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Le coût de la guerre
et autres textes
mis en ligne le 27 septembre 2025 - Maria Luisa Berneri
Sommaire
- Avant-propos
- Le coût de la guerre et de la libération
- Le coût de la guerre : par le feu et l’épée
- Une politique constructive
- Éléments biographiques
Avant-propos
Avec Le coût de la guerre et de la libération, Marie Louise Berneri tient une position
internationaliste peu commune en critiquant la stratégie des bombardements massifs
menés par les Alliés contre l’Allemagne et l’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle écrit cet article à la suite du sommet du Québec, où les gouvernements américain et britannique se réunirent en août 1943 et décidèrent d’intensifier les bombardements sur les villes allemandes. Cette résolution intervint quelques jours après qu’ils eurent déversé des dizaines de milliers de tonnes de bombes explosives et incendiaires sur Hambourg, faisant plus de 45 000 victimes, le double de blessés, et laissant la ville partiellement détruite.
Dans Le coût de la guerre : par le feu et l’épée, Marie Louise constate que la violence révolutionnaire est brandie pour illustrer l’horreur dans l’histoire tandis que les événements sanglants survenus pendant les guerres sont glorifiés. Elle fait remarquer que les socialistes rejettent la révolution en agitant le spectre de la Terreur ou de la Semaine sanglante, mais oublient tout sentiment d’humanité en soutenant la guerre et les bombardements.
Une politique constructive, publiée en 1940, amène une réponse à la remarque bien
souvent adressée aux anarchistes : « Vous critiquez, mais vous ne proposez rien ». Marie
Louise est sévère avec les partis et leurs programmes politiques et suggère que la révolution n’adviendra que lorsque le prolétariat aura abandonné ces chimères. Anarcho-syndicaliste, elle propose aux ouvriers de concentrer le pouvoir au sein des syndicats, à la fois vecteurs de la révolution et modèles organisationnels. Cette idée, très présente au début du XXe siècle et qui trouvera sa dernière expression pendant la guerre d’Espagne, reculera après la Seconde Guerre mondiale, les syndicats adoptant pour la plupart des positions cogestionnaires.
Les écrits de Marie Louise Berneri sont en grande majorité inédits en français. On
trouve cependant sur internet quelques ébauches de traduction que nous nous
sommes permis de reprendre et de corriger pour la présente publication.
Le coût de la guerre et de la libération
Texte original : « The price of war and liberation », de Marie Louise Berneri,
War Commentary, septembre 1943.
Les bombardements britanniques ont semé la mort parmi des milliers de personnes au cours des dernières semaines. Au [sommet Allié du] Québec, des politiciens qui disposent d’abris hors de portée des bombes prévoient de continuer les bombardements massifs comme moyens de poursuivre la « guerre contre le fascisme ».
Hambourg, Milan, Gênes, Turin sont des champs de ruines, leurs rues couvertes de cadavres et ruisselantes de sang. « Hambourgiser » est devenu un nouveau terme pour désigner la destruction totale des villes et le meurtre de masse de leur population par des raids terroristes. La presse vante la capacité de la RAF [1] de semer une telle destruction dans toutes les villes d’Allemagne et d’Europe centrale. Elle hurlait d’indignation quand les Allemands bombardaient des églises et des hôpitaux, mais quand l’odeur du carnage monte des villes autrefois belles et peuplées elle trouve les mots pour s’en réjouir. Quand les conduites d’eau de Milan
furent atteintes et le centre-ville inondé,
elle en fit un sujet de plaisanterie. Un journaliste plein d’esprit l’appela le « Lac Milan ». Qu’est-ce que cela peut lui faire que « l’eau s’écoule entre les ruines et les
débris des bâtiments bombardés et que les
habitants du quartier aient été contraints de rester dans les décombres de leurs maisons pendant quatre jours, jusqu’à ce que l’eau se retire et qu’ils puissent sortir… ». Le « Lac Milan » est en effet une magnifique plaisanterie. Mais, pendant que les
journalistes gloussent dans les pubs de
Fleet Street, les hôpitaux et les équipes de secours travaillent jour et nuit pour essayer de pallier la souffrance, la faim et le dénuement des victimes.
Nos caricaturistes trouvent également
que la destruction massive se prête au
commentaire humoristique : « Berlin
est hors antenne et sera bientôt hors de
la carte ! » Mais, lorsque les journaux
publieront les photos et les descriptions
de destruction et de misère à Hambourg
et à Milan, les habitants de Clydeside et
de Coventry, de Plymouth et de East End
à Londres se souviendront des jours et
des nuits où leurs maisons étaient bombardées, leurs proches tués ou attendant leur tour dans les hôpitaux… Lorsque les journaux jubilent en parlant des flots de
réfugiés fuyant précipitamment Hambourg avec ce qu’il leur reste de biens sur
le dos, des habitants de Milan « campant sous les arbres », les habitants des villes
anglaises bombardées se souviendront de leurs propres tentatives pour échapper
aux nuits de terreur, ils se souviendront que quand ils fuyaient Plymouth pour la
campagne en un long cortège ils avaient trouvé les grandes maisons des riches
portes closes et avaient été condamnés à errer sans nourriture ni abri.
Qui souffre dans les grandes villes industrielles quand elles sont bombardées, sinon les ouvriers qui ont vécu des vies de misère et de labeur, tout comme ceux
de Clydeside ou de Coventry ? Quand le port de Naples est bombardé, c’est le quartier ouvrier densément peuplé qui entoure le port qui souffre le plus. Les bombes ne frappent pas les villas somptueuses des riches fascistes disséminées
le long des côtes de la baie de Naples ; elles atteignent ces maisons à plusieurs étages si entassées les unes sur les autres que les rues ne sont rien d’autre que de sombres passages entre elles ; des maisons où les gens vivent à quatre ou cinq par pièce.
Quand les villes allemandes sont bombardées, ce n’est pas l’élite nazie qui souffre. Elle dispose d’abris profonds et confortables tout comme l’élite de ce pays. Ses familles ont été évacuées dans des endroits sûrs ou en Suisse. Mais les ouvriers ne peuvent pas s’échapper. Le prolétariat urbain, les ouvriers français, hollandais, belges ou scandinaves, sont forcés d’aller travailler par les agents de la Gestapo de Himmler, malgré les violents bombardements. Pour eux, s’échapper est impossible.
Les ouvriers des usines britanniques de munitions et d’aéronautique sont priés de se réjouir de ces destructions massives
auxquelles il n’y a pas d’échappatoire.
Des photographies montrant des amas
de ruines sont affichées sur tous les murs
avec la légende « Voici le résultat de votre travail ». La classe dirigeante veut qu’ils
soient fiers d’avoir contribué à détruire
des familles de la classe ouvrière. Car
c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont aidé leurs
maîtres à organiser des massacres à côté
desquels la destruction de Guernica,
les bombardements de Rotterdam et de
Varsovie passent pour des simulacres de
guerre. De telles affiches devraient scandaliser l’humanité, lui donner la nausée devant le rôle que la société capitaliste lui demande de jouer.
Les ouvriers italiens ont montré qu’en dépit de vingt années d’oppression fasciste ils savaient mieux où était leur intérêt de classe. Ils ont refusé d’être des jouets entre les mains des patrons. Ils se sont mis en grève, ont saboté l’industrie de guerre, ont coupé les lignes téléphoniques et désorganisé les transports. Quelle est la réponse de la Grande-Bretagne démocratique à leur lutte contre le fascisme ? Des bombardements, toujours plus de bombardements. Les Alliés ont demandé aux Italiens d’affaiblir la machine de guerre de Mussolini, et nous profitons maintenant de leur faiblesse pour les bombarder jusqu’à les réduire en miettes.
Nos politiciens ont prétendu vouloir une révolution en Europe pour renverser le fascisme. Mais il est aujourd’hui plus clair que jamais que ce qui les effraie le plus, c’est que le fascisme puisse être renversé par une révolte populaire. Ils sont terrifiés par la révolution, par « l’Anarchie ». Ils veulent rétablir « l’ordre », et comme toujours ils sont prêts à patauger dans des torrents de sang pour garantir leur idée de l’ordre – ordre dans lequel les ouvriers acceptent leur lot de pauvreté et de souffrances avec résignation.
Combien de fois par le passé avons-nous
entendu que l’anarchisme était synonyme de bombes, que les anarchistes travaillaient à la destruction totale ? Combien de fois la police et la répression de
la classe dirigeante se sont abattues parce
qu’un anarchiste avait essayé d’assassiner un seul dirigeant ou un politicien
réactionnaire ? Mais plus d’hommes, de
femmes et d’enfants ont été tués au cours
d’un seul raid d’« hambourgisation » que
pendant toute l’histoire des bombes
anarchistes, authentiques ou inventées. Les bombes anarchistes étaient destinées
aux tyrans responsables de la misère de
millions de personnes ; les bombes de la
classe dirigeante tuent sans distinction
des milliers d’ouvriers.
« Désordre », « Anarchie », criait la presse
bourgeoise lorsque des isolés résolus
comme Sbardelotto, Schirru et Lucetti
ont essayé de tuer Mussolini… Maintenant, les mêmes capitalistes veulent rayer
de la carte d’Europe des villes entières ; ils veulent réduire à la famine des populations entières, entraînant un fléau d’épidémies et de maladies dans le monde
entier. Voilà la paix et l’ordre qu’ils veulent apporter aux ouvriers du monde avec leurs bombes.
Le coût de la guerre : par le feu et l’épée
Texte original : « The price of war : by fire and sword », de Marie Louise Berneri,
War Commentary, 1944. Extrait de son essai By fire and sword, inclus plus
tard dans The Emergence of the New Anarchism, de Robert Graham.
Dans la préface au guide Baedeker [2] Paris et ses environs, publié en 1881, on trouve une description des « désastres récents les plus
déplorables causés par les méthodes
monstrueuses des communistes durant
le second “règne de la terreur”, du 20 au 28 mai 1871 ». Selon l’auteur, « durant cette semaine d’horreurs, pas moins de
vingt-deux monuments et bâtiments
publics remarquables ont été entièrement
ou partiellement détruits, et sept gares, les
quatre principaux parcs et jardins publics,
et des centaines de bâtiments résidentiels
et autres ont connu le même sort ».
Si le baron Karl Baedeker avait à écrire une préface à un guide sur Paris dans les années qui suivront la guerre actuelle, il aurait probablement à recenser des méthodes bien plus « monstrueuses » de la part de l’armée allemande en déroute et des armées « de libération » victorieuses démolissant et rasant tout dans leur sillage. Il y aura cependant une différence : les cicatrices qu’arborera Paris, comme les autres villes françaises de Caen, de Cherbourg et beaucoup d’autres, seront des cicatrices nobles desquelles on demandera au peuple français d’être fier, et il n’est pas sûr qu’elles recevront des remarques désobligeantes, comme celles adressées à la Commune, par les générations à venir d’auteurs de guides.
C’est le privilège des révolutions que de voir les actes de violence qu’elles ont engendrés recevoir un maximum de publicité dans les journaux, les livres d’histoire, les romans, les pièces de théâtre, les films… et même les guides de voyage. Les horreurs de la guerre sont oubliées ou glorifiées pour les touristes, comme le sont les ruines de Verdun. Mais tout est fait pour garder vivants dans la mémoire les actes de violence qui se sont produits durant les révolutions. Demandez à n’importe quel écolier français quelle a été la période la plus sanglante de l’histoire de France et il vous répondra probablement la période de la Terreur, pendant la Révolution française. Quelques milliers de personnes ont été tuées au cours de cette période, un petit nombre comparé aux guerres napoléoniennes ; un chiffre infime comparé aux pertes de la guerre de 1914-1918. Pourtant, l’écolier français connaîtra tout sur les horreurs de la Révolution française, l’assassinat des prêtres et des nobles, la mort en captivité de l’héritier de Louis XVI et la décapitation de Marie-Antoinette. Mais il ne connaîtra rien des millions de morts de la Première Guerre mondiale et des centaines de milliers d’enfants morts de faim et de maladie à la suite de celle-ci.
Les révolutions ne sont pas synonymes de meurtres et de destructions massives uniquement chez les écoliers. Combien de fois des politiciens socialistes chevronnés et des professeurs fabianistes [3] érudits ont-ils prêché la soumission et le compromis avec la classe dirigeante en agitant le spectre de la révolution sanglante devant les masses malavisées ? C’est avec des larmes dans les
yeux que Léon Blum a demandé au peuple
français de ne pas intervenir dans la révolution espagnole. C’était dans le but « d’épargner des vies » qu’il a regardé suffoquer un des plus fantastiques mouvements révolutionnaires et permis aux puissances fascistes d’acquérir l’expérience militaire pour entreprendre une guerre mondiale. Bien sûr, lorsque la guerre actuelle a éclaté, Léon
Blum a oublié tout son amour délicat pour l’humanité et a exhorté le peuple français à aller au massacre. Comme chacun le sait, les révolutions sont des événements sanglants, mais mourir en masse pour la mère patrie est qualifié de sacrifice suprême et
sublime, de sorte que dans ce cas la mort ne compte pas vraiment.
On peut facilement prédire qu’après cette guerre il y aura encore des gens pour parler des horreurs de la Commune et de l’exécution de fascistes, de capitalistes et de prêtres en Espagne. Mais les bombardements de Hambourg, Paris, Londres et Caen, le torpillage de transports de troupes, la mort dans les cieux de milliers de jeunes gens, la famine et les épidémies ravageant des pays entiers : tout cela sera classifié comme un mal nécessaire, un sort inévitable que l’humanité doit être fière d’endurer. Les révolutionnaires continueront d’être considérés comme des gens assoiffés de sang que l’on ferait mieux de garder enfermés. Et si le choix entre la guerre et la révolution se présentait à nouveau, les chrétiens, les socialistes et les communistes choisiraient sans doute, à partir de principes humanistes, la guerre une fois encore […].
Une politique constructive
Texte original : « A Constructive Policy », de Marie Louise Berneri, War Commentary, décembre 1940.
Nous sommes souvent accusés de manquer d’idées politiques constructives. Les gens
concèdent que nous avons fait une analyse
juste de la situation actuelle et que « notre
journal a le vrai mérite de dénoncer la
complaisance et de stimuler la pensée ».
Mais on nous demande de présenter des
solutions « pratiques » pour lutter contre le
fascisme et le capitalisme. Inutile de dire
que nous n’acceptons pas ces accusations.
Nous admettons que nos lecteurs ne trouveront pas dans nos pages des prescriptions pour guérir l’humanité de tous les maux qui l’assaillent. Ce que souhaiteraient manifestement certains de nos lecteurs, ce sont des slogans, des manifestes et des programmes qui offriraient en quelques lignes à la classe ouvrière les moyens non seulement de mettre fin au fascisme, mais aussi d’instaurer l’ère du bonheur des ouvriers.
Nous refusons d’adopter de tels
recettes-programmes, parce que nous
sommes convaincus que la faiblesse
actuelle de la classe ouvrière est due au
fait que tous les partis, afin de gagner en
popularité et en pouvoir, ont simplifié
leurs programmes, réduisant à des proportions ridicules la nature de la lutte
qui apportera la liberté aux exploités. Les
slogans politiques sont devenus comme les publicités pour spécialités pharmaceutiques promettant santé, beauté et bonheur en échange d’une savonnette ou d’une tasse de cacao. Votez travailliste et tout ira bien ! Payez votre cotisation syn-
dicale et votre sécurité sera assurée ! Un
gouvernement ouvrier fera la révolution.
Écrivez à votre député ou à tel ou tel
ministre, défilez dans les rues de manière
disciplinée, avec un orchestre bruyant, et
criez jusqu’à être aphones, et vos souhaits
(revendications) seront exaucés !
Voilà ce que les partis censés promouvoir
des politiques « réalistes » et mépriser le plus
les « utopistes anarchistes » préconisent
depuis un quart de siècle chaque fois que
se présente une difficulté. Ces remèdes ont
prouvé leur inefficacité contre le chômage
et le fascisme, l’agression italienne contre
l’Abyssinie [Éthiopie], le boycott franco-anglais des révolutionnaires espagnols, le
réarmement et la guerre. Et cependant, les
mêmes méthodes sont à nouveau avancées
pour faire face aux problèmes créés par la situation présente.
Le leitmotiv des partis de gauche est que les ouvriers devraient prendre autant de poids que possible dans le gouvernement. Cela paraît assez constructif. Mais en réalité cela signifie seulement l’entrée des dirigeants travaillistes au gouvernement en adoptant une politique de droite. Pour les ouvriers, cela signifie des sacrifices et la perte de toutes les libertés afin
de s’assurer le privilège de voir « leurs » ministres assis au gouvernement. Aucune amélioration n’est obtenue, et tous les canaux officiels pour faire entendre le mécontentement sont perdus.
Une autre solution « pratique » préconisée
par le Parti travailliste est de publier une
déclaration d’objectifs de la guerre ou de
la paix. Apparemment, le monde devrait
connaître notre amour de la liberté et de
la justice. Nous, « utopistes », nous permettons de suggérer à la rédaction du
[protravailliste] Daily Herald que, si le Parti travailliste est désireux de montrer au monde combien « démocratiques » nous sommes, il pourrait, par exemple,
refuser de s’associer à un gouvernement qui emprisonne Nehru [4] depuis quatre ans (devons-nous ajouter que les pétitions, lettres ouvertes, etc. n’auront pas le moindre effet ?).
Ce n’est pas en changeant de ministres – des hommes honteux ! – ou en publiant
des déclarations que le fascisme et le capitalisme seront vaincus. Le problème
est plus complexe que cela. Nous n’avons pas l’intention d’ajouter nos voix à celles
qui trompent les ouvriers en leur faisant croire que leurs « dirigeants » les tireront du pétrin. Cela exige une transformation complète de l’attitude actuelle de la classe ouvrière. On ne peut pas changer le régime actuel s’il n’y a pas d’esprit révolutionnaire, si les ouvriers ne comprennent pas quelques vérités fondamentales :
1. Que les ouvriers et les capitalistes ne peuvent pas avoir de cause commune.
2. Que l’impérialisme est la première cause des guerres et que cette cause doit être éradiquée.
3. Que les gouvernements, conservateurs et travaillistes, sont toujours des instruments d’oppression, et que les ouvriers doivent apprendre à s’en passer.
4. Que les partis veulent le pouvoir dans leur propre intérêt – celui d’une petite minorité. Tout le pouvoir doit donc être saisi et conservé entre les mains de syndicats qui incluent la grande majorité des hommes et des femmes qui produisent.
Nous ne pouvons pas construire tant que la classe ouvrière ne s’est pas débarrassée de ses illusions, de l’acceptation des patrons et de sa foi dans les dirigeants. Notre politique consiste à l’éduquer, à stimuler son instinct de classe, à lui enseigner des méthodes de lutte. C’est une tâche longue et difficile, mais à ceux qui préféreraient des solutions efficaces comme la guerre nous ferons remarquer que la grande guerre mondiale, qui devait mettre fin à toutes les guerres et garantir la démocratie, a seulement produit le fascisme et une autre guerre ; que cette guerre produira sans doute d’autres guerres, tout en laissant intacts les problèmes sous-jacents des ouvriers. Notre façon de refuser de remplir l’inutile tâche de rafistoler un monde pourri, tout en essayant d’en construire un nouveau, n’est pas seulement constructive, mais c’est aussi la seule issue.
Éléments biographiques
Maria Luisa Berneri est née le 1er mars 1918 à Arezzo, en Italie. Elle est la fille aînée des anarchistes Camillo et Giovanna Berneri, qui se réfugient en France en 1926, contraints à l’exil par l’arrivée au pouvoir des fascistes. Elle étudie la psychologie à la Sorbonne après avoir obtenu son baccalauréat. C’est à ce moment qu’elle francise son prénom. Elle s’engage bientôt dans le mouvement anarchiste. Lorsque la guerre d’Espagne éclate, son père Camillo part combattre sur le front d’Aragon avant de s’installer à Barcelone, où il éditera le journal Guerra di Classe. Marie Louise s’y rendra deux fois, la dernière après l’assassinat de Camillo par les staliniens, en mai 1937. Elle se rendra ensuite en Angleterre rejoindre son compagnon Vernon Richards et y passera le reste de sa vie, adoptant la nationalité anglaise.
De 1936 jusqu’à sa mort, son nom sera associé à celui de Freedom Press, tout d’abord à travers le journal Spain and the World, publié entre 1936 et 1938, qui se concentre à l’origine sur la diffusion de documents de première main sur les événements en Espagne, puis se développe rapidement pour devenir le principal journal anarchiste en Grande-Bretagne. Entre février et juin 1939, elle participera à la tentative de maintenir les liens au sein du mouvement anarchiste à travers le journal Revolt !. Elle fera partie aussi du petit groupe à l’origine de War Commentary, ce qui lui vaudra un procès.
Elle continuera de s’intéresser à la psychologie – une des premières personnes en Grande-Bretagne à porter au débat les travaux de Wilhelm Reich dans un article d’août 1945 intitulé Sexuality and Freedom, paru dans le journal Now de George Woodcock. Marie Louise décède le 13 avril 1949 à la suite d’une infection contractée lors de l’accouchement d’un enfant mort-né. Deux livres de sa plume sont publiés à titre posthume : Neither East nor West, un recueil d’articles écrits pendant la Seconde Guerre mondiale, et Journey through Utopia, une critique anti-autoritaire des utopies.
War Commentary For Anarchism
War Commentary for Anarchism (1939-1945) est un journal antimilitariste et libertaire publié légalement à Londres pendant la Seconde Guerre mondiale et tiré à plusieurs milliers d’exemplaires. Fondé en novembre 1939 par Vernon Richards, Marie Louise Berneri, Philip Sansom et John Hewetson, il sera le seul organe de presse anti-militariste dans le Royaume-Uni en guerre. En février 1945, Marie Louise Berneri, John Hewetson et Vernon Richards sont interpellés. Le 10 mars, avec Philip Sansom, ils sont accusés de conspiration, d’incitation à la désertion et à la mutinerie, encourageant les soldats à garder leurs armes pour faire la révolution. Leur procès se tient en avril. L’accusation réclame une peine de quatorze ans de prison, mais la campagne de soutien dont ils bénéficient permet de réduire la peine à neuf mois de prison pour les trois hommes. Marie Louise Berneri, quant à elle, est acquittée, parce qu’un article de droit anglais précise qu’une femme ne peut être accusée de conspirer avec son mari.
L’armée te veut
Sais-tu ce que tu devras faire ?
Ils t’apprendront à tuer tes frères
Comme on leur a appris à te tuer.
L’armée te veut
Sais-tu ce que tu devras faire ?
Juste tuer pour sauver ton pays
D’hommes qui sont des travailleurs comme toi.
Ton pays ! Qui dit que tu as un pays ?
Tu vis dans l’appartement d’un autre homme
Tu n’as même pas de jardin
Alors pourquoi devrais-tu tuer pour ça ?
Tu n’as pas de cabane, pas de maison
Pas de fleur, pas de jardin, pas vrai ?
Les propriétaires terriens ont mis la main sur tout le pays
Laisse-les se battre – pas toi.
Fight ? for What ?, tract-poème présenté comme preuve par l’accusation lors du procès contre des rédacteurs du War Commentary.
[1] Royal Air Force, nom de l’armée de l’air britannique depuis 1918 (NdT).
[2] Libraire et écrivain allemand, Karl Baedeker (1801-1859) a eu l’idée du guide de voyage en format de poche. Il a publié Paris et ses environs en plusieurs éditions (NdT).
[3] La Fabian Society est un cercle de réflexion anglais de centre-gauche créé en 1884. Socialiste et réformatrice, elle a été partie prenante de la création du Parti travailliste, en 1900 (NdT).
[4] Jawaharlal Nehru (1889-1864) était l’une des figures de proue de l’indépendantisme indien. Plusieurs fois emprisonné par les Britanniques, il passa dix années enfermé, entre 1920 et 1945 (NdT).
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