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Éléments de contexte sur le mouvement de lutte au Kurdistan

mis en ligne le 23 juin 2018 - Ne var ne yok

Chronologie sélective de la lutte kurde en Turquie

1920 : Le traité de Sèvres, signé entre les Alliés vainqueurs de la Première Guerre mondiale et la Turquie, envisage la création d’un État kurde dans l’est de l’Anatolie et dans la province de Mossoul. Après la victoire de Mustafa Kemal, « Atatürk », les Alliés reviennent sur leur décision.

1923 : Le traité de Lausanne consacre la domination de la Turquie, de l’Iran, de la Grande-Bretagne (pour l’Irak) et de la France (pour la Syrie) sur le Kurdistan.

1925, 1927-1930 et 1936-1938 : Soulèvements kurdes en Turquie.

1978 : Création du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) par des étudiants marxiste-léninistes qui voulaient voir évoluer la société tribale kurde en une société révolutionnaire et indépendante de la souveraineté turque. Après le coup d’État de 1980, le régime militaire va se déchaîner sur tous les militant.e.s de gauche, en emprisonnant et exécutant une bonne partie.

1984 : Le PKK se lance dans la lutte armée contre les militaires turcs en Anatolie.

Les années 1980-1990 seront marquées par la guerre entre d’un côté l’armée turque et de l’autre les combattant.e.s du PKK et les civil.e.s habitant les villes et villages kurdes. Environ 4 000 villages sont brûlés, à nouveau trois millions de réfugié.e.s quittent leur terre, 30000 civil.e.s sont tué.e.s, et des milliers de militant.e.s et intellectuel.le.s, etc., emprisonné.e.s (beaucoup sont toujours derrière les barreaux). Ces décennies sanglantes auront gravé la mémoire des Kurdes et auront laissé orpheline toute une génération de jeunes qui ont perdu leur père ou un.e autre proche. Mais c’est aussi de cette période que le PKK tire sa réputation de « stalinien » ; il est vrai que, comme toute force armée dans une guerre, le PKK n’est pas tout blanc et a commis des violences douteuses, y compris à l’intérieur du mouvement. Néanmoins, une grande partie de la population kurde de Turquie reconnaît au PKK, et à son leader Abdullah Öcalan, leur courage et leur détermination qui auront réussi à créer un véritable rapport de force capable de faire valoir certains de leurs droits de base (par exemple, depuis les années 2000 la langue kurde et le mot « kurde » ne sont plus interdits).

Février 1999 : L’État turc annonce avoir capturé Abdullah Öcalan, leader du PKK, enlevé au Kenya par un commando. Il est condamné à mort pour trahison le 29 juin, une peine commuée en réclusion à perpétuité en 2002.

Février 2000 : Le PKK annonce l’arrêt de la lutte armée.

Mai 2004 : les rebelles kurdes annoncent la rupture de la trêve unilatérale décrétée en 2000.

30 septembre 2006 : le PKK décrète un cessez-le-feu.

Octobre 2007 : Le Parlement vote le principe d’une intervention militaire contre les rebelles kurdes basés en Irak. En décembre, l’armée lance des raids aériens.

Novembre 2009 : Des programmes en kurde sont autorisés à être diffusés à la radio et à la télévision et les partis politiques sont autorisés à faire campagne en kurde pour les élections.

2010 : Des dizaines de personnes soupçonnées de liens avec le PKK, dont le maire de Diyarbakir, des avocats et des journalistes sont arrêtés.

Juin 2011 : Percée kurde aux élections législatives (36 députés contre 20 précédemment).

Août-septembre 2011 : Reprise des violents affrontements entre les rebelles du PKK et l’armée turque, après l’échec de discussions secrètes engagées en 2009 en Norvège.

Décembre 2011 : L’aviation turque cause la mort de 34 civils à Roboski, à la frontière de l’Irak, des contrebandiers pris pour des rebelles du PKK.

Septembre-novembre 2012 : Plusieurs centaines de détenus kurdes observent une grève de la faim, levée sur l’intervention d’Abdullah Öcalan. Dans la foulée, Ankara dépose un projet de loi autorisant les Kurdes à se défendre dans leur langue devant les tribunaux.

Décembre 2012 : Les autorités admettent avoir repris, via les services secrets, des discussions avec Abdullah Öcalan.

Janvier 2013 : Trois militantes kurdes, dont une des fondatrices du PKK, sont assassinées à Paris.

21 mars 2013 : Abdullah Öcalan annonce un cessez-le-feu unilatéral et appelle les combattants du PKK à se retirer du territoire turc.

28 février 2015 : Accords de Dolmabahçe : après deux années de discussion entre l’État turc et le PKK, des accords de paix sont quasiment signés

5 avril 2015 : Les contacts avec le leader du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999 sur l’île-prison d’İmralı sont coupés. Öcalan est mis à l’isolement total. La trêve de paix qui avait débuté le 21 mars 2013 a été gelée le 21 mars 2015. Le palais présidentiel turc a pris la décision de reprendre la guerre.

16 avril 2015 : Le début de la campagne pour les élections législatives de juin 2015 coïncide avec le début des agressions contre les membres du HDP, le parti d’extrême-gauche pro-kurde. Le 16 avril, par exemple, leur local politique d’Antalya est violemment attaqué par 150 fascistes. Au total, tout au long des mois de mars et avril, plus de 150 membres du HDP seront attaqués. Leurs locaux seront régulièrement incendiés et saccagés.

5 juin 2015 : Deux bombes explosent lors du dernier meeting électoral du HDP à Diyarbakır. Trois personnes sont tuées, seize sont grièvement blessés, et il y a plus de quatre cents blessés.

7 juin 2015 : Le résultat des élections législatives est sans appel : le HDP dépasse la barrière des 10 %, avec 13,4 %, ce qui donne au parti pro-kurde la possibilité historique d’accéder au parlement turc et d’avoir 80 députés qui y siègent.

17 juillet 2015 : Erdoğan, le président turc, déclare qu’il ne reconnait plus les Accords de Dolmabahçe signés en février. Cette annonce a été reçue comme une déclaration de guerre.

20 juillet 2015 : Massacre de Suruç. Dans la région de Şanlıurfa, devant le Centre Culturel Amara de la petite ville de Suruç une grosse explosion a lieu. Les personnes visées étaient des jeunes socialistes turcs et des jeunes anarchistes, trente-trois d’entre eux sont tués et il y a plus de cent blessés. Ces jeunes étaient venus, suite à l’appel du Comité de Reconstruction de Kobanê, pour apporter des jouets aux enfants de Kobanê. Lorsqu’ils se regroupent au Centre Culturel, un kamikaze approche et se fait exploser au milieu d’eux. Après l’explosion, la police turque empêche les ambulances d’arriver et gaze les blessés et les personnes qui tentent de les secourir.

12 août 2015 : Des villes du Kurdistan de Turquie déclarent leur autonomie. Le KCK, « organisation parapluie » du mouvement kurde, annonce que « le peuple Kurde n’a pas d’autre choix que de déclarer son autonomie. » Une fois cette déclaration faite, les villes de Şırnak, Silopi, Nusaybin annoncent leur autonomie. S’en suivent les villes dans la région de Cizre, Batman, Bitlis et à Hakkari le quartier de Yüksekova, à Muş le quartier de Varto, à Bulanık, à Van le quartier d’Erdemit, à Ağrı le quartier de Doğubayazıt, à Diyarbakır le quartier de Sur, à Silvan, à Lice.

20 août 2015 : Suite aux élections législatives de juin, vu que l’AKP, le parti islamo-conservateur du président au pouvoir, ne parvient pas à constituer une coalition assurant une majorité au parlement, Erdoğan décide de refaire les élections au plus tôt et fixe la nouvelle échéance au 1er novembre 2015.

10 octobre 2015 : Un certain nombre de syndicats et d’organisations politiques d’extrême-gauche turques et kurdes appellent à un rassemblement à Ankara pour la paix. Des kamikazes liés à l’État islamique et/ou aux groupes fascistes turcs attaquent la manifestation : 102 personnes sont tuées, et il y a des centaines de blessés. Une nouvelle fois encore, la police attaque les personnes qui portent secours aux blessés et bloque les accès aux ambulances.

1er novembre 2015 : Les élections législatives se déroulent dans une grande tension. Le HDP fait 10,7%, et obtient donc encore le fait que 59 députés siègent au parlement. C’est un nouvel affront pour Erdoğan.

3 décembre 2015 : Les forces spéciales turques débutent le siège de Sur, le quartier historique de la vieille ville de Diyarbakır, avec interdiction de sortir dans les rues. Les forces spéciales attaquent le quartier avec des tanks et des obus. Les jeunes kurdes des Unités de Protection Civile (YPS) résistent pendant 103 jours.

13 décembre 2015 : Début du couvre-feu de la ville de Cizre. Le siège par les forces spéciales turques dure 78 jours. Près de 200 personnes, âgées de 3 mois à 80 ans, sont massacrées par les forces spéciales. Plus d’une centaine d’entre elles s’étaient réfugiées dans les caves d’un bâtiment pour être soignées et échapper aux bombardements : les militaires turcs mettent le feu à l’immeuble et les brûlent vivantes. Des organisations de médecins kurdes signalent que plus de 80 corps ont été enterrés par les forces turques sans que leurs identités aient été relevées. Après ce massacre, le couvre-feu est officiellement levé, mais en réalité, le couvre-feu continue d’être appliqué tous les jours de 21h30 à 4h30 du matin pendant de nombreux mois.

25 décembre 2015 : Contre le « projet génocidaire » de l’État turc au Kurdistan, les Unités de Protection Civile (YPS) se créent. Les YDG-H - des groupes de jeunes assurant l’autodéfense des quartiers - et les autres groupes d’autodéfense se regroupent pour former les YPS. Depuis cette date, les YPS et YPS-Jin continuent de combattre et de résister face aux forces colonisatrices dans divers endroits du Kurdistan (Şırnak, Hakkari, Nusaybin, Yüksekova, Silopi, etc.).

Février 2016 : Marchandage des migrants entre l’Union européenne et la Turquie : l’Europe donne, dans un premier temps, trois milliards d’euros à l’État turc pour « garder » les migrants et un clair feu vert aux opérations et massacres des forces spéciales turques au Kurdistan. Elle rajoutera trois autres milliards quelques semaines plus tard.

17 février 2016 : L’organisation de guérilla kurde Faucons de la Liberté du Kurdistan (TAK) réalise un attentat-suicide à Ankara contre un véhicule de l’armée turque. 28 militaires sont tués et 61 autres blessés. Zinar Raperin se sacrifie pour cette action.

9 mars 2016 : Un projet de loi permettant d’enlever l’immunité parlementaire des députés HDP, quasiment tous poursuivis pour appartenance à une organisation terroriste (le PKK) par le régime turc, est soumis à l’assemblée. Le 16 mai, la loi sera adoptée.

13 mars 2016 : A Yüksekova et Nusaybin, les couvre-feux et les sièges reprennent. Les forces spéciales tentent de rentrer dans ces villes kurdes avec des tanks, ils détruisent immeubles et habitations avec des obus.

11 mai 2016 : L’État turc ne parvenant pas à rentrer dans la ville de Nusaybin décide d’envoyer des avions de chasse bombarder les quartiers. Des témoignages relatent l’utilisation d’armes chimiques et de bombes au phosphore par l’armée de l’air turque. Ces bombardement aériens seront réitérés le 21 mai...

15 juillet 2016 : Tentative de coup d’État attribué aux partisans de Fetullah Gülen (homme politique islamiste et concurrent d’Erdoğan). Début de grandes purges menées par l’AKP contre les opposant.e.s politiques, principalement kurdes. Ainsi, entre le 15 juillet et le 18 novembre 2016, plus de 110 000 militaires, fonctionnaires, magistrats, enseignants et policiers ont été révoqués et 36 000 personnes incarcérées attendent d’être jugées pour leur implication présumée dans la tentative de coup d’État.

24 août 2016 : L’armée turque lance l’opération Bouclier de l’Euphrate. C’est une offensive menée dans le Nord de la Syrie par la Turquie et des groupes rebelles syriens contre l’État islamique et surtout contre les Forces démocratiques syriennes (FDS), la coalition arabo-kurde menée par le PYD. Cette offensive commence par la prise de Jarablus et aboutit à la prise de la ville d’al-Bab le 23 février 2017. L’opération s’achève officiellement le 29 mars 2017. Depuis, les forces turques s’emploient essentiellement à bombarder les positions kurdes civiles et militaires du Rojava.

Avril 2017 : De nouvelles purges sont effectuées avec la suspension de 9000 policiers, d’un millier de fonctionnaires de la justice, un millier de militaires et 500 universitaires. Enfin, le régime demande l’arrestation de 1000 personnes. Quelques jours après, 5000 fonctionnaires de la télévision sont licenciés, et les émissions de TV basées sur les rencontres amoureuses sont censurées ; l’accès à toutes les versions linguistiques de Wikipédia est bloqué.

11 avril 2017 : 3 combattants du PKK font sauter le très stratégique bâtiment des forces antiterroristes et anti-émeutes turques qui siégeait en plein cœur de Diyarbakır. Ils ont creusé un tunnel de 90 mètres de long, et y ont déposé plus de 2,5 tonnes d’explosifs. 83 gradés des forces spéciales turques sont tués, une centaine d’autres blessés, et une vingtaine de véhicules blindés et de canons à eau soufflés.

Carte

Glossaire

KCK : Union des Communautés du Kurdistan (considéré « terroriste » par sa proximité au PKK). C’est l’organisation « faitière » du mouvement de libération kurde qui prône le « confédéralisme démocratique » dans les quatre parties du Kurdistan.

KNK : le Congrès National du Kurdistan est une coalition d’organisations de la diaspora kurde exilée en Europe (femmes et hommes politiques, militant.e.s, avocat.e.s, intellectuel.le.s). Son siège est à Bruxelles et sa mission principale est le lobbying auprès de l’UE, l’ONU et les gouvernements.

BAKÛR : ‘Kurdistan en Turquie’

PKK : Parti des Travailleurs du Kurdistan (interdit et considéré « terroriste »). On parle souvent indistinctement du PKK pour désigner d’autres organisations qui en sont proches ou qui n’en sont que des parties. Le PKK est aujourd’hui un mouvement, plus qu’un parti.

DTK : « le Congrès pour une société démocratique » est une plate-forme d’associations et de mouvements du Kurdistan en Turquie qui développe depuis 2011 son modèle « d’autonomie démocratique » en tant qu’organisation « faîtière » confédérale.

TJA : Le Congrès des Femmes Libres (KJA) a changé de nom et désormais s’appelle Tewgera Jina Azadi (TJA), Mouvement des Femmes Libres.

DBP : Parti Démocratique des Régions. Parti kurde majoritaire, qui applique le modèle d’« autonomie démocratique » à travers ses 103 municipalités au Bakûr.

HDP : Parti Démocratique des Peuples. C’est un parti parlementaire. Le HDP est un front regroupant le DBP et de nombreuses organisations révolutionnaires en Turquie.

HPG : Force de Défense du Peuple. Organisation armée. Guérilla du PKK.

YJA-Star : Unités des Femmes Libres. Guérilla des femmes du PKK.

YPS (anciennement YDG-H) : Unités de Protection Civile. Groupes locaux d’habitant.e.s armé.e.s pour l’autodéfense des quartiers.

YPS-Jin : Unités de Protection des Femmes.

ROJAVA : ‘Kurdistan en Syrie’

TEV-DEM : “Mouvement pour une société démocratique”. Structure (équivalent -au Rojava- du DTK du Bakûr) englobant les mouvements et organisations sociales, et les délégués des conseils, qui participent au « confédéralisme démocratique ».

PYD : Parti de l’Union Démocratique, un des partis kurdes de Syrie. Il proclame l’autonomie du Rojava en novembre 2013.

Kongra Star (anciennement Yikitiya Star) : Organe de coordination du mouvement des femmes au Rojava

YPG : Unités de Protection du Peuple. Guérilla du PYD.

YPJ : Unités de Protection des Femmes. Guérilla des femmes du PYD.

Asayîş : C’est le mot kurde pour ‘sécurité’, ce sont les forces armées internes du Rojava.

FDS : les Forces Démocratiques Syriennes, fondées au milieu du mois d’octobre 2015, sont une alliance regroupant une quarantaine de groupes armés actifs dans le Rojava et dans le nord de la Syrie. L’alliance est multi-ethnique (Kurdes, Arabes, Turkmènes, Circassiens,...) et anti-islamiste.

CDS : Conseil Démocratique Syrien, organe politique des FDS.

Başur : ‘Kurdistan en Irak’

GRK : Gouvernement Régional du Kurdistan, semi-autonome dans une partie du Başur depuis la 1ère guerre du golfe, forte alliée des Etats-unis et de la Turquie.

Peshmergas : Armée régulière du GRK.

PDK : Parti Démocratique du Kurdistan, présidé par Massoud Barzani, à la tête du GRK.

YBŞ/YBJ : Unités Populaires de Shengal et Unités des Femmes de Shengal, combattant.e.s principalement Yézidi.e.s, formé.e.s par les YPG/YPJ.

Rojhilat : ‘Kurdistan en Iran’

PJAK : ‘Partiya Jiyana Azad a Kurdistanê’, le Parti pour une Vie Libre au Kurdistan est un groupe kurde iranien proche du PKK.

KDP-I : Parti Démocratique du Kurdistan Iranien.

Komala : Société des Travailleurs Révolutionnaires du Kurdistan Iranien, basé à Slemani.

Turquie

MLKP : Parti communiste marxiste-léniniste turc, pro-kurde. Il est interdit en Turquie. Il comporte une branche armée clandestine : le FESK.

TIKKO : guerilla urbaine, branche armée du Türkiye Komünist Partisi/Marksist-Leninist

AKP : Parti pour la Justice et le Développement. Parti au pouvoir depuis 2002, nationaliste, islamiste et néo-libéral.

MIT : Organisation du Renseignement National, ce sont les services secrets turcs.

MHP : Le Parti d’Action Nationaliste est un parti ultra-nationaliste, panturc et islamiste. Lié aux sombres Loups Gris et aux services secrets turcs (MIT).



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