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Quelques conseils face aux visites domiciliaires de la CAF

mis en ligne le 30 mars 2012 - CAFards de Montreuil

Ces conseils ont été rédigés à partir de l’expérience des CAFards de Montreuil et d’informations collectées sur différents sites internet de collectifs de chômeurs comme RTO (Résistance au Travail Obligatoire) et AC ! (Agir ensemble contre le Chômage !), de la Coordination intermittente et précaire, du Réseau Solidaire d’Allocataires Val d’Oise ainsi que le site Légifrance et celui de la CAF pour les textes légaux.

Les pratiques évoluant, merci de partager précisions, récits et recettes afin de compléter et actualiser ce texte.

Pour nous écrire :
cafardsdemontreuil@riseup.net
https://cafard93.wordpress.com

C’est bien simple, il suffit de mettre le pied dans une CAF pour se sentir coupable. Dans chaque antenne, un panneau d’affichage dresse une liste de condamnations exemplaires en cas de fraude (amendes, peine de prison, etc.). Des campagnes de presse mettent en avant la figure du millionnaire RSAste, tandis que la CAF vante les mérites de sa politique de lutte contre la fraude. Au nom de la bonne gestion de l’argent public, tout allocataire est suspect.

Soyons clairs, il s’agit de nous faire culpabiliser, de nous humilier, d’instaurer un climat de peur. De quoi nous décourager par avance en nous faisant oublier qu’il s’agit de droits et non de l’argent de poche donné par un père autoritaire, tant qu’on le mérite. Nous sommes des millions à devoir nous serrer la ceinture, à faire des pirouettes pour payer les factures, la bouffe et le bouquet de fleurs pour la grand-mère. Les loyers explosent et il est impossible de les payer même avec l’allocation logement. Tout le monde sait, y compris la CAF, qu’il est chimérique de survivre avec le montant du RSA.

Celui que la CAF appelle « fraudeur », c’est le RSAste qui se fait aider régulièrement par sa famille pour arriver à la fin du mois, c’est la mère qui ne déclare pas son compagnon pour garder son indépendance et ses maigres revenus, c’est l’intermittent du travail au black qui veut éviter une chute de revenus catastrophique.

Pas de culpabilité qui tienne. On a du mal à se battre pour l’argent des allocs, même si l’on en dépend. Question de gêne, de honte, de peur, mais aussi de manque de prise, de manque de points d’attaque et d’éléments de défense. Nous voudrions, ici, essayer de comprendre les règles opaques qui régissent la CAF pour être plus résistants, plus forts, plus solides vis-à-vis de cette institution. Et que cela puisse servir d’outil pour réagir collectivement.


Sommaire


La fraude selon la CAF
LES CONTRÔLES
La traque aux allocataires
Est-ce que les allocations sont suspendues pendant un contrôle ?
Pourquoi cela tombe sur moi ?

LE CONTRÔLE DOMICILIAIRE
Qu’est-ce qu’un contrôle domiciliaire ?
Qu’est-ce qu’un agent de la CAF ?

Avant le rendez-vous avec le contrôleur
Dans le cas d’une visite surprise
Les avis de passage
Les motifs de la visite
Sur la violation de domicile
Témoignage : Contrôler les contrôleurs !

Le rdv est pris, le contrôleur vient au domicile
Quand le contrôleur demande a voir les relevés de compte
Témoignage : Comment faites-vous pour ne pas être mort de faim ?
Plutôt la carte d’identité que le passeport
De la fausse complicité à la menace
Témoignage : N’avoue jamais, jamais, jamais
Enquête de voisinage : On ne s’affole pas
L’entretien doit être contradictoire
Sur la notion de vie privée

Après le contrôle
Obtention du rapport de contrôle
L’accès aux documents administratifs
Les recours

Conclusion

Pour les institutions sociales, la fraude « est une action de mauvaise foi dans le but de tromper, de porter atteinte, de nuire aux intérêts d’autrui. C’est la transgression volontaire d’une règle de droit. » Même si la CAF nous considère tous comme de potentiels fraudeurs, il existe tout de même une différence légale entre l’omission, la négligence, et la fraude ou l’escroquerie.
C’est à eux de prouver qu’il y a eu intention d’enfreindre la règle. La CNAF [1] souligne d’ailleurs cette distinction dans un dossier de presse de 2007 : « L’erreur involontaire aboutit à une déclaration erronée de la part de l’allocataire. Dans ce cas, elle génère des indus. C’est-à-dire que la CAF demande à l’allocataire de rembourser le « trop perçu ». De cette erreur involontaire à celle délibérée, on glisse vers la fraude ; de la fausse déclaration à la fabrication de faux documents, on débouche sur l’escroquerie. Il faut donc faire la part des choses entre les erreurs de déclarations qui génèrent des indus, et les fraudes et escroqueries qui donnent lieu à des pénalités ou à des dépôts de plainte auprès des juridictions. »


LES CONTRÔLES


Selon l’article L.583.3 du Code de la Sécurité sociale : «  Les organismes débiteurs de prestations familiales vérifient les déclarations des allocataires, notamment en ce qui concerne leur situation de famille, les enfants et personnes à charge, leurs ressources, le montant de leur loyer, leurs conditions de logement. Le versement des prestations peut être suspendu si l’allocataire refuse de se soumettre aux contrôles prévus par le présent article.  »

D’après la Charte du contrôle publiée sur le site de la CAF, les contrôles peuvent prendre trois formes :

1/ l’échange automatisé et systématique d’informations avec d’autres organismes. Comme dit plus bas, la CAF échange et transmet des informations avec d’autres organismes : Pôle-emploi, les impôts, la sécu... Souvent ce type de contrôle a lieu sans même que nous le sachions, sauf par exemple lorsque la CAF détecte des incohérences entre les déclarations et nous annonce par lettre que nous devons lui rembourser des trop-perçus...

2/ la recherche de pièces justificatives et de renseignements auprès de l’allocataire ou des services autorisés à les communiquer. Dans ce cas, on reçoit un courrier qui nous demande de prendre contact avec un contrôleur CAF. Le courrier précise les pièces dont on doit se munir lors du rendez-vous qui aura lieu à la CAF.

3/ l’intervention d’un agent de contrôle assermenté se déplaçant au domicile de l’allocataire ou auprès des divers services autorisés à communiquer des informations. C’est la visite domiciliaire : le contrôleur CAF vient effectuer le contrôle chez nous ou sur le lieu de notre hébergement.

>>>> La traque aux allocataires : depuis plusieurs années les outils mis à disposition de la CAF pour contrôler les allocataires se multiplient : mise en place d’un comité national de lutte contre la fraude et de cellules départementales, demandes de vérification de pièces et contrôles domiciliaires, fichier de données nominatives CRISTAL (Conception Relationnelle Intégrée du Système de Traitement des Allocations), base nominative d’informations sur les dossiers frauduleux, répertoire national des bénéficiaires qui permet notamment d’identifier les demandes d’allocations d’une même personne dans plusieurs CAF, une convention entre différents organismes (CAF, CPAM, CRAM, URSSAF, impôts, pôle-emploi, MSA) permet l’échange d’informations pour recouper les déclarations des allocataires, mise en place de pénalités financières, dépôt systématique de plainte en cas de fraude, etc.

>>>>Attention au téléphone ! les conversations téléphoniques peuvent être enregistrées par la CAF, que ce soit lors d’un simple appel pour une demande de renseignements et à plus forte raison lorsqu’on est en conversation avec un contrôleur. Qu’il s’agisse d’un contrôle sur pièces à la CAF ou d’un contrôle domiciliaire, si la prise de rendez-vous se fait par téléphone, il est fort probable que le contrôleur commence à nous poser des questions (« Monsieur X habite-t-il bien chez vous ? », « Avez-vous travaillé le mois dernier ? », etc.). Il est préférable de dire au contrôleur que nous lui répondrons lors du rendez-vous, le mieux étant d’en dire le moins possible.

Est-ce que les allocations sont suspendues pendant un contrôle ?

Non : d’après la Charte du contrôle, « le lancement d’un contrôle ne peut avoir pour effet de suspendre le versement des prestations.
Néanmoins, le paiement des prestations peut être interrompu dans les cas suivants : - lorsque l’allocataire ne fournit pas les justificatifs nécessaires à la poursuite d’un droit. - lorsqu’un contrôleur ne peut effectuer une enquête au domicile de l’allocataire, après deux tentatives infructueuses dûment signalées par un avis de passage.
 »
C’est ce qu’ils appellent un "refus de contrôle"...

Pourquoi cela tombe sur moi ?

Il n’y a pas de règle formelle, les contrôles peuvent toucher tout le monde. Mais de fait, il y a des catégories cibles. Dans une circulaire transmise à l’AFP par le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale (en avril 2011), on peut lire : « Les contrôleurs vont particulièrement tenter de détecter le travail dissimulé et ses conséquences sur les droits à prestation, les fraudes aux aides au logement, notamment les logements fictifs, les fraudes à la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) et notamment les « nounous » fictives, les fraudes à la résidence sur le territoire national (8 mois par an au minimum) et les faux parents isolés qui, en fait, vivent en couple. »

On sait déjà que la plupart des mères isolées se font contrôler. Les RSAstes sont également plus ciblés que les autres allocataires. Plus généralement, risquent de subir un contrôle tous ceux qui s’écartent de la norme [2].

Déclarer un changement de situation (nouveau boulot, déménagement, séparation, …) peut également attirer l’attention et donc la suspicion de l’institution.


LE CONTRÔLE DOMICILIAIRE


Près de 300 000 contrôles domiciliaires sont effectués chaque année par la CAF [3]. Autant de personnes qui ont vu un jour débarquer un contrôleur chez elles. Et souvent c’est la panique. On a l’impression que ce contrôleur est tout puissant, qu’il doit et peut tout savoir sur nous. C’est le branle-bas de combat pour cacher, « au cas où », l’écran plat, l’ordi offert pour nos trente ans, l’aspirateur high-tech ou tout signe qui pourrait laisser penser que nous vivons au-dessus de nos moyens. Et puis la CAF est si opaque et imprécise, qu’on se dit que puisque ça tombe sur nous, c’est qu’on doit bien être coupable de quelque chose. Pour ne pas céder à la panique, voici quelques conseils pour mieux comprendre la logique du contrôle domiciliaire et s’y préparer

>>>> Qu’est-ce qu’un contrôle domiciliaire ? On parle de contrôle domiciliaire quand la CAF envoie un agent de contrôle au domicile de l’allocataire pour vérifier ses déclarations.

>>>> Qu’est ce qu’un agent de contrôle de la CAF ? le contrôleur est un agent assermenté, mandaté par la CAF et titulaire d’une carte professionnelle. Une « Charte du contrôle », citée plus haut, rappelle certains principes juridiques censés encadrer sa fonction, comme le respect de la vie privée ou du domicile. Mais cette charte édicte des règles plus déontologiques que juridiques, et finalement, le cadre de l’activité de contrôle reste flou.


Avant le rendez-vous avec le contrôleur


Dans le cas d’une visite surprise

Parfois, le contrôleur CAF informe de sa visite à l’avance, par courrier ou par téléphone. Fréquemment, le contrôleur se présente directement au domicile, sans préavis. Face à une visite surprise, nous avons le droit de refuser l’accès et le contrôle à l’improviste, et de demander un autre rendez-vous. Repousser la visite permet d’avoir le temps et l’esprit tranquille pour s’y préparer, et notamment pour rassembler les pièces demandées, inviter des amis pour éviter d’être seul face à l’inspection.

Refuser une visite surprise permet de marquer le fait que même si la CAF nous verse de l’argent, elle n’a pas pour autant un accès inconditionnel à notre intimité. Nous avons le droit de dire que ce n’est pas possible aujourd’hui, que nous avons d’autres choses à faire.

Si le contrôleur est vraiment trop insistant, il faudra lui rappeler que s’il entre sans notre consentement, il s’agira d’une violation de domicile et que les informations qu’il obtiendra seront nulles et non avenues.

>>>> À savoir : Lorsque l’on fixe le rendez-vous, on peut demander les motifs de la visite. Mais il est très rare que la CAF les communique à l’avance. Par ailleurs, même si le contrôleur informe de ses intentions lors de la visite, il peut en profiter pour vérifier autre chose. Si la vérification ne concerne pas spécifiquement le logement, le contrôle domiciliaire n’est pas obligatoire.
L’allocataire peut fournir lui-même, à la CAF, les pièces nécessaires à la vérification de ses déclarations, sans qu’il y ait une visite à son domicile. On peut toujours faire valoir cet argument pour éviter le contrôle domiciliaire, mais sans aucune garantie de réussite...

Les avis de passage

Si le contrôleur ne trouve personne au domicile, il dépose un avis de passage avec un autre rendez-vous. Si la date ou l’heure du rendez-vous ne convient pas, le mieux est de contacter le contrôleur afin de prévenir de ses disponibilités. Selon la Charte du contrôle, c’est seulement après deux tentatives de visite non abouties, signalées par un avis de passage, qu’il peut y avoir une suspension des allocations.

Si le contrôleur réclame par téléphone des pièces qui ne sont pas indiquées sur le document qu’il a déposé dans la boite aux lettres, il ne faut pas hésiter à demander qu’il renvoie par écrit la liste exacte des pièces indispensables au contrôle.

Les motifs de la visite

En venant au domicile le contrôleur peut chercher à vérifier plusieurs choses concernant les revenus, la situation de famille, le logement, etc.

• Les revenus : par exemple qu’il n’y a pas de revenus cachés comme des aides familiales ou amicales régulières, du travail au black, de la sous-location, etc. En venant à la maison, il essayera d’évaluer le train de vie.
• La situation de famille : par exemple que l’on est pas en couple si l’on a déclaré être célibataire, que le nombre d’enfants ou de personnes à charge est conforme aux déclarations, etc.
• La situation du logement : par exemple que le montant du loyer est véridique, qu’il n’y a pas de sous-location cachée, etc.
• Dans le cas de prêt à la CAF pour l’amélioration de l’habitat ou des prêts à l’équipement familial, le contrôleur peut vérifier si les travaux ou les achats de mobilier ont été faits [4]

>>>> Sur la violation de domicile : est considéré comme domicile tout local d’habitation quel qu’en soit le genre : chambre d’hôtel, meublé, chambre dans un hôpital, foyer, tente, caravane ou auto-caravane, abri de camping, etc. Par extension, font partie du domicile les dépendances, cours, jardins, terrains dans la dépendance étroite et immédiate du domicile. Attention ! Une cour non close d’un immeuble n’est pas considérée comme domicile.
Selon le Code pénal, pour toute personne participant à une mission de service public, et notamment les agents de contrôles, il suffit que l’introduction dans le domicile ou la tentative se soit produite contre le gré de l’occupant, que celui-ci se soit opposé ou même qu’il n’ait pas librement consenti à l’entrée dans le logement, pour qu’il y ait violation de domicile.

Témoignage : Contrôler les contrôleurs !

Le mercredi 18 novembre, un contrôleur CAF passe chez moi sans aucune communication préalable. Le mec ne trouve personne et laisse dans la boîte aux lettres un avis de passage avec une date de RDV obligatoire, 48h après, entre 10h et 12h. Il est aussi indiqué que j’ai 24h pour le rappeler sur son portable si j’ai un motif sérieux pour déplacer le RDV. Dans la lettre de convocation, la CAF me demande de présenter un tas de documents (acte de naissance, déclarations de revenus 2006-07-08, n° de sécu, tous les justificatifs de résidence et de travail…).
La CAF avait déjà la plupart de ces papiers. Il est important de rappeler que je suis gratuitement hébergé. Que je ne touche pas d’allocation logement. Que je suis bénéficiaire du RSA. Et que je suis de nationalité italienne (et qu’à ce titre d’ailleurs, j’ai déjà participé l’année précédente à une action collective à la CAF de Rosny pour débloquer le refus qu’ils m’opposaient au droit de toucher le RMI). Enfin, outre les documents me concernant, la lettre de convocation exigeait aussi tous les justificatifs de revenus et d’identité de toutes les personnes habitant dans la maison.À partir de là, nous avons essayé à quelques-uns de préparer le RDV (qu’est-ce qu’ils peuvent bien me vouloir ? que veulent-ils vérifier ?, etc.), et de nous organiser pour recevoir « au mieux » le contrôleur de la CAF.

Le jour du RDV, nous sommes une dizaine dans la maison. Nous l’installons à une table dans le salon. Certains s’asseyent à la table, d’autres un peu plus loin sur un canapé. Avant même que s’estompe son premier sentiment de surprise et de gêne, nous lui posons toute une série de questions sur les objectifs réels de ces contrôles, sur la forme « surprise » de la convocation, mais aussi sur ce qu’il fait des informations collectées. Bref, il comprend bien que nous sommes aussi là pour « contrôler » ce qu’il fait.

S’ensuit une longue discussion sur le fonctionnement de la CAF et le contexte social et politique dans lequel s’inscrivent ces contrôles domiciliaires. Le contrôleur est alors obligé de chercher, une fois n’est pas coutume, à se justifier. Et il nous répète tellement qu’il est là avant tout pour aider les gens à s’orienter dans le dédale administratif, que deux parmi nous lui soumettent un problème de blocage dans le traitement de leur demande d’allocation logement.

Au final, il nous promet d’accélérer les choses, nous donne son numéro de portable et ne prend finalement que quelques minutes pour vérifier mon numéro de sécu qui était, selon lui, le seul objet de son passage au domicile. À force d’insistance, il finit également par lâcher que c’est parce que je suis italien qu’il est là, et que ce type de contrôle est fréquent pour les étrangers communautaires.


Le rdv est pris, le contrôleur vient au domicile


Le contrôleur est entré chez nous. Il est hors de question qu’il regarde le nombre de brosses à dents, qu’il se balade partout, qu’il vérifie nos placards, nos lectures, etc. À un contrôleur trop à l’aise qui se croira tout puissant, qui voudra tout voir, tout toucher, tout regarder, il faudra savoir poser des limites. D’abord, n’oublions jamais que nous sommes chez nous. Le mieux est de l’installer dans un endroit que nous aurons choisi par avance, et s’il estime nécessaire de se déplacer, il doit le demander. À ce moment, il ne faut pas hésiter à lui demander ce qu’il veut voir et savoir. L’expérience nous apprend que pour limiter ses déplacements, le mieux est d’être nombreux.
Avant l’arrivée du contrôleur, certains préfèrent transformer quelque peu leur maison pour ne pas avoir à trop se justifier auprès du contrôleur (par exemple de la présence d’une chaîne Hi-Fi un peu trop neuve ou de vêtements pas à notre taille éparpillés partout). D’autres au contraire préfèrent prendre le temps d’argumenter.

Quand le contrôleur demande a voir les relevés de compte

En matière de RSA, le contrôleur a le droit de demander des relevés de compte bancaire. Regarder nos relevés de compte permet aux contrôleurs de voir si l’allocataire déclare tous les revenus qu’il perçoit. Attention, toute aide régulière est considérée comme un revenu qu’il faut déclarer à la CAF, lors de la déclaration trimestrielle. La CAF peut demander des explications s’ il y a des entrées d’argent sur le compte chaque mois. Par exemple, si on se fait aider par des amis ou des parents pour arriver à boucler la fin du mois, la CAF considère que ce sont des revenus à déclarer, et donc l’allocation est recalculée à la baisse.

Bien évidemment, si les aides sont versées en liquide, le contrôleur ne pourra pas prouver que l’allocataire se fait aider. Et, si le contrôleur nous accuse d’avoir des entrées d’argent sur notre compte bancaire tous les mois, il est toujours possible d’expliquer qu’il s’agit du remboursement d’une dette. Un argent rendu est un dû, pas un revenu ! Une reconnaissance de dette peut suffire à le prouver.
De plus, la CAF a accès, par requête individualisée, au fichier FICOBA, c’est-à-dire au Fichier national des comptes bancaires et assimilés. Dans ce fichier, sont recensés les comptes de toute nature (bancaires, postaux, d’épargne…), détenus par une personne ou une société. Ce qui concrètement veut dire que la CAF peut découvrir des comptes secondaires détenus par les allocataires.

>>>> À savoir : nous avons le droit de montrer des relevés de compte sans montrer certains débits. Regarder pourquoi on dépense de l’argent sans notre consentement, c’est une intrusion dans la vie privée et le contrôleur de la CAF n’a pas le droit de le faire. N’oublions pas que la CAF peut directement demander nos relevés à la banque.

Témoignage : Comment faites-vous pour ne pas être mort de faim ?

Lors d’un contrôle domiciliaire pendant lequel j’apprends (car je me permets de le demander) que je suis contrôlée parce que mon loyer représente plus des deux tiers de mes ressources (RSA + allocation logement), la contrôleuse fait le compte sur l’année contrôlée de l’argent dont je dispose par mois pour vivre. Le « reste à vivre », comme ils disent. Et en effet, c’est bien peu. Une fois le loyer payé, il reste à peine une centaine d’euros pour payer l’électricité, la bouffe, l’abonnement téléphonique et tout le reste.

Je lui présente alors les documents qui viennent officiellement prouver comment je m’en sors : demande de fonds énergie pour payer l’électricité, demande d’allocation exceptionnelle à la mairie de Paris, etc. Et elle continue à faire les comptes, mois par mois, et me demande : « Et ce mois-là, vous n’avez pas eu d’allocation exceptionnelle , comment avez-vous fait ? ». Là je m’énerve, et lui demande si elle préfèrerait que je sois à la rue. Je lui dis que je fais les récups sur le marché, que je connais des endroits où on paye ce que l’on peut pour bouffer, que des amis m’invitent à manger chez eux, que je me débrouille quoi. Elle finit par dire : « oui, oui, je comprends », et nous en restons là.

Attention aux contrôles co-latéraux : plutôt la carte identité que le passeport

Le contrôleur a le droit de demander un document d’identité. Un document d’identité est une carte d’identité, une carte de séjour ou un passeport. Souvent, le contrôleur demande à voir le passeport, pour vérifier nos déplacements et notre présence en France. Après quatre mois d’absence, pour l’allocation logement et trois mois pour le RSA, la CAF suspend les allocations et réclame le trop-perçu. Puisque le passeport n’est pas obligatoire et ne peut donc être strictement exigé, il est toujours mieux de montrer une carte d’identité ou une carte de séjour pour éviter une intrusion de plus dans notre vie privée.

De la fausse complicité a la menace

Le contrôleur posera des questions multiples pour obtenir des aveux, ou tout au moins révéler les contradictions qui prouvent notre culpabilité. Pour arriver à ses fins, il jouera tour à tour la menace ou la fausse complicité.

Par exemple, il mettra en avant que si l’allocataire refuse de répondre à certaines questions, ses allocations seront supprimées. En effet, si le contrôleur estime qu’il y a une « absence de collaboration de la part de l’allocataire », il peut écrire un rapport qui constate un « obstacle à contrôle » et les droits sont suspendus.

Il ne faut pas se laisser impressionner, ni embobiner et surtout rester ferme sur ses déclarations initiales. On ne le répètera jamais assez : être nombreux permet à la fois d’être un peu plus sûr de soi et de limiter les manigances du contrôleur.

Témoignage : N’avoue jamais, jamais, jamais

Il y a quelques mois, j’ai eu droit à une visite domiciliaire. La première fois, le contrôleur est passé sans préavis, mais je n’étais pas là et il a laissé un papier pour un autre rendez-vous. Les motifs de la visite n’étaient pas précisés. Lors du contrôle, je me rends bien compte que le contrôleur veut prouver que j’habite avec le père de ma fille, alors que je déclare que j’habite seule avec elle. Tout au long du rendez-vous, il me fait savoir qu’il a récolté plein d’informations par le voisinage, y compris la concierge, qui déclare que le père de ma fille habite là. L’entretien a duré 3 heures. 3 heures où le contrôleur m’amenait par là pour ensuite revenir en arrière, pour me pousser à des déclarations contradictoires et enfin, me faire avouer que, hé oui, le père de ma fille habite bien là. Je suis resté ferme sur le fait que non il avait une autre adresse (il est domicilié dans un centre d’hébergement pour sdf) et qu’il avait une vie un peu bohème, qu’il habitait à droite à gauche, dans des squats, etc. Et que oui, heureusement il venait très souvent ici voir sa fille et s’occuper d’elle (d’ailleurs, j’avais choisi de ne pas cacher toutes ses fringues). Après 3 heures d’ « interrogatoire » sans aveu de ma part, le contrôleur n’a rien pu prouver. Franchement, je me suis dit que c’était comme un interrogatoire de police, te lessiver pour arriver à entendre ce qu’ils veulent. Quand, à la fin, il a rédigé son compte-rendu, je lui ai pris la tête en permanence sur ce qu’il écrivait et je l’ai poussé à modifier toute formulation que je considérais incorrecte. Je n’ai signé le papier qu’il avait rédigé qu’après modification.

Enquête de voisinage : on ne s’affole pas

Une des pratiques courantes du contrôleur CAF est l’enquête de voisinage. C’est-à-dire recueillir des témoignages de tierces personnes sur le mode de vie de l’allocataire. Lors du contrôle domiciliaire, il se peut que le contrôleur fasse valoir ce genre de témoignage pour nous coincer. Ne nous affolons pas. Même si des informations sont récoltées, elles ne sont pas des preuves suffisantes. Les documents écrits justifiant de la situation matérielle doivent primer. Par exemple, si des témoignages disent qu’un homme et une femme vivent ensemble en situation de concubinage, mais que les individus concernés peuvent produire des justificatifs d’adresse ou des comptes bancaires séparés, la CAF doit tenir compte exclusivement de ces éléments. La valeur de chaque justificatif (par exemple une quittance EDF ou une quittance de loyer) est incontestable.

L’entretien doit être contradictoire

Le contrôleur doit rédiger un rapport de contrôle. Ce rapport doit mentionner les observations éventuelles de l’allocataire, son accord ou son désaccord sur les constats de l’agent. Les conclusions du contrôle doivent reposer sur des indices multiples, précis et concordants. Cela signifie que nous pouvons, aussi, produire des témoignages pour contrer ceux de la CAF.

>>>> Attention ! Souvent lors de leurs passages, les contrôleurs en profitent pour relever les noms sur la boîte aux lettres. On peut être tenté de supprimer certains noms pour le jour de la visite officielle mais cela peut nous mettre dans l’embarras lorsque le contrôleur nous dit : « Pourquoi depuis que je suis passé, il n’y a plus les mêmes noms sur la boîte aux lettres ? ». Cela ouvre une porte au contrôleur pour renforcer sa suspicion à notre égard. Il suffit souvent de justifier la présence d’autres noms : « J’ai hébergé un tel à titre gratuit pendant plusieurs mois l’année dernière. J’ai oublié de l’enlever par ailleurs. Je ne sais pas où le joindre en ce moment. » « Une telle avait juste besoin d’une adresse où recevoir son courrier, elle m’a laissé les documents qui prouvent qu’elle n’habite pas ici. » « En ce moment j’héberge à titre gratuit un ami le temps qu’il trouve un appartement. »

>>>> Selon l’article 7 du Code civil, « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». La sphère de la "vie privée" comporte un certain nombre d’éléments, comme le domicile, l’adresse, la vie affective, etc. Selon le point 8 de sa Charte de contrôle, « La Caisse d’allocations familiales a le souci de préserver la vie privée de l’allocataire. Les investigations sont donc limitées à ce qui est strictement nécessaire pour la gestion des droits. » Typiquement, c’est ce genre d’arguments qu’on peut opposer à un contrôleur trop envahissant. Si lors de l’enquête de voisinage, le contrôleur dévoile des informations concernant l’allocataire (le nom d’un concubin, le type de relation pouvant unir l’allocataire à un tiers, une situation de maternité, etc.), il y a « atteinte à la vie privée ». L’atteinte à la vie privée constitue un délit punissable pénalement. Elle ouvre droit aussi à une réparation civile.


Après le contrôle


Obtention du rapport de contrôle

Suite au contrôle, un rapport est rédigé par le contrôleur. Le droit de consulter ce rapport n’est pas toujours respecté par les CAF, qui refusent parfois de remettre à l’allocataire qui le demande son dossier. [5]

Mais n’oublions pas qu’ obtenir le rapport de contrôle est un droit. La Charte de contrôle est claire : « Sur sa demande, l’allocataire peut consulter son dossier, dans les conditions arrêtées par la commission d’accès aux documents administratifs » [6].

L’accès aux documents prévu par la loi signifie qu’un résumé oral, ou une lecture faite par un fonctionnaire CAF, n’est pas suffisant. Nous avons droit d’en obtenir une copie.

Avant qu’il y ait suspension d’allocation, le rapport de contrôle devrait être soumis à l’allocataire. De fait, la pratique de sucrer les allocs avant que l’allocataire ait pu accéder au rapport le concernant est très fréquente. Cette pratique ne respecte pas le droit au recours établi par la CAF : Comment faire un recours, si nous ne savons pas à partir de quels arguments nous avons été sanctionnés ?

L’expérience de certains collectifs de chômeurs et précaires montre qu’il est important de batailler, par exemple par des actions collectives à la CAF, non seulement pour obtenir le rapport, mais aussi pour que les allocs soient rétablies jusqu’au résultat d’un éventuel recours.

>>>> La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public stipule :
Article 3 : Sous réserve des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, concernant les informations nominatives figurant dans des fichiers, toute personne a le droit de connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées. Sur sa demande, ses observations à l’égard des dites conclusions sont obligatoirement consignées en annexe au document concerné. L’utilisation d’un document administratif au mépris des dispositions ci-dessus est interdite.
Article 4 : L’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration :
a) Par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas ;
b) Sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret ;
c) Par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique.
Article 8 : Sauf disposition prévoyant une décision implicite de rejet ou un accord tacite, toute décision individuelle prise au nom de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme, fût-il de droit privé, chargé de la gestion d’un service public, n’est opposable à la personne qui en fait l’objet que si cette décision lui a été préalablement notifiée.

Les recours

Le collectif des CAFards ne s’est jusque-là jamais engagé dans une procédure de recours suite une visite domiciliaire. Voici néanmoins quelques éléments qui nous semblent importants.

Pour contester une décision prise par la CAF, nous avons le choix de formuler, par courrier :
• soit un recours hiérarchique, nommément auprès du Directeur de la CAF, qui est censé nous informer de la suite donnée au plus tard dans les 15 jours.
• soit un recours amiable auprès de la Commission de recours amiable (CRA) de la CAF.

La décision prise par la commission doit alors être notifiée au cours du mois civil suivant l’envoi du courrier.

S’il s’agit d’un trop-perçu, il est aussi possible de demander soit un étalement des remboursements, auprès de l’agence comptable de la CAF, soit une réduction de la dette (partielle ou totale) auprès de la Commission de recours amiable de la CAF.

Attention ! La CAF et certains tribunaux interprètent toute demande d’échéancier ou de remise de dette comme un renoncement implicite à la contestation de la décision elle-même ! Il faut donc toujours préciser dans ces écrits que l’on conteste la décision prise.

Bien évidemment, lors du recours, il est important de mettre en avant tout vice de procédure qui aurait éventuellement eu lieu au cours du contrôle : par exemple, des informations obtenues suite à une violation de domicile, ou une éventuelle divulgation aux voisins d’informations privées nous concernant. Si la conclusion du contrôleur est basée sur des « ragots » et non sur des informations objectives (les documents priment !), si elle ne tient pas compte de témoignages et des observations que nous avons fournis, il faut aussi le mentionner lors du recours.


Conclusion


Ces quelques conseils et informations sur le contrôle domiciliaire ont été rédigés par les CAFards, collectif de chômeuses et précaires qui se sont regroupés pour se défendre face aux institutions sociales : débloquer des dossiers en faisant irruption à plusieurs au Pôle Emploi ou à la CAF, contrôler collectivement les contrôleurs domiciliaires, s’organiser contre la mise au travail forcée, étudier précisément l’évolution des dispositifs de gestion des précaires... Pour rédiger cette brochure, nous sommes à la fois partis de notre expérience, de la lecture des documents et des textes officiels, mais aussi des récits et analyses d’autres collectifs de chômeurs et précaires.

Ce travail ne prétend ni être exhaustif, ni fournir des réponses clefs en main. D’abord parce que les décrets et les moyens de flicage des allocataires se multiplient et se modifient sans cesse. Ensuite, parce que la réglementation CAF reste largement floue et laisse de grandes marges à l’interprétation. C’est dans cet espace d’incertitude (et d’arbitraire) que les actions de collectifs de chômeurs s’inscrivent aussi, en créant partout où cela est possible un rapport de forces qui nous soit un tant soit peu favorable.

Plus que jamais, la question du rapport aux institutions sociales est politique. Aujourd’hui, comme un patron qui s’étonne qu’on ne le remercie pas d’avoir la chance de bosser quarante heures par semaine dans des conditions de merde tout en gagnant une misère, l’Etat voudrait nous voir reconnaissants en plus d’être pauvres. La propagande actuelle contre les « fraudeurs » cherche à construire le modèle négatif d’un « mauvais pauvre » qui serait individuellement responsable de la misère organisée de cette société. Elle ne vise rien d’autre qu’à culpabiliser les allocataires pour mieux les soumettre et empêcher toute forme de réflexion et d’action collectives autour de ces questions.

Connaître ses droits ne saurait suffire à contrebalancer ces effets de stigmatisation, mais nous sommes obligés d’être attentifs aux transformations en cours : toujours moins de droits sociaux et collectifs, pour toujours plus de décrets et d’applications discrétionnaires qui séparent et enferment toujours plus durement dans la gestion individuelle des galères.

C’est pourquoi ce guide, tout en donnant quelques billes à chacun pour se débrouiller là où il se trouve, est surtout une invitation à se rencontrer, à partager des informations, des pratiques, mais aussi des luttes. Pour moins subir la dépendance à l’argent, pour repousser l’intrusion toujours plus massive des institutions sociales dans nos vies, pour refuser le sale chantage au comportement qui se joue autour de ces maigres allocations de survie, mais aussi pour affirmer d’autres valeurs que celles du travail et du mérite, d’autres désirs que ceux que cette société voudrait nous faire intérioriser.

[1La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) forme la branche « famille » de la Sécurité sociale française, qu’elle gère au travers des 123 caisses d’allocations familiales (CAF) réparties sur tout le territoire.

[2Cette politique de contrôle de masse est coûteuse, elle est donc soumise à des modernisations répétées. Récemment, après avoir proclamé que : « La fraude, ce n’est pas du système D, c’est du vol », le ministre de l’emploi, de la santé et du travail Xavier Bertrand exigeait que les contrôles soient plus ciblés : le but est davantage de « s’intéresser aux atypies, aux comportements qui sortent de l’ordinaire (...) plutôt que de multiplier le nombre [de contrôles] »

[3Rapport de la Cour des comptes, la Sécurité sociale, septembre 2010

[4«  Les travaux doivent concerner votre résidence principale. Vous devez recevoir au moins une prestation familiale. Si vous recevez uniquement l’allocation aux adultes handicapés, l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement versée aux personnes sans enfant, vous ne pourrez pas bénéficier de ce prêt. Le prêt doit être destiné à financer des travaux : de réparation, d’assainissement, d’amélioration (chauffage, sanitaire), d’agrandissement ou de division d’isolation thermique ».
« Si vous êtes allocataire et touchez une prestation familiale pour l’un de vos enfants, vous pouvez peut-être en bénéficier. Le crédit à la consommation de la CAF, appelé « prêt à l’équipement familial », permet aux familles d’acheter des équipements nécessaires au quotidien... ». (d’après le site de la CAF).

[5Sur le site de RTO on peut lire qu’à Paris « sans une action collective, on obtient quasiment jamais un rapport de contrôle, même après la demande écrite de l’allocataire. »

[6Voir le site de la Commission d’accès aux documents administratifs. En cas de refus d’accès au dossier, on peut toujours menacer la CAF de saisir cet organisme


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