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Suis-je asexuel-le, aromantique, aroace ? Guide de questionnement autour de l’asexualité et de l’aromantisme

mis en ligne le 5 mai 2021 - Loustoñ , mai

Préambule

Ce fanzine s’adresse aux personnes qui se sont un jour posé ces questions : "est-ce que je suis asexuel-le ? Aromantique ? Les deux ?". Les parcours pour en arriver à se les poser sont variés et les doutes, multiples. Que ce soit à la suite d’échecs relationnels répétés, d’une lassitude, d’un inconfort par rapport au couple ou au sexe, ou lié à des questionnements plus précoces au moment de commencer sa vie affective et sexuelle ; que l’on soit un homme, une femme ou non-binaire, il y a toujours un petit quelque chose, une voix dans notre tête qui nous fait nous dire que non, finalement on ne doit pas être concerné-e parce que je ne peux pas être aro/ace et faire tel chose/avoir fait tel chose, penser tel chose. Parce que l’on a peur, qu’on ne sait pas à quoi pourrait ressembler notre vie "en tant qu’asexuel-le/aromantique/aroace", parce que l’on a peur d’être seul-e à jamais.

Ces réflexions sont communes parmi les aroaces car contrairement à ce que l’on pourrait penser, il existe bien dans notre société des modèles identifiés comme asexuels/aromantiques, ou en tout cas, des figures de personnes désexualisées et en dehors du champs de possibles relationnels. Du puceau tardif au malade ou à l’autiste pour les hommes, en passant par la folle à chats et autres caricatures anti-féministes pour les femmes. Ces modèles sont des figures repoussoirs de masculinité et de féminité. En se questionnant, on les a en tête, on se compare. Il n’est pas facile de se projeter en elles car elles sont avant tout faites pour stigmatiser. Mieux comprendre d’où viennent ces représentations permet de voir à quel niveau on a pu les intégrer pour ensuite les déconstruire et y voir plus clair sur notre désir, notre identité.

Qu’est ce que la norme hétéro et l’injonction à l’hétérosexualité ?

Les relations hétéro (qu’elles soient romantiques ou sexuelles) sont très présentes dans les société occidentales, que ce soit dans les séries, films, magazines pour femmes ou ado, ou dans les discussions et les modèles de tous les jours. Il existe des ressources pour chaque étapes des relations hétéro. De la drague et ses "codes" (la galanterie, l’invitation à boire un verre etc...) au couple en lui-même (se tenir la main, présenter ses beaux-parents ou construire des projets d’enfants ensemble pour ensuite se disputer par rapport à la lunette des toilettes). On pourrait se dire que s’il y a autant de représentations hétéro, c’est parce que les hétérosexuel-le-s sont majoritaires dans la population, mais c’est plus complexe que cela. Si c’était simplement une question de proportion "naturelle", on ne partirait pas du principe que les gens sont hétéro par défaut, on ne projetterait rien sur la sexualité des autres. En réalité, on voit que beaucoup de gens ne réfléchissent pas comme ça : il semble normal d’attribuer des amoureux aux petites filles et des amoureuses aux petits garçons. 

La norme hétéro fait que l’on nous assigne une étiquette "hétéro" par défaut, jusqu’à preuve du contraire, c’est pour cela que la notion de coming out gay/lesbien/bi/aroace existe, ou que ça paraît étrange ou sujet à blague d’attribuer des amoureux aux petits garçons.

Cette assignation fait que l’on va recevoir cette "éducation" hétéro (la drague, la maison, la lunette des toilettes)par défaut, et en croyant qu’elle nous concerne. On y associera des valeurs très positives, quand bien même on découvrira plus tard que cela ne nous concerne pas.

C’est là que l’on peut voir apparaître l’aspect genré (différent en fonction du sexe/genre) de cet apprentissage de l’hétérosexualité. En effet, à beaucoup de niveaux, les garçons et les filles ne reçoivent pas la même éducation. C’est le cas pour les jouets ou les métiers, mais on va voir que cela est également très différent concernant les relations affectives.

On apprend aux femmes à être jolies (maquillage, vêtements, se soucier de son poids), à se sentir concernées par leur apparence, pour être séduisante pour les hommes. On leur apprend qu’elles doivent se démarquer des autres filles en étant plus belles, plus attentionnées. Les avances des hommes ou des garçons deviennent des compliments, des validations. C’est particulièrement frappant quand on regarde des archétypes comme celui du "love interest", un personnage féminin (souvent le seul de l’oeuvre) qui n’existe que pour finir avec un personnage principal masculin. Cette relation est montrée comme un aboutissement pour le personnage féminin, la féminité (le fait d’être femme) devient alors fondamentalement liée au couple hétéro (du regard masculin désirant, à la grossesse puis au fait d’être mère). C’est comme cela que la norme devient injonction, obligation. Quand, dans notre éducation et dans les modèles proposés, on nous fait comprendre que notre identité féminine dépend de notre hétérosexualité, et que c’est un grand bonheur, est-il étonnant que l’on doute lorsqu’on se dit que finalement, les hommes ne nous intéressent peut être pas ?

Pour les hommes, la question se pose différemment. Pour reprendre l’exemple précédent du love interest, c’est valorisant pour un personnage masculin d’avoir conclu, mais sa personnalité ne se limite pas à ça. De plus, quand on regarde les préoccupations des adolescents (bien réels, eux) la femme avec qui ils couchent est presque secondaire, l’important c’est de l’avoir fait (ou de dire l’avoir fait). La séduction n’est donc pas pour les hommes une histoire d’attendre la validation des femmes, mais de ne pas perdre la face aux yeux des autres hommes.

Un autre aspect de l’éducation masculine à l’hétérosexualité, c’est qu’elle se fait en miroir d’une figure repoussoir : l’homosexualité masculine. Il faut prouver que l’on est hétéro, viril, capable de séduire des femmes, sinon on est un "p*dé", pas vraiment un homme. L’injonction à l’hétérosexualité se met donc aussi en place grâce l’homophobie normalisée qui peut s’installer dans des groupes masculins.

Pourquoi c’est mal vu de ne pas être hétéro ?

Une fois tout cela dit, on peut légitimement se demander pourquoi cette norme hétéro existe, et avec elle ce revers de la médaille qu’est l’hostilité envers les orientations sexuelles non hétéro (l’homosexualité, mais aussi la bisexualité et l’asexualité) ? On peut comprendre cela en constatant que cette hostilité est liée à une une vision très restreinte des rôles homme/femme ("un homme c’est comme ça. Une femme c’est comme ça"), et à une croyance dans l’idée qu’une société est saine et viable uniquement quand il y a une complémentarité entre les hommes et les femmes. C’est à dire, que les femmes doivent rester très différentes des hommes, dans des rôles subordonnés. Par exemple, aide à la personne, ménagère, mère au foyer, alors que l’homme "ramène de quoi manger", est le chef de famille, est l’autorité. 

Cette vision peut être plus ou moins conscientisée et assumée. Parfois cela se limitera à trouver "bizarre" une femme qui ne s’épilerait pas ou un homme au foyer. Mais on voit que ce sentiment de bizarrerie existe lorsqu’il y a un brouillage dans les normes de genre (on dira par exemple qu’une femme qui ne s’épile pas est "moche" car "elle ressemble à un homme") : C’est pour ces raisons que LGBTIAphobie et misogynie vont main dans la main. C’est ce que l’on appelle le patriarcat ou hétéropatriarcat, car les identités "homme/femme" deviennent indisossiables de l’hétérosexualité.

Pourquoi l’asexualité et l’aromantisme sont associées à des maladies ?

Enfin, on peut mieux comprendre l’association maladie (et particulièrement maladie mentale) et asexualité/aromantisme en regardant l’histoire de la psychiatrie.
Les diagnostics de la psychiatrie ont beaucoup bougé au cours des siècles car ils se basent sur les normes et circonstances sociales du moment, non sur des faits biologiques clairs comme la médecine du corps. Les diagnostics psy ne reflètent donc pas une connaissance profonde de comment marche le cerveau (à titre d’exemple, un scanner du cerveau ne permet pas de différencier un cerveau d’une personne schizophréne d’une personne qui ne le serait pas), et donc comment le réparer (au sens où on l’entend dans la médecine du corps). Les diagnostics psy sont plutôt des constats face aux actions du ou de la patient-e, et des marches à suivre sur quoi faire en conséquence pour diminuer des symptômes, quand bien même beaucoup de diagnostiques très différents préconisent les mêmes traitements, car on ne sait pas précisément qu’est ce qu’il y a à "réparer" sur la durée.

C’est comme cela que le diagnostic d’hystérie a pu voir le jour : il était une réponse normative face à des femmes qui défiaient les rôles de genre, idem pour l’homosexualité ou le travestissement et la transidentité qui ont aussi ont été l’objet de diagnostics.

Encore aujourd’hui, ce sentiment de bizarrerie défini plus haut, que l’on ressent face à quelqu’un.e qui sort des normes, est associé à un problème psychiatrique chez la personne déviante. On pathologise ce qui sort des normes. On peut le voir jusque dans langage courant : on dit d’une chose extrême, déraisonnable ou criminelle qu’elle est folle, tarée, du vocabulaire associé à la maladie mentale.

Même si les gens ne savent pas forcément que l’asexualité fait encore aujourd’hui l’objet d’un diag (celui du désir sexuel hypoactif masculin ou féminin), iels comprennent que cela sort de la norme hétéro, et associent donc ça à un problème que la psychiatrie pourrait régler.

Signes que le désir que je ressens peut être dû à l’injonction à l’hétérosexualité 

Parfois, il est difficile de démêler ce qu’on nous a appris qui était bon pour nous et ce que l’on désire vraiment.

Le désir, l’attirance est quelque chose de complexe qui peut être parasité par des "arrangements" que notre esprit a fait entre les choses que l’on pense que l’on devrait ressentir (le désir sexuel, l’amour) et d’autres émotions qui n’ont rien à voir. Certains de ces "signes" peuvent aussi être des stratégies de défense quand on est dans le déni de son identité, on sait au fond qu’il y a un problème, une dissonance entre nous et ce que l’on est censé ressentir mais on se crée des explications contournées pour ignorer les signes.

Démêler ces émotions est important pour avancer dans son questionnement.

Si tu te reconnais dans certains des points listés, ça ne veut pas forcément dire qu’il est absolument sûr que ce que tu ressens vient du fait que tu as intégré l’injonction à l’hétérosexualité. Cependant, si tu te reconnais dans beaucoup d’entre eux, il peut être bon de se demander si tu n’es pas aromantique et/ou asexuel-le, ou en tout cas, pas hétéro.

Aussi, tout-e-s les aro/aces dans le placard n’ont pas forcément ressenti ça avec la même prégnance ou intensité (certains point concernent les asexuel-le-s, d’autres, les aromantiques, d’autres les deux), mais ce sont tout de même des ressentis communs qui devraient t’alerter, t’interroger ou te conforter dans le fait que tu peux légitimement te dire aro/ace.

1) Se sentir attiré-e-s uniquement par des hommes ou des femmes fictif-ve-s.
Cela peut être des personnages de films ou séries, mais également des célébrités qui sont donc virtuellement inatteignables. Ça peut être une façon de "mettre en pratique" ce que l’on a appris, de performer un intérêt pour le sexe opposé, sans pour autant s’investir trop émotionnellement et physiquement. Ce sont des crush moins "impliquants".

2) Aimer l’idée de se projeter dans des relations de couple ou des relations sexuelles, aimer ce genre "d’esthétique", mais paniquer quand il est question de concrétiser ça soi-même, ne plus le vouloir du tout, être mal à l’aise. Ce ressenti peut aussi se matérialiser par l’impression d’avoir du désir sexuel ou d’être amoureuxse, mais que ces sentiments disparaissent quand quand on connaît mieux la personne ou que la possibilité que ça soit réciproque se présent. Avoir une orientation sexuelle "indéfinissable", "insaisissable".

3) Évaluer l’attractivité des hommes/femmes en permanence et avoir l’impression de "décider" de crusher sur commande. Développer des sentiments quand on sent qu’il est nécessaire qu’on en développe. Ressentir du désir/de l’amour pour une personne après que celle-ci aie fait comprendre qu’une relation est envisageable, alors que l’on ne ressentait rien avant. Cela peut se traduire également par le fait d’avoir l’impression que nos standards sont très bas.

4) A l’inverse du point 3), l’injonction à l’hétérosexualité peut faire que l’on se tourmente car on a l’impression d’avoir des standards trop hauts, que l’on ne trouvera jamais "l’être aimé-e" car dans ta tête, il ou elle est un mélange très précis des modèles qu’on a pu avoir.

5) Se demander si on a pas simplement peur de l’engagement, qu’avec plus de maturité on y arrivera, que c’est à nous de faire un effort.

6) Être capable de comprendre et d’apprécier la beauté d’une personne et penser que c’est ça, du désir sexuel ou d’être amoureuxse. Penser qu’on a du désir sexuel ou amoureux envers une personne car on apprécie sa compagnie, son style, son humour.

7) Aimer être attirant-e pour les hommes ou les femmes car cela donne de la confiance en soi. Vouloir que des gens aient envie de sortir avec nous sans que l’on soit réellement attiré par eux.

8) Prendre de l’admiration ou un intérêt que l’on a pour un pair pour du désir.

9) Ne pas comprendre quand on se fait draguer. Ressentir de l’inconfort quand on finit par comprendre de quoi il s’agit, rougir ou bégayer car on sent un malaise quand la personne rentre dans notre espace intime et prendre ça pour un signe que l’on est amoureuxse (que ce sont les papillons dans le ventre).

Les personnes aromantiques n’ont, par définition pas de référentiel de ce qu’est l’amour et peuvent facilement prendre ce genre de situation pour "normal" et ignorer des red flag (signes qui devrait t’alerter que quelque chose est anormal) car ils correspondent à des représentations normées de l’amour.

Être amoureux ou amoureuse est un sentiment agréable ! Lorsque de l’amour est vraiment en jeu, le stress ressenti vient du fait que l’on se demande ce que l’autre pense de nous et si on va lui plaire en retour, mais en même en temps on a sincèrement envie d’en apprendre plus sur la personne et c’est cette envie de rapprochement qui peut être envahissante ou embarrassante. Être avec la personne aimée est un plaisir.

10) Avoir l’impression que quelle que soit la personne avec qui l’on fait du sexe, cela revient au même, que l’on pourrait faire du sexe avec n’importe qui. On a des fantasmes sexuels, mais dans nos fantasmes nous n’apparaissons pas, les corps sont sans visages. Être persuadé-e que les gens exagèrent quand iels parlent d’à quel point le sexe est incroyable. Etre curieuxe par à rapport au sexe et penser que cela veut dire que l’on ressent du désir sexuel.

C’est la même idée que dans le 9), les personnes asexuelles n’ont pas de repère sur ce qu’est censé être le désir sexuel, et des confusions avec d’autres attirances peuvent avoir lieu.

Quand on désire vraiment une personne sexuellement, on apprécie voir et imaginer son corps. On aime fantasmer et être à l’initiative de pratique sexuelle avec elle. Ce n’est pas un corps anonyme dans nos fantasmes, c’est précisément le corps de la personne que l’on désir dans nos scénarios car justement, on la désire. Cela n’est pas stressant ou embarrassant (ou ça l’est juste au regard d’une norme sociale), c’est un sentiment plaisant.

11) Être attiré-e par l’idée d’être en couple, mais les difficultés du couple nous semblent vraiment insurmontables. Ne voir le couple qu’à travers ses côtés contraignants mais quand même avoir envie d’en fonder un.

12) Se mettre en couple mais ne pas voir la différence avec quand on était célibataire. Ne pas voir la différence entre amitié et couple.

13) Au début, les relations sexuelles dans le couple ne posaient pas de soucis, mais plus ça va, moins on en a envie. On se force, c’est devenue une crainte. On en vient à se dire que ça serait bien que sans partenaire soit moins porté-e sur le sexe.

14) Réussir à passer très vite à autre chose après une rupture, comme si on n’avait pas vraiment été amoureux, ou que l’amour qu’on a éprouvé n’était pas très intense.

15) Se dire que ça serait plus simple si on était sûr-e que ce que l’on ressent est de l’amour/du désir sexuel. Se dire que l’on peut éprouver du désir sexuel, tomber amoureuxse, juste que l’on a pas encore trouver lae bon-ne.

16) Se dire que si l’on était vraiment aro/ace, on l’aurait déjà su (alors que pas forcément, pour toutes les raisons listées ici)

17) Se dire que ça serait plus simple de ne pas avoir de genre/sexe. Se dire que l’on est à part dans les dynamique homme/femme ou dans les groupes d’ami-e-s. Ne pas réussir à se conformer aux normes de genre.

Des enquêtes montrent que les personnes non-binaires (dont le genre n’est ni totalement homme, ni totalement femme, ou aucun des 2) sont statistiquement plus nombreuses parmi les aro/aces que dans la population générale. Ce n’est pas mécanique (être non-binaire (NB) ne fait pas de soi une personne aro/ace et il y a des femmes et des hommes aro/aces), mais force est de constater que l’identité de genre (homme/femme), étant des constructions identitaires très lié à des rapports de séductions et à des rôles dans la sexualité hétéro, se sentir étranger à ceux-ci peut remettre en question certaines choses et peut entraîner une construction de genre en marge (sans forcément que cela ne soit conscientisé ou "réversible"). Ça n’est pas un choix, ni lié à une éducation particulière, mais à la perception de la sexualité et du genre dans nos sociétés en général. C’est en tout cas une explication permettant de comprendre pourquoi beaucoup de personnes aro/aces peuvent ressentir cette déconnexion.

18) Avoir eu un traumatisme dans sa vie sexuelle (agression sexuelle ou viol), et se dire que son manque de désir vient de là. Que notre manque de désir et pathologique et qu’avec une thérapie on peut le soigner.

C’est une question compliqué et il est difficile de trancher avec certitude "l’origine" de l’asexualité/de l’aromantisme d’une personne, quel facteur aura été le plus déterminant. Sans tomber dans des explications simplistes comme "une mère trop présente/absente rend homosexuel", notre orientation sexuelle peut être marquée durablement par des événements de notre vie.

Il n’y a pas vraiment de "vraie" asexualité/aromantisme, l’orientation des personnes qui ont toujours su, et celle qui est fausse, car acquise et potentiellement réversible.

Dans le cas où l’on n’arrive pas à savoir si nos sentiments viennent d’un symptôme ou de quelque chose de plus "profond", il ne faut pas se mettre de pression, car quelque soit notre situation, il est important de se rappeller que l’on ne doit de sexe à personne. Se forcer ou se presser n’est jamais une solution. On ne fait de mal à personne en se questionnant ou en se revendiquant aro/ace et en étant malade/traumatisé-e, même si on est pas sûr-e ou qu’on se dit que notre condition a du influencer notre orientation sexuelle.

De plus, guérir d’un traumatisme, dans le sens, rendre les manifestations traumatiques (flash back, dissociation, cauchemars, dépression etc.) moins nombreuses ou plus supportables ne fait pas forcément revenir le désir, car l’orientation sexuelle se situe à un autre niveau. Il est également possible que le désir revienne, mais l’envie de passer à l’acte non (pour des raisons lié au trauma ou non), cela peut aussi rentrer dans le spectre de l’asexualité/l’aromantisme au sens large. Recoucher ou se remettre en relation n’est pas forcément un objectif en soit. Décider de ne plus coucher, ne plus se mettre en couple ne veut pas dire pour autant que l’on est pas guéri-e.

Je suis gay/lesbienne/bi et je me questionne sur le fait que je soit aro/ace

C’est un questionnement différent de celui "hétéro vers aro/ace" car contrairement à l’hétérosexualité, il n’existe pas "d’injonction à l’homosexualité" dans les sociétés occidentales.

En revanche, il existe des stéréotypes propres aux relations gay et lesbiennes que l’on a pu intégrer, même si l’on est nous même LGB (on parle alors d’homophobie/lesbophobie intériorisée). Par exemple les relations gays sont hypersexualisées et sont vu "sans amour", à l’inverse, l’attirance sexuelle et la sexualité des femmes lesbiennes est très invisibilisée à cause de clichés misogynes, même s’il existe aussi l’idée que le lesbianisme se réduit au sexe (à cause des représentations lesbiennes dans le porno hétéro). Si on se questionne sur le fait que l’on serait gay et aro ou ace et lesbienne/ aro et lesbienne, il peut être bon de se questionner sur notre rapport à la sexualité sous cet angle là.

On peut aussi se demander si l’on vit dans un environnement où il est possible d’être ouvertement LGB. Est ce que je pourrais présenter mon copain ou ma copine à ma famille ? Est ce que je connais d’autres personnes LGB autour de moi ? Si la réponse est non, il est possible que l’on se sente illégitime car on n’a pas "les codes". Si la réponse est oui, a-t-iel fait face à des réactions hostiles ? Auquel cas il est possible que l’on pense être aro/ace par peur de subir la même chose, le fait d’être aro/ace étant moins "visible".

Une fois toutes ces questions posées, on peut se demander si le désir sexuel ou l’amour que l’on pensait ressentir ne correspond pas à des points listés dans la partie au dessus (en faisant abstraction du côté "hétérosexualité" et en regardant pour notre cas à nous), car certains mécanismes peuvent être similaires, on peut confondre de l’admiration, une appréciation des corps et de l’esthétique masculine/féminine ou un désir de proximité masculine/féminine pour du désir sexuel ou de l’amour.

Beaucoup d’hommes aro/aces qui ont crus être gay étaient arrivés à cette conclusion car ils ressentaient une différence entre leur rapport aux hommes et aux femmes : ils ne ressentaient rien pour les femmes, mais avaient une attirance esthétique, ou un désir de proximité pour le même sexe et ont donc identifié ça comme du désir sexuel, car les "blagues du cul" ou performer un intérêt pour le sexe est souvent nécessaire pour s’intégrer à des groupes masculins. Ne pas être intéressé par le sexe (hétéro ou gay) était inenvisageable, d’où la confusion. Ce genre de logique existe cependant moins dans les groupes de femmes. 

Une attirance pour le même sexe peut aussi être dû à un désir de transition pour les personnes trans. Par exemple, un homme trans aro/ace va prendre son désir d’être un homme pour un désir sexuel ou de l’amour pour les hommes en général, car ce sont deux ressentis très fort qu’il peut être difficile de différencier.

Enfin, les personnes aroaces ayant cru être bies ne rapportent pas de différences de perceptions, pas d’attirance particulière plus pour l’un ou l’autre des sexes, ce qui les a amené à la conclusion qu’iels seraient bi-e-s. Si le désir que l’on pense éprouver pour tout le monde est identique et qu’il correspond à des points cités plus hauts, ça peut être un signe que l’on est en fait aro/ace.

Être asexuel-le mais pas aromantique, ou aromantique mais pas asexuel-le

Il est également possible que l’on soit asexuel-le, mais pas aromantique, ou inversement, aromantique mais pas asexuel-le (on aura alors clairement identifié notre désir sexuel ou notre amour pour les femmes/hommes). 

Concernant le fait d’être asexuel-le mais pas aro, il existe une croyance très forte dans l’idée que coucher avec quelqu’un.e est la suite logique du sentiment amoureux, une preuve que notre amour est très fort (on dit "faire l’amour" pour parler du sexe). On peut s’être identifié hétéro ou LGB car on est sûr-e d’être amoureuxse d’une personne, mais avoir intériorisé l’idée que notre partenaire va penser qu’on ne l’aime pas ou plus si on ne couche pas ou qu’il va nous tromper et donc se convaincre que l’on a du désir sexuel même si ce n’est pas le cas.

Quand on est une femme, on peut aussi minimiser son manque de désir sexuel en se disant que "c’est normal pour une femme d’avoir peu de désir sexuel". Cela vient en réalité de stéréotypes misogynes et du fait qu’il est mal vu pour une femme d’exprimer son désir aussi cruement qu’un homme, cela entretient aussi une "zone grise" sur le consentement (si une femme n’exprime pas son envie, ne consent pas clairement "c’est normal"). Ce sont bel et bien des clichés faisant partie de la culture du viol, les femmes ne sont pas plus asexuelles que les hommes.

Inversement, avoir du désir sexuel sans être amoureuxse est perçu négativement car on a des représentations l’amour comme étant pur et désintéressé, garant d’attention et de communication (là où c’est bien sûr plus complexe). On peut alors comprendre que l’on rejette cette image de "prédateur sexuel manipulateur et sans coeur" qui colle à la peau des aro non asexuel-le-s. A ce titre, on a peut être en tête l’idée que "c’est normal pour un homme d’être aromantique". Ce stéréotype vient du fait que l’on la de des représentations de "charo", de dragueurs lourds se comportant mal avec les femmes car n’étant pas amoureux ou se justifiant en revendiquant ne pas l’être. Si ce qui est rejeté ici sont des valeurs associées à l’amour (comme le fait de se soucier de l’autre) car "féminines", il est néanmoins accepté pour des hommes d’avoir leur mot à dire sur la tenue porte leur copine, ou sur qui elle fréquente, en justifiant ça par le fait qu’ "il l’aime" justement. Dans le même ordre d’idée, les journaux n’ont pas de problème à parler de "crimes passionnels" pour parler de féminicides (quand un homme tue sa compagne/son ex). Les représentations de l’amour et de son expression est donc ambivalente, elle se calque sur les stéréotypes de genres et les naturalisent (l’amour féminin est empathique, tourné vers les autres, l’amour masculin est autoritaire, violent). Dans une démarche de déconstruction des stéréotype de genre, il faut prendre du recul par rapport à eux : les hommes ne sont pas plus aromantiques que les femmes.

Asexualité/aromantisme et culpabilité : est-ce que je suis dans un environnement où je peux me questionner ?

Parfois, un questionnement peut être biaisé par notre situation relationnelle ou personnelle.

Quand on est en couple, on a pu mettre beaucoup d’espoir et d’énergie dans celui-ci et cela va boucher toute introspection personnelle, car on se dit que si on arrive à la conclusion que l’on est aromantique ou asexuel-le, ça sera la fin du couple. Plus encore, on se dit que si l’on est vraiment aro/ace, le couple risque de se terminer à cause de ça, et que ça sera notre faute, parce que l’on ne voit pas comment un couple peut fonctionner sans amour ou sexe, on a eu aucun modèle comme ça. Alors on va avoir tendance à accepter plus de compromis ou à trouver les demandes et exigences de notre partenaire plus légitimes parce que l’on culpabilise, on se dit que c’est nous le problème. Quand bien même notre partenaire ne fait pas vraiment d’effort et n’est pas près d’accepter notre questionnement.

Il est important d’identifier cette situation quand elle se met en place et de rappeler que l’on ne doit rien à notre partenaire. Le sexe n’est pas un dû, même dans un couple. Si on a dit je t’aime à un moment et que l’on est finalement aromantique, ce n’est pas une trahison ou un mensonge, c’était sans aucun doute à ce moment le signe d’une grande affection, même si cela n’était pas de l’amour romantique.

Notre identité et nos besoins (faire une pause au niveau du sexe par exemple) sont importants. Si il ou elle les dénigre et utilise la culpabilité que l’on ressent pour obtenir des choses de nous ou minimiser des choses horribles qu’iel a pu dire ou faire, c’est un mécanisme que l’on retrouve dans les violences conjugales. Il peut être bon de regarder sur cette échelle quelles autres situations on déjà eu lieu et ainsi prendre du recul sur cette relation.

Il peut aussi être bon de se demander qu’est ce que cette relation nous apporte ? Est-ce que je continue par habitude ou parce que je le veux vraiment ? Est-ce que j’ai des moyens financier et sociaux de continuer à vivre sans ce couple ? Tout cela peut également biaiser notre réflexion. Parfois, on se dit que l’on ne veut pas quitter le couple, mais en y regardant de plus près, même si on voulait, matériellement ça serait très compliqué à cause du regard des autres, parce que l’on ne voit plus personne en dehors de notre conjoint-e, parce qu’iel nous a fait du chantage, parce que l’on n’a plus de travail ou que l’on s’inquiète pour les enfants.

Tous les couples ne se séparent pas après un coming out asexuel ou aromantique et des compromis peuvent être trouvés du côté du / de la partenaire qu’il ne l’est pas. Par exemple et contrairement à des idées très répandues, le sexe avec une autre personne est parfaitement équivalent d’un point de vue biologique à la masturbation. Le sexe à deux n’est pas un besoin biologique, même pour les hommes.

Les couples aro/ace-personne non aro/ace ou aro/ace-aro/ace existent, et même si l’absence de sexe ou d’amour romantique en son sein en font un couple "atypique" au vu de la norme hétéro de la société, il n’en reste pas moins un couple qui peut durer au même titre qu’un autre. 

La peur de la réaction du / de la partenaire ou des proches peut aussi biaiser notre questionnement. Un environnement ouvertement LGBTphobe, avec des blagues sexuelles très présentes peut être intimidant. On peut alors essayer de trouver des allié-e-s, des personnes qui pourront nous soutenir et nous défendre lors du coming-out.

Des vidéo, podcast et articles pour aller plus loin

Sur le thème de l’hétérosexualité / du patriarcat :

 Contraint·e·s à l’hétérosexualité, sur bingo audio : https://www.binge.audio/podcast/camille/contraint%25c2%25b7e%25c2%25b7s-a-lheterosexualite

 Les anges hétéro de la télé réalité, sur binge audio : https://www.binge.audio/podcast/camille/les-anges-heteros-de-la-tele-realite/

La drague est anti-féministe - GRAND ENTRETIEN AVEC VALÉRIE REY-ROBERT, AKA CRÊPE GEORGETTE : https://www.streetpress.com/sujet/1561380437-drague-anti-feministe-Valerie-Rey-Robert

 Les Couilles sur la table, Victoire Tuaillon, sur Binge audio

 Contre l’amour, brochure sur infokiosques : https://infokiosques.net/spip.php?article158

Sur le thème de la psychiatrie :

 Le diagnostic psychiatrique comme dispositif politique, sur zinzin zine : http://www.zinzinzine.net/diagnostic-psychiatrique-comme-dispositif-politique.html

 L’antipsychiatrie...ou les antipsychiatries ? Retour sur l’histoire d’un mouvement protéiforme, sur zinzin zine : http://www.zinzinzine.net/2016/09/l-antipsychiatrie-ou-les-antipsychiatries-retour-sur-l-histoire-d-un-mouvement-proteiforme.html

Sur le thème de l’asexualité :

 Les épisodes sur l’asexualité des Nouilles et des Queues Des Nouilles & Au Lit - Claire, asexuelle et énervée (1/4)

 Elaine a réuni pas mal de ressources sur l’asexualité : https://elainevker.com/blog/2020/05/14/ressources-sur-asexualite/

 Asexualité, autosexualité, antisexualité... sur radio rageuse : https://radiorageuses.net/spip.php?article185

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Rédaction : Loustoñ, Mai
Couverture : Loustoñ
Mise en page : Mai

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