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Solidarité avec "L’Envolée"

mis en ligne le 1er juillet 2007 - L’Envolée

Le journal anti-carcéral L’Envolée a comparu le 19 décembre 2006 à 13h30 au
tribunal de grande instance de Beauvais pour diffamation contre l’administration
pénitentiaire (plainte déposée par le procureur de la république). Maître Irène
Terrel, avocat au barreau de Paris, nous représentait.

La directrice de publication, Denise Le Dù, devait répondre de quatre plaintes pour
diffamation envers une administration publique (numéros 12 à 15) :
 une lettre de prisonnier (André Allaix) dénonçant les violences des ERIS (Équipes
régionales d’intervention et de sécurité) dans le numéro 12
 un témoignage d’un prisonnier (Didier Cadet) sur des comportements violents et
racistes du personnel pénitentiaire de Clairvaux dans le numéro 13
 une lettre publique d’un prisonnier malade (Laurent Jacqua) au sujet du placement
abusif au quartier disciplinaire à la centrale de Moulins, dans le numéro 14
 un courrier d’un autre prisonnier (Xavier Vanlancker) sur des brimades
pénitentiaires à la maison d’arrêt de La Santé dans le numéro 15.

Le journal était aussi poursuivi pour diffamation envers R.Danet, ancien directeur
de la maison centrale de Clairvaux, pour avoir cité dans un supplément au numéro 13
l’ouvrage de Bernard Cuau préfacé par Michel Foucault paru en 1976 sur les causes
de la mort de Patrick Mirval, détenu à Fleury-Mérogis, décès dans lequel Bernard
Cuau impliquait R.Danet sans avoir été poursuivi à l’époque.

Pour cette audience du 19 décembre, Denise Le Dù avait demandé à ce que les quatre
prisonniers soient extraits pour être entendus et puissent confirmer la véracité de
leurs témoignages. Ils ont pu s’exprimer et développer de vives voix, sans
concessions, tout ce qu’ils avaient écrit auparavant.

Le président a tenu le rôle d’un juge « impartial », soucieux d’entendre la vérité,
et il a affirmé avec force à André Allaix, qui mettait en cause son indépendance,
qu’il n’avait qu’un seul « patron » : le code pénal. Maître De Felice, ancien
membre du GIP (Groupe Information Prison), membre de la Ligue des droits de
l’homme, était venu insister sur la nécessité de l’expression directe des
prisonniers sur leur condition de prisonnier.

Après plusieurs reports du délibéré, le tribunal a rendu son jugement le 29 mai
2007, malheureusement très éloigné de l’écoute apparemment attentive du 19 décembre
 : la première plainte à été déclarée prescrite, et le journal L’Envolée a été
condamné à 1000 euros d’amende avec sursis pour chacune des trois autres plaintes
de l’administration pénitentiaire et à 500 euros de dommages et intérêts pour
R.Danet.

Le tribunal de Beauvais, dans ses motivations, a déclaré ne pas remettre en doute
les violences dénoncées : il a considéré que l’infraction de diffamation envers
l’administration pénitentiaire « était constituée dans sa forme et par les mots
employés », en ajoutant que « la faiblesse de la peine la rend symbolique car vous
avez décrit maladroitement une situation bien réelle » ; c’est autour de la forme
qu’il voit matière à offense et donc condamnation.

Tout comme l’administration pénitentiaire, il interdit aux prisonniers de dénoncer
eux-mêmes les exactions qu’ils ont subies : la vérité crue constitue une « offense » !

Contrairement aux apparences, ces amendes ne sont pas « symboliques », et pour nous la condamnation est lourde et forte de sens. Le sursis est une mesure destinée à
avertir le journal que nous ferions mieux de renoncer à publier les textes de prisonniers.

Les 500 euros pour R.Danet sont le comble de l’indécence : le tribunal n’a pas jugé
bon d’annuler la procédure de plainte alors que l’ouvrage cité par L’Envolée est
ancien de trente ans et qu’il n’avait à l’époque fait l’objet d’aucune poursuite.
Il était alors risqué de faire trop de bruit autour du certain « malaise cardiaque » de Patrick Mirval dans l’ascenseur qui menait au mitard de Fleury, ascenseur dans
lequel se trouvait R.Danet. Il est vrai que depuis, ce personnage a été largement
récompensé pour ses actes, passant du poste de surveillant à celui de directeur
hors-cadre, le plus haut grade de l’administration pénitentiaire.

L’opacité et le silence sont intrinsèques au fonctionnement de l’administration
pénitentiaire. La justice « en toute indépendance », paraît être une fois de plus
là pour le rappeler. Six numéros du journal ont fait l’objet de plainte pour
diffamation, à quand la prochaine ? Celle qui révoquerait éventuellement le
sursis mettrait L’Envolée en danger de mort. Si, pour des journaux à grand
tirage, 3000 euros ne représentent presque rien, ces frais hypothèquent notre
existence ; pour sauvegarder notre indépendance nous avons fait le choix de ne
pas être subventionnés et de ne recevoir d’argent d’aucune organisation.

Cette épée de Damoclès, au-delà d’une attaque sur la liberté d’expression et de la
presse, est une censure à peine déguisée.

Sans illusion particulière, sans goût pour la procédure ni pour les tribunaux, nous sommes contraints de faire appel de cette décision.

A Paris, le 15 juin 2007
Pour L’Envolée, Denise Le Dù, directrice de publication.

L’Envolée, 43 rue de Stalingrad, 93100 Montreuil,