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C’est quoi la ZAD ?

mis en ligne le 6 mai 2016 - Quelques occupant-e-s de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

La ZAD de Notre-Dame-des-Landes est un foyer de lutte depuis plusieurs années [1]. Par la suite, d’autres ZAD se sont créées un peu partout. Mais qu’est-ce qu’une ZAD ? Beaucoup de personnes qui y sont impliquées semblent faire comme si c’était une évidence, mais c’est une question qui ne se pose presque jamais. Et lorsqu’elle se pose, les réponses se révèlent souvent contradictoires. Alors c’est une question qu’on a envie de poser à celles et ceux qui se réapproprient ce mot, et pour commencer, à nous-mêmes.

L’auteur de ce texte est un groupe de personnes qui vivent et luttent sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes depuis plusieurs années et qui a décidé de passer du temps à réfléchir à cette question de ce qu’était une ZAD pour nous. Ce qu’on va raconter ici, c’est notre réponse à cette question : une réponse subjective qu’on ne pense pas être la seule. On aimerait que vous la preniez comme une invitation à se poser cette question avec celles et ceux avec qui vous brassez des bouts de vie et/ou de lutte. On espère avoir des échos de vos réponses, comme autant de définitions des ZAD qui pourraient
poser les bases d’un mouvement qui attend encore qu’on lui donne
une consistance.

On a pris comme point de départ de nos réflexions la ZAD de
Notre-Dame-des-Landes, celle que nous connaissons le mieux, mais
aussi la première créée.

L’action directe

Pour nous un des faits qui différencie la ZAD des autres endroits
c’est qu’elle est issue et soutient l’action directe. Cette dernière n’est
pas forcément une action masquée ou risquée : le fait d’habiter la
ZAD est lui-même une action directe, c’est squatter un endroit où il y
a un grand projet d’infrastructure à la campagne. A la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le rapport de force est tel que l’occupation de terre est devenu quelque
chose de « normal », d’anodin et qui peut avoir lieu sans
complications.

L’action directe c’est des actes, souvent en groupe, pour lutter
directement contre une situation qui affecte nos vies ou celles des
autres, sans demander à un intermédiaire (syndicats, partis politiques,
gouvernements, ou autres autorités « compétentes ») d’intervenir. Par
exemple, faire une manifestation contre Vinci (le concessionnaire du
projet d’aéroport) serait une action symbolique, mais aller chez eux,
bloquer les entrées et que personne ne puisse travailler, ça devient
une action directe. Il peut aussi s’agir d’empêcher des bulldozers
d’avancer au cours d’une expulsion ou de travaux, occuper et cultiver
un terrain, cramer une préfecture, barricader une route ou planter un
verger à cinquante sur un terrain voué au bétonnage. Dans un monde
qui nous fait nous sentir impuissant-e-s, c’est un moyen de reprendre
nos vies en main.

Comme nos désirs sont en conflit avec les intérêts de l’Etat,
l’illégalité est une réalité ici et souvent nos tactiques sont illégales, la
ZAD n’aurait jamais existé légalement. On ne reconnaît pas à l’Etat la
légitimité de décider pour nous ce qui est permis. Ce qui est souhaitable pour l’Etat c’est le contrôle et le maintien de l’ordre, d’où
l’intérêt d’interdire tout ce qui est hors de leur domaine. Ce n’est pas
pour autant une fin en soi. Il existe dans cette lutte une diversité de
tactiques : des recours juridiques, des sabotages de pelleteuses, des
résistances des habitant-e-s aux expropriations de maisons et de
fermes par l’Etat, des expropriations de supermarchés, des grandes
manifestations, des guet-apens à la police... Cette diversité est la force
de cette lutte, et qu’une action soit interdite ou pas ne la rend pas
moins légitime.

Les médias parlent souvent de la non-violence et de la violence
en leur assignant des valeurs morales : il est sous-entendu que la
« violence » c’est mal, quand la « violence » dont illes parlent
consiste à se défendre face aux flics ou de faire des dégâts matériels.
Pour nous la violence est du côté de l’Etat et des décideurs, à travers
l’aménagement du territoire par exemple. Par ailleurs étiqueter les
personnes qui se révoltent comme violent-e-s participe d’une
manoeuvre de décrédibilisation. Sachez qu’une personne peut à la fois
faire de l’agriculture et se confronter avec la police.

Construire une autre réalité

Un aspect important d’une ZAD est l’idée de construire une autre
réalité, où nous sommes moins dépendant-e-s de l’État et du
capitalisme. Vivre ici veut dire apprendre à nous débrouiller avec ce
que nous avons ou à trouver ce que nous n’avons pas sans devoir nous
appuyer sur des professionnel-le-s ou sur des expert-e-s. Nous
n’appelons pas un électricien pour un problème parce que si nous
avons l’électricité c’est pas réglo : soit on la produit nous mêmes, soit
c’est branché illégalement. Pour certain-e-s, c’est quelque chose
d’important politiquement de savoir que nous pouvons construire nos
maisons avec ce qu’on trouve dans les déchetteries et tout réparer
avec de la ficelle bleue agricole. Pour d ’autres, il s’agit de prendre le
temps et de se donner les moyens de couper du bois et de fabriquer
nos poutres pour construire. Dans tous les cas, apprendre à être plus
autonomes pour des choses pratiques, c’est se défendre contre un système qui veut nous rendre dépendant-e-s. Il ne s’agit pas que
chaque personne sache tout faire, mais de s’entraider et de partager
nos connaissances et nos ressources pour nous débrouiller ensemble.

Nous habitons au quotidien sur la zone et donc nous essayons de
créer le niveau de confort dont nous avons besoin pour nous sentir
bien. C’est aussi lié à une envie de se projeter à long terme, d’habiter
en permanence ici. Pour beaucoup de gens, la ZAD ce n’est pas
seulement une action directe ou une façon de montrer ses idéaux ;
c’est aussi leur vie et leur « chez elles-eux ». On sait que nos maisons
et nos potagers pourraient être détruits et qu’on va peut-être être
forcé-e-s de partir, mais on vit et on s’organise aussi comme si on
pouvait rester ici toutes nos vies : on ne veut pas s’empêcher de faire
des choses parce qu’illes pourraient nous expulser.

Nous ne sommes pas simplement contre le gouvernement, nous
voulons aussi créer quelque chose qui nous convienne mieux. La ZAD
est un endroit qui est géré par les personnes qui y vivent et qui
décident ce qui s’y passe : l’Etat n’a plus rien à dire. De la même façon
qu’on ne veut pas suivre les réglementations officielles pour la
construction de nos maisons, on veut décider pour tout, et aussi pour
ce qui concerne notre façon de s’organiser.

Une communauté ouverte

Celles et ceux qui vivent et luttent sur la ZAD partagent un
certain nombre de vécus communs : habiter un même espace ; être
confronté-e-s à des embrouilles quand des flics ou d’autres fachos en
herbe viennent y faire une descente ; se côtoyer au quotidien. Il y a
aussi une solidarité et une entraide dans la vie de tous les jours, que
ce soit par des coups de mains, le prêt de ce que le-la voisin-e n’a pas,
le partage de ce qu’on cultive ou qu’on récupère, etc. Tout cela ne se
fait souvent pas sans accrocs, mais lie malgré tout les habitant-e-s de
la ZAD. Elle est ainsi, moins par choix que de fait, une forme de
communauté.

Mais la ZAD n’en reste pas moins ouverte. Chacun-e peut, s’ille
le souhaite, venir y passer quelques jours ou quelques semaines.
Chaque collectif de vie ne va pas forcément ouvrir grand ses portes,
mais la ZAD dans son ensemble est accessible à quiconque, même
s’ille ne connaît personne et vient d’une toute autre culture. Souvent,
les squats ou les groupes qui font de l’action directe ne sont pas faciles
d’accès (par exemple parce que ce sont des groupes d’ami-e-s ou pour
des raisons de sécurité). C’est l’une des forces de la ZAD d’être une
porte ouverte vers d’autres possibilités de vie et de lutte que celle
qu’impose le modèle socio-économique dominant. Elles jouent ainsi le
rôle de moment ou de lieu de rencontres qu’ont souvent les
mouvements sociaux.

La ZAD agrège plein de gens issu-e-s de mondes très différents :
des milieux militants ou activistes, qui ont grandi dans le coin,
venu-e-s des squats en ville, de la rue, du milieu paysan, qui ont lâché
leur travail salarié, ou rien de tout ça, ou même tout ça en même
temps. Tous ces gens qui partagent un espace et vivent et luttent
ensemble, ça fait un gros bordel, mais aussi et surtout une grande
richesse. Alors que ce monde tend à nous isoler, partager un espace et
fonctionner avec toute sorte de gens est déjà une victoire qui nous
donne de l’inspiration.

Cette ouverture et cette diversité font de la ZAD un lieu de
rencontres, un carrefour des luttes : des nomades qui font le lien entre plein de lieux y côtoient des personnes enracinées qui portent des
projets à long terme ; des gens y trouvent une base stable à partir de
laquelle prendre des risques ailleurs ; des groupes déjà constitués s’y
donnent rendez-vous ; des inconnu-e-s y tissent des complicités.

Mais la ZAD est aussi ancrée dans le territoire : le lien avec les
habitant-e-s « historiques », celles et ceux qui étaient là avant le
projet et qui s’y sont souvent opposé-e-s les premier-e-s est l’une de
grandes forces de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. C’est un
groupe d’habitant-e-s qui résistent qui ont lancé un appel à
occupation, auquel des gens venu-e-s de plus loin ont répondu. Ces
liens, cette entraide ou ces coups de gueule qui se partagent sur la
ZAD impliquent aussi les habitant-e-s « historiques », de la ZAD ou
d’un peu plus loin. Les occupant-e-s sont venu-e-s progressivement
renforcer une lutte locale qui existait depuis des années.

Des idées partagées

Derrière nos façons de vivre, de lutter, ou de construire nos
relations, il y a quelques idées qui nous semblent largement partagées.
On ne s’est jamais tou-te-s mis-es d’accord dessus, mais certaines
nous semblent bien présentes comme des idéaux auxquels on aspire.

En s’opposant à un projet d’aéroport, on lutte au fond contre
l’aménagement du territoire, c’est à dire le fait que la vie des gens est
décidée en avance par des ingénieurs et des architectes qui vont
imposer aux autres où seront des commerces, les logements, les
aéroports, etc. Illes veulent des espaces où tout est contrôlé, surveillé
et planifié. Dès ses débuts, le mouvement d’occupation a lutté non
seulement contre le projet d’aéroport, mais aussi contre la logique
gestionnaire des puissant-e-s.

Dans le monde des aménageurs, la plupart des échanges se font
par le biais de l’argent. Le système en vigueur fait s’enrichir quelques
privilégié-e-s en appauvrissant tou-te-s les autres. On souhaite à la
fois faire s’écrouler ce système et créer des échanges qui ne soient pas
basés sur l’argent.

Plus généralement, on aspire à s’écarter des logiques de
domination qui donnent plus de valeur et de pouvoir à certaines
personnes plutôt qu’à d’autres : avec ou sans papiers, hommes ou
femmes ou autres, personnes blanches ou pas, hétérosexuel-le-s,
homosexuel-le-s ou autres, « Français-es » ou étranger-e-s. Ces
inégalités existent aussi sur la ZAD, mais il y a des tentatives de la
rendre vivable pour tou-te-s.

Enfin, on ne reconnaît pas à l’Etat ni à quiconque l’autorité de
décider ce qu’on doit vivre. On tente de s’organiser pour la vie et la
lutte sur la ZAD sans hiérarchies, en donnant le même pouvoir à
chacun-e. C’est pas quelque chose qui marche comme sur des
roulettes mais plutôt des débats et une recherche permanente.

Un mouvement qui s’élargit

Après l’opération César [2], plein d’énergies ont convergé vers la
ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Beaucoup d’entre nous ont eu envie
que cette énergie ne se focalise pas sur Notre-Dame-des-Landes. Ça rappelle
l’image d’un rhizome où cette énergie se concentrerait, se croiserait,
se réveillerait ici pour ensuite nourrir la lutte partout comme un
rayonnement. L’idée serait que les gens qui luttent dans leur coin
contre des projets d’infrastructure, de métropole, d’aménagement du
territoire, puissent utiliser la ZAD comme un exemple : comme une
idée, une image, qui peut permettre de sauter une étape, de profiter de
la médiatisation de cette lutte, et de faire un raccourci au lieu
d’expliquer plein de concepts abstraits. Que « la ZAD » fasse partie
d’un imaginaire partagé largement, ça aide les gens qui veulent agir
localement contre les mêmes forces à leur façon. On espère que ça
participe à briser l’image d’une société dite démocratique, et à ce
qu’on soit nombreuses à lutter, partout.

Il y a des conditions réunies ici, comme le peu d’interventions
policières et étatiques, des terrains cultivables ou un désir de vivre
sans hiérarchie, qui sont peu courantes. La vie qui se crée à partir de
cette intersection de conditions donne une idée parmi des milliers
d’autres d’une possibilité d’avenir. Ce n’est pas une vitrine alternative – parce qu’on ne crée pas la ZAD pour prouver quoi que ce soit – mais une expérience concrète d’organisation de nos vies par nous-mêmes.

L’idée de ZAD semble avoir la force de rassembler, de fédérer des
groupes et individus dans des dynamiques de luttes. Un
mouvement de ZAD semble en train de se créer un peu partout –
Roybon, Testet, Agen, Echillais, Oléron, et toujours des nouvelles...
Réfléchissons aux pièges qui se présentent couramment : à l’action
des partis politiques qui manoeuvrent dans ces mouvements
d’opposition à des fins politiciennes, à l’idéalisation d’un « mode de
vie zadiste » dépourvu de convictions politiques, à la criminalisation
des mouvements qui vident les actes de leur sens, ou encore à la
demande aux opposant-e-s de proposer une alternative viable. Ce qui
empêche une remise en question globale et réduit chaque
problématique à des questions techniques ou juridiques... Il est temps
qu’on pense ensemble ce qu’on porte pour éviter la dépolitisation et la
récupération par l’Etat et ses sbires, pour construire une identité de
lutte révolutionnaire.

Quelques occupant-e-s de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, juillet-août 2015

[1Note de Tout mais pas l’indifférence : on peut lire sur la première page du site de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes que "la ZAD, c’est pour les aménageurs la Zone d’Aménagement Différé ; pour nous une Zone À Défendre : un bout de campagne à quelques kilomètres de Nantes (Bretagne) qui devrait, pour les décideurs, laisser place à un aéroport international".

[2Note de Tout mais pas l’indifférence : l’opération César a été lancée le 16 octobre 2012. Il s’agissait d’une opération de police importante qui consistait à expulser toute la ZAD. Déclenchant une résistance et une solidarité probablement inattendues par les autorités, cette opération se solde par un échec retentissant, matérialisé par une grande manifestation de réoccupation de la ZAD le 17 novembre 2012.


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