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Comment lutter contre l’antisémitisme - et gagner
mis en ligne le 9 juin 2025 - Shane Burley, Ben Lorber
1 : Lutter pour une société plus égalitaire
Nous ne pouvons vaincre l’antisémitisme sans révolution. L’antisémitisme se développe dans le cadre du système économique et social du capitalisme racial, où la richesse, le pouvoir et les privilèges reviennent à quelques privilégiés, laissant la plupart des gens dans l’exploitation et le désarroi. Dans ce système injuste, les dirigeants autoritaires diffusent des théories du complot selon lesquelles une cabale juive toute puissante serait responsable des hiérarchies oppressives de la société : un faux récit qui protège ceux qui bénéficient de ces hiérarchies en semant la confusion et en divisant tous les autres, détournant ainsi la rage populaire des causes profondes de l’oppression.
Tant que des masses de gens souffriront, seront aliénées et voudront trouver un coupable, l’antisémitisme restera une méta-explication puissante sur laquelle les dirigeants réactionnaires pourront s’appuyer pour détourner la colère populaire vers une fausse cible. Ce n’est qu’en créant une société plus juste et plus égalitaire, où les gens sont habilités à mener une vie qui a un véritable sens, que nous pourrons réduire l’aliénation qui motive les gens à chercher des boucs émissaires.
Bien que cet objectif puisse sembler lointain, nous pouvons faire beaucoup à court et à moyen terme pour nous aider à l’atteindre.
2 : Résister à la droite autoritaire
Nous devons construire le mouvement social le plus large possible pour vaincre la résurgence de la droite nationaliste chrétienne blanche, un mouvement autoritaire et d’exclusion qui est la principale idéologie à l’origine de l’antisémitisme et de toutes les autres formes d’oppression dans le monde d’aujourd’hui.
À court et à moyen terme, bloquer l’avancée de la droite autoritaire signifie défendre et étendre la démocratie multiraciale, aussi imparfaite et défectueuse que soient souvent ses institutions, tout en construisant des institutions parallèles qui incarnent et préfigurent le monde meilleur que nous sommes en train de construire. Cela signifie qu’il faut renforcer la capacité à contrer les mobilisations d’extrême droite dans les rues, les salles de classe, les salles d’audience, les synagogues et tous les autres lieux de contestation.
Cela signifie également qu’il faut développer des pratiques d’entraide et de responsabilité mutuelle pour assurer la sécurité des uns et des autres, et construire nos tactiques et nos stratégies sur une base solide d’attention et de solidarité. Enfin, cela signifie que nos mouvements en faveur de la justice raciale, économique et sexuelle doivent être suffisamment larges pour accueillir le plus grand nombre possible de personnes issues de milieux divers.
3 : Construire des coalitions multiraciales
Pour vaincre la droite autoritaire, nous devons construire de solides coalitions entre différentes identités et communautés ciblées par une menace commune. La negrophobie, l’islamophobie, la xénophobie anti-migrants la transphobie, l’asiaphobie ,la romophobie, et d’autres formes d’oppression, ont en grande partie la même source que l’antisémitisme : la suprématie chrétienne blanche, le capitalisme, le colonialisme et la suprématie patriarcale.
Nos coalitions doivent utiliser l’analyse antiraciste-antisexite-anticapitaliste etc, pour comprendre comment les différentes formes d’oppression s’imbriquent, se soutiennent et se renforcent mutuellement, afin de s’attaquer ensemble à la racine du mal. Nous devons construire des cultures et des communautés résilientes et radicales, fondées sur des relations durables capables de résister aux tentatives de la droite de nous diviser en fonction de nos différences.
4 : Comprendre nos différences
Cela signifie que nous devons respecter activement le droit à la différence dans nos communautés et nos relations. Nous pouvons trouver des points communs et des intersections entre différentes formes d’oppression, mais cela ne signifie pas que ces types d’oppression se manifestent de la même manière, ou que les expériences des personnes ciblées par différentes formes d’oppression sont identiques.
L’antisémitisme peut avoir une source commune avec d’autres formes de marginalisation, mais il ne fonctionne pas de la même manière. Les outils que nous utilisons pour comprendre son histoire et ses manifestations actuelles, ainsi que les stratégies que nous utilisons pour le combattre, peuvent être familiers à certains égards et différents à d’autres. Au sein des communautés et entre elles, nous devons rester attentifs aux expériences spécifiques des différents individus et groupes, et apprendre et grandir à partir de ces différences plutôt que d’essayer de les figer dans une similitude ultime.
Cela signifie également que les Juifs et tous les autres groupes marginalisés méritent de voir leur unicité et leurs particularités protégées au sein d’une société pluraliste. Les Juifs peuvent résister à l’assimilation en revendiquant des identités juives audacieuses et fières, tandis que les non-Juifs peuvent nous soutenir en créant un espace pour notre auto-organisation et en témoignant de notre histoire, de nos identités et de nos traumatismes.
L’antisémitisme est une attaque contre le droit des Juifs à rester juifs, à conserver leur particularités, leur rituel, leur tradition et leur communauté à travers les siècles. De même que tous les groupes ciblés ont le droit de revendiquer leur héritage ancestral, la résistance juive à l’antisémitisme doit reconnaître la spécificité juive. Cela signifie qu’il faut favoriser le plein épanouissement des identités et des expériences juives et protéger les droits de toutes les communautés juives à pratiquer pleinement leurs traditions incarnées.
5 : Combattre le conspirationnisme
Nous devons créer un front uni contre les théories du complot, qui sont largement fondées sur un cadrage antisémite. Elles sont à la base des faux récits de l’extrême droite montante et, à gauche, elles sapent toute lutte viable pour un changement réel en nous empêchant de comprendre les causes profondes de l’oppression, en nous faisant courir après des cabales imaginaires au lieu de transformer les systèmes concrets de pouvoir.
Nous pouvons combattre les théories du complot par une formation politique dans les espaces du mouvement social, en retraçant les acteurs et les structures réels qui font obstacle au changement. Nous pouvons également lutter contre la désinformation dans la société au sens large en prenant des mesures telles que l’amélioration de l’éducation aux médias, la responsabilisation des médias sociaux et grand public et la mise en œuvre de pratiques journalistiques qui combattent les mensonges flagrants et l’incitation à la peur.
Toutefois, sans une transformation fondamentale des inégalités systémiques dans notre société, ces mesures ne seront au mieux que des demi-mesures. Les théories du complot prospèrent dans un monde où les gens se sentent aliénés, isolés, privés de pouvoir et désireux de trouver un coupable. Ce n’est qu’en construisant un monde où les gens sont véritablement habilités à façonner leurs conditions de vie que nous pourrons combattre la pensée conspirationniste à la racine.
6 : Éviter les hyperboles
Nous devons éviter les hyperboles lorsque nous discutons de l’antisémitisme, en rejetant toute idée qu’il s’agit d’une « haine éternelle » qui afflige irrémédiablement notre société ou d’une composante « naturelle » du monde, ou que toute montée de l’antisémitisme signifie qu’un nouvel Holocauste est à nos portes. Au contraire, l’antisémitisme peut être compris, désappris et vaincu, comme toute autre forme d’oppression.
Nous pouvons le faire en le comprenant dans son contexte historique, social et politique, et en nous engageant dans la construction de mouvements de masse. Nous pouvons également nous efforcer de comprendre et de guérir les traumatismes intergénérationnels hérités dans les communautés juives, qui favorisent la persistance de ces récits fondés sur la peur. Enfin, nous pouvons résister aux divers acteurs qui, au sein et en dehors de notre communauté, attisent et amplifient la peur afin de mobiliser le soutien en faveur de leurs programmes réactionnaires et de division, tels que les groupes pro-israéliens de la diaspora et les leaders nationalistes israéliens ou chrétiens de droite.

7 : Cesser d’utiliser l’antisémitisme comme arme contre la libération de la Palestine
Nous devons intensifier le soulèvement mondial en faveur des droits des Palestiniens et de la fin du colonialisme en Palestine (et partout ailleurs), et mettre immédiatement un terme aux accusations d’antisémitisme politique qui sont trop souvent brandies comme une arme contre les mouvements progressistes. Ces accusations sont devenues l’un des principaux outils utilisés par la droite et la sociale démocratie pour diaboliser et délégitimer l’un des plus grands mouvements de solidarité de masse de l’histoire récente, et de nombreuses forces institutionnelles utilisent ces accusations pour adopter une législation répressive, cibler les militants et réduire les droits à la liberté d’expression et à l’activité politique qui ont historiquement assuré la sécurité des Juifs et d’autres minorités.
La plupart de ceux qui portent ces accusations n’oeuvrent pas vraiment pour assurer la sécurité des Juifs. Les défenseurs d’Israël tentent plutôt de détourner l’attention de la prise de conscience croissante de l’oppression des Palestiniens par Israël, tandis que les nationalistes chrétiens blancs tentent de détourner l’attention de la montée de l’antisémitisme à droite en se présentant cyniquement comme les meilleurs amis des Juifs.
Nous devons clarifier la différence entre l’antisémitisme et la critique de l’oppression et du génocide des Palestiniens par Israël, et affirmer avec force que la droite, et non la gauche, est la principale source d’antisémitisme et la plus grande menace pour les Juifs aujourd’hui. Nous devons également apprendre à faire la distinction entre se sentir en danger et être en danger, et entre l’inconfort et le danger, afin d’être moins sensibles aux campagnes de peur de la droite qui n’ont pas nos meilleurs intérêts à cœur.
Parallèlement, nous devons reconnaître que les politiques militaristes et ethnocratiques en Israël n’ont guère contribué à assurer la sécurité des juifs du monde entier. Au contraire, elles ont créé un statu quo d’instabilité radicale et de danger en Terre sainte, et ont placé une grande partie de la communauté juive dans une alliance toxique avec l’extrême droite mondiale antisémite - tout en menant la guerre contre les habitants indigènes de la Palestine historique.
8 : Reconnaître l’antisémitisme dans nos mouvements
Bien qu’il soit plus profondément ancré dans la droite politique, l’antisémitisme peut également se manifester à gauche, comme toute autre forme d’oppression dans notre société. Parce que l’antisémitisme se présente comme un moyen de « dire la vérité au pouvoir », il peut séduire les mouvements sociaux ou les communautés marginalisées qui cherchent à comprendre et à contrer les systèmes de pouvoir injustes - ce qui conduit ces mouvements et ces communautés sur la voie sans issue de la désignation de boucs émissaires. Mais contrairement à la droite, où l’antisémitisme est un moteur essentiel de l’autoritarisme, l’antisémitisme dans les espaces militants peut être désappris avec de l’engagement, tout comme d’autres formes d’oppression.
Nous pouvons lutter contre l’antisémitisme à gauche en favorisant une éducation politique approfondie, en évitant les théories du complot (que ce soit autour du capitalisme, d’Israël-Palestine ou d’autres sujets), en renforçant les relations de confiance mutuelle, d’attention et de responsabilité entre les communautés et en cultivant une plus grande sensibilité à l’histoire, à l’identité et aux traumatismes juifs. Nous pouvons nous battre pour que les Juifs soient pleinement inclus dans le cercle d’attention de la gauche à travers les histoires que la gauche raconte sur les personnes jugées dignes de la solidarité et de la libération. En exprimant son engagement à lutter contre l’antisémitisme et à inclure les Juifs dans son « histoire du “nous” », la gauche peut incarner plus pleinement son engagement en faveur de la libération collective dans tous les domaines.
9 : Faire entendre les voix des Juifs marginalisés
Nous devons faire entendre la voix et les horizons des Juifs arabes, sépharades et mizrahi, des Juifs de la classe ouvrière, des Juifs noirs de tous les pays, et des Juifs marginalisés d’autres identités. Parce que les Juifs marginalisés se situent à l’intersection de plusieurs identités, ils sont particulièrement bien placés pour parler des oppression qui doivent être abordées lors de l’élaboration de tout programme réel de lutte contre l’antisémitisme, et pour construire des relations de solidarité entre les communautés.
Les Juifs noirs, par exemple, peuvent être particulièrement bien placés pour analyser les intersections de l’antisémitisme et de la négrophobie, et pour aider à penser une politique de solidarité au sein et entre ces communautés distinctes qui se chevauchent. Sans cet horizon, nous risquons de reproduire des modèles d’organisation inefficaces et nuisibles qui tendent à séparer l’antisémitisme des autres formes d’oppression, à favoriser la complicité avec la violence raciste de l’État et d’autres forces oppressives, et à élever les expressions dominantes de la judéité au dessus des autres.
10 : Mobiliser les non-Juifs dans notre lutte commune
Les non-Juifs doivent se joindre à la lutte contre l’antisémitisme. En particulier dans les mouvements sociaux et radicaux, ce sont trop souvent les Juifs qui s’intéressent à la compréhension et à la lutte contre l’antisémitisme - mais l’antisémitisme est d’abord et avant tout un problème du monde militant.
Il faut non seulement que les non-Juifs soutiennent les Juifs menacés par l’aggravation rapide de l’antisémitisme, mais aussi que les non-Juifs considèrent qu’il s’agit de leur propre combat. L’antisémitisme est une théorie du complot qui nuit à la fois aux Juifs et aux autres groupes marginalisés, et qui sape notre capacité collective à lutter pour le changement ; c’est pourquoi il est dans l’intérêt de tous de le vaincre.
Traduit de l’anglais par Brenda Walsh.
Publié dans Vashtimedia.
"Vashti est un magazine en ligne indépendant qui offre des perspectives juives sur les débats auxquels est confrontée la gauche britannique contemporaine. Nous donnons la priorité à un regard critique et approfondi sur un large éventail de sujets relatifs à la politique, à la communauté et aux héritages historiques, à l’encontre des visions homogénéisantes de la vie juive renforcées par le sionisme et le courant dominant du judaïsme britannique."
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