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Contre les masses, l’organisation en collectifs

mis en ligne le 19 octobre 2007 - Anonyme

Méthodes organisationnelles en collectifs.

La différence entre masse et classe

Pourquoi est-il important de connaître la différence entre masse et classe ? Il se trouve qu’il ne peut y avoir de pratique révolutionnaire consciente sans cette distinction. Ne jouons pas avec les mots. Regardez plutôt. Nous vivons dans une société de masse. Nous n’y sommes pas parvenus par accident. La masse est une forme spécifique d’organisation. La raison en est simple. La consommation est organisée par les entreprises. Leurs produits définissent la masse. La masse n’est pas un cliché - "les masses" - mais une routine qui domine votre vie quotidienne. Et comprendre la structure du marché de masse est la première étape vers la compréhension de ce qui est arrivé à la lutte des classes.

Qu’est-ce que la masse ? La plupart des gens s’y réfèrent en terme de nombre - comme une rue ou un stade remplis de gens. Mais, en fait, c’est la structure qui détermine son identité. La masse est un ensemble de couples séparés, détachés et anonymes. Ils vivent dans des cités où ils sont proches tout en étant éloignés les uns des autres. Leurs existences sont privatisées et viciées. Le Coca-Cola et la solitude. L’existence sociale de la masse - ses règles et ses régulations, la structuration de ses statuts, de ses rôles et de sa direction - est organisée au travers de la consommation (le marché de masse). Ils sont tous des produits d’une organisation sociale spécifique. La nôtre.

Bien sûr, personne ne se considère comme faisant partie de la masse. Ce sont toujours les autres qui en font partie. Le problème est qu’il n’y a pas que les entreprises qui nous organisent en masse. Le "mouvement" aussi se comporte comme la masse et ses organisateurs reproduisent la hiérarchie de la masse.

Alors, comment éteindre un incendie ? Avec de l’eau, évidemment. Il en va de même pour la révolution. On ne combat pas la masse (le marché) avec une autre masse (le mouvement). On combat la masse avec la classe sociale. Notre objectif ne devrait pas être la création d’un mouvement de masse, mais d’une force de classe.

Qu’est-ce qu’une classe ? Une classe est une force sociale consciemment organisée. Par exemple, la classe dirigeante est consciente et agit collectivement non seulement pour s’auto-organiser, mais aussi pour organiser les gens qu’elle dirige. L’entreprise est le pouvoir collectif conscient de la classe dirigeante. Nous n’affirmons pas que les relations de classe n’existent pas dans le reste de la société. Mais elles demeurent passives tant qu’elles sont seulement façonnées par des conditions objectives (comme les situations de travail). Ce qui est nécessaire, c’est la participation active (subjective) de la classe. Le préjudice de classe n’est pas la conscience de classe. La classe est consciente de son existence sociale parce qu’elle cherche à s’organiser. La masse est inconsciente de son existence sociale parce qu’elle est organisée par Coca-Cola et IBM. 

La morale de l’histoire est que la masse est une masse parce qu’elle est organisée en masse. Ne vous faites pas avoir par les marques. La masse pense avec votre cul.

Primauté du collectif

Le petit groupe est le rassemblement de personnes ressentant le besoin de collectivité. Sa fonction permet souvent de s’extirper de la masse - et plus particulièrement de l’isolement de la vie quotidienne et de la structure de masse du mouvement. Le problème est que, fréquemment, le groupe ne peut parvenir à une existence indépendante et à une identité parce qu’il continue de se définir de façon négative, c’est-à-dire en opposition. Tant que son point de référence se trouvera à l’extérieur, la politique du groupe tendra à lui être imposée par les événements et les crises.

Le petit groupe peut être une étape dans le développement du collectif, s’il développe une critique des frustrations découlant de son orientation externe. La formation d’un collectif commence lorsque les gens ont non seulement les mêmes vues politiques, mais qu’en plus ils s’entendent sur les méthodes de lutte.

Pourquoi le collectif devrait-il être le point essentiel de l’organisation ? Le collectif est une alternative à la structure sociale existante. Changer les relations sociales est un processus plutôt qu’un produit de la révolution. En d’autres termes, vous faites la révolution en changeant réellement les relations sociales. Vous devez créer des contradictions dans l’histoire.

Concrètement, ceci signifie : organisez-vous vous-mêmes, pas les autres. Le collectif est le noyau organisationnel d’une société sans classe. En tant qu’organisation formelle, il nie toute forme de hiérarchie. La réponse à l’aliénation c’est de faire de vous le sujet, et non l’objet, de l’histoire.

L’un des obstacles cruciaux à la formation des collectifs est la période de transition - lorsque le collectif doit survivre au coeur d’un mouvement en désintégration et d’une société de masse. La désintégration du mouvement n’est pas un phénomène isolé, mais reflète l’affaiblissement des principales institutions de la société Américaine, responsables de notre aliénation. Beaucoup de gens se trouvent démoralisés par ce processus et le considèrent comme déconcertant parce qu’ils sont inconsciemment dépendants du maintien de ces institutions. Nous sommes témoins de la rupture et de la transformation d’une institution faisant partie intégrante de la société - le marché de masse. Le marché de masse est une structure d’entreprise dont peu de gens ont suffisamment conscience pour réaliser comment il dénature notre vie politique. Nous dépendons véritablement de nos "leaders" qu’il s’agisse de Chicago 7 ou de 7up. Notre compréhension de la forme collective d’organisation basée sur une critique de la masse et de la dictature du produit.

Ces contradictions rendent impératif le fait que toute personne décidée à créer un collectif sache exactement qui elle est et ce qu’elle veut faire. C’est pourquoi vous devez considérer votre collectif comme essentiel. Parce que si vous ne croyez pas en la légitimité de cette forme d’organisation, vous ne pouvez avoir d’analyse pratique de ce qui va se produire. Ne vous leurrez pas. La lutte pour la création et la survie de collectifs à l’heure actuelle s’avère difficile.

Le sujet dominant sera de savoir comment les collectifs pourront faire partie de l’histoire - comment ils peuvent devenir une force sociale. Rien n’est garanti et nous ne devrions pas nous attendre à des victoires faciles. Le caractère unique du développement des collectifs est leur rupture définitive avec toutes formes d’organisations hiérarchisées et la reconstruction d’une société sans classes.

La pensée des membres des organisations radicales est figée dans le concept du mouvement de masse. Cette forme de lutte, pour aussi radicale qu’elle soit, ne menace jamais la structure de base - la masse elle-même.

Dans de telles circonstances, il faut beaucoup d’efforts pour imaginer de nouvelles formes d’existence. L’espace doit être créé avant que nous ne puissions songer à ces choses et que nous ne soyons capables d’établir la légitimité d’agir selon elles.

La forme du collectif est la pratique. Le collectif est opposé à la masse. Il s’oppose à la structure de masse. Le collectif est anti-masse.

La taille du collectif

Le but de toute organisation est de rendre celle-ci aussi simple que possible, ou comme l’a défini Marshall McLuhan, "forte en participation, faible en définition". La tendance irait plutôt à l’opposée. Notre réflexe est de créer des structures administratives afin de traiter avec les politiciens.

La plupart des gens ne parviennent pas à discuter intelligemment du sujet de la taille. Il y a un sentiment indicible voulant que le problème ne doive pas se poser, ou alors qu’il ne nous appartient pas d’en parler. Et bien justement, parlons-en. La taille est une question de relations politiques et sociales et non pas administratives. Savez-vous pourquoi ce sujet est éludé lors des grands rassemblements ? Parce qu’il remet fondamentalement en cause la nature répressive des grosses organisations. Les petits groupes qui fonctionnent comme les appendices de plus grands groupes n’auront jamais l’impression d’être des petits groupes.

Le collectif ne devrait pas dépasser la taille du groupe - il n’est pas ici question de groupe de musique. L’idée de base est de reproduire le collectif et non de l’étendre. La force d’un collectif réside dans son organisation sociale, pas dans son nombre. Dès que vous commencez à penser en termes de recrutement, vous feriez mieux de rejoindre l’Armée. La différence entre l’expansion et la reproduction est la même qu’entre l’addition et la multiplication. La première base sa force sur le nombre, l’autre sur les relations entre les gens.

Pourquoi doit-il y avoir une limite au nombre ? Parce que nous ne sommes ni des super héros, ni des esclaves. A partir d’un certain point, le groupe devient un rassemblement, et il vous faut lever la main pour prendre la parole. Le collectif est une reconnaissance des limites pratiques de la conversation. Ce simple fait est la base d’une nouvelle expérience sociale.

Il est possible de percevoir plus clairement les inégalités au sein d’un collectif , et donc de s’en occuper plus efficacement. "Quelque soit la nature de l’autorité dans une vaste organisation, elle est inhérente à l’organisation en groupe." (Chester Barnard, The function of Executives, 1938). Un petit groupe actif est le noyau d’une société de classe. Les petites tailles restreignent l’espace que chaque individu peut dominer. Ceci est valable à la fois en interne et dans les relations avec les autres groupes.

Aujourd’hui, la façon de lutter requiert une forme d’organisation durable et résistante qui nous permettra de faire face à l’usure de la vie quotidienne et à la probable répression. A moins que nous parvenions à régler les problèmes à ce niveau de façon collective, nous ne sommes pas fait pour créer une nouvelle société. Contrairement à ce que l’on voudrait faire croire aux gens, comme d’être unis dans la victoire ou la défaite, il sera plus difficile de détruire une multitude de collectifs que de grosses organisations aux pouvoirs centralisés.

La taille est la clé de la sécurité. Mais sa véritable importance réside dans le fait que le collectif reproduit de nouvelles relations sociales - l’avantage étant que ce processus peut commencer maintenant.

La limitation de la taille soulève un problème difficile. Que répondez-vous à quelqu’un qui vous demande, "puis-je rejoindre votre collectif ?" Cette question est finalement à la base de beaucoup d’hostilité (souvent inconsciente) envers la forme d’organisation collective. Vous ne pouvez séparer la taille du collectif parce qu’il doit être petit pour subsister. Le collectif a le droit d’exclure des individus parce qu’il leur offre l’alternative de mettre en place un nouveau collectif, c’est-à-dire partager la responsabilité de l’organisation. Ceci est la réponse fondamentale à la question précédente.

Bien sûr, les gens vont restreindre le collectif à son exclusivité. Le problème n’est pas là. La taille d’un collectif est principalement une limitation de son autorité. En revanche, les grosses organisations, même si elles sont ouvertes à tout le monde, sont exclusives par rapport à ceux qui élaborent sa politique et participent activement à la structuration des activités. Le choix se résume à rejoindre la masse qui crée les classes. Le projet révolutionnaire consiste à faire les choses vous-mêmes. Souvenez-vous de la mise en garde d’Alexandra Kollontaï en 1920, "l’essence de la bureaucratie c’est qu’il y ait une troisième personne pour décider à votre place."

Contacts entre collectifs

Le collectif ne communique pas avec la masse. Il est en contact avec d’autres collectifs. Et dans le cas où il ne trouve pas d’autres collectifs, il communiquera en interne. Oui. Par tous les moyens à sa disposition, le collectif communique avec d’autres gens, mais il ne les considère jamais comme la masse - ou comme un auditoire. Le collectif communique avec des individus afin de les encourager à s’auto-organiser. Il sait que les gens sont capables de s’auto-organiser, et si on leur donne cette alternative, ils choisiront celle-ci plutôt que participation à la masse. Il ne fait que hâter le processus de l’écroulement de la masse.

Le plus gros problème de la "communication" à l’heure actuelle est que les gens pensent qu’ils doivent communiquer tout le temps. Vous trouvez des gens établissant des fonctions administratives pour s’occuper du flot d’informations avant qu’ils n’aient la moindre idée de ce qu’ils voudraient dire. Le collectif n’est pas obsédé pour "communiquer" ni pour "établir des rapports" avec le mouvement. Ce qui le concerne est un cafouillis bruyant - des appels téléphoniques incessants, du courrier, des annonces de meetings, etc. - qui passe pour être de la communication. Le moment est venu de réfléchir à ce que l’on dit et à la façon de le dire.

Qu’entendons-nous par contact ? Nous voulons commencer par extirper la bureaucratie de la communication. Le mieux est de commencer doucement. Le contact se fait de tous les côtés. La chose essentielle étant sa direction et sa fiabilité. Les yeux dans les yeux.

Les autres formes de communication - téléphone, lettres, documents, etc. - ne devraient jamais servir de substituts au contact direct. En fait, elles devraient servir à préparer le contact.

Pourquoi le contact direct est-il si important ? Parce qu’il s’agit de la plus simple forme de communication. De plus, c’est physique et requiert l’usage de tous les sens. Pour cette raison, il est fiable. Il prend également en compte les besoins de sécurité. Ceux qui parlent de répression continue de faire circuler des pétitions demandant le nom, l’adresse et le numéro de téléphone des signataires.

Il y a actuellement beaucoup de rassemblements qui paraissent impliquer le contact mais qui en réalité n’en sont que de grotesques fac-similés. Le pire de tous ces rassemblements auxquels les gens se rendent sont les conférences. Il s’agit d’un hôtel pour l’esprit qui nous transforme en touristes et en spectateurs. Ceci se retrouve dans les réunions interminables - celles qui ont lieu tous les soirs. Sans oublier les comités formés expressément pour organiser ces réunions.

Le principe fondamental de contact entre collectifs est le suivant : rencontrez-vous seulement lorsque vous avez quelque chose à vous dire. Ceci signifie deux choses. La première, c’est que vous avez une idée concrète de ce vous avez à dire. La seconde, c’est que vous devez le préparez à l’avance. Ces principes aident à s’assurer que la communication ne devient pas un problème administratif.

De nouvelles formes de contacts sont encore à créer. Prenons deux exemples. Un membre d’un collectif peut participer à une réunion d’un autre collectif ou il peut y avoir une réunion commune de deux collectifs. La première semble être la plus pratique. Cependant, tout le monde ne peut y être impliqué. Il y a bien d’autres formes de contacts à développer. Il suffit de les inventer.

Priorité à l’action locale

Le collectif donne priorité à l’action locale. Il rejette la politique de masse des nationalistes blancs avec leurs comités nationaux, leurs organisateurs et leurs superstars. Le collectif est définitivement en-dehors du courant dominant et il n’en éprouve aucun regret. Le but du collectif est de trouver de nouvelles pensées et de concrétiser de nouvelles idées - en un mot créer son propre espace. Et ceci, plus que n’importe quel programme, est intolérable pour tous les radicaux de la photocopieuse qui tentent de reproduire leurs propres images.

Le collectif est le dernier wagon de la révolution. Il se fiche du rôle de l’avant-garde, n’en attend rien. Et ne les considère pas comme ses leaders. Le collectif s’en détache, parce qu’il sait qu’il sera le dernier à rentrer dans le nouveau monde.

Les doutes émis au sujet de l’action locale sont révélateurs de la dépendance glamour des gens envers la politique de masse. Tout le monde veut se retrouver au premier plan de la scène de la révolution - comme les Yippies ou les White Panthers. Ayant assimilé la masse, ils se posent des questions dont les réponses semblent logiques dans le contexte. Comment pouvons-nous accomplir quoi que ce soit sans action de masse ? Si nous n’allons pas aux réunions ou aux manifs, est-ce que l’on va nous oublier ? Qui va nous prendre au sérieux si l’on ne rentre pas dans le rang ?

Vous réalisez doucement que vous êtes devenu un spectateur, un objet. Votre politique se déroule sur une scène et vos relations sociales consistent à être assis parmi un auditoire et à marcher au milieu de la foule. La fragmentation de votre expérience quotidienne est en contraste avec l’unité spectaculaire de la masse.

Inversement, la priorité de l’action locale est une tentative d’unifier la vie quotidienne et de décomposer la masse. Ce niveau de conscience est le résultat du rejet des lois du comportement de masse basées sur le Léninisme et l’idéologie de la TV. Cela permet un nettoyage de l’esprit dont tout le monde à terriblement besoin. Vous serez soulagés de voir que vous pouvez créer une situation en localisant votre lutte.

Comment pouvons-nous éviter que l’action locale ne devienne provinciale ? Qu’on le veuille ou non, cela dépend de notre stratégie générale. Le provincialisme n’est que la conséquence ou le fait de ne pas savoir ce qui se passe. Une commune, par exemple, est provinciale parce que sa stratégie est basée sur le fermage et la glorification de la famille. Il ne faut donc pas confondre astrologie et stratégie.

L’action locale devrait être basée sur la structure globale de la société moderne. Il ne peut y avoir d’actions collectives sans collectifs. Mais on ne doit pas confondre la création d’un collectif avec la victoire, de même qu’il ne doit pas devenir une fin en soi. Historiquement, le grand danger auquel doit faire face le collectif est d’être coupé (ou de se couper) du monde extérieur. Le principal sera finalement quand et quelle action entreprendre. Que les collectifs deviennent une force sociale dépend de leur analyse de l’histoire et leur terrain d’action.

En fait, les "provinces" d’aujourd’hui avancent vers les centres en conscience et motivation politique. Du Minnesota jusqu’au Delta du Mékong, la révolte gagne en cohérence. Les centres tentent de décrypter ce qui est en train de se produire, afin de l’identifier et de le contenir. C’est pourquoi il est nécessaire de créer des formes d’organisation centralisées - ou "coordination" selon la terminologie moderniste.

Le premier principe d’action locale est de dénationaliser votre pensée. Emmener le pays hors de Salem. Sortir du pays de Marlboro. Devenir conscient de la façon dont notre existence est gérée depuis les centres nationaux. Les modes de vie sont des rôles destinés à vous donner l’illusion de mouvement tout en vous gardant au même endroit. "Le style c’est la masse qui chasse la classe, et la classe qui échappe à la masse." (W. Rauschenbush, "The Idiot God Fashion" Woman’s Coming of Age, editions Schumalhausen and Clavert, 1931).

Le rêve de l’unité

Le principe d’unité implique que chacun est une unité (un fragment). L’unité signifie l’individualité multipliée par elle-même. Nous n’allons pas y aller par quatre chemins - puisque l’unité a supprimé les véritables différences politiques - de classes, raciales, sexuelles - il s’agit d’une forme de tyrannie. Le rêve de l’unité est en réalité un cauchemar de compromission et de suppression des désirs. Nous ne sommes pas égaux et l’unité perpétue l’inégalité.

Le collectif sera constamment soumis à la pression de groupes extérieurs cherchant un soutien sous une forme ou une autre. Tout le monde est toujours en crise. Dans ces circonstances, un groupe peut avoir l’illusion d’être mobilisé et actif en permanence sans pouvoir développer sa propre politique. Les appels à l’unité canalisent les énergies politiques des collectifs en soutiens politiques. Alors, par précaution, le collectif doit prendre du temps pour élaborer sa politique et son plan d’action. Par-dessus tout, il devra essayer d’anticiper les situations de crise et la militance professionnelle.

On vous accusera de factionnalisme. Ne perdez pas de temps sur ce vieux problème. Un collectif n’est pas une faction. Répondre au stimuli pavlovien vous met dans la position du chien qui salive. Vous connaîtrez une faim illimitée en laissant votre identité déterminée par quelqu’un d’autre.

On vous accusera d’élitisme. Il s’agit là d’un problème risqué à ne pas prendre à la légère. Un collectif doit d’abord savoir ce que signifie l’élitisme. Au lieu de chercher à savoir s’il se réfère aux dirigeants ou aux personnalités, vous devriez d’abord placer le problème dans un contexte de classe. Sachez d’où viennent vos idées et quelles sont leurs relations avec l’idéologie dominante. Vous devriez vous posez les mêmes questions concernant ceux qui portent les accusations. Quelle est leur origine, et leur intérêt de classe ? Jusqu’ici beaucoup de gens ont réagi en se défendant aux accusations d’élitisme, et ont ainsi évité de faire face au problème. Ceci constitue une réaction de classe.

L’intérieur est le miroir de l’extérieur. La meilleure façon d’éviter de se comporter comme une élite est de prévenir la formation de l’élitisme à l’intérieur même du collectif. Souvent lorsque les accusations d’élitisme sont fondées, elles reflètent les mêmes relations de classe internes.

Les façons de réduire l’autonomie d’un collectif sont nombreuses et insidieuses. On ne doit pas répondre automatiquement à appel à l’unité. Le moment est venu de s’interroger sur les raisons et l’efficacité de telles actions - et de les assumer. Le jargon est une langue de bois destinée à nous faire sentir stupides et impuissants. Parce que l’action collective n’est pas organisée en masse, il n’est pas nécessaire d’attendre un appel à l’unité pour agir.

"Est-ce que ’l’unité se divise en deux’ ou est-ce que ’le deux fusionne en un’ ? Cette question fut soumise à débat en Chine, et maintenant partout ailleurs. Ce débat est une lutte entre deux conceptions du monde. L’une croit au combat, l’autre à l’unité. Les deux parties ont tracé une ligne précise entre elles et leurs arguments sont diamétralement opposés. Ainsi, vous pouvez voir pourquoi l’unité se divise en deux." (Libre traduction du Drapeau Rouge, Pékin, 21 Septembre 1964).

La fonction de l’analyse

Non seulement il ne peut y avoir de révolution sans théorie révolutionnaire, mais il ne peut y avoir non plus de stratégie sans analyse. La stratégie consiste à anticiper ce que vous aller faire. C’est ce que permet l’analyse. Lorsque vous commencez, il se peut que vous ne connaissiez rien. Le but de l’analyse n’est pas de tout savoir, mais de savoir ce que vous connaissez, et à bien le connaître - c’est-à-dire collectivement. L’essence de la pensée analytique c’est sans cesse apprendre que le processus est aussi important que la finalité. Développer une analyse requiert de nouvelles façons de penser. Sans cela nous sommes condamner à répéter les anciennes façons d’agir.

Savoir ce que nous allons faire est la chose la plus difficile à trouver et c’est ce qui déterminera finalement l’existence du collectif. La difficulté de la question rend l’analyse d’autant plus nécessaire. Nous ne pouvons pas continuer à subir les formes de publicité de plus en plus avilissante - qu’il s’agisse des slogans ou de la rhétorique. L’analyse permettra de déterminer le plan d’action.

Pourquoi y a-t-il relativement peu d’analyse pratique de ce qui arrive aujourd’hui ? Certaines personnes refusent d’analyser tout ce qu’elles ne peuvent comprendre immédiatement. Fondamentalement, elles éprouvent un sentiment d’incompatibilité. Ceci est en partie dû au fait qu’elles n’ont pas eut l’opportunité de le faire précédemment, et donc elles ne savent pas qu’elles en sont capables. D’un autre côté, de nombreux activistes considèrent l’analyse comme "intellectuelle" - ce qui donne plutôt un aperçu de leur façon de penser. Finalement, il y a ceux qui n’éprouvent pas le besoin de réfléchir et se sentent mal à l’aise quand cela devient nécessaire pour les autres. La constipation du mouvement est le résultat de ces forces.

Un autre fait est que l’analyse offre peu de satisfactions. Ce qui équivaut à dire qu’elle ne relève pas de la pratique. Ce qui est arrivé à la pensée transparaît clairement dans la dégénérescence de l’analyse de classe en définitions stéréotypées, obèses. Il y a toujours peu de différence entre les théoriciens de l’abstraction pure et les amateurs de slogans à l’abstraction vulgaire. La théorie devient le langage des robots, et les slogans la production de masse de l’esprit. Mais le fait que les idées soient devenues si mécaniques ne signifie pas que nous devions abandonner la pensée.

La plupart des gens souhaitent être confrontés au fait qu’ils vivent dans une société qui n’a pas encore été expliquée. Chaque tentative pour apporter des preuves sur des choses qui ne sont pas communes rencontre l’hostilité générale due à la peur. Les gens semblent effrayés de s’observer de façon analytique. Ne pas savoir quoi faire provient du fait que l’on ne sait pas qui l’on est. Vouloir s’observer de façon critique et vouloir expliquer la société provient de la volonté de transformer les deux. Le coeur du problème est que l’on ne s’imagine pas en train d’y parvenir, sauf peut-être par accident.

L’analyse permet d’armer l’esprit. Nous sommes étouffés par ceux qui nous disent que l’analyse est purement intellectuelle alors qu’en réalité c’est l’outil de l’imagination. Tout comme l’intellectualisme s’avère intolérable, il est impossible d’agir par la colère - pas si vous voulez concrétiser des choses. Il vous faudra enseigner à vos tripes comment penser, et à votre cerveau comment ressentir les choses. L’analyse devrait nous aider à exprimer intelligemment notre colère. En apprenant comment réfléchir, l’analyse se révèle être la première étape vers l’activité consciente.

Il ne fait aucun doute que vous vous sentez dépassés parce que cela semble indigeste. En fait, le problème est que vous réfléchissez plus que vous n’agissez. Soyez modestes. Commencez par ce que vous connaissez déjà et ce que vous voulez mieux connaître. L’analyse commence avec ce qui vous intéresse. La réflexion politique devrait faire partie de la vie quotidienne, et ne pas être un privilège de classe. Dans la pratique, l’analyse doit vous apporter une compréhension de ce qu’il est nécessaire de faire et comment y parvenir.

La réflexion doit vous permettre de distinguer ce qui important de ce qui ne l’est pas. Elle devrait mettre à bas les forces complexes et ainsi vous aider à les comprendre. Abattez tout. En analysant les choses vous vous apercevrez qu’il existe différentes façons d’agir qui n’étaient pas flagrantes lorsque vous avez commencé. C’est ça le plaisir de l’analyse. S’attaquer à un problème par la réflexion c’est déjà commencer à le résoudre.

Le besoin de nouveaux formats

Le besoin de nouveaux formats vient de l’oppression de l’écriture. Nous devons apprendre les techniques publicitaires. Ceci consiste en des phrases brèves, claires et sans rhétorique. Les slogans publicitaires. La pub représente une rupture avec l’éducation scolaire et la cacophonie des mots. La pub est une formule concentrée de communication. Son pouvoir d’information a déjà démodé le système scolaire. Le secret consiste à prendre autant de plaisir à créer la forme qu’à exprimer l’idée.

Mais pourquoi adopter le style publicitaire lorsque la fonction de celle-ci s’avère si oppressive ? Comme média, nous pensons que la pub représente un mode de production révolutionnaire. Si nous la rejetons, c’est parce que nos esprits ont stagné et que la culture politique est devenue un romantisme vulgaire. Ceux qui se détournent des techniques publicitaires pensent dans un langage arriéré. En utilisant ces techniques on se transforme. Cela rend agréable l’écriture pour n’importe qui parce que cela place l’oralité dans l’écrit.

Ce que nous recherchons dans l’emploi des techniques publicitaires, c’est leur utilisation physique. La plupart du temps nous n’avons pas conscience de la publicité, et si nous en sommes conscients, nous n’agissons pas contre eux - nous ne les détournons pas. Les pubs sont basées sur la répétition. Si vous en touchez une, vous les touchez toutes. Rencardez-vous sur l’environnement de la pub. La façon la plus efficace de la détourner c’est de rendre visible sa contradiction. Mettez-là en évidence. La vulnérabilité de la pub réside dans la possibilité de la retourner contre les exploiteurs.

Jerry Rubin préconisait d’utiliser systématiquement les médias. Et lui l’a fait. Et cela vaut mieux que l’approche tatillonne qui prévaut actuellement. Il y a bien évidemment des groupes qui recommandent de ne pas y recourir et qui ne le font d’ailleurs pas. Ils vont probablement survivre à Jerry puisque la technique fondamentale des mass média est la surexposition. C’est pourquoi Jerry a déjà écrit ses mémoires. D’après les Situationnistes : "la révolte est contenue dans la surexposition. On nous l’offre à contempler de sorte que l’on oublie de participer."

Nous ne parlons pas de l’emballage politique. Rampart est le Playboy de la gauche. D’un autre côté, la presse underground est pornographique et redondante. Newsreel fait machine arrière. Pourquoi à l’époque du Cosmopolitain magazine devons-nous endurer la lourdeur de Leviathan ? Nous préférons de loin lire Fortune - le magazine des "hommes chargés du changement" - pour notre analyse du capitalisme.

Il ne faut pas tourner autour du problème indéfiniment, nous avons besoin de formats nouveaux, entièrement nouveaux. Sinon, nous ne parviendrons jamais à affiner notre état d’esprit. Sortir du charme de l’écrit nécessite un effort conscient pour penser avec de nouveaux langages. Nous ne devrions plus être immobilisés par les mots des autres. N’attendez pas le journal pour savoir ce qui se passe. Faites vos gros titres avec la presse. Découpez votre magazine favori et rassemblez les morceaux. Découpez de gros lettrages pour en faire des plus petits - comme CRISE ENVIRON MENTAL. Tout ce dont vous avez besoin c’est une bonne paire de ciseaux et de la colle. Dégradez les images de l’ennemi. Transformez les patrons en Frankenstein. Faites des comics strips. Ne laissez rien gâcher votre plaisir.

Ne lisez plus de livres - en tout cas pas de façon littérale. Comme dit un jour G.B. Kay de Blackpool (en citant quelqu’un d’autre), "La lecture pourrit l’esprit". Les pamphlets sont bien plus amusants. Lisez au hasard, écrivez dans les marges et retournez aux comics. Vous devriez commencer par le Surfer d’Argent.

Auto-Activité

Les mauvaises habitudes de travail et les comportements négligents sapent toute tentative d’action collective. Avoir un comportement négligeant signifie que l’on se fout de ce que l’on fait et des gens avec qui on le fait. Ceci pourra en surprendre plus d’un. Mais les faits sont là : nous parlons de révolution mais nous sommes réactionnaires à des niveaux élémentaires.

Il y a deux choses fondamentales derrière ces circonstances malheureuses : 1) la façon dont les gens s’imaginent que quelque chose (comme la révolution) finira par façonner nos habitudes de travail ; 2) leur origine de classe leur offre un point de vue politique aléatoire.

Il ne fait aucun doute que la génération Pepsi est politiquement vivante. Mais cette énergie nouvelle est canalisée par les organisateurs de meetings ennuyeux qui reproduisent la hiérarchie de la société de classe. Au bout d’un moment, la pensée critique s’érode et les gens perdent leur curiosité. Les meetings deviennent des banalités comme le reste de l’existence quotidienne.

La plupart des problèmes que rencontrent les collectifs proviennent en fait des mauvaises habitudes de travail acquises dans le mouvement (de masse). Les gens reproduisent les rôles passifs auxquels ils se sont accoutumés dans les grands meetings. L’essentiel dans la participation de masse c’est de se manifester. Il est rare que les gens se préparent à un meeting, pas plus qu’il n’en ressentent le besoin. Cette situation ne devient pas évidente précisément parce que le peu de gens qui travaillent (ceux qui organisent le meeting) créent l’illusion de l’accomplissement collectif.

Parce que les gens se voient plus comme des objets que comme des sujets, l’activité politique est définie comme un événement extérieur et futur. Personne ne se voit en train de faire la révolution et, par conséquent, ils ne peuvent comprendre comment elle s’accomplira.

Le bref laps d’attention est l’un des symptômes représentatif de la politique instantanée. Le plus important pour gérer une crise semble de contracter ce moment d’attention - en fait il y n’a généralement pas de dimension temporelle du tout. Cette intemporalité est expérimentée comme la syncope du débordement. La plupart des gens disent qu’ils vont faire des choses sans réellement savoir s’ils auront le temps de les faire. Prendre ce temps signifie savoir ce que vous voulez vraiment faire. Vous êtes débordés quand vous voulez tout faire mais qu’au final vous ne faites rien.

Les nombreux autres symptômes de la politique temporaire - le manque de préparation, être en retard, s’ennuyer dans les moments difficiles, etc., sont les signes d’une attitude politique destructrice pour le collectif. La chose importante c’est reconnaître l’existence de ces problèmes et en trouver les causes. Il ne s’agit pas de problèmes personnels, mais d’attitudes déterminées par l’histoire.

Beaucoup de gens confondent la révolte contre l’aliénation par le travail dans sa forme historique spécifique avec le travail lui-même. Cette révolte s’exprime par une attitude anti-travail.

Les attitudes envers le travail sont façonnées par nos relations à la production, c’est-à-dire, la classe. La classe est un produit de la division hiérarchique du travail (ce qui inclus d’autres formes que le simple salariat). Il existe trois relations fondamentales pouvant produire des attitudes anti-travail. La classe ouvrière a développé son attitude anti-travail dans la rébellion contre le travail routinier. Pour la classe moyenne, l’attitude anti-travail provient de l’idéologie de société de consommation et tourne autour du loisir. Le stéréotype des "indigènes oisifs" ou des "femmes plus faibles physiquement" est la troisième attitude anti-travail appliquée à celles et ceux qui sont exclus du salariat.

Le rêve de l’automatisation (qui revient à ne plus travailler) renforce le préjudice de classe. La classe moyenne est celle qui en rêve le plus depuis qu’elle cherche à étendre ses activités liées aux loisirs. Pour la classe ouvrière, l’automatisation signifie la perte d’emploi, et les préoccupations liées au chômage, ce qui est l’inverse des loisirs. Pour les exclus, l’automatisation ne veut rien dire parce que cela ne s’appliquera jamais à leurs formes de travail.

L’automatisation dans la classe moyenne est devenue l’idéologie des radicaux post-pénurie. L’évolution technologique les a sauvés du dilemme avec l’analyse de classe qu’ils étaient incapables de fournir. Avec l’élimination de la classe ouvrière grâce à l’automatisation (l’automatisation de la classe ouvrière) les radicaux se sont faits les avocats de la société de loisirs et du mode de vie touristique. L’attitude anti-travail mène à une vision utopique et nous décale du royaume de l’histoire. Il évite la construction de collectivités et d’auto-activités. Le problème pour transformer le travail en auto-activité est central dans l’élimination de classe et la réorganisation de la société.

L’auto-activité c’est la reconstruction de la conscience (l’intégralité) de l’activité individuelle dans l’existence. Le collectif c’est ce qui rend la reconstruction possible parce qu’il définit l’individualité non pas comme une expérience privée, mais comme une relation sociale. Ce qu’il importe de voir c’est que le travail puisse mener à une activité consciente au sein de la structure collective.

L’une des meilleures façons de découvrir et de corriger les attitudes anti-travail c’est de recourir à l’auto-critique. Ceci offre aux gens une vision objective pour avoir l’espace nécessaire pour critiquer et être critiqué. L’auto-critique est l’opposée de la conscience de soi parce que son but n’est pas de vous isoler mais de libérer les capacités contenues. L’auto-critique est une méthode tout aussi fiable pour démolir les comportements opportunistes que pour développer les consciences.

Pour extirper la part de cette société qui demeure en nous et redéfinir nos relations de travail, un collectif doit développer son propre sens de l’histoire. L’une des choses les plus difficiles consiste à considérer les plus proches relations - celles au sein du collectif - en termes politiques. La tendance à la négligence, ou ce qui est désinvolte dans les relations entre amis. Les règles ne doivent plus être les bases de la discipline. Elles devraient plutôt s’élaborer sur la compréhension politique. L’une des fonctions de l’analyse, c’est de pouvoir s’appliquer de façon interne.

La préparation est une autre partie du processus qui créé la continuité entre les réunions et assure que notre façon de penser n’est pas une activité à temps partiel. Elle lutte également contre la tendance à vouloir parler plus fort que les autres et les idées éclairs. Si les réunions tendent à être abstraites et aléatoires, ceci signifie que les idées qui y sont débattues ne sont pas unanimement comprises (i.e. analyse). Il faut creuser au-delà de ce qui se dit.

Que signifie se préparer à une réunion ? Cela veut dire venir avec des idées en tête et avec des projets entre les mains. En supposant qu’un groupe ait décidé ce qu’il voulait faire, la première étape implique que tout le monde participe. Ce qui veut dire prendre le temps de bien considérer les choses, en tirer les matières les plus pertinentes et être à même de les présenter au collectif de façon claire et accessible à tous. La motivation liée à la préparation devrait mener à l’élaboration d’une analyse cohérente. "Nous préférons la sueur de l’auto-critique aux larmes de crocodiles" dit un proverbe chinois.

Lutter sur plusieurs fronts

La lutte possède de multiples facettes. Mais aucune n’est semblable aux autres. Comme les cubistes, nous devons considérer les choses sous divers angles. Le problème est de trouver les façons de créer des espaces pour nous-mêmes. La tendance actuelle tend vers la bi-dimensionalité qui se retrouve ancrée dans chaque aspect de notre vie quotidienne. Notre langage soulève des questions en nous faisant choisir entre deux opposés. L’impérialiste engendre l’anti-impérialiste. Avant le "tiède" il y avait le chaud et le froid. Le "tiède" fut la première tentative de briser cette bi-dimensionalité. Celle-ci minimise toujours les dimensions de la lutte en définissant étroitement la situation. Nous finissons par avoir un point de vue unidimensionnel de l’ennemi, et de nous-mêmes.

Apprenez à être habile. Notre première impulsion est toujours de définir notre position. Pourquoi éprouvons-nous le besoin de les exprimer ? Nous créons un espace en n’étant pas ce que nous sommes réellement.

L’habileté n’est pas simplement une défense tactique. L’essence même de l’habileté c’est d’apprendre à tourner à son avantage les faiblesses de l’ennemi. Sinon vous n’y arriverez jamais. La règle est simple : soyez honnêtes envers vous-mêmes et votre entourage, mais trompez votre ennemi.

Il existe au moins trois façons d’aborder une situation. Vous pouvez neutraliser, activer ou détruire. Neutraliser c’est créer de l’espace. Activer c’est gagner du soutien. Détruire c’est réussir. Surtout, il est essentiel d’apprendre comment utiliser les trois simultanément.

La lutte sur plusieurs fronts signifie commencer à activer tous les sens. Nous devons être aptes à concevoir plus d’un mode d’action pour une situation donnée. La réponse, i.e. la méthode de lutte, devrait posséder trois éléments : 1) un moyen de survivre ; 2) une méthode pour exploiter les divisions dans le camps ennemi ; 3) une stratégie souterraine.

La tendance fondamentale du libéralisme et des entreprises consiste à s’identifier au changement social tout en essayant de le contenir. Ne serait-il pas ironique (et même un soulagement) si nous parvenions à détourner la menace du co-optage en un moyen de survie ?

La crainte d’être co-opté mène souvent les gens à fuir les défis des entreprises et des libéraux. La plupart des révolutionnaires les plus "purs" refusent d’envisager l’utilisation des co-opteurs pour servir leurs buts. Trop souvent la mentalité du "boulot" écarte le potentiel subversif.

L’existence du libéralisme d’entreprise exige de ne pas être négligent dans notre pensée et notre réponse. La force de cette position est qu’elle nous oblige à reconnaître notre propre faiblesse - même avant de s’engager à la combattre. La pire erreur c’est de prétendre que l’ennemi n’existe pas.

Le combat urbain nécessite une stratégie subversive. Concrètement, travailler "à l’intérieur du système" devrait devenir pour nous une source d’argent, d’informations et d’anonymat. C’est ce que veut dire le proverbe maoïste "agissez la nuit". La routine du quotidien est la nuit pour l’ennemi. Le processus de co-optage devrait devenir un exercice

Exploiter les divisions du camp ennemi ne signifie pas aider une partie à vaincre l’autre. L’objectif est plutôt de maintenir les divisions. Il existe des différences significatives parmi les oppresseurs. Et celles-ci les affaiblissent. Sous certaines circonstances, ces divisions peuvent offrir une marge de manoeuvre qui pourra s’avérer stratégique. L’essentiel étant de ne pas percevoir l’ennemi de façon monolithique. La pensée monolithique vous condamne à agir toujours de la même façon.

Il existe une tendance à voir les formes les plus dégénérées de réaction comme principal ennemi. Les entreprises exploitent consciemment de telles idées dans des films comme Easy Rider qui permet aussi de s’identifier aux hommes jeunes. La fonction de l’analyse consistera donc à abattre et à identifier les différentes forces dans le camp ennemi.

Les espaces créés par ces divisions sont d’une importance cruciale dans la préparation d’une stratégie à long terme. Il deviendra de plus en plus difficile de survivre avec la visibilité à laquelle nous sommes accoutumés. Les modes de vie avec lesquels nous affirmons notre opposition sont aussi ceux qui font de nous des cibles faciles. Nous ne devons pas nous tromper sur le niveau d’apparition de nouvelles cultures. L’essentiel n’est pas de fétichiser nos modes de vie. Dans l’ambiance psychédélique de la répression, se fondre dans "la masse" est agréable.

Gardez toujours une partie de votre stratégie souterraine. Tout comme l’analyse permet de différencier l’ennemi, elle devrait aussi vous fournir différents niveaux d’attaque.

Agir en souterrain ne signifie pas disparaître de façon héroïque. Il existe peux d’endroits où se cacher dans l’environnement électronique de notre futur. La plus dangereuse sorte d’action souterraine sera celle qui ressemblera à l’iceberg. Les rôles créés pour remplacer notre identité dans la vie quotidienne doivent devenir le déguisement de l’underground.

Une stratégie souterraine amène une perspective de l’impulsion à la confrontation. Nous devons combattre l’obsolescence planifiée des confrontations qui nous piègent dans la période de la révolution instantanée. Agir en souterrain c’est opter pour une stratégie à long terme - ce qui se compte en années. La stratégie de l’iceberg nous garde au frais. Il nous entraîne à maîtriser nos réflexes et à analyser nos réponses.

La stratégie souterraine est également nécessaire pour assurer l’autonomie. L’autonomie préserve la forme organisationnelle du collectif, qui s’avère critique dans l’affinement de sa politique. Nous n’arriverons à rien si nous finissons submergés par un chaos de fronts révolutionnaires. La stratégie principale de la Gauche sera de se répandre sur les différences en appelant à une unité de classe qui n’existe plus. Une stratégie souterraine sans forme d’organisation révolutionnaire peut seule émerger comme nouvelle classe sociale. Détruire le système oppressif n’est pas suffisant. Nous devons élaborer l’organisation d’une société libre. Lorsque les forces souterraines émergeront, le collectif sera cette société.

Edité en brochure par FTP en 2004. Pas de copyright.



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