juste balayer sous le tapis, car on sait que c’est principalement issu d’une construction sociale. Il m’est même arrivé de voir ce genre de titre sur internet, « le polyamour, et si c’était le remède contre la jalousie ? » (Déjà, à quel moment les gens qui ont écrit cet article ont cru que le poly était un bouton ON/OFF agissant sur la jalousie ?). Et ensuite, ce type de témoignage : « J’ai parfois quatre voire cinq copines en même temps, mais c’est assez aléatoire, c’est une sorte de va-et-vient, elles rentrent puis sortent de mon cercle social », nous livre Charles. Grosse fête du slip pour Charles, donc, et on est bien loin des idéaux politiques d’origine. Et pas de jalousie évoquée, nulle part. Alors mettons fin tout de suite à un mythe évident :

Le polyamour n’est pas une « solution magique » pour supprimer la jalousie. Pas plus qu’une visite à Lourdes. Si la jalousie vous concerne dans une relation monogame, il n’y aura pas de miracle en passant au poly. C’est un chemin à faire, sans ou avec partenaires. La jalousie peut se ressentir à différents endroits, que la relation soit exclusive ou non.

Par exemple : prenons le cas de José. Il a des amis sympas, aime le bridge et a déjà vécu une histoire d’amour avant de se mettre en couple avec Gontrand, son amoureux du moment.

Gontrand est un peu « possessif », il aimerait que José, il soit rien qu’à lui, du coup le voilà bien grincheux et désagréable quand José n’est pas tout à lui. Il lui dit des petites phrases de jaloux du type « d’abord ta pote Christelle, elle ressemble à Nadine Morano », « et ton ex Gégé on dirait un mono du club med un jour de canicule », etc. Alors qu’en vérité, Gontrand pourrait juste dire en ouvrant son petit cœur « José, je me sens en insécurité et j’aimerais parfois que tu passes un peu plus de temps avec moi ».

Si José exprimait le souhait d’ouvrir leur relation et que Gontrand acceptait (sûrement à contre cœur car déjà dans une situation d’insécurité), il n’en aurait soudain plus rien à secouer du bridge et serait en train de boire des verveines avec l’ex Gégé. Mais il serait en PLS d’imaginer José avec une autre personne.

Bref, par cette pirouette j’ai tenté de vous montrer que l’exclusivité ou la non-exclusivité ne calment pas la jalousie, elles déplacent juste le curseur vers d’autres peurs. Dans le cas de la non-exclusivité, on pense à la peur de l’abandon en faveur d’autres partenaires qui seraient alors perçu.es comme concurrent.es.

La jalousie est souvent un manque de confiance fondamental, en soi-même et dans la relation, qui se manifeste à différents degrés (du bridge au prof de salsa, tu m’as comprise).

Si vous souffrez très fort de jalousie dans le cadre d’une relation poly, rappelez-vous d’abord que le poly n’est pas une injonction et que personne n’est un super héros/une super héroïne capable de déconstruction express de la jalousie. On n’est pas venu.es ici pour souffrir, ok.

Ensuite, soyez indulgent.es avec vous-même, sans pour autant vous laisser aller totalement dans le délire control freak. Expliquez plutôt à vos partenaires ce qui vous effraie réellement (oui vous vous sentirez peut-être ridicule, mais vaut mieux avoir l’air con que de péter un plomb), la jalousie est souvent l’arbre qui cache la forêt :

- Partenaire A : « J’suis jaloux de Fifrelin, mais j’ai surtout peur que : il soit meilleur amant que moi/que tu te barres avec lui loin de moi/que tu adoptes un cochon d’inde avec lui/qu’il soit meilleur aux petits chevaux que moi, etc. »

Et là, la personne en face devrait répondre un truc du genre :

- Partenaire B : « tu es exceptionnel à mes yeux pour telle ou telle raison, aie confiance, et je peux aussi adopter un cochon d’inde avec toi si c’est vraiment ça qui te ferait plaisir. »

Par contre, si votre ou vos partenaires n’entendent pas qu’une situation vous fait souffrir ou sont incapables de vous rassurer, c’est que vous faites face un problème bien plus grand que la jalousie : le déni égoïste. Un conseil, take the money and run. Façon Thelma et Louise.

III. Médias mainstream et polysexytude

De nombreux médias mainstream parlent désormais de polyamour, comme la solution sexy, branchée, blanche, jeune, majoritairement hétéro, etc., visant à redonner foi en l’amour à l’heure où la cellule familiale n’est plus le modèle en vogue. Ça en parle en disant pas mal de conneries et on trouve même des guides « Osez le polyamour ». Dans cette presse, on parle d’ailleurs régulièrement de « couple poly », ce qui en soit est un oxymore. Un couple ne peut pas être poly, dans ce cas, on parle de relation de couple ouverte ou non exclusive. Merci. Ce que je reproche donc à ces médias, outre le fait de diffuser l’image d’un fonctionnement « novateur » et sexy, c’est surtout de faire croire qu’il serait accessible à tou.te.s.

Comme si un couple pouvait se dire :
« tiens mon cœur, je ferais bien du crochet cette année !
- oh non viens on essaye plutôt le poly ?
- ok ».

Andrea Zanin (Le problème avec la polynormativité, dispo sur Infokiosques.net) expose un point de vue très critique vis-à-vis de ce type d’image, et évoque un phénomène de polynormativité, très centré sur l’idée de relations « primaires » et « secondaires », générant souvent de la souffrance pour les secondaires. Je n’ai d’ailleurs jusqu’à présent jamais lu de témoignage de « secondaire » épanoui.e, mais toujours des « voici Michel et Blandine, couple polyhappy ».

On retrouve ce même type d’idéologie de « couple poly », dans le livre Compersion d’Hypatia from Space, qui tient également un site sur le sujet, un peu sur le mode développement personnel. Ce bouquin traite de la « compersion » comme transcendance de la jalousie dans le polyamour. En gros, ça veut dire se réjouir de savoir un.e partenaire heureux.se avec quelqu’un.e d’autre.

Seulement, les limites sont que l’auteurice ne présente quasi :
- que des exemples positifs
- quasiment que des couples mariés
qui ont décidé un beau jour de s’ouvrir au polyamour.

Or, il y a une différence fondamentale à jouer réellement le jeu de supprimer les hiérarchies relationnelles et d’être vraiment SOI, seul.e face au monde et à ses différent.es partenaires, que d’être déjà deux personnes solides dans leur vie et leur histoire, qui décident de pimenter leur existence, pour raisons affectives, politiques ou que sais-je.

Alors évidemment, c’est donc plus simple d’écrire un bouquin feel good sur la manière de transcender la jalousie en compersion quand on sait qu’après son date, on rentre tranquilou chez soi auprès de sa femme/mari, se faire une petite blanquette de veau.

Je ne VOIS PAS la perspective révolutionnaire là-dedans, mais seulement un confort petit bourgeois supplémentaire pour gauchistes heureux d’être déconstruit.e.s. Une forme de privilège en quelque sorte : « j’ai le temps, la stabilité et l’éducation qui me permettent de me pignoler sur la question. Et de tripoter les nichons de Josiane quand l’envie me prend. Et de regarder de travers les couples exclusifs qui sont tellement ringards et out of the middle. »

Dans ce livre, le sentiment de compersion – à savoir donc l’inverse de la jalousie – est défini comme une joie, intense, un genre de nirvana de la déconstruction, d’amour intergalactique. Inutile de dire qu’il faut des bases en béton, dans sa tête, dans sa vie (affective ou autre), dans son corps, pour en arriver là. L’ouvrage propose alors tout un panel d’astuces, permettant d’arriver à un niveau de sécurité convenable.

Si ces astuces sont pertinentes et sont principalement des conseils en communication, elles ne permettent malgré tout pas de gommer le passif, l’état de santé, la place dans le monde d’une personne. Car non, le modèle poly n’est pas accessible à toutes et à tous, « avec un peu de bonne volonté et de compersion ».

Etre poly, ça prend du temps, VACHEMENT de temps. Discuter, régler les conflits, comprendre, analyser, temporiser... Temps dont tout le monde ne dispose pas allégrement : travail, enfants, galères, etc. L’aventure poly peut s’avérer très compliquée en cas de manque de temps, qui reste un luxe.

Ici, c’est polylove d’abord, lutte des classes plus tard.

Et la gestion du temps peut être une réelle source de souffrance dans le cas de disponibilités très inégales entre partenaires. Se lancer là-dedans, c’est accepter de donner de l’énergie. Plus que dans une relation de couple toute planplan qui se laisse vivre sans trop de questions (ok, je connais aussi des couples exclusifs qui se déchirent en discussions interminables, mais laissez-moi faire preuve de mauvaise foi).

Enfin la gestion du temps, c’est aussi apprendre que certains moments sont opportuns pour parler et d’autres PAS DU TOUT. Et qu’il vaut mieux avoir cette discussion un peu difficile à un autre moment. Où on n’est pas fatigué.e.s, pas énervé.e.s etc.

A plus large échelle, être poly nécessite non seulement une disponibilité de temps mais aussi d’esprit, être prêt.e à passer énormément de temps à communiquer, à être encouragé.e, puis découragé.e, puis réencouragé.e, etc. C’est accepter de partir dans une voie qui ne sera pas simple et qui va nécessiter un investissement perso VRAIMENT IMPORTANT sur le plan émotionnel. C’est accepter de prendre le risque de se planter, de souffrir et de faire souffrir des gens. Et de devoir l’assumer, si on n’est pas trop ignoble sur le plan humain. Parce que c’est ça le deal à la base non ? poly…AMOUR.

Enfin, être poly nécessite d’être bien dans sa tête et ça a de gênant qu’il s’agit presque d’une nouvelle injonction au bien-être, dans une société productiviste qui te dit TOUT le temps qu’il faut aller bien. On lit souvent d’ailleurs des témoignages de personnes qui, pour réussir leur modèle poly, suivent des thérapies psy, de couple, etc. Et là encore, nous ne sommes pas toutes égaux.les, devant la santé mentale, certaines personnes ne peuvent pas se défaire de traumas en claquant des doigts. Chez des personnes « fragiles », ça peut s’avérer carrément létal. Le modèle poly serait donc aussi un peu validiste sur les bords.

Et last but not least, pour être poly, il faut savoir se faire aimer des autres ! On en revient à un concept de polysexytude : en gros dans notre belle société progressiste, être pas trop moche, assez charismatique, avoir suffisamment confiance en soi, pour pouvoir rencontrer du monde, se faire remarquer, etc. Cette étape peut être hyper complexante / frustrante quand ça marche pas, et qu’à l’inverse ça à l’air de marcher du tonnerre pour les personnes avec qui vous relationnez. Enfin, pour faire simple, pour aimer, il faut se sentir « aimable ». Plus on se sent seul.e et pas « aimable » (que ce soit pour raisons physiques, psychologiques), moins on est capable d’exprimer de l’amour à quelqu’un.e. Et plus on est seul.e. Tu me suis ? Si la monogamie nous fait déjà peser ces injonctions lorsqu’on est célibataire, imaginez la violence vécue dans le cadre d’une relation poly, où vous voyez la personne que vous aimez batifoler, tandis que vous c’est le calme plat. Bonne loose.

IV. Santé mentale et domination masculine

Je voulais faire un petit aparté sur la santé mentale dans un contexte de modèle « polybertaire » (ou « polybéral » j’ai pas encore choisi). Je me questionne très fortement sur la pertinence de ce modèle, dans les moments où l’on va pas trop bien, qu’on a besoin de repères, de sécurité etc. et que le modèle poly est justement là pour faire péter nos repères affectifs conventionnels.

Concernant la santé mentale des femmes, Léo Thiers Vidal parle du concept de servitude volontaire, qui dédouane les dominants (hommes cisgenre, blancs, hétéros…) de leur responsabilité. L’oppression devient alors un problème personnel, psychologique, et non politique et social. Il y a un réel glissement pernicieux permettant de se dédouaner de comportements dominants, en accusant une supposée fragilité psychologique des femmes.

J’ai pris une claque en lisant le texte de Jennifer Reimer (Elle doit être folle, disponible sur le site Zinzinzine.net), qui interprète certains troubles de la personnalité souvent attribués aux femmes (anxiété, borderline, dépendante, histrionique), comme des fruits pourris du patriarcat. En gros, on « accuse » les femmes d’avoir des troubles de la personnalité, qui sont soit des exacerbations des traits genrés dits « féminins », soit des lacunes de ces traits, sans remettre en cause l’origine systémique de ces troubles.

Le psychologue Chesler, cité dans le texte de Reimer, résume la situation des femmes comme suit :

« La plupart des femmes du XXe siècle qui sont étiquetées psychiatriquement, traitées dans le privé et hospitalisées dans le public ne sont pas folles... il se peut qu’elles soient profondément malheureuses, autodestructrices, impuissantes économiquement et sexuellement – mais en tant que femmes, elles sont censées l’être ».

On retrouve cette idée dans la définition du trouble de la « personnalité limite » : « L’organisation de la personnalité borderline, affectant principalement les femmes, était caractérisée par une construction faible du moi, de l’anxiété menant à l’impulsivité, de l’instabilité émotionnelle, des perversions sexuelles et l’utilisation de mécanismes de défense primaires tels que le "clivage du moi", percevant les autres comme entièrement bons ou entièrement mauvais. » Sa cause principale était le "maternage inadéquat", soulageant les hommes de toute responsabilité et pathologisant doublement les femmes.

En gros, c’est parce que ta maman s’est trop occupée de toi petite que maintenant tu es une grosse dépendante affective à « pathologiser ». YEAH !

Ce que nous explique Jennifer Reimer, c’est que nos constructions sociales filles/garçons amènent à des dérives notamment car les filles sont habituées toutes petites à dépendre des autres pour leurs besoins émotionnels, physiques, psychiques. Aussi, une fois grandies et construites sur ce modèle, on dépolitise la détresse, la rage et la colère des femmes, assignées à la frustration et la subordination dans la société patriarcale, en les classant tout bonnement comme folles. Alors qu’un homme en colère, lui, s’affirme. Tout comme on le faisait à l’époque avec le terme « hystérique », et plus tôt avec la chasse aux sorcières. On dissocie les causes et les conséquences, on écarte les individues subversives.

En gros, Britney Spears est folle à lier, mais Kurt Cobain était sex drugs et rock ‘n’ roll, ce qui ça par contre est super cool.

Outre la frustration, la rage est pourtant bien légitime, quand on sait que 42% des personnes diagnostiquées avec un trouble de la personnalité avaient subi des violences sexuelles (chiffres cités par Jennifer Reimer).

Les troubles de la personnalité généralement attribués aux femmes peuvent être des réponses à deux formes d’abus que sont :
- les abus globaux et variés rencontrés par les femmes dans notre société actuelle (en cas d’incompréhension de cette phrase, voire « patriarcat » dans le dictionnaire)
- les abus individuels, physiques, sexuels, psychologiques, émotionnels, etc.

Pourquoi je vous bassine avec tout mon blabla psy ? Parce que comme je l’ai dit plus haut, les relations poly douloureuses sont un terreau totalement fertile à exacerber ou déclencher ce type de « troubles ».

J’ai pour ma part fini chez le psychiatre qui m’a trouvé une petite pathologie.

Je dirais que le trouble a commencé à s’installer via un balancier affectif. Vous savez, ce truc où deux personnes s’aiment, mais où l’une se sent toujours en insécurité, tandis que l’autre se sent plutôt bien, autonome, prête à voler toujours plus loin dans sa vie (même si parfois il s’agit juste d’une illusion, de l’image que l’on a de la personne). Cette insécurité s’est installée en moi, il y a des mois, voire même au début de la relation qui a fait que j’écris ce texte aujourd’hui, avec la personne que l’on appellera L. J’ai été en couple avec L. plusieurs années, puis de fil en aiguille et après moult tumultes, notre relation est devenue « radicalement » non exclusive. Cela s’est passé de manière un peu abrupte, avec le sentiment de mon côté de ne pas vraiment avoir eu le choix. L’insécurité que j’évoquais au début de la relation s’est alors changée en anxiété accrue dans le cadre de la relation poly. Un psychiatre m’a dit que mes comportements morbides étaient des réponses directes à cette anxiété. Je n’ai pas une foi intense envers ce psychiatre mais force est de constater que niveau timing, il avait raison. Si j’ai depuis plusieurs années une tendance à la déprime et au stress, j’ai l’impression que tout s’est exacerbé de manière très nette et violente dès lors que la relation avec L. a commencé à devenir vraiment compliquée, et le passage au poly a été l’étape ultime de ma décrépitude. Après plusieurs ruptures, je me sentais perpétuellement menacée par les comportements de L. C’était donc pas la meilleure base pour expérimenter ce type de fonctionnement. Mais sur le moment on se raccroche aux branches en se persuadant soi-même que c’est probablement la meilleure chose à faire.

Dans les derniers mois de polyamour avec L., j’ai l’impression d’avoir rampé dans le brouillard, sans savoir où j’allais, où allait cette histoire. Tout était flou. Notre statut : ensemble/pas ensemble ? Notre rapport aux autres personnes : quelle place restait-il pour elleux ? J’étais larguée. Et j’avais un peu l’impression de me faire larguer en douceur d’ailleurs. C’était comme si je suivais une lueur au loin, dans l’espoir d’un avenir meilleur ensemble. Mon amour c’était la canne à pêche, et au bout du fil de pêche, non pas un poisson mais l’espoir. Le stress enduré dans cette incertitude était tel que le pack « dépression + crises d’angoisse + consommation de divers produits » s’est installé, associé à des crises de larmes incontrôlables, comme ça pouf, juste en repensant à une conversation, une parole. Malgré des heures de discussions, je ne me sentais pas entendue dans cette relation. Mais je n’arrivais pas à partir.

Aujourd’hui, outre la dépression et l’anxiété, je le sens même sur le plan physique. Je sens mes muscles se tendre et se nouer fort dès lors que je suis angoissée par quelque chose lié à l’affect, et ce quelle que soit la personne, tant que j’y suis un minimum attachée. Ça peut être une parole maladroite, un message décevant, être laissée sur « vue », etc. Quand je refais les dialogues de ce qu’on s’est dit avec L., ce que j’aurais vraiment dû répondre, ce que je n’ai jamais réussi à exprimer clairement, j’ai un acouphène de ouf qui s’installe.

C’est peut-être à ce moment qu’on se rend compte que les autres dépassent nos propres limites, ou juste que l’on réalise soi-même quelles sont nos limites. Quand notre corps commence à partir grave en couille. Et malheureusement c’est difficile de connaître ses propres limites tant qu’on ne les a pas éprouvées.

J’ai l’impression d’avoir vécu cent fois ce schéma de violence psychologique, avec L, mais aussi avec d’autres partenaires mecs cis hétéros :
Tu dépasses mes limites ;
Je souffre ;
Je te l’exprime tant bien que mal ;
Tu te sens incriminé, te mets en colère ou me dis que t’avais pas le choix, que tu ne savais pas comment faire autrement, cherche des justifications, etc. ;
Je m’excuse car je m’en veux de ne pas être assez tolérante / forte / déconstruite, et ma confiance en moi baisse, je me questionne sur ma légitimité ;
Je vois que tu es mal, alors je te rassure en te disant « mais non ça va, et puis regarde en fait, comme je déconstruis si bien mon estime de moi que les événements me glissent dessus ».
MYTHO. MYTHO. MYTHO. MYTHO. MYTHO. MYTHO. MYTHO. MYTHO. MYTHO. MYTHO. MYTHO.

Oh god ! La servitude volontaire. L’aliénation relationnelle parfaite. La mise en place du mécanisme huilé de la domination.

Pour en revenir à la santé mentale, on peut entendre (en tout cas j’ai entendu) ce genre de phrase dans le cadre de relations affectives : « tu dois être plus indépendante, plus forte », « je veux que tu sois libre ». Et ben en fait, ça ne se voit peut-être pas mais J’ESSAIE. Et peut-être que je ne PEUX PAS. Et peut-être que PERSONNE ne devrait juger pour moi quel devrait être mon niveau de force, d’indépendance, de liberté. Et peut-être que tu pourrais respecter le fait que je ne dispose pas de l’énergie ou de la force nécessaire pour accepter toutes tes envies de « liberté » sereinement.

V. Domination masculine et polyamour

Liberté, j’écris ton nom liberté.

Un des principaux arguments mis en avant dans le modèle poly est la liberté individuelle, mais également réciproque. Il faut rappeler que cette idée de liberté était chère aux anarchistes individualistes du XIXe siècle car elle était en opposition avec le système matrimonial qui était une entrave, particulièrement pour les femmes.

Aujourd’hui, la symbolique du mariage, du couple et de la liberté n’est pas la même, et Léo Thiers Vidal en parle d’ailleurs justement, « Le lien entre relation libre et anarchisme est clair : il s’agit d’agrandir la liberté et l’indépendance mutuelle. Par contre le lien avec la lutte antipatriarcale l’est moins et je ne pense pas que les féministes en aient fait un point crucial. »

Bon, en d’autres termes et pour faire simple : présenter le polyamour comme solution aux relations amoureuses hétérosexuelles sexistes, c’est un peu comme penser éradiquer le réchauffement climatique en faisant du tri sélectif.

C’est une bonne blague.

Quel sens revêt le mot « liberté » aujourd’hui dans le cadre des relations ? Je veux être libre, je veux que tu sois libre, je veux que iel soit libre, sans aucune règle donc ? 

C’est notamment le point de vue que défend la théorie de l’anarchie relationnelle. Le terme « anarchie relationnelle » a été créé en 2013 par Andie Nordgren et est le sujet de mémoires de licences suédoises par Jacob Strandell et Ida Midnattssol. Moi je pense toujours au terme « polybertaire » ou « polibertaire ». ‘Fin vous avez compris.

L’anarchie relationnelle est la pratique ou la conviction que les relations ne doivent pas être liées par des règles autres que celles sur lesquelles les personnes impliquées se sont mises d’accord. Si une personne « anarchiste relationnelle » a de multiples partenaires intimes, cela peut être considéré comme une forme de polyamour, mais le concept d’anarchie relationnelle se distingue du polyamour en postulant qu’il n’est pas nécessaire de faire de distinction formelle entre relations sexuelles, romantiques, intimes, ou platoniques.

Les anarchistes relationnel.le.s examinent chaque relation (romantique ou autre) individuellement, plutôt que de les catégoriser dans des normes définies par la société comme « juste ami.e.s », « dans une relation » ou « dans une relation libre ». Par conséquent, les relations amoureuses ne sont pas automatiquement classées comme étant plus importantes que d’autres types de relation.

J’ai l’impression que le terme d’anarchie relationnelle définit bien ce que je vis actuellement. Je n’en porterai cependant pas l’étendard car c’est un modèle bien imparfait. Quel que soit le.a partenaire concerné.e, j’ai l’impression de ne pas « gérer » la direction que prend la relation, d’accumuler de la frustration et de végéter dans une forme de flou. Oui voilà, c’est le flou je crois qui me dérange le plus.

On ne se met pas d’étiquette parce qu’on trouve ça trop moche/so 2018, mais à la place on met du flou qui permet de bien se dérésponsabiliser en cas de douleur causée à d’autres personnes. Car oui, on ne se promet rien. On peut ne pas répondre au téléphone pendant un bail. On peut disparaître du jour au lendemain sans donner d’explications.

On est libres. Il est libre Max. Mazeltov !

« La culture underground bien-pensante pseudo-déconstruite, elle te fait croire aussi que c’est légitime d’être irresponsable. De faire ce que je veux, quand je veux parce que c’est cool d’être libre de toute contrainte, c’est subversif (…) Souffre dans ton coin toute seule comme une grande et laisse-moi être lâche tranquille. »
A la conquête d’hétéroland, mai 2004 (dispo sur Infokiosques.net).

Mais ce n’est pas parce qu’on se promet rien qu’on ne ressent rien ! Anarchie relationnelle, dans la théorie, why not ?. En pratique, c’est la porte d’entrée de l’enfer des dominations et de l’irresponsabilité reportées dans le milieu libertaire.

Naïveté que d’imaginer pouvoir aussi facilement être libre, en tant que meuf cis principalement, simplement car on le décide, dans une société où nos libertés sont allègrement entravées dans toutes nos actions. Pourquoi serait-ce possible en amour plus qu’ailleurs ? C’est gommer, ignorer un héritage culturel et des inégalités systémiques telles que les classes « femmes » / « hommes » (non pas au sens biologique, mais suivant la théorie du féminisme matérialiste) qui font qu’on ne peut pas, juste POUF, parce qu’on le décide, atteindre une forme de liberté, sans un travail énorme de remise en question sur notre place, nos (non-)privilèges, nos rapports de dominations, etc.

Et surtout, est-ce réellement la liberté que nous recherchons à travers le sentiment amoureux ? Qu’est-ce que l’amour, tel qu’on l’entend partout, sinon un désordre psychique irraisonné monothéiste (oui, je reste persuadée au fond de moi qu’il est monothéiste) ? Une telle question mériterait un ouvrage entier et n’est pas l’objet ici. Mais imaginer que « amour » et « liberté » puissent rimer ensemble comme par magie : LOL, à nouveau.

Bon, pour ce qui est de la liberté en tout cas, force est de constater que nous faisons toujours partie, FLASHNEWS, d’une société où le genre, les rapports de pouvoir, déterminent l’organisation hiérarchique des humain.e.s. La domination masculine est omniprésente, qu’il s’agisse des sphères professionnelles, politiques, culturelles, affectives, sexuelles, personnelles, etc.

Et effectivement, chez les personnes hétérosexuelles que je connais, fréquente, j’observe souvent le même schéma de : un mec cis het pour plusieurs meufs. Quand je dis plusieurs meufs, je signifie « plusieurs meufs prêtes à s’impliquer affectivement, à donner de leur temps et de leur énergie pour la relation ». Je déplore de voir des copines, et moi-même d’ailleurs, dans ce schéma contre-révolutionnaire au possible. Je vois souvent cette situation, à savoir des meufs se galérer à gérer avec les autres meufs pour que ça se passe bien, ou pas trop catastrophiquement, entre tout le monde et vis-à-vis du mec « central ».

Par contre, des situations où des mecs se galèrent à discuter entre eux pour savoir comment bien relationner avec la même meuf et avoir une relation sereine entre eux, ça me dit trop rien ! Mais j’imagine que ça existe aussi. ‘Fin j’espère.

Je n’arrive pas à me sortir de la tête que l’étiquette poly est en fait une barrière derrière laquelle on se cache pour rejeter toute forme de responsabilité vis-à-vis de comportements problématiques dominants. Privilégier indépendance et objectifs personnels, ne pas prendre en compte les réelles envies des partenaires, disparaitre dans la nature, fuir l’engagement affectif comme s’il s’agissait d’une maladie (Oh mon dieu, de l’affect ARGGG début des problèmes !), etc. 

Il faudrait inventer un nouveau mot pour cette maladie qu’est la phobie de l’affect, l’« Affectite » sonne bien. Des lors que je passe du temps agréable et de manière régulière avec une personne, je finis souvent par avoir des sentiments. Jusque-là tout va bien. Mais en parler à la personne concernée tourne souvent à la scène de panique. Voici le petit dialogue de ce qui souvent ne se passe pas :

- Moi : J’te kiffe, tu me plais grave. J’te trouve canon et j’ai autant envie de te baiser que de te voir heureux.
- Partenaire : Trop bien, moi aussi j’adore le temps qu’on passe ensemble, je ressens aussi des choses vraiment cool pour toi, j’ai envie qu’on vive un truc chouette. Tu fais un truc ce week-end ?

Voici maintenant ce même dialogue reporté dans la vraie vie :

- Moi : J’te kiffe, tu me plais grave. J’te trouve canon et j’ai autant envie de te baiser que de te voir heureux.
- Partenaire flippé qui a peur que je lui courre après avec un contrat de mariage : Ah euh oui –putain ça y’est elle est dingue de moi alors que j’ai tout fait pour que ça arrive, qu’est-ce que je dois faire ? MERDEMERDEMERDE- moi aussi hein mais euh tu sais pour moi l’engagement c’est compliqué…
- Moi dans ma tête : Mais peut-être que pour moi aussi Gérard c’est un peu compliqué, juste je te le renvoie pas à la gueule, et je trouve ça plus sain de dire ce que je ressens car j’ai plus 15 ans pour jouer au chat et la souris, où faire semblant que je m’en cogne.

C’est quoi l’intérêt de vouloir plusieurs relations si au fond, on a une phobie de l’engagement affectif et qu’on n’est pas capable de gérer ? Note : Je me pose cette question également à moi-même, car au fond je ne suis même pas sûre d’en être capable. Ce qui m’amène à la suite.

Les relations multiples sans réel attachement amènent à une autre dérive : le consumérisme. Et je veux dire, c’est ok de se taper plein de monde si on a envie, mais se cacher derrière un modèle « gaucho-papier-cadeau » qu’est le poly, pour justifier un comportement ultralibéral, ça c’est gerbant. On se retrouve dans un genre de rapport de capital affectif, de conforts affectifs cumulés.

« C’est confortable pour moi de bénéficier du cul, de l’amour et de l’attention de Micheline et Josette. Et c’est ok, car elles sont libres de le faire, et on choisit de le faire ! ». Pas trop de différence avec les sex-friends de l’époque, le plan cul d’aujourd’hui. On met la jolie étiquette d’amant.e pour faire plus joli mais la réalité est un peu la même.

On s’en branle plus ou moins des gens, puisque de toute façon on ne s’est rien promis à la base. J’ai fait subir ça à des gens, on me l’a fait subir aussi. Et je ne trouve pas ça enrichissant du tout.

C’est ce qu’on retrouve aussi pas mal dans la sphère militante avec l’utilisation du site OkCupid. On regonfle son égo à coups de like, c’est gratuit et ça fait du bien. Soit dit en passant, arrêtez de mettre le terme « épicurien » sur vos profils, ça ne veut pas dire qu’on va discuter Château-Margot, mais juste que vous avez envie de ken. Cimer.

J’ai le ton jugeant mais reproduire tous ces schémas du patriarcapitalisme, en imaginant ou en prétendant être dans une démarche révolutionnaire, c’est se fourrer le doigt dans l’œil jusqu’au coude et ça me fait GERBER.

VI. Peut-on être féministe et avoir des relations épanouissantes avec des mecs cis ?

Féministe et hétéro, est-ce bien pertinent ?

« Quand il s’agit des femmes, il n’y a pas d’hommes de gauche ».
Brigitte Fontaine

Je me pose la question de manière sincère et suis bien déçue qu’on ne puisse pas changer son orientation sexuelle à coup de baguette magique. J’aime bien les filles, j’ai déjà eu des relations avec certaines, mais je continue à m’évertuer à relationner principalement avec des mecs cis. Pourquoi cela ? Est-ce un syndrome de Stockholm ? Je n’ai pas la réponse. Mais je suis épuisée de subir ces rapports de domination, de voir comment on s’utilise les un.es les autres, fatiguée d’être attirée par toujours le même genre de fuckboy (à savoir quelqu’un qui ne sera pas du tout disponible pour moi et qui s’en tape plus ou moins) depuis que je me suis rentré de le crâne que je ne méritais pas qu’on m’aime et qu’on me respecte (ouais c’est pas hyper féministe mais mon cerveau est un connard).

En tout cas, à l’heure actuelle, un projet de vie féministe éprouvé à 100% me semble rentrer en totale contradiction avec l’entretien de relations hétéros.

MAIS.

Problème 1/ La solitude j’aime pas trop ça ; problème 2/ Si j’ai pas quelqu’un en tête, j’ai l’impression d’être une vieille feuille morte ; problème 3/ Malgré mes engagements dans des projets collectifs, je continue de manière totalement naïve à croire à des projets à deux, et ce genre de connerie du packaging de l’Amûûûr (oui vous avez le droit de m’insulter) ; problème 4/ Sans contact physique régulier avec d’autres personnes que moi-même, je suis PLUTOT TRISTE ; problème 5/ JE RESTE ATTIREE PAR DES MECS CIS.

Et oui, ces problèmes sont totalement genrés. Oui ils sont dépassables. Seulement, passer mon temps à essayer d’être une meilleure version de moi-même et me foutre une pression de ouf pour ça, ben ça me fait juste péter un câble.

Bref, aimer les garçons, je continue à aimer ça. Et ça me fait bien mal au cul.

Car les dernières relations que j’ai eu en fonctionnant sur le modèle « poly » m’ont surtout donné envie de distribuer des baffes. De manière égalitaire, bien sûr. Pourquoi les baffes ? Car jusqu’à présent, avec des nouveaux partenaires, j’ai l’impression d’avoir principalement vécu des rapports de consommation, conscientisés ou non, plutôt que de « l’amour ». Et ce qui est super, c’est que je fais pareil parce que je suis en colère, et que moi aussi je veux ma part du gâteau.

Putain mais tu parles d’une révolution. Y’a vraiment eu un bug dans le système entre objectifs et réalité.

Mais comment peut-on se sentir seul.e quand on est en POLYamour ? Pour ma part, j’ai l’impression que ce fonctionnement m’éloigne des gens. Avec L., la transition au polyamour s’est d’abord traduite, après de nombreuses péripéties, par un « éloignement des esprits », une chute de la complicité liée à des discussions terriblement difficiles et surtout BEAUCOUP MOINS de disponibilité au moment où j’en avais LE PLUS besoin. J’ai dû faire le deuil de cette disponibilité et devinez quoi, j’ai jamais eu aussi mal. Une étape était franchie, probablement la plus dure dans cette transition. Et je crois que la pilule n’est jamais vraiment passée. Car ce n’est pas vraiment ce que je voulais en fait, ce fonctionnement.

J’ai également dû officiellement accepter de ne plus avoir la place au soleil dans son cœur, mais juste une place, casée au milieu d’autres personnes, car oui, ça fait partie du contrat polyamoureux. Et là aussi, allié à notre passif de couple et au manque de disponibilité, j’ai eu si mal que je suis vraiment partie en sucette, cette adaptabilité allait bien au-delà de mes capacités. Encore une fois, c’est le problème des limites, on ne connait les siennes qu’une fois éprouvées et dépassées. Et encore une fois, je n’arrivais pas à dire stop.

Pour ce qui est des personnes que j’ai rencontrées, j’ai l’impression que ce fonctionnement ne me permet pas de connecter en profondeur avec les gens, de rester en surface, de ne pas dépasser le stade « amant.e.s flou.e.s ». Dans un mode un peu interchangeable. Souvent j’ai l’impression de ne pas ouvrir ma gueule, parce qu’encore une fois, on ne s’est rien promis et que je ne veux pas passer pour la relou ou montrer que je m’attache à quelqu’un.

(« Tu me plais, OUPS déso, je voulais pas dire ça, hihi »).

J’ai rencontré des gens qui me plaisaient, mais qui n’avaient pas envie de réellement gérer une nouvelle relation. Ou du moins de s’impliquer pour que ça marche. Et du coup… ça ne marche pas. C’est peut-être dû à nos modes de rencontre à nous les jeunes d’aujourd’hui. A savoir, faire du sexe et après voir si on se plait, et si on veut développer autre chose que du sexe et être autre chose que des « amant.e.s flou.e.s ». Une partie de la loose vient peut-être inconsciemment de moi, sous influence directe de mon amour fort pour L., relation dans laquelle je plaçais encore beaucoup d’espoir et d’énergie mentale, ce qui ne laissait pas autant de place que je le voulais/imaginais à d’autres.

Au final, je me retrouve mitigée dans ce fonctionnement. J’ai l’impression de mettre de l’énergie dans des relations qui :
- au mieux me laissent frustrée car je suis déçue qu’elles ne se développent pas plus (et où d’ailleurs, je me sens coupable ou relou si je fais ressentir que je veux qu’elles se développent, parce que tu comprends, j’ai le rôle de « LA meuf »).
_ - au pire détruisent littéralement ma confiance en moi et mon amour propre dans le cas de L. Alors que si j’ai pas mal d’égo, on ne peut pas dire que je regorge d’amour propre.
_ - Me rendent zinzin car me provoquent beaucoup d’insécurité, et me donnent envie de plus relationner avec personne et d’intégrer un couvent.

Pourtant j’ai vraiment eu la volonté de vivre des rencontres et des histoires heureuses. Mais j’ai rencontré beaucoup de personnes (mecs cis pour ne citer qu’eux) pour qui ce modèle permet SURTOUT de ne pas trop s’engager, de polyfrilosité. Et oui, signalant qu’un truc ne m’allait pas (notamment après m’être fait ghoster par une personne), j’arrivais quand même à me sentir coupable, la relou quoi.

Et pour en revenir à la solitude, ce n’est pas parce qu’on décide de fonctionner sur le modèle poly que l’on rencontre forcément plus de gens. Alors oui tu peux baiser plein de monde, mais construire de vrais liens c’est pas le même taf. Ça revient à ce que je disais plus haut, qu’il faut avoir une « bonne capacité à se faire aimer » si on veut trouver un équilibre là-dedans. Parce que pour ma part, ça me pose réellement question de relationner avec un mec qui relationne avec plusieurs meufs, si moi-même je n’ai pas d’autres relations.

Du coup j’ai beaucoup fait la stratégie de la défense, de la protection. De trouver des amants quand je trouvais que L. était un peu trop focalisé sur ses autres relations, ou juste qu’il était distant pour X raisons. De trouver des amants quand je sentais que ça partait en couille, plutôt que de régler les problèmes. C’est lâche, je sais. Le système poly convient parfaitement aux lâches, et devinez quoi : on l’est toutes et tous.

VII. Rupture de sororité féministe ?

« Tu m’as blessée comme on m’a rarement atteinte, me prouvant qu’on est vulnérables par en bas aussi à cause de nos amies, nos sœurs, nos mères et nos filles. On est si facilement heurtées, brisées, par les membres de notre propre camp, notre grande sororité, celles qu’on croit être nos alliées par principe. Le sexe faible, qui s’affaiblit encore de se haïr entre elles. »
Wendy Delorme

Voilà, j’ai voulu commencer par cette citation de Wendy Delorme, car au fond de moi, c’est comme ça que j’ai vécu chaque autre personne qui relationnait avec L.. Je ne sais pas quelle attitude adopter envers les « autres personnes ». J’ai essayé plusieurs choses, la discussion face à face, les mails, les SMS. Malgré tous ces efforts, fournis des deux côtés quand cela était possible, je n’ai pas connu de fin heureuse, ni d’équilibre. On finissait juste par se faire peur et/ou se haïr. Ces personnes n’acceptaient pas non plus totalement ma place dans la vie de L., j’en déduis que le polyamour a des limites concrètes pour tout le monde. Ou du moins que les autres personnes ont les mêmes que moi. A savoir : partager dans l’idée c’est sympa, mais en fait c’est trop dur. Et qu’encore une fois c’est les meufs qui doivent se démerder entre elles pour essayer que ce soit le moins pire possible.

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Peut-être ai-je essayé de combattre des obstacles trop grands pour moi, de me convaincre que j’en étais capable, et surtout dans une disposition pas du tout idéale, à savoir une relation au passif de couple, déjà compliquée. Et quoi qu’on en dise, dans ma tête et dans mon cœur, je n’arrivais pas à ne pas hiérarchiser. Outre l’aspect compliqué, cette relation ne me donnait pas confiance en moi, me donnait l’impression d’être parfois à la bonne place, parfois carrément sur la sellette, un peu du jour au lendemain. Le tout face à une personne peu disponible, peu rassurante. Dans laquelle je devais chercher les marques d’affection, et me sentais constamment en demande. Mais en demande de quoi au final ? Ah oui, probablement qu’on arrête de se faire du mal, que les autres disparaissent, ou du moins que leur existence n’ait aucune incidence sur ce que nous, on vivait. C’est ce que j’appelle les amant.es invisibles (« si je mets mes mains devant mes yeux je ne vois rien, elles n’existent plus, vive le déni, youpi ! »). Qu’on arrête de jouer les apprentis sorciers avec des sentiments !

Je ne sais pas si j’arriverai à surmonter un jour cette peur d’être remplacée, d’être moins bien que les autres. Cette jalousie, remarquer les indices « d’autres meufs » quand je suis avec quelqu’un que j’aime. Elastique à cheveux qui traîne, barrette, emballage de capote qui traîne par terre, une chaussette perdue taille 37, un petit mot laissé sur une table, une nouvelle carte sur le mur, un téléphone qui sonne un peu trop souvent, etc. Ce genre de détail me met en PLS. Mais je dis rien, parce que je veux pas avoir l’air d’une sociopathe, que je ne veux pas être intrusive, que je ne veux pas être oppressante.

Ouais, notre bonne socialisation a bien fonctionné.
Je suis féministe et j’ai toujours peur des autres meufs.
D’une peur silencieuse car politiquement incorrecte.

Des meufs qui seraient plus stables psychologiquement, qui auraient peut-être un peu moins de ventre, un peu plus de volonté, un cul d’enfer, qui sauraient faire tout le Kamasutra et mieux encore, et qui seraient légères, drôles, souriantes et passionnées. Des femmes Barbara Gould, quoi. Des meilleures versions de moi-même.

Je disais que je ne savais pas si j’arriverais à dépasser tout ça. Ou alors je pourrais, mais dans un cadre TRES rassurant. Avec des tonnes de bienveillance, d’empathie et énormément de disponibilité de temps et d’esprit. Même avec ça, pas sûre d’y arriver. Mais je ne sais pas si c’est un objectif capital à l’heure actuelle.

J’en conclus que le polyamour, c’est pas pour moi. Mais alors pas du tout. Sur le plan affectif, ça me fait trop galérer. Dans mes relations aux autres meufs, c’est une catastrophe.

Le personnel politique, je capte l’idée, mais la « révolution » polyamoureuse se fera sans moi.

Bibliographie/et plus si affinités

Anonyme. Elles sont reloues ces féministes !, 2018 (Publié sous forme de brochure sur Infokiosques.net)
Anonyme. Le Polymâle (article publié sur le blog Piment du chaos)
Califia Pat, Sexe et utopie, éd. La Musardine, 2008
Collectif Gendertrouble, Est-ce aimer à tous vents ?, 2005 (publié sous forme de brochure sur le site Infokiosques.net)
Collectif TPGboulets, A la conquête d’Hétéroland, 2008 (Publié sous forme de brochure sur Infokiosques.net)
Delorme Wendy, Insurrections ! En territoire sexuel, 2009, éd. Au diable Vauvert
Etrebilal Aviv, Papillons, amour libre et idéologie, 2013 (Publié sous forme de brochure par Ravage Editions)
Hypatia From Space, Compersion, transcender la jalousie dans le polyamour, 2017, éd. Amazon
Monnet Corinne et Vidal Léo, Au-delà du personnel, pour une transformation politique du personnel, éd. Atelier de création libertaire, 1997
Reimer Jennifer L., Elle doit être folle, le discours psychiatrique, les « troubles de la personnalité » et la régulation des femmes subversives, 2009 (disponible sur Zinzinzine.net)
Thiers-Vidal Léo, Rupture anarchiste et trahison pro-féministe, éd. Bambule, 2011
Zanin Andrea, Le problème avec la polynormativité, 2013 (Publié sous forme de brochure sur Infokiosques.net)

Nota Bene :
Ce texte a été initialement écrit en 2019, puis publié finalement deux ans plus tard.
Il y a eu de longs cheminements entre temps. Aujourd’hui, je n’ai plus de position aussi tranchée sur la question et ai réussi à trouver un équilibre affectif.
(Même si je croise les doigts et ne me sens jamais totalement à l’abri d’un nouveau polydrama.)
Mais j’ai malgré tout choisi de le publier afin de faire part des écueils que ce fonctionnement peut présenter à certains moments de la vie.



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