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Paysages en zones-frontières Ventimiglia, la ville en creux

mis en ligne le 17 février 2022 - anonymes

Au sein de la ville cadastrée, quadrillée et contrôlée par une poignée de décisionnaires, se superpose une autre ville, nomade : la ville en creux. Dans l’effervescence de la machine métropolitaine, la ville en creux nait des décombres et se nourrit de l’oubli, digérant l’urbanité innavouable, le non planifié.

Les interstices, ni dedans, ni dehors, se font alors attracteurs de rêves. Echappant à l’ordre établi, ils se situent en marge du pouvoir de la société marchande et spectaculaire ; l’espace où l’on s’invente de nouvelles vies.
Des blancs dans la carte.
La pratique de l’interstice (le refuge) tiendrait alors de l’acte rhizomatique : son enracinement est dynamique, existant à partir d’un lieu tout en le transgressant. Se réfugier demande alors une déterritorialisation permanente ; une capacité de surgissement, d’occupation et de disparition dans/de l’espace.
Vers le tracé d’une ligne de fuite créative...

Chapitre 1 / Quadrillage du territoire

La fermeture de la carte
« La dernière parcelle de Terre n’appartenant à aucun État-nation fut absorbée en 1899. Notre siècle est le premier sans terra incognita, sans une frontière. La nationalité est le principe suprême qui gouverne le monde – pas un récif des mers du Sud ne peut être laissé ouvert, pas une vallée lointaine, pas même la Lune et les planètes. C’est l’apothéose du "gangstérisme territorial". Pas un seul centimètre carré sur Terre qui ne soit taxé et policé... en théorie. »
T.A.Z, Hakim Bey

Frontières

La Frontière se dessine comme invariant bio-social de la constitution et de la légitimation des États-nations.
Dans un monde globalisé où le capitalisme prône l’accroissement des échanges pour le développement des flux et des capitaux, la Frontière devient un espace essentiel dans les processus de contrôles des mouvements du Spectacle. La mondialisation fait du lieu de la Frontière un objet de politiques publiques et une ressource pour les intérêts privés ; une cristallisation d’enjeux de mobilités et de pouvoirs. Celle-ci apparaît alors comme une vaste zone d’expérimentation de processus d’aménagement et d’occupation des territoires, tissant de nouveaux fils de plus en plus soumis à un ordre marchand.

Malgré l’ouverture des frontières impulsée par l’économie globalisée, celles-ci entretiennent pourtant toujours un rôle originel rituel, celui de la démarcation, de la séparation, de la dualité, de la division, de la protection ; envers un Autre, un Sauvage, un Barbare, envers nos relations au Monde. Les frontières sont emplies d’impulsions contraires : elles s’ouvrent aux marchandises, à la finance et aux touristes, et deviennent murs érigés face à l’homme migratoire indésiré ; nomade, voyageur, réfugié, exilé, errant... L’origine du terme en français proviendrait de ’front’, terme militaire qui désigne la zone de contact avec une armée ennemie, une ligne sinueuse et fluctuante évoluant en fonction des rapports de forces en présence.

La Frontière opère aujourd’hui un tri entre les prétendant au Passage, grâce au marché florissant des politiques anti-migratoires internationales et des nouvelles technologies, étroitement liées à la militarisation de l’espace. Elle devient ainsi un lieu de l’attente, de la tentative et de la répression, où le monopole étatique d’une ’violence légitime’ prend peu à peu la forme d’une ’contre-violence préventive’.

Une nouvelle phase du conflit s’amorce dont l’enjeu n’est plus le lieu où passe la limite, mais la défense de l’idée de frontière elle-même.

Militarisation

L’année 2015 et les nouvelles applications du traité de Dublin marquent la fermeture de la frontière italo-française, au sein de l’espace Schengen (de libre circulation). On assiste depuis à une remilitarisation de l’espace frontalier, territoire aux limites qui ne peuvent plus être représentées comme simples tracés.

Aujourd’hui, la frontière prend une toute nouvelle épaisseur par le biais de politiques sécuritaires anti-migratoires et antiterroristes qui élargissent son champ d’action et ses pénétrantes. Dans ce territoire disputé, la frontière conflictuelle se fait mouvante et interroge les degrés du pouvoir incarné sur le territoire frontalier, et son influence sur l’état du monde.

Partout, le contrôle, la répression et la violence s’intensifient envers les êtres migratoires : patrouilles et fouilles sur les voies de déplacement (trains, routes, sentiers) ; arrestations et rafles dans les rues et les campements ; éloignement de la frontière et déportations dans les hotspots du sud ; dissémination de technologies de surveillance optiques et thermiques ; menaces et poursuites judiciaires des solidaires ; diffusion d’un racisme habitant...

Annexion

En septembre 2001 est créée par arrêté préfectoral la Communauté d’Agglomération de la Riviera Française (CARF), comprenant les communes de Beausoleil, Castillon, Menton, Moulinet, Roquebrune Cap Martin et Sospel. En septembre 2002, Gorbio rejoint la communauté, suivi quelques mois plus tard par Peille et SainteAgnès. Castellar rejoint en 2009.

En 2011, impulsé par la métropole Niçoise, la première créée en France, il est question d’intégrer les communes de la Moyenne et de la Haute vallée : « les communes de l’arrière pays ont besoin de la poussée du littoral pour se développer ». Ceci arrivera 3 ans plus tard, après une résistance habitante à l’incorporation, préferant une intercommunalité de la Roya.

Sous la pression métropolitaine, la CARF tend alors à privatiser les compétences de gestion du territoire : développement économique ; aménagement de l’espace ; équilibre social de l’habitat ; politique de la ville ; protection et mise en valeur de l’environnement.

De grands projets infrastructurels promettent aussi de bouleverser la vallée. Le doublement du tunnel de Tende par exemple, avec pour objectif l’accroissement du trafic des poids lourds entre la France et l’Italie, par le point de passage le plus rapide de la région et sans péage.

Après suspension des travaux pour cause de détournements, de corruption et de vices de fabrications, des matériaux polluants (anydhrites) stockés en bordure d’un affluent du fleuve menacent toujours la potabilité de la Roya. Plus de 200.000 personnes sont concernées, notamment les villes côtières de Ventimiglia, Menton et Monaco, alimentées par le fleuve et ses nappes.

Des blancs dans la carte ?

Dans cet espace de surveillance et de contrôle, est il encore possible de trouver Refuge dans les replis de la frontière ? De se réapproprier nos manières de voyager, d’habiter et de se représenter les lieux ? De réaliser des moments et des espaces où la liberté est non seulement possible mais actuelle ? Des sentiers pirates aux blancs dans la carte, de cabanes échappées, d’agriculture fugitive aux fêtes sauvages, aux communautés intentionnelles... Des zones autonomes temporaires, qui libèrent des zones de temps, d’espaces et d’imaginations de l’aliénation du Spectacle. Des repaires où l’on expérimente des pratiques, des savoirs-faire, des formes d’organisation différentes, pour leur usage et non leur valeur marchande.
Où l’Être de voyage devient catalyseur des paysages à venir.

Pensée nomade

La machine de guerre nomade a pour objet le tracé d’une ligne de fuite créatrice, la composition d’un espace lisse et le mouvement des hommes dans cet espace.

Le parcours prévaut sur l’habitat et le dehors prend la place du dedans. La pensée nomade est une pratique de l’intervalle et de l’interstice qui ne s’intéresse pas à un concept A ou B, ni à un concept B comme étant un non A, mais au processus qui s’opère entre les deux concepts.

La distribution nomadique n’intègre ni mesures, ni limites. Elle propage les espaces intersticiels et brouille les frontières. De l’ailleurs dans l’ici. De l’altérité dans le même. Elle incarne les soubresauts d’une nouvelle organisation sociale moins rationnelle, plus émotive et plus libre.

Enclave

L’enclave est un territoire enfermé dans un autre (de la racine latine clavis, clé ou verrou). « Entièrement situé à l’intérieur d’un autre sans lien direct avec l’unité principale. Cela peut concernet une parcelle dans un propriété voisine, une commune enclavée dans une unité voisine ou une parcelle d’un Etat englobée dans son voisin. Corps étranger séjournant temporairement ou définitivement dans le cytoplasme ».

La vallée serpente sur une soixantaine de kilomètres, des hauteurs du Mercantour, dressant ses plus hautes cimes à près de 3000 mètres, jusqu’à l’embouchure de la Méditerranée : Ventimiglia. L’étagement particulier, de la mer aux montagnes, dans une vallée fortement encaissée, engendre une grande diversité des altitudes, des expositions, des sols, des climats. Elle accueille ainsi un impressionnant brassage floristique, faunistique et géologique avec un taux d’endémisme élevé, qui en fait le refuge de la plus grande biodiversité inventoriée d’Europe.

Résistances

Les montagnes furent successivement façonnées pour permettre aux hommes d’y établir leurs existences, d’y semer les graines de leur liberté, dans l’exil, le refuge, le désir. Le relief difficile, les hameaux parsemés, parfois inaccessibles ont compliqué la tâche à la diffusion du contrôle gouvernemental et de modèles marchands. Le mythe habite la montagne, transportant tout un imaginaire de libertés lié a un présupposé sur sa capacité d’échapper à l’agitation et les horreurs de ce monde.

La vallée de la Roya est un repaire de passage pour les brigands, les contrebandiers, les réfugiés, les déserteurs, les clandestins, les bergers, un espace où l’on peut disparaître temporairement, esquiver l’ordre établi...

Zomia

Espace périphérique de refuge et d’insoumission.

Vaste zone de contreforts montagneux et de jungles, hors empires et civilisations. Ensemble hétérogène de peuples des hauteurs, fugitifs, autonomes : le négatif de l’État tel qu’il s’impose dans le sud-est asiatique.

Les centaines de communautés qui peuplent les montagnes de la Zomia ont depuis deux mille ans organisé leurs sociétés avec un souci constant, celui d’échapper aux nuisances de l’État : à ses décideurs, ses hiérarchies et institutions ; à sa logique : esclavage, religion, conscription, impôts ; aux famines et épidémies périodiques liées à la vie en plaine et à la monoculture.

Fondements de ces autonomies : des organisations sociales souples (le village comme seule unité politique) ainsi que l’agriculture rotative sur brûlis (essartage) impliquant le déplacement fréquent des villages quand changent les parcelles de forêt brûlées, puis exploitées. La communauté zomiane typique ne connaît pas la propriété privée. Les notions d’ethnie, de peuple y sont assez floues : s’il y a revendication d’une identité, celle-ci dépasse rarement les limites du village.

Chapitre 2 / Ventimiglia, la ville en creux

Espace fluide et nomade

« La réalité en soi n’est qu’une illusion, elle est toujours flottante, et ne peut être saisie que dans son perpétuel devenir. Ainsi, tout en étant nécessaire, le territoire est relatif. Terme qu’il faut comprendre stricto sensus. C’est-à dire que le territoire n’est pas une fin en soi, il ne se suffit pas à lui-même, sous peine, justement, de provoquer l’enfermement. Et, d’autre part, le territoire ne vaut que s’il met en relation, que s’il renvoie à autre chose ou à d’autres lieux, et aux valeurs liées à ceux-ci. C’est ainsi qu’il faut comprendre le relativisme : la mise en relation. »
Du nomadisme : vagabondages initiatiques, Michel Maffesoli

Ville frontière

Ventimiglia.
Ville côtière italienne, Azuréenne, ville-frontière.
Ville de passage des êtres du voyage.

Tournée vers la Méditerranée, elle regarde le lointain, et dissimule dans les replis du lit de la Roya, ses formes indésirés : campements, cabanons et friches, zones industrielles et logistiques, parkings...
Les rives du fleuve sont l’espace du rejet, digérant l’inavouable part de la ville.

La Roya et ses berges sont le lieu d’éclosion de l’interdit, et de son outrepassement. L’accès y est interdit, difficile ; pour atteindre le lit du fleuve, il faut réussir à se frayer un chemin entre les murs, barrières, grillages et infrastructures routières, tandis que des myriades de panneaux annoncent la dangerosité de la zone (interdit aux piétons, risque de montée des eaux soudaine).

Traversées

Parcours qui s’entremêlent, se rendant d’un bord à l’autre. La traversée est passage, reliance entre les univers ; saute-frontières.
Traverser l’espace, c’est lui accorder existence dans un intervalle de temps. La présence de la traversée révèle les lieux, les plantes, les roches, vibre avec les gens, dialogue avec le sol ; pose son regard. Nomme les choses -Walkabout et song lines.

L’état de voyage dans la Traversée, comme expression d’être-au-monde, transforme alors la marche en geste, signifiant les paysages. La marche est la traversée.
Elle est ce qui est là.

Rhizome

Système ouvert, réseau de connexions en mesure d’infiltrer le pouvoir et de rendre visible les singularités et les minorités.

Le rhizome s’oppose à la racine unique. Il connecte un point quelconque avec un autre point quelconque. Le rhyzome ne se laisse ni ramener à l’Un ni au multiple. Ni commencement, ni fin, mais un milieu par lequel il pousse et déborde. Il est toujours au milieu, entre les choses, inter-être, - intermezzo.

Son enracinement est dynamique ;
il existe à partir d’un lieu
tout en le transgressant.

Entre, l’espace lisse
Se superpose à la ville un espace nomade.

Entre les infrastructures, l’espace se fait lisse, et laisse la possibilité au voyageur qui osera sauter les murs, grimper les barrières, pénetrer les broussailles, à celui qui osera marcher l’oublié de la ville, de retrouver des lieux d’ensauvagement. Des traces de passage s’égrainent sur les rives. Maigres sentiers dessinés dans les herbes folles, talus strié de pas, trous dans les grillages, echelles sous les murs...
Les parcours longent l’eau.
Dérives aqueuses redonnant existence aux berges.

Interstices

Entre les choses et les êtres, espace vide entre les corps.
L’interstice peut-être silence. Entre-deux musical.
Distance séparant les lieux, respiration.
Les interstices abritent l’ensauvagerie. Ils naissent des décombres et du rejet, et se nourrissent de l’oubli. Comme les parts refoulées de l’espace, et qui de temps à autre, se manifestent au grès de quelques agitations humaines.

Les interstices existent dans la sphère des possibles comme attracteurs de rêves. Ils échappent à l’ordre établi, se situent en marge du pouvoir de la société marchande et spectaculaire.

Ni dedans ni dehors, ils sont la ville en creux, où l’on s’invente de nouvelles vies.

L’interstice devient l’espace où aller.

Refuges

Le refuge peut naitre des lieux de l’abandon et de l’oubli.
Se réfugier demande une déterritorialisation permanente, une nomadisation des parcours.
L’espace lisse des possibles se retrouve alors ponctué de points, d’oasis, où la halte est rendue possible. Pour un temps. Le refuge est ephémère. Comme un blanc dans la carte, une esquive au quadrillage du contrôle, une ligne de fuite créative.
Le refuge est un acte rhizomatique. Se réfugier, dans un espace physique, immatériel, imaginaire, tiendrait d’une capacité de surgissement, d’occupation et de disparition dans/de l’espace.

Chapitre 3 / Habiter l’interstice, campement informel

« Habiter, de la sorte [sans habitudes], est de toute façon sinon un exercice ou un art périlleux, du moins une tenue d’existence. Habiter est aussi étrange et monstrueux qu’être. Ce n’est jamais acquis, jamais une situation. Il reste toujours à habiter. [ ... ] Le sujet se tient toujours encore sur un seuil où il oscille et où il doute. Habiter, ce n’est donc pas occuper ou remplir un « chez-soi » dont aurait été chassée toute trace d’extériorité. Habiter, c’est être sur la brèche. »
Habiter l’inhabituel : le nomadisme comme posture artistique, Benoit Goetz

Sous le pont

Le pont était le refuge des voyageurs bloqués à Ventimiglia, abri face aux intempéries, entre sol en terre et toit en béton. Cabanes et tentes s’y déployaient.

La proximité avec le centre ville en fait un lieu stratégique, et les politiques publiques jouent la carte de l’invisibilisation de cet espace de vie, derrière parkings, grillages et signalétique (interdit d’accès « en raison » de risques de submersion soudaine par ouverture des barrages des usines hydroelectriques).

Chapitre 4 / Expulsion du campement informel

« Ce que nous montrent les Sauvages, c’est l’effort permanent pour empêcher les chefs d’être chefs, c’est le refus de l’unification, c’est le travail de conjuration de l’Un, de l’État. L’histoire des peuples qui ont une histoire est, dit-on, l’histoire de la lutte des classes. L’histoire des peuples sans histoire, c’est, dira-t-on avec autant de vérité au moins, l’histoire de leur lutte contre l’État ».
La Société contre l’État, Pierre Clastres

Opération de « Nettoyage »

Le 18 avril 2018 eu lieu la destruction du campement informel sous le pont, et des cabanes dans le lit du fleuve. Les raisons avancées par les autorités : salubrité publique, et démantelèment de réseaux de trafic (deal, prostitution, passeurs). L’évacuation de la plupart des habitants du campement s’est déroulée en amont, avec bien des tentatives de traversée de la frontière dans la nuit.

« Il ne s’agit pas d’un démantèlement mais d’une opération de nettoyage des berges. La zone était insalubre et posait des problèmes d’hygiène. Il fallait donc intervenir. »
Enrico Loculano, Maire de Ventimiglia, le 17 avril 2018.

Prémices

5h : une vingtaine de silhouettes s’activent entre les tentes. Les dernières affaires à sauver sont évacuées vers un local.
7h : arrivée de la police et déploiement sur le parking. Environ 6 fourgons. arrivée des journalistes.
8h : les élus de la ville arrivent, accompagnés d’une foule de badauds curieux et d’associations. Les machines arrivent, et commencent, l’air de rien, à nettoyer l’extrémité Sud du périmètre.
9h : les reporters sont en transe devant le broyage de bâches et de bois. Les derniers occupants se réveillent, remballent leurs affaires, prient.

Incendie

10h : Une cabane prend feu, et risque de faire exploser une bombonne de gaz voisine. La police intervient et escorte les pompiers. Le traffic est interrompu sur le dessus du pont, noyé dans une épaisse fumée plastique.
10h15 : L’incendie est éteint, et la police commence à se positionner afin de mettre en place un périmètre interdit d’accès.

Déploiement policier

10h30 : la zone incendiée est bouclée par la police. Les machines en profitent pour faire un tour dans le lit du fleuve. Escortées par une vingtaine de policiers, un cortège de cinquante personnes assiste impuissant à la destruction des cabanes. Cris de rages. Squelettes bleus désossés abandonnés sur les galets. Dispersion des spectateurs.

Fouilles

11h : fouille de la ripisylve et cordon policier. Des générateurs sont trouvés. Longues engueulades et cris sous les sourires narquois des bleus. Il devient peu à peu impossible de rejoindre la Roya. On s’abrite sous le pont.

Perimètre d’interdiction d’accès

12h : évacuation finale des gens hors du lit. Seule la police reste sur la zone. Un cordon de bleus casqués et protégés par de grands boucliers transparents avance vers les dernières personnes présentes. Feintes d’arrestations. Ça se disperse sur le parking.
12h30 : l’opération policière est finie, les deux parkings controlés. Les machines, elles, continuent leur travail de nettoyage sous le pont, chargeant monceaux de cabanes et de tentes broyées dans les bennes. Fin du travail vers 19h, ponctué d’interventions policières : deux arrestations de personnes réfugiées dans les buissons de la zone.

Occupation policière

La présence policière est quotidienne dès lors sur les parkings. Quiconque fait mine d’approcher, essaye de déplier une couverture ou de s’asseoir sur le bord d’un trottoir est sommé de quitter le lieu. Des clôtures ont été posées ou remplacées afin de fermer le périmètre. Détruites à plusieurs reprises, elles furent aussitôt rebâties.

D’autres dispositifs sécuritaires ou de dissuasion égrainent aussi les bords de route : rochers anti-véhicules et barres de limitations de hauteur, grillages et parpaings de chantier, panneaux d’interdictions en tous genres et panneaux de dangers de mort, barrières automatiques, disparition du trottoir...

Chapitre 5 / Stratégie d’invisibilisation des indésirés

Le camp de la Croix-Rouge - Monopole de gestion

Le camp de la Croix-rouge est la seule réponse institutionnelle face à l’expulsion du camp : canalisation, invisibilisation de la présence des voyageurs indésirés. Situé à 4km du centre ville, recroquevillé au fond d’une immense friche ferroviaire, le campo flotte dans une impression de bout du monde.

Le camp est fermé et surveillé : condition d’entrée sur prise d’empreinte. Ouverture de 8h à 22h, abaissé à 20h en hiver. Théoriquement, l’accueil des femmes et des mineurs peut se faire à n’importe quelle heure, mais n’est pas respecté. La capacité de 300 places dans des algécos, avec deux douches en service sont insuffisants face à l’afflux de personnes.
Le camp crée un couloir de marche inninterrompu, fait d’allers-retours entre le centre ville et le hors-ville.

Et Ventimiglia se vide, redevient ville-fantôme de la côte, des êtres de passage.
Les derniers espaces d’autonomie disparaissent derrière la répression constante, la fermeture des locaux, la pose de barrières en tous sens et les travaux sans fin...



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