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Journal d’un parent libertaire

mis en ligne le 3 décembre 2021 - Un papa libertaire

Ceci est un journal à retardement, avec 2 ans et des patates de retard. Depuis la naissance de ma fille, j’avais envie de raconter mon vécu de parent pour faire un petit retour d’expérience sur la question "comment être un·e parent·e libertaire dans une société capitaliste ?" Par un heureux hasard, je suis tombé récemment sur une interview concernant la non-scolarisation sur PLI [1] et ça m’a remotivé à me lancer !
Au final, il s’est passé presque un an entre les premières lignes et la version finale. Certaines situations ont changées mais les constats et analyses restent globalement les mêmes.

Si j’avais cette idée en tête depuis tout ce temps, c’est parce que j’ai beaucoup manqué d’échanges sur ce sujet pendant la grossesse et à la naissance et j’en manque parfois encore aujourd’hui. Déjà à cette époque, la situation politique et sociale était craignos, c’est pire encore aujourd’hui, ça me parait d’autant plus important chaque jour qui passe de partager nos expériences d’une parentalité libertaire.
Un autre aspect important pour moi, c’est que notre société éclatée, où il n’existe plus de transmission de connaissances entre paires sur ces sujets (en tout cas pas assez), nous oblige à nous référer à des discours établis qui ne savent, comme souvent, pas s’adapter aux cas particuliers, et qui maintiennent une domination patriarcale et capitaliste. Ce constat s’applique a peu près à tout ce qui suit.

Quand j’ai commencé à réaliser que j’allais être papa (pour expliquer mon point de vue, je suis un mec cis hétéro racisé), tous les témoignages que j’avais entendu, lu, vu autour de la grossesse, de la parentalité, de l’éducation me sont revenus à l’esprit. Et la première chose qui m’a frappé c’est le manque de questionnement de tous les trucs qui paraissent aujourd’hui normaux et anodins au niveau de la société.
La médicalisation de la grossesse, l’achat de tout un tas de matos, les couches, l’hygiène, le sommeil, les pleurs, la bouffe, la crèche, l’éducation, la famille, le rapport à la société, au genre... Il y a certains trucs un peu généraux comme la famille et l’éducation qui sont déjà pas mal discutés, on peut trouver plein de brochures sur infokiosques par exemple, mais ça ne te prépare pas forcément au décalage qu’il existe entre l’envie utopique et la réalité sociale en lambeau (et c’est encore plus vrai aujourd’hui !).
Tu es un consommateurice, ton enfant un·e futur·e consommateurice, un·e futur·e travailleur·euse, et alors qu’iel n’est encore qu’un amas de cellules, iel est déjà considéré comme tel.

J’ai donc a peu près tout requestionné, parfois de manière anticipée, parfois au fur et à mesure que les choses se présentaient. Je suis parfois aussi passé à côté de certaines choses, j’en ai raté d’autres, mais globalement, j’ai tenté de penser ma manière de faire selon ce qui me semblait être instinctif... au sens naturel du terme : ce qui te prend au tripes, et qui te permet de naviguer à vue. Je me suis appuyé aussi sur les cultures non-occidentale, sur mon vécu personnel, sur quelques lectures aussi [2]

Je vais essayer d’aborder dans ce qui suit ce qui m’a le plus marqué personnellement pendant ces trois dernières années. C’est un journal, donc la structure est chronologique, mais j’ai quand même essayé de grouper les sujets, de manière un peu cohérente. J’en profite pour tenter d’en tirer une analyse anti-capitaliste, anti-autoritaire, et anti-patriarcal.e.

NB : certains souvenirs remontent à loin donc il peut y avoir certaines approximations notamment en ce qui concerne la grossesse, je ne suis ni sage femme, ni soignant·e, désolé par avance pour les éventuelles erreurs dans les termes / procédures.

Pour commencer : questions de grammaire

Une telle brochure ne peut se passer d’une introduction sur la question de genre. Mon enfant a des organes génitaux femelle.
Si je le précise, c’est d’une part parce que dans la suite du texte, par facilité, je la genre au féminin, n’ayant pas, malgré beaucoup de réflexions sur le sujet, trouvé d’alternative satisfaisante. A une époque, lorsqu’une personne me posait la question pour connaître son genre/sexe, je renvoyais la question à mon enfant, et elle répondait en donnant son prénom, elle refusait tout simplement d’être l’un·e ou l’autre. Aujourd’hui, à force d’entendre qu’elle est une fille dans différents contextes, elle commence à se genrer au féminin. Pourtant elle est très souvent « prise pour un garçon ». La pression des adultes me pousse aussi à préciser son sexe pour leur faire comprendre que c’est pas parce qu’on est une fille qu’on est obligé d’avoir les cheveux long et une robe rose. Aujourd’hui, je m’en veux un peu de réagir comme ça car je vois bien que je suis tombé dans le piège de l’assigner à un genre qui n’était pas le sien, et en sa présence. Pour m’en défaire, j’aimerai répondre que « ce qu’elle a entre les jambes ne regarde qu’elle », mais j’ai encore jamais réussi à faire ce pas.
D’autre part, il me semble que la petite enfance est un moment très important en terme de construction sociale dans notre société en ce qui concerne l’assignation de genre, et j’y reviens à plusieurs reprises dans différentes parties.

Et aussi, concernant l’écriture inclusive elle est assez aléatoire : les termes qui englobent les petites personnes sont très souvent genrés au masculin, et pas très pratique à lire... L’exemple du mot enfant... je n’arrive pas à écrire "enfant·e", ça marche juste pas !
Pareil pour le possessif, quand je parle de celle que j’ai à la maison... je ne vois pas comment dire autrement que mon bébé, ou mon enfant… En général, dans la vraie vie, je l’appelle par son prénom, mais à l’écrit et par souci de préservation de son anonymat, je n’ai, encore une fois, pas vraiment d’alternative. Si vous avez des idées, je suis preneur !

Suivi de grossesse

Et sinon le sujet qui tombe en premier, évidemment c’est la grossesse, le suivi, la médicalisation, etc.
On s’est vite rendu compte avec ma compagne du manque d’info qu’il y avait sur toutes les possibilités concernant le suivi et l’accouchement. J’étais pas le premier concerné et le dernier mot lui revenait évidemment à chaque fois, mais on essayait quand même de discuter de tout le processus.

Tu viens tout juste de faire la première échographie de datation qu’on te dit déjà qu’il faut vite t’inscrire à la maternité pour être sure d’avoir une place, genre dans la semaine.

À ton inscription à la maternité (dans une maternité plutôt "militante"), on te file une boite avec plein de papiers dedans, tu te dis cool, quelques infos et trucs utiles ! Mais non, tout ce que tu trouves c’est des promos pour poussettes, des échantillons de lotions, une couche d’une marque bien connue, un guide du style "bébé arrive, se préparer à être maman" ou quelque chose comme ça signé par un magazine pour les mamans, et un livret à remplir pour ton suivi de grossesse, d’allaitement, de siestes et de caca de bébé. Évidemment c’est super genré, le père à un rôle secondaire dans tout ça (il conduit la bagnole et change les couches). Bref pas besoin de te faire un dessin, ça fout déjà la rage ! Quand on a rendu la boîte, la personne à qui on l’a rendu nous a dit qu’iels les distribuaient parce que les futur·es parent·es les demandaient...

Du côté du suivi, il se trouve que par chance, dans notre cas, ma compagne venait de lâcher sa gynéco pour faire ses suivis chez une sage femme référencée sur un site militant [3].
On a fait tout le suivi avec elle jusqu’au 7ème mois. N’empêche, quand on a évoqué l’angoisse de la médicalisation de la grossesse (c’était pas une grossesse à risque), de l’envie de sortir de schéma hospitalier et gynécologique, et qu’on se questionnait sur l’accouchement maison, il y a eu un gros blanc. J’avoue, la question est d’abord venue de moi, qui n’était pas le premier concerné, mais l’angoisse était partagée. C’était au 3ème ou 4ème rdv et la principale réponse qu’on a eu c’est en gros "il faut bien se préparer, être sûr de vous, si vous avez le moindre doute, c’est pas forcément l’idéal, c’est vrai que votre grossesse se passe bien mais bon, sachant que vous êtes un peu angoissées, j’aurai tendance à vous déconseiller... cela dit moi je pratique pas l’accouchement à domicile". Bref, le sujet semble tabou, difficile d’en savoir plus sur le moment, et 3000 trucs à penser en même temps donc on passe. On apprendra plus tard qu’en fait ça se fait carrément bien même mais sous certaines conditions (notamment la présence d’un hôpital dans un certain rayon autour de chez toi), c’est ballot, en cherchant on aurait sans doute pu trouver une sage-femme un peu spécialisée là dedans.

Donc, on fait face à la toute puissance de la médecine qui disqualifie d’office les pratiques hors cadre médical, et même si on avait réussi à dépasser cette étape, il aurait fallu se démener pour trouver un·e spécialiste. Alors que des milliers de femmes en passent par là chaque jour, on a perdu toute autonomie populaire sur ces questions. Je ne dis pas qu’il faut se passer des sages-femmes, au contraire, je pense que leur rôle est hyper important dans l’accompagnement de la grossesse, je pense même qu’il faudrait qu’on soit toustes un peu sage-femmes pour que les femmes enceintes puissent décider en connaissance de cause les orientations à prendre et pour les accompagnant·es éventuel·les, d’accompagner concrètement.

Ensuite, il y a toutes les analyses régulières, les compléments à ingurgiter : échographies, toxoplasmose, taux de fer, diabète gestationnel, etc. tout est passé au crible. Ça fait aussi partie de trucs anxiogènes, et pourtant pour le coup, ça nous semblait assez normal. Il me semble que si on atteint aujourd’hui un taux de mortalité infantile et de décès en couche aussi faible c’est notamment grâce à ça. On a par contre refusé le prélèvement de liquide amniotique pour vérifier si ya une trisomie, faut pas déconner non plus.

Matos

Du côté du matériel, évidemment, on s’est appuyées sur nos capacités de récup. Auprès des potes, de la famille, ponctuellement dans des freeshop, des friperies, des achats d’occasion. Pour certains trucs, de la bidouille ou de la fabrication maison.

Pour les premiers temps, pas de poussette, pas de table à langer, des produits d’hygiène vite abandonnés. On est partis du principe qu’un bébé ça avait pas besoin de grand chose en vrai.

Niveau change par exemple, on a préféré avoir des alèses à mettre par terre plutôt qu’une table hyper haute où t’es obligé de rester à côté tant que l’enfant est dessus.
Niveau hygiène on a commencé avec des cotons et du liniment, mais on a vite capté que ce qui fonctionnait le mieux c’était une lingette lavable faite maison avec de l’eau...

Niveau déplacement, on a opté pour du portage, on a dû tester plusieurs trucs pour trouver ce qui nous convenait, et en vrai ça coûte assez cher pour avoir du matos de qualité. Donc récup chez les potes et achat d’occaz, parce que ça se trouve ni en fripe ni en freeshop, ou très rarement. On a aussi fait du fait maison mais ça a pas duré longtemps.

Niveau jeu, on s’est contenté au début des vieux jouets que nos parents avaient ressortis des placards et des quelques cadeaux de naissance.
Je m’étale pas plus, c’est un peu en filigrane dans ce qui suit.

Allaitement

À la maternité, il y avait aussi les séances de préparation à l’accouchement. C’est là qu’on t’explique ce qui se passe depuis quelques mois et comment ça va se terminer : comment se développe le bébé, comment tout ça tient en place, le fonctionnement de l’accouchement, les postures possibles pour accoucher (c’est une maternité militante donc pas de position gynéco), l’accompagnement des sages femmes, les différentes techniques d’aide à la sortie du bébé, la césarienne, la péridurale, l’épisiotomie. En gros, ça aborde autant des questions techniques que médicales pour répondre aux questions que tu peux te poser. C’est même assez chiadé. Ya quelques trucs qui font tiquer, le discours sur la péridurale et sur l’épisiotomie par exemple sont pas toujours très clairs, parfois contradictoire d’une séance à l’autre, mais globalement on s’y retrouve parce qu’on a pu choisir une maternité assez proche de nos réflexions. Et puis il y a une bonne documentation féministe sur ces sujets pour en démêler les tenants et aboutissants (le numéro 10 de la revue Z par exemple).

T’as aussi droit en option à une séance sur l’allaitement, le saint-graal pour être une bonne maman... on était plutôt bien dans le délire d’ailleurs, niveau anti-capitalisme ça nous semblait être la base. Pendant toutes ces séances, on t’explique le colostrum, la montée de lait, les postures d’allaitement, l’enfant qui trouve naturellement le sein... ce qu’on te dit pas, c’est ce qui se passe après. Parce qu’en fait, selon moi, l’allaitement ici est vu comme une prolongation de la grossesse et de l’accouchement, le fameux lien mère-enfant (le père est absent là-dedans), c’est fusionnel, c’est la nature, c’est le Rôle de la Femme. Le discours tend au dogmatisme et ça en devient culpabilisant pour les femmes, parce que tu comprends, c’est mieux pour ton enfant. On te raconte par exemple, et c’est partagé par de nombreux réseaux pro-allaitement, qu’une femme qui ne produit pas assez de lait, ça n’existe pas. Or, c’est faux ! Notre cas en est un bon contre-exemple, et on a eu plusieurs retours d’expériences qui le montrent (j’y reviendrai plus tard). Encore une fois, dogmatisme et culpabilisation sont au rendez-vous. Autre exemple : la question de la douleur mammaire, c’est une question d’habitude, si ça passe pas, éventuellement faut appliquer telle ou telle crème, mettre des coquillages, des soutifs spéciaux, etc. (et vive la consommation !), et si vraiment ça passe pas, c’est que tu t’y prend mal...

Pourtant l’allaitement va, pour moi, carrément dans le sens d’une parentalité anti-capitaliste, ne serait-ce que pour éviter l’industrie du lait en poudre et de ses additifs, mais le dogme qui l’entoure le transforme en objet de contrôle du corps.

Puériculture

Assez bizarrement lors de toutes ces séances qui précèdent l’accouchement, il n’y a rien sur les questions de "puériculture", et sur l’accueil d’un enfant chez toi, qui devient aussi chez ellui. Lorsque des questions de parents apparaissent pendant les séances, tout est une affaire de choix personnel, comme si, une fois sorti de la maternité, tu étais libre de faire comme tu veux. Et encore un fois, les réponses sont évasives tout en proposant un discours hyper formaté. Les puéricultrices sont absentes de ces temps d’échanges et il n’y a pas la place pour parler de ce que va devenir ta vie à ton retour à la maison.

Finalement, cette question est abordée en direct live à peine sorties de la salle de naissance. Pendant que maman se repose, papa découvre les merveilleuses capacité instinctives de sa pitchoune, et puis tu regardes faire et t’apprend en imitant la dame (jusqu’ici ça va, c’est après que ça se corse). Ensuite tu vas passer trois jours à jongler d’une puéricultrice à l’autre, qui vont toutes t’expliquer qu’il faut tenir ton bébé comme ci, ou plutôt, non comme ça, qu’il faut l’emmailloter, ou pas, qu’il faut la laver comme ça, ah non surtout pas. Que si la montée de lait se fait pas, faut donner un biberon, mais en fait non... Qu’il faut pas caresser ton enfant quand iel dort parce que tu comprend ça peut le perturber. Bref, jamais deux fois le même discours, et au final ce qui était soit disant affaire de choix personnel, devient une guerre des tranchées entre les différentes puéricultrices pour t’imposer leurs techniques, dans un moment de fragilité. En dehors de la maternité, lorsqu’il a fallu en passer par la PMI (protection maternel et infantile) pour le suivi du bébé le premier mois, le schéma est resté le même. Et comme pour l’allaitement le discours tend à la culpabilisation du parent qui fait mal les choses.

La puériculture commence là où s’arrête la transmission des connaissances entre paires et au sein des familles. Avec le recul, je pense que c’est l’une des disciplines qui fait le plus foirer la relation parent-enfant dès le départ. Malheureusement, à force de perte de connaissances populaires, c’est la puériculture qui prédomine dans l’environnement. Elle propose aux parents fatiguées, comme seule option, un modèle éducatif basé sur un rapport de domination de l’enfant. On nous disait pas exemple, lorsqu’on la caressait dans son sommeil : "Il faut pas toucher un enfant pendant qu’il dort, ça pourrait le perturber !". Cette remarque est assez parlante en ce qui concerne le modèle éducatif : on nous disait à ce moment, quelques heures après sa naissance "ne la laisse pas trop s’habituer à ton contact, elle risque de plus te laisser tranquille". C’est aussi le discours qu’on peut retrouver dans l’entourage proche et notamment chez les grands-parents qui deviennent des relais de cette approche de la puériculture.

On te donne l’illusion du choix, mais on t’impose quand même un formatage dont il est indispensable de se débarrasser à mon sens au plus vite. Il est arrivé un moment où on a envoyé bouler tout le monde pour faire ce qui nous semblait juste. On en vient à s’opposer aux avis des autres et à faire selon nos propres pratiques parce que la prise en charge communautaire est défaillante.

Ce qui reste c’est le discours de base : tenir la tête de ton môme, ne pas le secouer, le confier à quelqu’un quand tu fatigues, etc. bref ce qui est écrit sur le fascicule "parents faites gaffe à votre enfant" que tu trouves dans le carnet de santé. Pour le reste, il faut s’écouter et ne pas avoir peur de tenter de faire ce qu’il nous semble bon. Si un discours ne me convient pas, c’est probablement qu’il ne convient pas a ma relation à mon enfant. Je préfère m’appuyer sur l’instinct. Il me semble que le plus important dans tout ça, c’est de répondre aux besoins essentiels de ton môme : besoin de contact physique, besoin de bouffer, de propreté, besoin d’activité, besoin de sommeil, besoin de réconfort (j’en oublie sûrement).

Alimentation

Première chose à déconstruire, les discours sur l’alimentation.

D’abord du côté de l’allaitement, du point de vue de la puériculture, l’accompagnement est hyper normé et à la fois bordélique. Je crois qu’on nous a, à peu près tout raconté et son contraire. La façon de tenir ton môme n’est jamais la bonne en fonction de l’accompagnante qui t’observe. Il ne faut jamais donner le sein plus que toutes les deux, trois ou quatre heures, surtout ne jamais donner à la demande. Et puis il faut que la maman puisse dormir, mais en même temps qu’elle soit à 100% disponible pour la gosse.

Et puis (c’est le point qui nous a le plus choqué·es), on nous dit qu’une femme qui ne donne pas de lait ça n’existe pas. C’est faux et le meilleur exemple que j’ai c’est celui de ma compagne qui avait un sein qui donnait une quantité presque suffisante, et le second qui ne donnait presque rien. Ce discours ne fait que créer de la culpabilité chez la mère qui finit par penser qu’elle n’est pas capable de nourrir son enfant, c’est d’une violence sans nom !

En parallèle, c’est le poids du bébé qui sera la variable d’ajustement… il est intolérable, dans la puériculture moderne que le bébé ne prenne pas ou perde du poids, l’allaitement finalement n’est plus dans ce cas qu’une lubie de femme possessive, et il faut à tout prix compléter son alimentation par des biberons, parce que c’est ça la priorité !

Pendant la période d’allaitement, la nôtre a fait le yoyo pendant les premières semaines sans pour autant avoir de soucis. Évidemment avec moins de lait dans un des deux seins, c’était clair qu’elle ne pouvait pas se contenter de l’allaitement. Le problème vient du discours des puéricultrices, qui sans pour autant être maltraitantes directement envers ma compagne, n’ont fait que l’enfoncer en disant que le bébé n’était pas bien nourri et elle n’a obtenu aucun soutien ou accompagnement de leur part. Les tentatives de contacter les réseaux spécialisés dans l’allaitement se sont soldées par des échecs (je me rappelle plus le détail donc je n’aborderai pas ce sujet), et on a fini par découvrir bien après être passé au biberon toutes les réponses qu’on cherchait : d’abord concernant l’allaitement, il semble possible selon une sage femme de poursuivre l’allaitement avec un seul sein fonctionnel, ensuite concernant le poids du bébé, il semble (et c’est finalement assez logique puisque tous les bébés ne sont pas des clones) que les variations de poids peuvent être très différentes d’un enfant à l’autre.

Sur le premier point, puisque c’était trop tard, on a pas creusé plus la question. Si j’évoque ça, c’est parce que je pense que c’est important de se poser la question dans ces circonstances.

Sur le second point, la pédiatre nous avait d’abord un peu rassuré en voyant directement que malgré ses variations de poids, la petite avait la pêche et était souriante. C’est aussi plus tardivement, un livre en particulier [4] qui nous a permis de relâcher la pression puisqu’il y a un long passage sur ce sujet qui explique que certain·es nourrissons peuvent avoir une courbe de poids irrégulière. On trouve d’ailleurs quelques confirmations en cherchant sur le net.

Là où y a un problème, c’est dans le fait de considérer uniquement le poids du bébé comme élément quantitatif "objectif" si cher au capitalisme. Si on réfléchi à la question des délais entre deux tétés ou deux biberons (le discours genre c’est toutes les 3h), on est dans la même logique de normativité capitaliste. Surtout ne pas habituer ton enfant en lui donnant à manger à la demande, d’abord parce qu’iel risquerait de s’habituer à ce que tu sois toujours là pour ellui, et ensuite parce que sinon tu peux pas te consacrer à ton travail (domestique principalement) et qu’il faut l’habituer rapidement à des horaires régulières pour anticiper la reprise du travail de la mère... faudrait pas être improductive trop longtemps quand même !

L’alimentation, c’est aussi plein de questionnements au sujet de la diversification alimentaire. Les discours des professionnels sont toujours différents et hyper normés à la fois, genre d’abord les légumes un a un, en purée bien lisse, mais faut commencer à l’âge de 4, 5 ou 6 mois... et puis introduire des trucs et des machins, bref, on dirait de l’alchimie.

Pour faire court, de notre côté on a expérimenté ce qu’on appelle dans le langage des alternatifs la DME ou diversification menée par l’enfant. Y a pas mal de documentation sur internet, donc je vais pas m’étendre, ça permet de donner à manger des morceaux dès les premières bouchées à ton enfant en introduisant l’alimentation par étape. Ça peut parfois être assez dogmatique dans le discours, genre si tu fais la DME faut jamais donner de purée, sinon après ton enfant voudra plus que de la purée et plus jamais de morceaux...

Et à la fois c’est beaucoup plus flexible dans la forme que ça peut prendre : genre tu cherches pas forcément à donner un seul légume à chaque repas, au contraire, tu laisses ton enfant goûter et expérimenter. Le seul point de vigilance à avoir c’est que l’enfant doit savoir s’asseoir et tenir seul·e dos droit sans assistance, pour que la déglutition correcte soit possible. L’idée c’est de permettre à ton enfant de manipuler la bouffe, la texture, la forme, les goûts, et que ce soit un champs de découverte plutôt qu’un vrai temps de repas. Il paraît que du côté des anglais·es, les professionnel·les s’accordent dans leur discours pour dire que la bouffe avant l’âge de 1 an c’est pour jouer, et que les enfants doivent réellement commencer à manger du solide à partir de 1 an... de ce que j’ai pu expérimenter je pense que c’est assez vrai.

Et encore une fois le discours des professionnel·les en france est toujours aussi pourri, iels y "croient pas", il y a des "risques d’étouffements", etc. Et quand tu dis que tu le fais et que ça marche, on fait comme si on t’avait pas entendu. Bref, y a encore du taf de ce côté là !

Sommeil, contact physique et substituts

Dès la maternité, et pendant tout le suivi à la PMI, encore une fois les discours sur le sommeil étaient a peu près toujours les mêmes et pourtant on avait jamais de réponse claire. Il y a toujours 1000 solutions pour que ton enfant s’endorme, et évidemment aucune qui fonctionne vraiment.

Le pire, je dirais que c’est l’emmaillotage. Ça consiste grosso modo à envelopper un nourrisson dans une couverture hyper serrée pour le contenir complètement et lui empêcher tout mouvement. Parce que vois-tu il parait que l’enfant aurait besoin de conserver une certaine contenance et trop d’espace libre pourrait le déstabiliser. Il y a aussi la tétine, bercer le bébé dans le couffin, être actif autour de lui (on nous a même suggérer plus ou moins de passer l’aspirateur pendant les siestes), et puis mettre un vieux tshirt à toi avec ton odeur dans son lit...

Bon pourquoi pas, globalement ça peut se tenir : être maintenue, bercée par une activité, pouvoir suçoter, sentir que t’es pas très loin... ça permet au bébé de se sentir rassuré notamment dans son sommeil. Mais il faut bien se rendre à l’évidence : ce sont uniquement des substituts pour permettre au parent d’être peinard rapidement. Objectif, se remettre au boulot le plus vite possible !

Parfois on nous suggérait de bercer notre môme dans les bras, mais c’était toujours avec le sous-entendu de la reposer dans son lit une fois endormie. Et évidemment, une fois posée, elle se réveillait ! Dans le même temps on nous interdisait les trucs les plus naturel du monde. Du genre "Il faut pas toucher un enfant pendant qu’iel dort, ça pourrait le perturber ! Et surtout jamais, jamais dormir avec ellui... Tu pourrais l’écraser !"

Il a fallu qu’on découvre tou·tes seul·es que le truc ultime c’est finalement : la porter dans les bras et dormir avec elle !

Si tu regardes un peu les cultures qui ont gardé un peu plus de connexions neuronales, tu te rends compte que dans toutes les sociétés les bébés sont portés, et dorment avec leur·s parent·s pendant les premiers mois, voire années. Que ce soit en Asie, en Amérique latine ou en Afrique, toutes les sociétés ont des porte-bébés adaptés pour le maintien du bébé, et beaucoup font chambre commune avec leurs enfants. Le principe de la chambre parentale existe uniquement dans les sociétés occidentales.

Du côté du portage, ça commence à se faire de plus en plus en France même du côté de la puériculture et ça marche à coup de cours de portage, de 30 type d’écharpes différents, et c’est souvent l’aspect pratique qui est mis en avant... l’exemple type c’est de porter ton bébé pendant que t’es à la cuisine. Et évidemment ça s’adresse d’abord aux femmes, dans une vision très genrée du couple. Alors ouais c’est sûr c’est pratique (quoique faut définir pratique parce que quand tu fais la cuisine au gaz avec ton bébé porté sur le ventre c’est pas gégé, sans parler des écharpes où il faut s’entortiller 3 fois dedans pour installer le bébé de manière sécurisée)... mais vu comme ça, c’est encore le point de vue de l’adulte qui prime et pas du tout celui de l’enfant. Du coup, c’est un peu du genre "je le porte quand vraiment iel pleure trop et continuer à faire la vaisselle tranquillement".
Selon moi, c’est avant tout pour le bébé que c’est important. Parce que ça lui permet d’être auprès de toi quoi qu’il arrive. C’est le meilleur endroit pour dormir et pour observer le monde d’en haut et le découvrir, plutôt que d’en bas à fixer le plafond ou un mobile en plastoc. Accessoirement, on retrouve l’espace enveloppant, l’activité qui berce, la proximité. La tétine et le doudou deviennent des accessoires plus ou moins inutiles.

Pour la nuit, ce qu’iels appellent le "co-dodo" reste hyper mal vu en puériculture, dans le discours institutionnel. Pour en savoir un peu plus, il faut creuser chez les adeptes du "maternage", en gros une maternité intensive où tu ne vis plus que pour ton gosse, durant la petite enfance. Quand tu fouilles sur le net, y a à boire et à manger, et parfois des témoignages qui donnent l’impression que la vie de la mère ne tourne plus qu’autour de la maternité, comme dans une bulle.
Bon faut pas se leurrer, malgré tout, le capitalisme a déjà récupéré le truc pour te vendre des trucs et des machins de co-dodo, mais ça me semble être encore marginal. Le discours officiel en ce qui concerne le lit semble tenir à deux truc : 1- que tu le mettes directement dans sa chambre ou dans la tienne, c’est toi qui décide, ça change rien ; 2- il faut que la taille du lit corresponde à la taille de l’enfant, iel sera perdu dans un lit trop grand.

Bon en ce qui nous concerne, concrètement on avait pas le choix pour le point 1 puisqu’elle avait pas encore de chambre. Au début, les trois premiers mois, elle était dans un couffin un peu en décalé, genre à 1 mètre de nous : le point numéro deux nous avait marqué et on avait un peu peur de la mettre directement dans un vrai lit de bébé. Et puis du coup on nous avait fait flipper avec le risque d’écraser notre enfant en dormant avec elle. Donc les trois mois nous on servi à nous renseigner un peu plus sur le co-dodo et on a fini par basculer quand le couffin est devenu trop petit. Au final, elle a fait un an et demi dans notre chambre son lit ouvert d’un côté et collé au nôtre. Bon les 3-4 derniers mois, ça commençais à faire long pour nous à cause du manque d’intimité, mais on avait pas le choix et concrètement on a tous·tes mieux dormis à partir du moment où on était en contact pendant la nuit. On retrouvait du coup les différents aspects que j’évoquais plus haut : espace enveloppant et proximité (sensation de chaleur du corps), activité (respirations, ronflements, mouvements), et en période d’allaitement, tété à proximité.

Accessoirement, lorsqu’elle a eu sa propre chambre du coup au bout d’un an et demi, c’est elle qui a quitté notre chambre d’elle même, pris ses affaires et s’est installée directement, alors qu’on pensait y aller progressivement pour lui permettre de s’habituer. Aujourd’hui, contrairement à de nombreuseux enfants de son âge elle n’a jamais de problème de sommeil.

C’est simple, pour moi, c’est encore une fois le capitalisme qui t’incite à aller vers "l’autonomie" du sommeil de ton gosse. Il y encore une optique de domination de l’enfant pour satisfaire les besoin des parents : besoin d’intimité, besoin de "calme", besoin de repos. Pour voir à quel point le capitalisme s’engouffre là dedans, il n’y a qu’à voir la quantité phénoménale d’objets en tous genre qui entourent le lit pour donner une sensation de "sécurité" au bébé. Il existe même des méthodes dites comportementalistes qui, sous couvert de recherches scientifiques, consistent à laisser le bébé pleurer pour lui apprendre à dormir seul. En tant que parent·es, j’estime que c’est à nous de prendre le point de vue de nos marmot·tes, et de nous adapter à elleux. Comme je disais plus tôt, le bébé a pas demandé à débarquer, il n’y a aucune raison de le maltraiter ! [5]

Propreté

Le sujet de la propreté est tout aussi important à questionner dès la naissance. Pour moi, de manière très instinctive, c’était évident que le principe même de la couche ne pouvait être qu’à revoir. D’abord parce que c’est une aberration écologique et économique, ensuite parce que je ne nous voyais pas passer notre temps à laver des couches lavables, et enfin parce que c’est carrément pas sympa pour le bébé de le·a laisser enfermé dans la merde !

Il se trouve que j’avais vu une copine faire du sans couche à la naissance de son môme et ça m’avait un peu mis la puce à l’oreille. Donc mes recherches ont commencé sur cette question avant la naissance. Je vais pas rentrer dans les détails, mais en gros, 60% de la population mondiale vit sans couches. Et pour ça, bah, les parent·es communiquent avec leurs bébés, comme pour les besoins de bouffer ou de dormir... Par chez nous, la pratique qui en est inspirée a un nom, ça s’appelle l’hygiène naturelle infantile (HNI) ou Elimination Communication chez les anglophones. Il existe tout un microcosme de blogs qui décrivent le principe [6]. On a donc commencé à enlever les couches à l’âge de 3 mois à temps partiel, et presque en permanence pendant les étés, puis elle a demandé à les enlever définitivement avant l’âge de 2 ans.

Là où j’ai surtout envie de rentrer un peu dans le détail, c’est dans le rapport au monde extérieur. La couche est tellement omniprésente dans l’environnement des bébés, qu’il y a de nombreux préjugés sur la capacité des enfants à avoir conscience de leurs propres besoins. Il y a deux discours qui prédominent : 1- l’enfant n’a pas conscience du fait qu’il pisse ou chie (et encore moins de l’envie de le faire), 2- ça viendra quand ses sphincters seront suffisamment développés (et donc iel apprendra quand iel sera prêt·e).

Pourtant, sur le premier point, n’importe quel parent a déjà fait l’expérience de se faire pisser dessus pile au moment de l’ouverture de la couche. Les professionnels de la petite enfance et les grands-parents diront sûrement que c’est parce qu’iel a eu "un petit coup de froid". Pourtant ce "réflexe" des nourrissons s’arrête assez vite généralement. En fait, la conscience de leur besoin, et de leur envie de pas se pisser dessus est complètement naturelle dès la naissance. C’est la couche elle-même (par l’absorption instantanée), et le mode de traitement par les parents (changer la couche une fois qu’elle est bien pleine) qui occulte ce besoin et fait comprendre à l’enfant que sa demande ne sera pas prise en compte. Par ailleurs, la demande elle-même n’est pas comprise en cas de pleurs, puisque les parents n’imaginent pas cette demande possible.

Sur le deuxième point, on dit que les sphincters se développent avec l’apprentissage de la marche, et particulièrement du fait de monter et descendre les escaliers. Allez savoir pourquoi, personne ne se dit que les sphincters pourraient aussi se développer en laissant à l’enfant la conscience de son corps et de ses besoins d’élimination... Et comme le hasard fait bien les choses, les sphincters finiraient de se développer entre 2 ans et demi et 3 ans, pile avant l’entrée à l’école maternelle tiens !

Pour bien enfoncer le clou, on te dit surtout de ne jamais forcer la propreté, que ça viendra tout seul, et que l’apprentissage peut se faire en une semaine si c’est l’enfant qui le décide. Dans un cadre avec couche, ça semble assez évident, et pourtant il y a un paquet d’enfants (et de parents) dans mon entourage qui ont été traumatisé·es par ce moment. Ce discours sert aussi à disqualifier la HNI ou les pratiques approchantes qu’on retrouve notamment chez des populations immigrées, et qui présuppose qu’on cherche à forcer le bébé à être propre, là où il s’agit au contraire d’écoute et de bienveillance.

A partir de tous ces éléments, la seule chose qui me vient à l’esprit c’est qu’on tombe bien comme il faut dans les besoins du capitalisme (pour rester poli). D’une part, on se "facilite" la vie en achetant des couches et tous les produits qui vont avec pour pallier aux effets secondaires (irritations et compagnie), d’autre part, on suit l’agenda de l’organisation sociale capitaliste qui accepte des bébés avec couches en crèche mais pas à l’école. C’est finalement l’extrême inverse du point précédent sur le sommeil, la domination de l’adulte passe par le refus d’autonomie à l’enfant. Ajouter à ça une petite dose de racisme ordinaire et on évacue ainsi toutes les alternatives.
On pourrait développer aussi sur le fait que se "faciliter" la vie avec les couches, implique quand même de gérer des débordements, d’avoir un espace de change, de traiter des rougeurs voire des infections, d’acheter des médicaments, d’aller voir des médecins, etc.

Enfin, on pourrait aussi questionner la notion de propreté. Comme pour les femmes et l’omniprésence des produits "d’hygiène intime" de "protection hygiénique", etc. Il y a un sous texte qui te fait penser que le corps c’est sale. Celui d’une femme comme celui des bébés, alors il faut acheter des produits spécifiques pour qu’il soit "propre". Dans cette optique, on pourrait discuter aussi de l’hygiène corporelle de manière plus globale. Mais pour développer ce point, il faudrait probablement un zine rien que là dessus !

Petite anecdote qui fait rire jaune, dont je n’ai plus la source, mais c’est tellement gros que ça m’étonne pas : en Chine où la pratique sans couches est très ancrée dans la société, les producteurs de couches se sont mis à faire des campagnes de pub pour inciter les parents des classes moyennes urbaines à mettre des couches à leur enfant pendant la nuit en affirmant que ça serait meilleur pour leur sommeil, sur fond de pseudos arguments scientifiques... X millions d’enfants x 365 jours x 1 couche = gros paquet de thune en perspective.

Activités sociales et découverte du monde

Pendant la phase "nourrisson", l’essentiel de l’activité s’est déroulé à la maison où on accueillait les copain·es et les familles. Très rapidement par contre on est sortis dans les quelques parcs qui nous entourent et on a braver les éléments (la pluie essentiellement), ou on est allé voir des copain·es pas trop éloignés, à pied et bus, en porte-bébé ou écharpe, pour le côté réchauffant et le côté sécurisant. Je trouvais ça hyper important qu’elle se familiarise rapidement à l’environnement qui serait le sien, autant au niveau de l’espace physique que de la météo. Pendant toute la première année, on a aussi enchaîné les visites chez des copain·es ou de la famille éloignée géographiquement pour sortir un peu de l’environnement urbain et lui permettre de rencontrer plein de gen·tes différent·es.

Les quelques tentatives de faire des trucs militants ont été assez compliquées les premiers temps, d’abord à cause du froid, et parce qu’avec toute la volonté du monde, on se le sentait pas forcément. La première vraie tentative, ça s’est passé dans un squat sur une journée très animée, et ça a vite tourné court. Les conditions (grands espaces, pas ou peu chauffées, etc.), le monde et le volume sonore étaient un peu déconcertants après quelques semaines passées en vase clos. J’ai fini par me faire une raison, les activités en zones urbaines sont pas adaptées aux nourrissons, et plus généralement aux enfants qui ne marchent pas. Évidemment, la plupart des manifs sont impossible étant donné le niveau de violence actuelle.

À partir de l’acquisition de la marche, et d’un rythme de sommeil plus clair, les choses deviennent forcément plus faciles. C’est vraiment à partir de ce moment qu’on a pu être dans des interactions plus larges, avec des personnes moins proches, et dans des cadres moins sécurisés. Ça va aussi avec la capacité de "faire" des choses : bouger, porter, ranger, manipuler divers objets, bref participer à sa mesure aux activités des autres enfants et des adultes. C’est ce dernier aspect qui pour moi est le plus important parce qu’en dehors des questions de développement de la motricité, c’est surtout la communication, l’empathie, la solidarité, l’entraide qui se créent chez l’enfant. C’est notamment le cas en l’embarquant dans des actions de solidarité dans un monde d’urgence sanitaire, qu’elle peut se sentir faisant partie du monde et pas seulement être un objet d’attention pour les autres. Une petite anecdote, lors d’une action, elle a trouvé dans un freeshop une peluche qu’elle a kiffée. En partant, je lui ai dit qu’elle en avait déjà plein et que celle-ci irait pour un·e autre enfant qui en a besoin. Elle m’en a reparlé pendant plusieurs jours et en discutant, on est tombé d’accord sur le fait de faire un échange entre une peluche à elle qu’elle aime moins et la nouvelle. Du coup elle était à fond, en disant que sa peluche irait à un·e autre enfant. Elle me parle aussi encore, plusieurs semaines après, d’un enfant rencontré pendant une maraude, qui cherchait une solution d’hébergement, et avec qui elle a joué.

Je pense que globalement sur ces aspects, on a une tendance à surprotéger les petit·es, en supposant qu’iels n’aiment pas le changement, qu’iels ont besoin de stabilité, qu’il faut les protéger du froid, du rythme intense, etc. Alors qu’au contraire, être dans une dynamique sociale dès la naissance me semble lui avoir donné une forme d’aisance dans les relations en dehors de la sphère privée. Elle se connaît, elle a conscience de son corps et de ses besoins, et elle sait dire quand elle a envie d’activité sociale ou qu’elle a envie d’une pause. Et c’est particulièrement le cas pour les filles. On lutte donc en permanence avec beaucoup de personnes qui la réduisent à son physique (elle est mignonne, etc.) et à sa tendresse, et on incite les gen·tes (notamment la famille avec qui c’est le plus difficile) à FAIRE des choses avec elle plutôt qu’à la prendre pour une poupée vivante. Malgré ça, elle commence déjà à répéter les compliments qu’elle entend (genre "je suis toute belle"), et à être dans une forme de paraître, heureusement contrebalancé par une énergie de ouf et l’envie de faire plein de trucs.

Apprentissage du non

C’est probablement l’un des premiers mots qu’elle a appris à dire après "maman" et "papa". Et concrètement on l’a encouragé. Pas qu’on ait particulièrement envie qu’elle nous envoie balader, mais en tout cas, dès les premières formes de communication claire (en dehors des pleurs), on a écouté ses envies, ses besoins, et ses refus ! Pour moi, c’était une évidence, particulièrement parce que c’est une fille et dans l’idée qu’elle soit en capacité d’affirmer et de défendre sa volonté. Évidemment, ça passe d’abord par entendre le non, et par l’accepter en tant que parent, ce qui n’est pas toujours facile, et il y a eu pas mal de ratés, notamment en grandissant, avec la mise en place d’un cadre de vie commun. Ensuite, ça passe par apprendre à le dire de manière claire face à une personne tierce. Là où on jongle d’un pied sur l’autre, c’est quand s’invite l’apprentissage du partage.

Le plus marquant et le plus difficile pour moi pour entendre le non et l’accepter, c’est probablement sur la bouffe. Impossible de faire manger un enfant qui n’a pas envie de manger sans son accord. Et pourtant, bah quand t’as fait des courgettes et des patates, si elle en veut pas, tu l’as dans l’os, et ça c’est à tout âge ! En réaction, est-ce qu’il faut négocier en trouvant un compromis ? est-ce qu’il faut dire qu’il y a que ça, et dans ce cas elle mange pas ? Est-ce qu’il faut lui préparer ce qu’elle veut (au risque qu’elle finisse par refuser aussi) ? J’ai testé les trois, et concrètement il y a toujours des tensions. Il y a aussi les refus de dormir, et les crises avant de tomber raide de fatigue, mais c’est moins systématique, elle aime quand même bien dormir. En fait, je crois que globalement, c’est vraiment ces deux points qui sont les plus difficiles à accepter : les besoins physiques indispensables. D’autant que les refus sont de plus en plus important au fur et à mesure qu’elle grandit, notamment à partir de 2 ans où on entre dans une phase "d’opposition et d’affirmation de soi" (dixit l’équipe de la crèche).

J’ai pas complètement résolu cette question en ce qui me concerne. D’instinct, j’ai le sentiment que la notion d’opposition est relative au comportement des parents et que ce n’est pas un truc systématique chez les enfants. Le discours "officiel" veut toujours nous mettre en garde contre les "enfants roi", les caprices, mais c’est finalement un discours très manichéen, entre l’enfant sage qui fait ce qu’on lui dit parce qu’on a été des bon parents bien autoritaires, et l’enfant à qui on accorde tout sans questionner. Il y a un juste milieu pour moi que je peux retrouver dans une vision anti-autoritaire et de responsabilisation. Bon le premier truc, il me semble, c’est de préparer le terrain, notamment en ce qui concerne la bouffe. Plutôt que de mettre l’enfant devant le repas tout prêt et le fait accompli, c’est de lui proposer un vrai choix de menu. Le risque c’est qu’elle se retrouve à manger des pâtes et du fromage tous les soirs. Si c’est pas acceptable (et je crois que ça dépend de la sensibilité de chaque parent), proposer différentes options et en refuser certaines, genre "t’as déjà mangé des pâtes ce midi, maintenant on fait autre chose : du riz ? du couscous ? des patates ?", on commence à entrer dans la négo, mais en amont, ça évite déjà des explosions pendant le repas.

Le problème c’est que ça c’est pas toujours possible pour une raison ou une autre, donc on se retrouve parfois dans des situations de blocage pendant le repas. Dans ce genre de cas, ces derniers temps, je préviens du menu avant le repas. Si il y a un refus clair, on essaye de trouver autre chose, et en cas de silence, je valide le repas (je le fais un peu exprès, je reviens sur ce sujet un peu plus loin). Et là, les trois questions réapparaissent. La solution la plus radicale, si on est pas trop stressé, c’est "ok mais ya rien d’autre, donc si t’as faim je peux rien de plus pour toi", mais quand ça fait trois repas de suite qu’elle mange rien, c’est chaud (pour moi), et faut pas que derrière elle cherche à toper du chocolat ou des noisettes. Pour moi, préparer autre chose, c’est pas gérable, je l’ai fait quelques fois quand c’était un microbe, et un, c’est galère, deux, c’est arrivé qu’elle refuse le nouveau plat demandé. Ensuite, revient la négo, et là, l’idée c’est d’accompagner le plat des trucs qu’elle aime : fromage, fruits, mais encore une fois avec le risque qu’elle mange les trucs qu’elle aime et qu’elle laisse le plat, question de sensibilité de chaque parent... globalement ça marche quand même en partie, et elle fini par manger son plat aussi.

Si je détaille un peu cet exemple, c’est parce qu’il est révélateur à mon sens d’une réflexion anti-autoritaire.
D’abord sur la question de valider le menu en cas de silence, c’est un façon pour moi de la préparer au fait que le silence peut être mal interprété et pris pour un consentement. A chaque fois que la situation s’est présentée, je lui en ai reparlé en mettant l’accent sur le fait qu’elle doit s’autoriser à dire non si elle le souhaite. C’est pourri d’en passer par là, mais concrètement on vit dans une société qui oblige les meufs à expliciter leur refus (et même explicité, le refus est souvent nié), au lieu que ce soit les mecs qui demandent un consentement clair. Si j’avais eu un petit gars, j’imagine que j’aurais adapté mon discours en mettant l’accent sur ma faute d’avoir préjugé de son souhait. En tout cas, ça rejoint l’apprentissage de dire non à une personne tierce.

Ensuite, les trois solutions peuvent se valoir selon ce qu’on est prêt à accepter. Pour moi l’important c’est de faire en sorte que ma môme puisse avoir ce qu’elle veut et ce dont elle estime avoir besoin, sans que je me sente à mon tour face à son "autoritarisme". Concrètement elle est pas autonome, c’est donc à moi (ou ma compagne évidemment, mais là je parle pour moi) de lui préparer à manger. Ça vaut pour pas mal de choses, parfois même pour les jeux (fabriquer pour elle des trucs pour la pâte à modeler, dessiner à sa demande, etc.). La ligne est pas évidente à tracer puisque le développement passe aussi par la frustration de pas pouvoir faire certaines choses, de pas pouvoir en avoir d’autres, bref pour sortir de l’immédiateté de notre réponse à ses besoins, qui était son quotidien pendant sa première année.

Enfin, notre propre sensibilité joue beaucoup sur la relation qu’on a autour du point qui fait "débat". Moi la question de la bouffe par exemple, me crispe beaucoup, et le fait de voir mon enfant jeter ou refuser finalement de manger (parfois même quelque chose qu’elle a demandé), ça crée chez moi une certaine tension qui génère encore plus d’opposition, donc on entre parfois dans un cercle vicieux et elle passe son temps à négo. Pour dépasser ça, je pense que ça passe par une déconstruction de notre propre vécu étant gamin·es et d’éviter de faire subir aux enfants nos attentes d’adultes.

Responsabilisation

Du "non" découle aussi la question de la responsabilité de l’enfant dans ses choix et dans ses activités. J’estime qu’on a tendance à vachement infantiliser les enfants, les prendre pour des êtres inconscient·es et incapables de prendre soin d’elleux. Donc, beaucoup de choses passent par des interdits ou par des obligations de la part des adultes.

Je pense qu’en réalité, les enfants ont instinctivement le sens du danger, iels sont capables d’identifier d’elleux-mêmes de nombreuses situations à risque, et savent adapter leurs gestes en conséquence. Pour peu qu’on ne les dépossède pas de cet instinct en plaçant des règles ou en les prévenant des dangers, iels le conserveront en grandissant. Ce qui pousse les enfants à avoir des comportements dangereux, ce n’est pas leur inconscience, mais le fait qu’en plaçant des règles ou en disant genre "fais attention, tu vas tomber", on leur retire la responsabilité de leurs actes, et iels finissent par se dire "bon bah si mon parent est attentif, j’ai pas besoin de faire attention", ou pire, ça les déstabilise dans le moment où iels sont effectivement dans une attention particulière et iels se vautrent lamentablement parce que déconcentrés par le parent (situation souvent observée dans des squares).

Alors évidemment, ce discours n’est pas possible dans tous les cas. Dans mon cas, quand elle a commencé à se déplacer, il y avait quand même des "non-négociables" (ne pas toucher aux prises électriques, ne pas fouiller dans la poubelle), pour le reste, c’est elle qui décidait de ce qu’elle voulait faire en fonction de ses possibilités, parfois malgré notre peur ou notre envie de dire non. Ensuite il y a eu les trucs qu’elle pouvait faire uniquement si on était présent·es (faire de l’escalade sur un dossier de chaise). Puis il y a eu de nouveaux non-négociables (mettre le casque dans le porte bébé vélo) au fur et à mesure que certaines situations nouvelles se présentent. J’essaye de faire en sorte que ce soit uniquement sur des dangers invisibles (la poubelle, l’électricité et le casque). Ces non-négociables sautent évidemment au fur et à mesure de ses capacités : utiliser la poubelle, manipuler des objets électriques par exemple (et quand elle pourra le faire, brancher et débrancher les prises électriques).

C’est pareil pour le fait de prendre soin de soit, qu’il s’agisse d’hygiène, d’alimentation, etc. C’est de mettre en place des règles souvent trop strictes qui amènent les enfants à se déresponsabiliser et ne plus faire les choses d’elleux-même. Dans certains cas, il me semble quand même important d’être dans du préventif, en exposant les conséquences possibles d’une situation. L’explicitation des problèmes qui se posent (ne pas mettre le pantalon de pluie sur le vélo ou au parc, tu finiras avec le cul mouillé, c’est pas super agréable), la première fois, elle ne se rend pas trop compte des conséquences, mais cela lui permet de décider ensuite en connaissance de cause... Par contre, il faut aussi éviter de la faire culpabiliser à postériori avec un discours du type "je t’avais dit"... ce qui est loin d’être évident à faire !

Il y a ensuite le cadre de vie commun, et notamment le partage de l’espace entre elle et nous. Je pense par exemple à la musique ou aux jouets éparpillés. Pour moi, cet aspect passe souvent par le jeu à faire ensemble. Sur la musique, elle a appris à la mettre et l’éteindre elle-même donc généralement on choisit ensemble et quand on commence à sentir que ses CD ou vinyles préférés commencent à tourner en boucle, on choisit nos trucs et on lui propose de les mettre (pour la petite précision, on passe jamais par ordinateur, la musique est toujours sur un support physique sans écran... de toute façon, l’ordinateur est très rarement allumé en sa présence, et on a pas de téléphone dit "intelligent"). Pour les jouets, on range souvent ensemble en jetant les jouets dans leur boite, parfois, c’est moi qui commence le rangement et elle finit par me rejoindre. Quand elle veut sortir certains jeux plus volumineux (pâte à modeler, matériel de dessin, puzzles) c’est à elle de se démerder pour mettre en place l’espace (rangement, installation), évidemment on l’aide, mais si elle veut atteindre son objectif, c’est à elle d’être à l’initiative. Évidemment, ça créé parfois des conflits, mais globalement, le fait de prendre l’habitude de cette façon de faire depuis toute petite, fait qu’on s’y retrouve plutôt bien elle et nous.

Bref, il y a de plus en plus de raisons de mettre des règles, qui émergent en grandissant, et il me semble qu’il faut les discuter les unes après les autres avec l’enfant, plutôt que d’imposer ou d’interdire comme on a trop pris l’habitude de le faire dans notre société. Je sais pas si les méthodes que j’évoque là sont les meilleures, je pense que ça dépend de chacun·e... là où je pense qu’on devrait faire un travail important c’est de chercher à faire les choses avec elleux en étant à leur écoute, comprendre tout ce qu’iels peuvent avoir à nous dire là où iels n’ont pas forcément la capacité d’expliciter, et à nous aussi d’exprimer nos propres limites en les expliquant.

Rapport aux autres adultes, autorité

Dans les conséquences de l’apprentissage de dire non se joue aussi le rapport aux autres (et notamment aux adultes). Dans mon cas, comme pour la majorité des enfants j’imagine, les premières interactions hors du cercle de connaissance des parents, se fait principalement à la crèche et donc avec d’autres enfants en notre absence, ou lors de sorties en famille avec des adultes du quartier (voisin·es, passant·es, commerçant·es).

Avec les autres enfants, c’est souvent la gestion de conflit qui est à l’origine des situations d’apprentissage : quand l’un·e s’approche trop pour faire un bisou pas voulu, quand un·e autre vient taper ou arracher un jouet des mains, etc. Surtout pour une fille comme je le disait plus haut. Donc ça passe par des sorte de "débrief", en présence des autres dans le meilleur des cas, pour dire que si quelque chose t’embête t’as le droit de dire non, et par ailleurs de faire entendre que si quelqu’un·e n’est pas content par ton attitude, c’est pas cool de s’imposer. L’idée étant de faire passer les deux messages aux deux enfants. Dans le cas spécifique des bastons pour un jouet, il y a aussi l’idée d’apprendre à prêter et à jouer ensemble. En ce qui me concerne, j’essaye de faire jouer les enfants ensemble avec l’objet, même quand je connais pas l’autre (dans un square par exemple), on essaye d’inventer ensemble de nouvelles façons de faire. Ça vaut aussi dans l’autre sens, quand c’est elle qui cherche à être autoritaire vis-à-vis d’un·e autre.

Avec les enfants plus grands et les adultes, les bébés sont souvent vu·es comme des objets, a qui on peut faire des câlins, ou des bisous sans lui demander son avis. Tant qu’elle était bébé et qu’elle ne pouvait pas exprimer son refus, c’était chiant parce qu’il fallait qu’on passe notre temps à empêcher physiquement les gens de la prendre pour une peluche. Plus tard, l’apprentissage du non lui a permis d’être autonome sur son consentement. Mais ce n’est pas sans être problématique, puisque du côté des adultes, iels s’offusquent que leur petite-fille, leur nièce, l’enfant de leur pote veuille pas faire un bisou, alors en général, je continue à la soutenir pour faire passer un message à l’adulte. C’est bas, mais ça marche : "Si t’as pas envie de faire un bisou, c’est ton droit, on dit au revoir quand même ?". Les gen·tes acceptent mieux et en général, elle fait un grand sourire et un signe de la main, et ça désamorce le truc. En parallèle, j’essaye de faire piger aux gen·tes que c’est son droit de pas répondre positivement.

Plus globalement, quand iels veulent lui imposer des choses, je leur dit souvent d’aller se faire cuire le cul, même si elle aurait pu être d’accord avec l’ordre, et je demande généralement à la personne de pas le faire, souvent sur le ton de la blague. Concrètement, ça amène pas forcément les adultes à revoir leur positionnement, iels se braquent parfois, mais j’avoue que je m’en fous un peu. La plupart du temps dans ce genre de cas, j’ai pas envie de faire de la pédagogie envers elleux. Ça marche bien par contre avec les enfants, qui font preuve de plus d’empathie à ces sujets je pense (jusqu’à un certain point). Dans tous les cas, j’essaye d’abord d’amener mon enfant à décider d’elle même. Le côté blague est surtout pour elle, pour éviter une confrontation directe, tout en lui faisant comprendre que c’est à elle de faire ses choix, et que personne n’a à s’imposer auprès d’elle.

Là où ce sujet est particulièrement difficile, c’est que ces comportements autoritaires vis-à-vis des enfants sont tellement ancrés que presque toutes les interactions entre un adulte et un enfant pourraient être critiquées. Ensuite, il y a le fait qu’ayant une réflexion anti-autoritaire parfois poussée très loin, je suis vite crispé dans ces situations et que j’ai du mal à garder mon calme, surtout en famille (avec les grands-parents notamment). Je me dis souvent que merde, l’emmerdeur, c’est pas moi, mais la personne qui domine, et j’ai pas envie de faire de concessions, mais à la fois, j’ai pas envie de me couper et de couper mon enfant de ces interactions sociales là (ce qui est déjà arrivé), parce que c’est aussi des espaces de découverte du monde et de découverte sociale. Donc je prend parfois sur moi pour ne pas réagir sur le moindre truc qui me déplaît. En fait, j’ai déjà eu pas mal de remarques là dessus de plusieurs personnes, et en même temps, je vais pas m’excuser de pointer du doigt ces dysfonctionnements.

Un autre aspect assez problématique, concerne le sexisme auquel elle fait face. Souvent, la première remarque des gen·tes, c’est qu’elle est mignonne, belle, qu’elle a de beaux yeux, ou tout autre commentaire inutile sur son physique. Ces commentaires arrivent généralement à partir du moment où les personnes (enfants ou adultes) apprennent qu’elle est de sexe féminin. On a effectivement toujours fait gaffe à ne pas la mettre dans une case en l’habillant de fringues plutôt unisexe, et en coupant les cheveux régulièrement, du coup ça crée le doute chez beaucoup de monde. La plupart du temps, j’ai tendance à répondre à ce genre de commentaire en disant qu’elle n’est pas que mignonne et qu’elle a plein d’autres qualités. Mais la remarque est tellement régulière que des fois je lâche l’affaire. Ce qui m’importe c’est surtout pour elle, qu’elle entende qu’elle n’est pas à réduire à son physique.

Éducation institutionnelle

Ce sujet est assez particulier parce qu’aujourd’hui ma gosse n’est pas encore à l’âge de l’école, ça va arriver bientôt mais la situation est encore en réflexion. Jusque là, il était assez clair pour moi que j’allais faire de la non-scolarisation aka instruction en famille sur un mode d’apprentissage autonome qui sorte d’un rapport contraint à l’apprentissage et pour vivre avec mon enfant au quotidien et que ses apprentissages passent par la vie de tous les jours. Sur cet aspect, le mieux serait de lire l’article dont je parle en introduction et qui explique un peu les tenants et aboutissants de la pratique et dans lequel je me retrouve à 1000 %. Et puis il y a le livre de Catherine Baker Insoumission à l’école obligatoire qui reste une référence hyper intéressante ! [7]

Pour moi, il s’agirait de vivre avec et non pas pour mon enfant et de partager avec elle une quotidien fait de rencontres, d’apprentissages et d’actions. J’ai la chance, dans mes activités professionnelles et militantes, d’être dans des espaces riches en interactions sociales et en activités manuelles et intellectuelles. Et j’ai le sentiment que lui permettre d’agir elle aussi dans ce cadre serait épanouissant pour elle. D’ailleurs, elle aime déjà m’accompagner dans ces espaces car elle y trouve souvent des choses intéressantes à y faire.

Aujourd’hui, je n’ai pas la capacité de développer ce que pourrait apporter la non-sco et d’en analyser la portée.
Ce que j’ai envie de dire concerne plutôt le rapport à l’école et à l’éducation classique. Je vais pas revenir sur les questions éducatives théoriques mais c’est plutôt l’aspect sensible vis-à-vis de l’école que je souhaite développer. Ce qui suit est un texte que j’ai écrit par ailleurs et que je reprends de manière un peu adaptée.

On aura beau dire tout ce qu’on veut, se dire qu’on va baliser, accompagner notre enfant, peut-être lutter au sein de l’école etc. On est face à une institution qui est mille fois plus forte que nous et cette institution me fait peur. Pas seulement à cause de mon expérience personnelle, mais aussi par l’écoute des témoignages de tou·tes les gamin·es que j’ai pu rencontrer depuis 15 ans, dans mon taf et mes activités militantes.

Je n’ai pas envie de voir ma gosse formatée dans ses apprentissages, qu’elle soit contrainte, qu’elle subisse des punitions, qu’elle subisse des moqueries, qu’elle bouffe de la viande à tous les repas, qu’elle soit jugée dans ce qu’elle fait ou dans sa manière de faire. J’ai pas envie qu’on l’emmerde parce qu’elle aura pas su faire un trait droit à la règle ou parce qu’elle aura pas la bonne marque de fringues. Je n’ai pas envie qu’elle soit mise dans une case genre "elle est comme ci ou comme ça". Je n’ai pas envie de l’entendre dire "je suis nulle" ou "je suis la meilleure" parce qu’elle aura été comparée à ses camarades.

J’ai pas envie d’entendre que ya d’autres enfants qui aiment l’école ou que tout le monde en passe par là et que c’est une mini-société. C’est une fausse société basée sur l’enfermement, qui prône la discrimination par l’âge, la discrimination sociale et la discrimination par le savoir. Celleux qui disent aimer ça, n’en seraient pas plutôt arrivé·es au stade de la résignation ? Intolérable d’en arriver là si tôt !
J’ai pas envie de la voir coincée dans un monde d’enfants et coupée du monde des adultes. La seule société existante c’est celle du dehors, c’est les jardins, c’est les lieux de vie, c’est les lieux libres avec leurs projets collectifs, et c’est aussi toutes les dures réalités de ce qui s’y passe, les destructions des espaces, les gens à la rue, les oppressions du quotidien.

L’enfermer dans l’école, c’est la couper de tout ça et l’empêcher de voir la réalité du monde. Ce n’est pas une mini-société, ce n’est ni plus ni moins qu’une prison pour enfants, coupée de la réalité. C’est un endroit où on va lui faire bouffer de la merde, pas la préparer à voir le monde tel qu’il est réellement ! Parce que c’est ça l’école et c’est ça son objectif.

J’ai aussi très peur de la modification du rapport que ça va engendrer entre elle et nous. Qu’est ce qu’on va faire quand elle aura des devoirs à faire : lui imposer de les faire même si elle n’en a pas envie ? Et quand elle ne voudra pas y aller : l’obliger à y aller quand même ? A la crèche au moins on a cette possibilité de l’accompagner un peu pour jouer avec elle, la rassurer, et si elle ne veut pas y aller, on peut aussi se passer de l’y emmener. Elle s’y sent bien parce qu’elle y trouve une liberté d’apprentissage qu’elle n’aura plus à l’école. Elle y est entourée d’adultes bienveillantes et dans un contexte de découvertes et de pratiques autonomes.

J’ai pas non plus envie qu’on se coupe d’elle, qu’elle passe son temps à l’école et dans les espaces annexe (centre de loisir, périscolaire, étude du soir, nounou, etc.) parce que l’école c’est pas seulement l’école, c’est aussi tout ce qui va avec pour faire en sorte qu’elle soit mise dans les mains de l’État et qu’on n’ait plus la possibilité d’intervenir dans son éducation en tant que parent·e. La FCPE et ce genre de trucs, c’est les petites miettes d’outils qu’on nous donne pour nous donner l’illusion qu’on peut intervenir dans l’école. La réalité c’est qu’on sera coupé de son "éducation" et qu’il ne nous restera plus que la gestion des dîners et les week-end où elle n’aura plus qu’une seule envie, ne rien chercher à apprendre et évacuer le mal-être accumulé pendant la semaine. Tout comme les adultes exploités pendant la semaine et qui deviennent des zombies le week-end ! Et c’est sans doute le pire pour moi.

J’ai beau essayer, je ne vois rien de positif dans ça. J’ai beau essayer, je ne me vois pas lui dire "l’école c’est bien". Je n’ai pas envie de lui mentir. Parce que l’école c’est de la merde, en maternelle comme dans les autres niveaux. Toutes les balises qu’on pourra essayer de mettre, ce n’est pas assez face à l’ogre qui se trouvera face à nous.

Vive la lutte des classes… Brûle ton école !

Pour conclure

On pourrait résumer tout ce qui précède par mon refus catégorique de valider l’expression « avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants » que j’ai souvent entendu avant la naissance… « Tu verras quand tu seras parent, tu vas lâcher, t’emmèneras tes enfants au mac do et iels regarderont la télé ». J’ai toujours eu du mal à comprendre comment des personnes ayant tout un système de valeurs et des convictions pouvaient lâcher l’affaire sur leurs principes sous prétexte qu’elles ont des enfants.

Pour moi, ça a été justement l’effet inverse. La pression que peut créer la naissance d’un petit être dont tu te retrouves responsable dans une société maltraitante, a été telle que je me suis plongé à fond dans cette volonté de parentalité anti-capitaliste et anti-autoritaire. Pour sortir des formatages et des dogmes éducatifs. Pour montrer aussi que les mecs peuvent s’occuper des gosses.

Je me suis retrouvé dans un posture d’opposition quasi systématique avec mon entourage, en oubliant parfois que je n’évoluais pas dans une bulle mais que je devais composer avec la société.

À force de chercher à casser les schémas habituels autour de la parentalité, j’en suis moi-même devenu à certains moments dogmatique... et la radicalité de mon positionnement a parfois été contre-productif : autoritaire et patriarcal. C’est sans doute le plus gros piège à éviter !

En tout cas, rien n’est terminé, et l’histoire se construit en se déconstruisant soi-même. La petite enfance n’est que le début de l’histoire.

[2dont un bouquin que j’ai découvert par hasard et terminé alors que je suis entrain de boucler cette brochure : Les primates de Park Avenue par Wednesday Martin, qui cause de parentalité en analysant les comportements des ultrariches de Manhattan sous le prisme de la primatologie et de l’anthropologie. Du lourd !

[4Philippe Gransenne - Bébé, dis moi qui tu es... Attention quand même, sa vision du couple est très genrée

[5Sur ces sujets, deux références qui nous ont donné matière à réflexion : Jean Liedloff - Le concept du continuum et Rosa Jové - Dormir sans larmes. Le premier est très naturaliste et décrit une rencontre avec un peuple amazonien, le second est très scientifique et déconstruit les savoirs sur le sommeil.


)

Et si vous voulez en causer... papalibertaire@riseup.net

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Crédit : le dessin de première page est tiré du livre « Vive l’anarchie » par John & Jana, un chouette bouquin pour enfants



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