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Quand j’essayais de disparaître
À propos de dépression, de troubles de l’humeur, et d’essayer de vivre avec
mis en ligne le 16 août 2025 - Domino
Quand j’essayais de disparaître
À propos de dépression, de troubles de l’humeur, et d’essayer de vivre avec

Si j’écris cette brochure, c’est parce que je constate qu’on est beaucoup dans mon entourage à galérer avec des humeurs changeantes, des angoisses, des dépressions ou des trucs qui y ressemblent, et qu’on a peu de partage collectif de nos ressentis au moment où ça nous arrive.
Du coup on se retrouve facilement, en plus de devoir gérer notre mal-être, à devoir gérer les questions que nous imposent ces ressentis : est-ce que c’est normal de se sentir comme ça ? Est-ce que quelqu’aine s’est déjà senti.e comme ça tout court ? Est-ce que c’est normal que ça fasse mal physiquement alors que c’est dans ma tête ? Est-ce que je peux en mourir ? Est-ce que ça va durer toujours ? Comment ça s’arrête ?
J’ai pas particulièrement de réponses à ces questions, mais quand j’en parle avec des proches on se rend compte qu’on a des émotions et des vécus souvent très proches. Non seulement ça soulage de le savoir, mais ça permet de s’aider mieux, avec parfois plus de finesse, et ça permet de se dire que si d’autres s’en sortent ou vivent avec, alors ça peut changer pour nous aussi, que ce n’est pas forcément une fatalité.
Et puis la dépression, la bipolarité, la cyclothimie, l’anxiété généralisée, bref tout ce délicieux cocktail sont des maladies qui font partie de la grande famille des troubles de l’humeur. C’est des trucs sérieux, qui sont dénigrés par les politiques publiques et le capitalisme de manière générale, trop occupés à exploiter notre force de travail. Dans ce contexte, on a aussi tout intérêt à apprendre à prendre soin les un.es des autres, et de nous-même.
Quand j’essayais de disparaître
À propos de dépression, de troubles de l’humeur, et d’essayer de vivre avec

Si j’écris cette brochure, c’est parce que je constate qu’on est beaucoup dans mon entourage à galérer avec des humeurs changeantes, des angoisses, des dépressions ou des trucs qui y ressemblent, et qu’on a peu de partage collectif de nos ressentis au moment où ça nous arrive.
Du coup on se retrouve facilement, en plus de devoir gérer notre mal-être, à devoir gérer les questions que nous imposent ces ressentis : est-ce que c’est normal de se sentir comme ça ? Est-ce que quelqu’aine s’est déjà senti.e comme ça tout court ? Est-ce que c’est normal que ça fasse mal physiquement alors que c’est dans ma tête ? Est-ce que je peux en mourir ? Est-ce que ça va durer toujours ? Comment ça s’arrête ?
J’ai pas particulièrement de réponses à ces questions, mais quand j’en parle avec des proches on se rend compte qu’on a des émotions et des vécus souvent très proches. Non seulement ça soulage de le savoir, mais ça permet de s’aider mieux, avec parfois plus de finesse, et ça permet de se dire que si d’autres s’en sortent ou vivent avec, alors ça peut changer pour nous aussi, que ce n’est pas forcément une fatalité.
Un peu de contexte : je suis une personne de moins de trente ans, sexisé.e, blanc.he, qui a accès à la sécu sociale, une mutuelle et un logement. Je suis bien entouré. Je connais bien le système de la psychiatrie fRançaise pour avoir grandi dans une famille avec beaucoup de dépression, bipolarité, et autre jolis bouquets de troubles psys dedans, moi-même inclus.
Ce qui suit est un recueuil de textes principalement écrits entre fin 2022 et l’automne 2023, pendant une grosse dépression. C’est un mélange foutraque d’anecdotes, de ressentis, de poésies parfois, et de dessins faits plus récemment pour la brochure.
Tout le texte qui suit est un exemple de ressentis à un point donné. La dépression s’est manifestée de cette manière chez moi, couplée avec ce qui ressemble à des hauts et des bas violents. Mais le mal-être ça peut se manifester très différemment chez d’autres gens, et ça pourrait ne pas du tout correspondre à l’expérience de quelqu’aine d’autre.
Trucs qui peuvent être violents ou délencheurs : ça parle de pensées suicidaires, de se faire du mal physiquement (coups), de drogues (nicotine, alcool, kétamine).
À la fin de la brochure, tu trouveras plein de ressources sur la santé mentale, pour qu’on continue à en parler, à apprendre, et à prendre soin les un.es des autres.
Pour tout retour, critique ou autre, tu peux me contacter à
dominoderaille@herbesfolles.org
Bisous si tu veux

AUTOMNE
OCTOBRE
Je te mens pas je te mens pas je te mens pas
La clope c’est mon niveau émotionnel
C’est mon style de came, simple, ingérable pas trop prenant
C’est mon niveleur de densité, je suis sûr qu’elle me fait perdre en
émotions, dès que je tire pas dessus, je les sens qui débarquent.
J’ai un mal de crâne complet, le silence ou presque silence dégage de l’air
entre le cerveau et la boîte cranienne
C’est comme si il gonflait à intervalles réguliers
Nouvel apart, nouvelle vie, même carnet, même peurs. C’est con un
humain hein. Dans quatre mois exactement je suis au chômage, pour la
première fois. Je vais avoir tellement de temps.
Je passe les journées au taff à fanstasmer février. Je roule une deuxième
clope à la fenêtre, il fait encore doux pour la saison.
P. ouvre une teille de rouge et affirme qu’il faut aimer les sandwichs. Je
t’aime chaton.
Et voilà les potes qui arrivent jouer au tarot.
Octobre 2023.
La nuit je serre tellement les mâchoires que je me réveille un matin avec un tout
petit bout de molaire qui tombe dans la bouche, et qui laisse dans la dent restante
un creux coupant.
Me faire un café m’épuise déjà rien que d’y penser. Il faut aller taffer mais j’ai envie
de vomir, pas dans le ventre mais dans la tête, j’aimerais me planter la cuillère dans
les cernes plutôt que d’y aller. J’y vais, c’est bientôt la fin, P. arrête pas de me répéter
que j’oublie tout tout le temps et que j’en fais trop. Iel a raison.
Mes mains tremblent un peu tout le temps. Je sens mes entrailles qui se tordent et
ça me dégoûte, c’est comme si quelqu’un m’étranglait en permanence, bref c’est pas
tant la forme mais je suis dans un déni total.
Clope sur clope
Sommeil fiévreux sur réveil en vrac
J’arrive pas à m’arrêter, si je fais ne serait-ce qu’une petite pause tout va s’effondrer
c’est sûr
je ne comprends pas que je repousse le pire
Réveil en sueur sur pensées glauques
j’arrive pas à respirer, je me persuade que je fume trop
j’arrête de fumer
ça continue
je me demande si je suis en train de mourir
je me demande si ce serait l’occasion
DÉCEMBRE
ça va pas.
Pas du tout.
Je sens tout craqueler dans un vernis froid. Je sens le manque d’outils et de
méthode, ça me manque cruellement. Le manque d’attention, de silence, de
temps.
Beaucoup d’amour il faut beaucoup d’amour et de lovés pour payer la psy, je vais
juste pouvoir lui expliquer que je comprends rien, ça fait des nœuds dans le corps
ces conneries, ça fait tellement mal.
Hier 22h enfin seule je ne veux pas être seule le carrelage se rouler sur son
corps lisse et froid frapper le plan de travail essayer de hurler échouer donc
s’aggriper au pas de la porte en priant presque que ça s’arrête je me frapprerais si
je savais frapper mais
K. tourne la clé dans la serrure
alors je me reconstruis un peu sur le sol, assis au moins
il fait comme s’il avait pas vu que j’étais misérable et je te remercie encore pour
ça
puis plus rien je n’ai plus rien ressenti que la méthode implacable au fond des
os
bordel c’est trop
trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop trop
j’ai l’impression que le monde entier est glacé
tout est lisse et distant
je vais mourir de froid
Les potes sont vraiment incroyables. Mille merci, sans vous je ressemblerais
encore à une petite flaque de vomi.
Donc tu fais les trucs de la vie, s’organiser, ranger, voir des gens, sociabiliser, se
nourrir, et soudainement pouf tout va mieux tout est incroyable beau les gens sont
intéressant.es et le ciel bleu ?
Nonononon, pas cette fois tu t’en sortiras pas comme ça. Tu peux pas
décemment être toute fleur bleue alors qu’il y a deux jours tu te roulais sur le
carrelage en bavant pour que la douleur s’arrête.
Il est tard et j’avais prévu du calme, peut-être un peu de musique, une tisane
mais voilà tout est trop intéressant
je vais courir dans toute la ville en hurlant que je suis vivant c’est ça qui donne
de l’espoir dans la vie voir qu’on peut encore être vivant.es et que c’est beau des
fois
…
tu es flippante
relis l’entrée précédente
NOVEMBRE
Bon faut faire une thérapie là.
Je me sens pleine de choses fermentées. De trucs jamais réglés. Retenus,
contenus. De désillusions, et de certitudes. Faut faire une thérapie, et faut s’y
mettre vite.
After yeaars of waiting
nothing came
trop de café dans le sang et trop d’excitation
c’est toujours pareil avec moi de toute façon
c’est trop ou rien
mon obsession va pouvoir se calmer un peu, plus fort le son qu’il me traverse
comme un courant d’air brûlant de mi-été
qu’il m’apaise
qu’il me tranche
c’est l’histoire
d’une plaine huileuse
où il n’y a que du soleil
et des libellules jaunes et rouges
et pas grand-chose d’autre
on s’y retrouve seulement par erreur (ou par dépit)
et on en repart jamais vraiment
on y apprécie le silence, et parfois le petit bourdonnement caractéristique des
insectes qui passent contre le vent
contre quelque chose, ils semblent toujours avoir quelque chose à faire
l’air chaud me traverse parce que je suis un cadre de porte à la peinture toute
grattée, mais je pourrais être n’importe qui de nouveau
parfois quelques nuages gras et rapides
me passent au travers
je chante un peu
mais surtout j’écoute
étrangement on ne s’ennuie pas ici, le sol miroite tranquillement dans des motifs
presque jamais les mêmes
du beurre fondu ou du pétrole
rouge
vivant
dans un autre rêve je prends ta bouche avec la mienne
sur cette musique
et il n’y a pas cette quiétude
Bon donc j’ai pris rendez-vous chez une psy j’ai pris mon vélo mon fric
ma flippe, et ce lundi midi je suis allée dans le cabinet tout petit tout
claustrophobique et j’ai parlé posément de tout ce qui ne va pas bien,
enfin la couche au-dessus, les périodes quoi. La surexcitation et le
surmenage/la dépression et la parano.
Et donc j’ai fait le rendez-vous et je repars avec 60€ en moins, le
sentiment que c’était plutôt important de faire ça, mais la vague
sensation tout de même de ne pas être sûre que ça serve à grand-chose.
Je passe le reste de la journée à essayer d’appliquer les exercices
donnés : prendre une situation qui vient d’être vécue. Essayer de se
rappeler ce que je me suis dit dans cette situation. Mettre des mots, les
plus précis possibles, sur l’émotion que ça a dégagé. J’essaye de faire ça
toute la journée et ça ressemble à un nuage de pensées sans aucun sens
ou forme.
Et là je réalise un truc que je sentais depuis tout le temps, sans jamais
le conscientiser.
Je n’ai aucune idée précise de ce que je ressens.
Ni de ce qui peut, précisément, causer ces émotions.
C’est dur. J’ai 24 ans et j’arrive pas à comprendre si je suis terrifiée,
en rage, si je me sens impuissante, ou si je suis soulagé.
J’ai 24 ans et je sais pas faire la différence entre la peur et la tristesse.
Je crois que je m’en veux.
Ça me rassure de pas balancer autant de fric dans rien.
(ça fait cher la révélation existentielle ceci dit)

HIVER
JANVIER
Le froid rentre dans mes os comme si c’était chez lui, pendant ce temps la nuit
avance et je fais n’importe quoi avec mes mains que je recouvre de fumée rouge et
rance.
Hier j’ai j’ai descendu une côte à vélo, sous la pluie, en me sentant pleinement
heureux. Ça m’a fait marrer. Je ne suis toujours pas spéciale.
À Calais il y a des exilé.es qui se font arracher leurs tentes tous les deux jours
par des sortes de milices privées, et des gens qui font du pain avec elleux à défaut
de pouvoir arrêter tout ça.
Et la lune est partout pareil
j’attends le chômage comme le messie. Un an. Incroyable. La hâte d’être
englobée de temps me fait croire que tous mes problèmes disparaîtront, la peau
qui crampe, la fatigue, la désillusion, les ami.es tristes, les ami.es à moitié
mort.es, le patriarcapitalisme allez. La répression et les militant.es
intransigeant.es. Jalousie et peur ne partiront pas totalement mais au moins
j’aurais le temps de les ressentir.
C’est étrange d’être heureuse dans un monde comme ça
Marslevelneeek
? Huflornaflllll idsssssschischhh
J’essaie de pas penser parce que je suis trop fatigué pour ça
J’ai hâte d’avoir l’énergie d’ouvrir à nouveau mon champ de vision plus loin que
mes mains ; l’autre jour V. a commenté la beauté du temps depuis deux jours et je
me suis bêtement rendue compte que je n’avais aucune idée qu’il faisait beau. Ou
pluie. Ou aucune idée en fait, les jours s’enfilent en glissant comme une goutte
d’eau sur de l’huile, ils me servent juste de tapis de course.
Un peu hâte que ça s’arrête. Je sens mon corps vibrer d’envies par tous les pores
mais impossible d’écouter ; je me sens à peine respirer. Alors que je fume même
plus.
maman est à deux doigts de clamser, heureusement elle sait pas s’y
prendre et ses enfants vont la sauver du désespoir
personne va me sauver
[personne peut sauver personne
c’est peut-être tant mieux]
FÉVRIER
L’amour ne te sortiras pas de ça
Le chômage ne te sortira pas de ça
Pôle Emploi ne te sortira pas de ça
Créer des trucs peut-être
C’est toujours pareil, je rigidifie mon réel avec de la méthode du sérieux
de l’utile et j’oublie que l’inutile est agréable, que créer des trucs c’est
vital tu l’avais déjà dit écrit et redit, redis-le, CRÉER DES TRUCS C’EST
VITAL, est-ce qu’il faut que tu te le tatoues pour te le rappeler bordel
Je suis tellement en colère. Contre tout le monde. C’est bien la
première fois que ça se manifeste vraiment, et pendant aussi longtemps.
Ça va pas l’ego qui flanche, l’incapacité à se donner de la valeur
seulement par toi-même et pas parce que tu fais, moi aussi je suis cassé
je donne tellement peu oui je rayonne je brille mais quand ça va pas,
quand j’en ai marre de briller qu’est-ce qu’il reste ?
C’est ma fonction : j’illumine les gens. Et je vous emmerde. Allez vous
réchauffer ailleurs.
Franchement, tout le monde me dégoûte plus ou moins, c’est sûrement
ça être aigri dommage tu gardes tout tu gardes tout et tu t’étonnes que 25
piges plus tard tu saches rien dire rien donner qu’un soleil fatigué, t’es
cassée toi aussi t’as toujours voulu croire le contraire que tu passerais
entre les gouttes c’est ça gros mégalo prends ta baffe comme tout le
monde, bois ton café et ferme ta gueule. Alors oui on est calme
maintenant.
Je ne serais pas une silhouette
je serais soit tout soit rien pas d’entre deux bizarre qui fait mal.
Je voudrais seulement être une présence bienveillante, une brume à peine
scintillante qui observerait les gent.es que j’aime et se satisferait de pouvoir les
rendre heureux.ses juste en passant doucement au sommet de leurs crânes, sur
leurs joues fatiguées, puis repoussée par la fumée de leurs clopes, je glisserais
comme un voile, camouflée dans l’humidité des humain.es qui ne sauraient même
pas me penser.
Je vous verrais sourire sans avoir à porter
la responsabilité ou l’irresponsabilité de votre humeur. Je prendrais mieux soin
de vous qu’en étant moi.
je veux partir de mon corps
je crois
ça tire de partout
j’ai peur que ça s’arrête pas
c’est horrible
j’ai peur de m’endormir
parce que je sais très bien ce qu’il y a au bout du sommeil
c’est tellement simple cette histoire que ça me fatigue
je n’ai pas la certitude que ça aille de mieux en mieux, c’est plus clair en tout cas
mais du coup c’est plus dur et je tiens moins
la peau de mon cou est trempée et comme couverte d’écailles
il y a quelque chose de très seul dans ma gorge
je n’arrive pas à bouger à me sortir de ça
j’ai peur d’arriver à des conclusions
trop
denses
la nuit me fait encore peur
bordel
depuis quand j’ai peur de la nuit putain
c’est arrivé quand ça cette fameuse peur du noir bizarre qui me
bouffe le ventre vers 19h tous les jours tous les jours cette
impression que la nuit va m’enserrer les poumons qu’elle pèse
lourd un corps assis sur moi qu’elle va durer toujours j’ai peur de
la nuit de ce qu’elle renferme j’ai peur de la nuit parce que je ne
peux plus fuir
j’ai peur parce que je suis comme la plupart des gens, hypocrite
et laide, que je refuse de me laisser perdre, je veux perdre ce corps,
tant qu’il est encore tant pis pour le reste je veux partir j’étais
mieux loin personne ne m’attendait ou au moins j’en avais
l’impression.

D’un seul coup, la nuit m’enferme dans le Hangar.
Je suis comme toi
j’aimerais
la joie sans la peur
un peu de simplicité
la paix sans le mensonge
les autres sans moi
le corps sans la chiasse et le sang
la mort sans la douleur.
Moi aussi je suis épuisé et heureuse en même temps, la chaleur qui
tourne, et on avance côte à côte
des fois en criant
Moi aussi je passe la nuit à glortcher comme un petit bloc de glaise, puis
le matin je reprends la patience de rassembler rerassembler
rererassembler ce qui s’est effondré. Moi aussi j’aimerais qu’on s’en
parle, et qu’on soit petit.es et lâches, sales et faibles, irremplacables parce
qu’on doute pareil.
Moi aussi, je suis déçu par ce qu’on nous laisse comme réel.
Février 2023.
Je suis à un évènement où je ne devrais pas être parce qu’il y a trop de
monde, pas assez de place, et que je suis incapable d’interagir
normalement avec les gens. En fait je me rappelle même pas de ces
quelques jours. Je me rappelle juste la sensation d’être coincée dans une
ruche jour et nuit, en observant les autres, qui utilisent si bien leurs
bouches et leurs dents pour sourire, glisser en s’éloignant.
Je me rappelle de la cabane ouverte au vent, perchée dans les arbres. Il
faisait froid mais j’arrivais ni à bouger, ni à trouver une raison de
retourner à la ruche bourdonnante. A travers les trous du sol de la
cabane je regardais en bas, en me disant que c’était pas assez haut.
J’ai voulu m’endormir et qu’on me retrouve seulement quand je serais
mort de froid. J’ai pas réussi. Je me suis réveillée une heure plus tard, j’ai
eu peur de ce que je venais de faire. Tout doucement je me suis remis à
bouger, et je suis retournée à l’intérieur en clopinant.
Les potes ont pas posé de questions, ont pris mes pieds violets et les ont
massé près du feu. Je me rappelle que je les aimais tellement et que j’avais
tellement honte de leur infliger ça, de pas avoir réussi à rester dans la
cabane ouverte au vent, de mourir sans inquiéter personne.
J’ai eu raison de revenir, je remercie encore si fort les copaines qui
m’ont ramassé ce soir-là comme un petit chiffon sale, et d’ailleurs depuis
ce soir-là j’ai plus rien fait d’aussi con. Merci d’être là.
MARS
Ah je vais
disparaître peut-être
j’ai mal alors j’essaie d’accueillir cette sorte de dépression à bras ouverts enfin non
de me jeter dans ses bras et je me retrouve basculée dans un coup de vent, sentier
battu, fracas et bourrasques.
Je préfererais au moins attendre que ça passe seule dans un lit
je préferais pouvoir écrire de bons poèmes, visiblement c’est mal barré
Mais non, ça fera juste mal. Ce ne sera pas esthétique. Ce ne sera pas beau. Ce
sera banal. Concret. Et terriblement évident pour tout le monde autour.
(Donnez-moi des médocs je les prendrais)
J’ai l’impression que tout m’est donné, tellement près, que je suis à ça
d’absorber tous les savoirs et toutes les senteurs, mais que je ne suis pas prêt. Je
repousse tout et tout en moi devient inadéquat, toutes les paroles de travers, les
yeux en biais.
J’ai perdu la poésie parce que là où je suis elle n’intéresse personne, ou pas tout
de suite ; ça me fait un peu peur de devoir me recoller au réel si souvent.
Ici les gens sont cinglant.es, propres, uni.es, radical.es.
Ici les gent.es doutent peu ou alors leur doute est ordonné et leurs mains qui
s’agitent dessinent des idées concises qui remettent la tambouille des coeurs à
plus tard. J’adopte aussi l’incision de ces gestes qui protègent comme une arme ou
un talisman, ce qui est un peu la même chose, entre deux vitres qui craquent et
mon corps qui se creuse. J’essaie de me dissoudre en petits bouts dans d’autres
luttes et d’autres vie, ça marche pas trop.
j’ai peur putain j’ai tellement peur de ce qui est en train
de se barrer de mon réel, tout le monde est si loin et je
marche à rebours comme dans un rêve,
je ne suis proche de personne
Il fait doux depuis quelque soirs mais je me réchauffe encore un peu avec la
bouillotte gonflée comme une panse qui vient réchauffer le matelas, en imitant
des présences dans mes rêves.
Mon corps me rappelle quelques fois qu’il existe par l’odeur frappante d’un
prunus en fleurs, par la lumière du ciel moite sur les toits, ou de mes muscles
hurlants pendant une pose au taff.
À chaque fois c’est comme si j’avais jamais senti quoi que ce soit, comme si
j’avais jamais eu mal avant. C’est merveilleux et trop en même temps.
Mon corps se durcit je le sens aussi, mais cette fois ni d’une tentative de
virilisme débile, ni d’une solidité douloureuse. Je commence à capter que ça peut
être agréable d’être solide et vulnérable en même temps.
Mes os réclament réparation. Mon estomac demande à vomir des choses
dégueulasses mais nécessaires, mon crâne veut être engourdi de rêves où il n’y a
pas de flics, pas de champs de batailles, pas de bouches chaudes à oublier.
Comment est-ce que je peux prendre le temps alors que tout court autour de
moi, que les pavés fusent et le sang sur les tempes chauffe, les langues qui font
des nœuds en hurlant, les herbes boueuses, comment je peux prendre le temps
quand on se fait blesser tous les jours, insulter, gazer, tabasser, menacer dans les
rues dans lesquelles je marche la journée avec la flippe qui donne la chiasse ?
Des gouttes de pluie, rapides. Le frigo qui digère. Je suis collant et je pue.
Ce soir donc, ce soir bon. C’était très bien, en fait, et je suis presque étonné de
me le dire sans me figer. C’était comme une grande respiration vorace, parler et
sentir que j’arrivais d’un seul coup à me plonger dans les gens, leurs yeux, leurs
vies, leur beauté cette fois tactile.
Elle a été froide et lointaine pendant si longtemps, cette beauté. J’ai cru que
j’allais jamais plus pouvoir toucher vos peaux, même les sentir là à quelques
mètres pendant qu’on parle, vos odeurs qui s’échangent avec les miennes. Rien à
dire.
On ne travaille pas en urgence en psychothérapie. Évidemment, c’est bien de venir
quand vous êtes au plus bas, mais la réaction n’est pas une action. Donc la prochaine
fois que vous vous dites que tout va bien et que vous hésitez à annuler, venez quand
même. Désolée de vous le dire comme ça, mais c’est maintenant que la thérapie
commence.
Ça pique. J’ai parfaitement compris le message. Il y a du boulot on dirait.
Je viens de me réveiller, je pue de la gueule, cete journée s’annonce
dense et molle en même temps parce qu’il y a plein de choses à faire et si
peu d’amour de prévu.
Tous les matins, c’est à peu près la même chose, réveil souvenirs de
rêves sales, des keufs, des gens sans visage.
Ça digère, lentement.
Je me sens plutôt mal. Comme une bouillie, alors qu’à des moments ça
ressemble plus à des bras mécaniques géants qui me broient en une
petite boulette dense et ridicule jetée dans l’hyperespace sans espoir de
revenir. Donc plutôt mal, mais ça va.
D. me disait hier au téléphone qu’il sentait que ça allait un peu mieux,
qu’en tout cas il a moins envie de crever. J’en aurais chialé. Je suis
persuadée qu’il est en train de se construire quelque chose d’un peu
différent, que le pire est passé.
De retour d’un concert, trois clés de k et ça repart, j’ai des bagages
à faire mais y a un brasier dans mon bide, ça tourne en boucle pour
aucune raison. Le concert était si bien et ça sentait la nuit dehors, la
rue pue la mort comme d’habitude et je sais même plus si c’est de la
rage ou le désespoir qui me fait marcher. Je voulais tellement les
aimer fort, les potes avec qui j’étais, les serrer pour qu’iels restent,
leur dire que ça va aller, que je suis fièr d’elleux, qu’iels ouvrent la nuit
comme des nuées et portent le ciel, toucher leurs lèvres du bout des
doigts et sentir qu’on respire ensemble, j’ai bu des bières en me
répétant freine, freine, freine, freine bordel.
Je claque la porte en rentrant, même défoncée ça s’arrête pas on
dirait, du son à fond, j’ouvre toutes les fenêtres et des courants d’air
de doux printemps traversent l’appart en chuintant, je me frappe le
crâne pour que le truc qui se débat à l’intérieur veuille bien fermer un
peu sa gueule, ça marche pas alors je me cogne la tête contre ce qui
passe, les murs le sol, au moins ça secoue un peu. Ca me fait marrer
de sentir que ça tourne et que le monde suit pas.
P. rentre et voit très vite ce qui se passe, je suis à moitié hilare, iel a
l’air mal à l’aise et s’en va dans sa chambre. Iel est fatigué.e de vivre
avec moi, je serais fatigué aussi à sa place. Je reprends une clé et
continue mes bagages.
Je sors de ma léthargie 5 heures plus tard sur le tarmac de
l’aéroport de Dublin. Le soleil se lève. Contrairement à la fRance, ça
sent encore l’hiver en irlande, j’ai encore de la route jusqu’au sud.
Comment je vais faire pour arrêter de péter ce genre de crises ?
AVRIL
Trois, et de trois ruptures. En une semaine, ça commence à faire beaucoup,
tu fais pas les choses à moitié toi.
Je t’embrasse mon ami, à bientôt. J’aurais voulu te dire que même si je trouve
que c’est de la merde, j’espère que tu vas trouver ton grand amour.
Maintenant.
J’ai vraiment l’impression de tout devoir reconstruire tout petit à petit dans cette
vie étrange, et que ça ne m’étais jamais autant arrivé.
C’est aussi ça la dépression, de ce que j’ai compris. Ça veut dire encore du
temps, encore ramer, encore la boule au ventre et les réveils sueur et asphyxie,
encore la solitude. Il va falloir pleurer beaucoup pour extraire l’amer et le sale, et
après noter tout ça encore une fois. Pour ne plus recommencer, parce que j’en ai
assez. Je veux que ça finisse.
Je suis toujours pas prêt à recevoir l’affection qu’on me donne, ou si peu, j’ai
aucune idée de comment tenir une interaction sociale plus d’une soirée.
J’ai peur de lister mentalement les gent.es proches qu’il reste dans ma vie et de
me rendre compte qu’elle est bien vide. Je pense que j’ai tort. Je pense que je suis
injuste mais bon, la colère l’emporte.
J’ai hâte de la légèreté, des réveils paresseux et tendres, du
sommeil calme, de la sensation d’être soutenu par des corps que
je sentirais bouger avec le mien. Hâte de me sentir très proche du
réel, de le toucher, de le tâter, de sentir cette connexion bizarre
entre les regards et les cerveaux des gent.es.

PRINTEMPS-ÉTÉ
MAI
Je sens qu’il serait temps que je m’ouvre au bordel autour pour sortir de
l’impasse mais encore souvent la dépression est là, elle me pèse sur le sos, elle
m’empêche de réfléchir, pourtant j’ai l’impression de me débattre, de vouloir vivre
encore un peu.
C’est comme échouer jour après jour, consencieusement, à être un être complet.
C’est comme marcher dans le corps de quelqu’aine que je méprise.
J’ai l’impression d’être un mollusque. J’aimerais sentir que c’est suffisant, que si
l’on s’aime assez fort, juste un peu, on pourra vivre comme ça sans lourdeur.
Depuis quand je suis incapable de faire ça
Le ciel se charge en photons, nuages lourds et odeurs de vieille pisse. Ce sera le
premier orage de la saison.
Je fais mon sac, remplis mes poches de livres, bouffe, couteaux et sérum phy et
mes jambes m’amènent à Lille Europe pour un autre bus comme avant vers Paris,
ou Nantes, ou Ivry, ou Bruxelles, Amsterdam, Halluin, Marseille. Cette fois c’est
Marseille puis Pau.
Aujourd’hui la psy m’écoute résumer mes traumas et couacs, jette à la fin d’un
de mes silences : « Vous analysez bien. Mais vous restez en surface, au-dessus.
Alors bien sûr, c’est confortable, mais j’aimerais que vous mettiez les mains dans
le cambouis. L’analyse, on voit ça entre nous ». […]
je veux être libre
Mais la liberté a perdu du sens capitaliste que lui donnais avant (c’est tant mieux)
je suis tellement loin, merde. C’est stratosphérique.
AOÛT
Câlé dans la baignoire, je me brûle lentement tout le corps
comme une grosse écrevisse.
j’en suis au point de stagnation.
Je surnage, plutôt silencieusement. C’est comme si derrière
l’horreur je découvrais pour la première fois le réel, décevant,
même pas laid, juste sans intérêt.
je pète pas les plombs j’avale du barbelé j’avale j’avale j’avale je
vomis même pas regardez comme je fais ça bien me posez pas de
question s’il vous plaît quelqu’un.e arrêtez-moi ou je ferais ça
jusqu’à la mort
le silence répond.
C’est plus dur que ce que je pensais, la solitude. Elle prend toutes
les distinctions claires entre les affections et les change en brume.
C’est tellement dur d’admettre qu’on en a besoin d’être rassuré.
Je sais pas faire. J’ai peur de ne jamais apprendre à faire la paix
avec ça, peur de ne jamais avoir la sensation de pouvoir tomber,
me ramasser comme un chiffon sale, et qu’il y aie des ami.es qui
veuillent bien m’aider à me défroisser un peu.
J’apprends. Encore. En essayant d’arrêter d’attendre la sérénité
affective, ou la révolution.
AUTOMNE
OCTOBRE
Tu roules sous la pluie avec un sac lourd accroché à la anse gauche du vélo, avec
la conviction intense qu’il faudrait mieux passer sous les roues d’une caisse que
continuer comme ça.
Tu as peur parce que tu réalises que même après l’amour, et la tendresse, et la
confiance, c’est aussi dur d’être heureux que pas. Tu t’en veux d’être aussi
nihiliste et de vouloir passer choper des canouches à l’épicerie du coin, puis après
de même pas avoir le courage d’assumer ton alcoolisme et de revenir dans ton
nouveau chez-toi les mains vides, les cheveux trempés, aucune larme qui sort. Ça
fait comme une gastro coincée vers la glotte et ça te dégoûte.
Tu regardes le vaste salon nickel, tu ne t’y sens pas plus chez toi que partout
ailleurs, tes os en location se baladent aléatoirement entre les apparts les tentes
les aires d’autoroute et ça te touche de moins en moins. Tu as l’impression d’être
en trop en arrosant méticuleusement les petites plantes bien rangées, tu aimerais
vomir cette sensation dans le jardin mais elle te colle à la machoire que tu tiens
bien serrée à chaque fois que tu parles, en attendant que ça s’arrête.
Il commence à faire froid, des fois tu aimerais te prouver que tu saurais au
moins t’endormir dans la nuit glaciale, et que ce serait presque doux ; tu voudrais
mourir à mi-temps, quand ça devient trop compliqué de regarder les petites
plantes du salon en te disant qu’en fait ça n’a aucune espèce d’importance. T’as
envie de croquer dans du béton et y laisser tes dents, tu constates que ton cerveau
ne fonctionne toujours pas comme il devrait et tu te demandes encore, dans la
plus pure des naïvetés, quand est-ce que ça s’arrête.
J’ai l’impression que je me sens jamais aussi bien que dans un
espace silencieux, seul. ces temps-ci
C’est un peu comme si le bruit du chat qui grignote,
d’une porte qui se ferme au loin
c’était déjà assez.
À la maison ce que je cherche le plus c’est le silence et la lumière
du salon. Je fuis la honte de ne plus savoir tenir le bruit les rires
les prétentions les jeux sociaux la rapidité
je me marre quand même
ça me bouffe
de même pas réussir à tirer un peu la gueule dès qu’il y a des gens
autour
j’ai l’impression que le capitalisme et le partriarcat sont
tellement loin dans la peau que je me donne une valeur seulement
à partir de quand je souris et donne de la joie
Le réveil de nuit dans la chambre demi-pénombre lampadaires les ombres qui bougent
le sol détrempé encore jeune mes mains qui serrent le vide comme un vieil amie
le rai de lumière sous la porte c’est déjà assez il me semble
rester rester rester
c’est tout ce qu’il me faut
s’enfoncer loin du réel
la lumière de la multiprise
respire
respire
respire
respire
respire
respire
Ça remonte, et fort ; je tenais à peine sur la selle du vélo tout à l’heure, la main
sur le torse en sentant l’air me brûler les poumons, je me répète Je suis heureux.
Je suis heureux ! C’est une découverte et à ce moment c’est la plus belle chose qui
soit.
Je roule pas bien là où il faudrait mais c’est pas grave, je suis heureux, ça brille de
partout la ville, ça sent le début de quelque chose c’est sûr, je vais me perdre là-
dedans et ce sera délicieux, tout est possible, les gens sentent la tension, le sexe et
la joie, je les aime, j’ai peur aussi, peut-être aller crâmer des trucs, quoi d’autre ?
C’est tellement agréable que j’en oublie que c’est bien de la merde cet état, que
ça vient systématiquement un ou deux jours après que j’aie envie de crever loin de
tout ; mais je m’en fous, la soirée est belle, franchement je suis chiant à faire toute
une histoire de ces bails de dépression, quelle flipette, alors que t’as la force à
l’intérieur c’est sûr, tu gères, avec cette dégaine incroyable, fonce ce sera beau.
D’habitude je gère ce genre de montée avec une clope, une bière et de la
kétamine. Problème étant, on est plutôt sur une période de sevrage. C’est sec.
Personne est dispo. J’évite le frigo que je sais contenir une ou deux canettes. Ça
fait trois semaines que j’ai rien pris, et la clope plus d’un an. Je suis à ça de taxer
du tabac à ma coloc, qui me lance alors que je suis en train de nettoyer la litière
des chats Il est une heure du matin. La cuisine est vraiment très propre, c’est bon.
Va dormir.
Je viens de la nettoyer sans m’en rendre compte, ça brille en effet de propreté.
Je suis peut-être un poil compulsif.
2h et aucune envie de dormir, j’ai chaud, je sais que ça va s’arrêter net à un
moment où un autre et alors je pourrais m’effondrer dans la couette pour un long
sommeil sans rêve
Franchement j’en chie. C’est une galère, j’ai l’impression de me
maintenir à flot, globalement ça marche, mais faut que je me batte
à toute heure pour que ça resombre pas. Alors je me bats. Dès le
réveil en fait, les derniers rêves sont plus des cauchermars
qu’autre chose, ça se transforme en pâte de réveil, ça colle, me
bouche les bronches, je mets un temps engourdi à trouver la
lumière, me rappeler que la réalité c’est pas cette fange gluante,
qu’en bas il y a J. et R. qui prennent un petit dej, du café réchauffé,
qu’il fait encore doux, que tu aimes fort et que tu es aimé.
C’est un peu comme les limbes. J’attends doucement que ma vie
veuille bien redevenir sûre et nette comme j’imagine qu’elle a été
un jour.
C’est long et ça ne vient pas ; je ris, je me pète la gueule, je
recommence, je donne de l’amour, j’en reçois, et toujours ça
ne vient pas. Il y a une insatisfaction que je triture quelque part.
Celle qui me ronge le coeur d’avoir tant d’amour et de devoir le
mâchonner.
Celle qui me contient dans le calme parce que j’en fais toujours
trop, sinon.
C’est peut-être la toute première fois que je ne me sens pas assez
exister. J’ai plutôt l’habitude du contraire. Et d’avoir juste envie
que ça s’arrête.
HIVER
JANVIER
Comme à chaque fois dans la descente j’ai des poussées intenses qui me
donnent envie de créer des trucs
je sais maintenant que c’est mon corps qui me pousse à pas mourir
c’est assez pratique, sauf que quand je n’arrive pas à créer c’est trop dur, je suis
paralysé.
J’ai été amorphe toute la journée, tête en bulle, voix lointaines, mal de crâne,
passer sous un bus a finalement pas l’air si compliqué
je traîne mon ventre qui veut à peine exister, heureusement les potes sont
incroyables comme d’habitude
j’arrive pas à leur dire aujourd’hui non plus. C’est plus si grave maintenant, je sais
que je réussirais à leur dire plus tard.
mais ce soir j’ai posé le clavier sur le bureau, une tasse chaude, et mon cerveau a
été gobé par le logiciel, c’est comme faire l’amour les fois où c’est vraiment bien,
le temps se fait discret et plus rien ne peut me gêner.
La machine me dit des choses que je ne comprends pas entièrement mais c’est
beau comme on essaye fort, je rogne les sons, les classe, c’est comme tailler dans
du bois ; de temps en temps je sors un peu le visage de l’écran pour apercevoir que
de la musique est en train de pousser sous ma peau.
Je ressors de cet autre monde avec la certitude que ça vaut le coup, si c’est pour
se perdre comme ça. C’est dingue comme je suis surpris et j’oublie à chaque fois,
que c’est magique. Plus de peur, de corps, plus de monolgue interne.
J’ai tort de penser que c’est mes ami.es le plus important. Le plus important,
c’est mes ami.es, et ça. Et partager ça avec elleux.
je dérive, c’est un peu doux comme la folie, j’aimerais en rire
Il y a des soirs comme celui-ci
des soirs où toutes les conditions sont réunies pour un passage
apaisé, solide vers le sommeil
et je pense que jamais ça n’ira mieux, jamais ce sera plus simple, et
surtout je me fais à l’idée
ça c’est nouveau
je suis toujours allé contre le mouvement irrésistible qui fait
tanguer entre les mortes et les vivants, en me persuadant que
c’était une passade, et ce soir comme d’autres soir je constate que
peut-être ça ne partira jamais complètement, cette danse étrange
qui me fait valser entre les corps et les voitures
Ça me fait un peu peur aussi
Alors j’écris des textes absurdes en patte de mouche pour éviter
d’avoir à regarder en face la vérité toute propre, que ces envies de
disparaître sont des pensées suicidaires qui sont là depuis bien
plus longtemps que ce que je croyais.
je suis épuisé et soulagée en même temps.
J’aimerais m’allonger sur une rive et laisser la flotte me border d’une petite
odeur de moisi. De son clapotis vide…
Il faut encore de la thérapie c’est ça hein
Il y a deux horizons
Le premier est grand et ressemble à la mer
il tangue sous la bruine
on se salue de loin
ne connaît pas mon nom, je connais le sien
je le murmure même
le deuxième est griffé à l’intérieur du corps
il casse les os qui ont le malheur d’être trop petits
les sculpte comme des dés brillants, clairs comme de l’eau saine
les amenuise
il est près, toujours, ces temps-ci
j’arrête d’essayer de l’attraper
il y a deux horizons
et je suis épuisé de devoir toujours courir pour les observer
juste un peu
parce que quand je les regarde, la peau tendue, les yeux fixes,
ils me regardent en retour
ils me carbonisent sur place
c’est comme un laser
qui fore les poumons
je suis pétrifié à chaque fois
pourtant j’ai l’habitude d’être une statue mais c’est c’est toujours
la même chose :
une caresse de feu géante
qui m’englobe le coeur
puis me laisse là, dévoré
et j’y reviens
encore une fois
et je suis fatigué

RESSOURCES
Brochures disponibles sur infokiosques.net :
- Aider des ami.e.x.s qui ont parfois envie de mourir à ne peut-être pas mourir
- Dépression, comment te quitter ?
- Guide pour décrocher des médicaments psychotropes
- Guide de navigation en eaux troubles - se fabriquer des ressources pour se faire du bien quand on a une crise ou un moment pas cool
- Tumer fue – une méthode libre pour en finir avec la clope
- Pour une santé mentale autogérée
- Poser les bases pour commencer une thérapie
- Sur le Psy-validisme et la place des personnes handi-psy dans les milieux militants
- Les ami.es sont le meilleur remède - guide pour créer des réseaux de soutien en santé mentale
- Étranger.e à soi : réflexion sur le courant du self care
Plus globalement, le blog Zinzinzine regroupe plein de ressources sur la santé mentale et l’antipsychiatrie. Je conseille de fouiller.
Autres :
– La BD « Goupil ou face » qui parle super clairement de cyclothymie (famille des troubles bipolaires)
- Chaîne vidéo Psycocouak qui vulgarise les différents diagnostics psy
- Le projet Icarus, réseau de soutien et de partage : https://icarus.poivron.org/projet-icarus/
- Arrêtons de laisser les meufs trans se suicider, texte de Kai Cheng Thom : https://radiorageuses.net/IMG/pdf/kct_-_arretons_-_mise_en_page_totale_lecture2.pdf

Cette brochure est mise en page sur Scribus avec les polices Unna, Jabrowsky et Lemon Milk
Les illus sont faites à la main et retouchées sur Gimp. Télécharge, réimprime, sers-toi en comme brouillon, fais tourner.
Domino, hiver 2024
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