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De la place des hommes dans la lutte contre le patriarcat

mis en ligne le 14 février 2004 - Bernard , Gile

Le patriarcat, c’est nous !

"Les rapports sociaux de sexe s’appuient autant sur l’illusion
naturaliste de supériorité masculine que sur la reproduction entre
hommes de la vision hiérarchique des rapports hommes/femmes.
Être homme, y compris chez les hommes, c’est être le plus fort,
le meilleur, celui qui agit. Les autres, certains homosexuels, les
faibles, ceux qui ne veulent pas — ou ne peuvent — gagner sont
assimilés dans le genre masculin — syntaxe comprise — aux
femmes. [1]" Et lorsque l’on se retrouve après des processus de
construction sociale, d’apprentissage, de rapports de force, en
position de dominant, il n’y a objectivement aucune raison de
descendre de son piédestal.

Nous (les hommes dans leur
globalité) avons une place de choix dans le système patriarcal
puisque nous occupons la plus haute marche du podium, c’est-àdire
que nous opprimons les autres, ceux, ou plus exactement
celles, qui n’ont pas eu l’incommensurable honneur de naître
couillu !

Comme dans le rapport maître/esclave où le maître ne
change que sous la contrainte, dans les rapports
hommes/femmes, les hommes ne changent que forcés. Par qui ?
par quoi ? En premier lieu par les conséquences des luttes et
réflexions féministes, mais aussi parce qu’entre hommes la
guerre est impitoyable et qu’elle ne fait pas que des vainqueurs.

Il est commun de penser que les hommes ont beaucoup à perdre à
la libération des femmes et pourtant des hommes participent aux
luttes antisexistes, antipatriarcales. Est-ce par solidarité
désintéressée, est-ce que se sont des refoulés, veulent-ils se faire
pardonner des fautes inavouables, sont-il des espions, ont-ils
d’autres intérêts ?

Les luttes féministes créent une situation nouvelle où est remise en cause la suprématie masculine

"Les
hommes ont vu leurs certitudes s’effriter une à une, au cours des
dernières décennies. Leur identité, leur couple, leurs rôles
sociaux et familiaux ont été remis en question, voire
bouleversés. Maintenant que les femmes réclament autant dans
la vie privée que dans la vie publique l’autonomie et l’égalité, de
nombreux hommes sentent leur place leur échapper. le nouvel
équilibre entre les sexes peut cependant s’avérer l’occasion pour
les hommes de penser et d’organiser différemment leur existence [2]". Face à ces bouleversements, ils doivent chercher d’autres
repères.

Cette dimension collective peut aller de paire avec une
approche plus individuelle notamment lorsqu’on vit, travaille,
milite, discute, se confronte avec des féministes et que l’on se
fait renvoyer au quotidien, et à juste titre, notre statut de mâle,
notre rôle d’oppresseur.

Si cette confrontation est douloureuse elle
n’en n’est pas moins salutaire pour nous et pour les autres.

Un
autre vecteur de prise de conscience est notre rapport aux autres
hommes, à l’image, aux attitudes que l’on est censé reproduire en
tant que mec " normal ". Certains parce qu’ils n’arrivent à
prendre en charge leur rôle de macho, sûr de lui, etc. ou parce
qu’ils sont considérés comme des sous hommes (des "
femmelettes ") par les autres hommes, en raison de leur
physique, de leur caractère, de leur sexualité... vont se remettre
en cause. On peut être un homme et avoir la nausée face à la
violence masculine, à l’homophobie, au virilisme, etc.

Ce n’est
pas parce qu’il existe des conditions, amenées par les luttes de
libération des femmes, favorables au changement qu’il n’existe
pas des résistances de la part des hommes. Le changement n’est
pas mécanique. Et pour cause, nous sommes toujours les garants
et les bénéficiaires de la société dans laquelle nous vivons ;
société faite par les hommes et pour les hommes. À partir de là,
on peut s’interroger sur notre place, forcément particulière, dans
une lutte pour l’abolition du patriarcat.

La fin du patriarcat on a tout à y gagner !

"Contrairement aux femmes et aux minorités
(nationales, ethniques, sexuelles, etc.) qui, au cours des dernières
décennies, ont revendiqués l’amélioration de leur condition, les
hommes n’ont d’autres adversaires qu’eux mêmes. Les hommes
ne peuvent s’en prendre qu’à eux, sinon comme individu du
moins comme collectivité [3]". Même si notre premier réflexe
est de faire la sourde oreille, de s’arcqueboutter sur nos
privilèges, de refuser de changer, nous avons tout à gagner de
cette remise en cause de nos comportements.

L’abolition du
patriarcat pour les hommes, c’est aussi la fin d’un modèle. Ce qui
ne signifie pas pour autant le néant mais plutôt la recherche
d’autres modèles. Si pour paraphraser Simone de Beauvoir, on
ne naît pas homme on le devient, pour chacun d’entre nous et
pour la collectivité s’ouvre une possibilité de déconstruction. La
première étape est de se remettre en cause au quotidien
concernant ses attitudes, comportements, valeurs. La remise en
cause de pans entiers ne sa vie n’est pas évident.

Mieux se
connaître, s’exprimer sous d’autres formes que la violence ou le
mutisme, changer ses rapports avec les femmes et avec les autres
hommes, etc. s’est un peu explorer l’inconnu mais cela peut être
une perspective plutôt jouissive et pourtant guerre portée en
dehors de quelques groupes non-mixtes hommes existants.

Alors
que les libertaires devraient complètement s’inscrire dans une
démarche antipatriarcale, vu les valeurs qu’ils avancent (antiautoritarisme,
égalité, émancipation...), on s’aperçoit que souvent
ces derniers se cantonnent souvent à un antisexisme de
circonstances, un peu artificiel : surveiller son langage, ses
attitudes sans se remettre véritablement en cause. Les hommes
sont censés prouver jour après jour qu’ils sont des hommes
notamment en affirmant leur domination sur les femmes ;
domination qui recouvre énormément de formes, plus ou moins
identifiables, encouragées, et diffuses.

S’affirmer comme mâle
dominant, implique aussi entre hommes une apre compétition,
un culte de la virilité, de la performance, une course au pouvoir
mais aussi des échanges relationnels extrémement superficiels
ou les émotions et les sentiments n’ont pas de place.

Si nous
sommes solidaires des luttes féministes, ce n’est pas pour parler
à leur place, ni pour se réapproprier les rares espaces de la
société dont nous ne sommes pas maîtres. Christine Delphy
rappelle dans un texte incontournable qui démonte les
principaux poncifs féministes émis par les hommes (révélant la
plupart du temps une pensée antiféministe !), que "la
libération des opprimés est d’abord sinon seulement, l’oeuvre des
opprimés [...] les oppresseurs ne sauraient jouer le même rôle
dans les luttes de libération que les opprimés [4]". C’est à partir de
notre place d’homme que l’on doit réfléchir, se déconstruire,
lutter. Un des enjeux de notre engagement doit être de faire
émerger chez les hommes une vision critique de leur réalité.

[1M.-F. Pichevin, D. Welzer-Lang, "Préambule", Des hommes et du masculin, ouvrage collectif, Presses universitaires de Lyon, 1992, p.11.

[2M. Dorais, "Pour une approche masculiniste", op. cit., p.193.

[3ibid, p.193.

[4Christine Delphy, "Nos amis et nous. Fondements cachés de quelques discours pseudo-féministes.", L’ennemi principal. Économie politique du patriarcat, Syllepse, 1998, pp.167-215.


)

Texte paru dans Bang Bang n°3 (juillet 2000).



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