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Réflexions autour des Jeux Olympiques d’hiver de Turin en 2006

mis en ligne le 2 novembre 2022 - Nunatak

Ce qui suit est une traduction de deux textes extraits de Nunatak, une revue qui parle d’histoires, de cultures et de luttes des montagnes, depuis les Alpes italiennes. Elle est publiée à chaque nouvelle saison depuis 2006. Le premier texte est issu du numéro 1, sorti au moment où allaient avoir lieu les Jeux Olympiques (JO) d’hiver à Turin en 2006. Le second revient, en 2013, sur les conséquences de cette compétition dans la région.

Les mettre en parallèle permet d’apercevoir un peu l’avant et l’après JO. Ce ne sont pas vraiment des récits de luttes, ce qui peut paraître peu enthousiasmant. Ce sont plutôt des analyses courtes sur les raisons de s’opposer aux JO et leurs impacts dans ces territoires. Ce sont aussi des propositions pour une lutte radicale qui ne se limite pas à la critique des JO mais affronte aussi le monde qui va avec, à l’heure des JO 2024 à Paris et au moment où la Savoie propose sa candidature pour 2030.

Les textes traitent de JO d’hiver, organisés en partie dans des zones moins urbanisées que celles qui accueillent les épreuves d’été. Certaines questions du rapport au territoire, de sa conservation, de ses coutumes peuvent parfois sembler décalées, sous certains aspects, dans une lutte urbaine. Il parait tout de même intéressant de questionner les liens au territoire et aux savoirs qui se transmettent quel que soit l’endroit où l’on vit. Ces réflexions peuvent en nourrir d’autres dans des espaces déjà très fortement urbanisés et contrôlés. Par ailleurs on pourrait lire dans certains passages une nostalgie du passé. Pour autant il n’y a pas de culte d’espaces naturels à préserver et à muséifier mais bien le récit d’une lutte permanente quoique difficile contre une présence accrue du capitalisme dans nos vies.

à travers ces lignes s’entremêlent différentes échelles de réflexions, d’une critique générale de ce que représentent et produisent les JO à une réflexion sur les oppositions locales aux différentes candidatures. La plupart de ces luttes n’ont pas abouti à l’annulation des Jeux mais dans certains cas le CIO a dû se rabattre sur d’autres candidatures en raison d’une opposition trop forte.

Si les luttes s’ancrent inévitablement dans des lieux et des contextes spécifiques, il apparait vital qu’elles demeurent connectées à un discours global contre les JO en tant que produit et accélérateur du capitalisme, exacerbant le contrôle des corps et des esprits, car on ne veut des JO ni ici ni ailleurs.

Les organisateurs s’attèlent systématiquement à présenter cet évenement comme une fête pour le bien-être de tou.te.s. A ce vernis festif s’est progressivement superposé celui du « développement durable ». Désormais les JO sont estampillés « verts », tout comme le capitalisme, et il nous parait essentiel de pointer du doigt cette supercherie de plus.

Dans Nunatak a aussi été publié un texte sur les luttes contre les JO de Vancouver qui ont eu lieu en 2010, entre autres contre les infrastructures réalisées sur des territoires revendiqués depuis des années par des autochtones [1]. Ainsi qu’un texte sur les JO de Sotchi de 2014 en Russie, qui décrit les enjeux autour de l’implantation des équipements sur place, ce qu’ils ont permis aux dirigeants étatiques en terme de répression et comment ils ont servi de vitrine mondialisée aux entreprises chargées de la construction.

L’idée de ces traductions part d’une nécessité, celle de visiter d’autres luttes pour nous aider à lutter aujourd’hui, pour ne pas oublier ce qui a eu lieu avant, pour se nourrir des réflexions et apprendre des erreurs. Se souvenir de ce que d’autres ont fait avant nous et créer des liens malgré la barrière de la langue contribue à briser la reproduction des mêmes schémas de domination d’une époque sur l’autre, d’un territoire à l’autre. En espérant que ces textes vous apportent quelque chose et vous donnent l’envie d’en partager d’autres...

Dans l’ensemble de la brochure le masculin l’emporte sur le reste. Bien qu’une écriture féminisée ou dégenrée aurait été préférable de notre point de vue cela semblait inadapté de l’ajouter lors de la traduction. Le texte est donc transcrit dans sa forme originale.

Eté 2022


Jeux Olympiques : Les blagues les plus courtes sont les meilleures

(Un bel gioco dura poco)
Pignerol Anti Jeux olympiques [2]

Dans moins de deux mois, en février, les projecteurs du monde entier seront pointés sur le Val de Suse et sur le Val Cluson [3]. Mais qui vit ou fréquente ces zones, a depuis longtemps sous les yeux le résultat de quatre ans de pelleteuses et de ciment du chantier olympique. L’aménagement des structures chargées du déroulement des compétitions a littéralement déformé le profil de ces montagnes.

Des groupes de militaires armés occupent les sites, développant le sentiment d’urgence et de peur construit méthodiquement par le ministre de l’intérieur Pisanu. Ainsi, pendant que les promoteurs des Jeux Olympiques d’hiver proposent la trêve olympique au nom de la fraternité entre les peuples, dans les vallées qui accueillent l’événement on vit à l’ombre des véhicules blindés.

Jour après jour, on fait aller, en se frayant un passage au milieu de la circulation toujours plus congestionnée à cause des chantiers ouverts, en vivant avec les désagréments provoqués par la réalisation de travaux incompatibles avec le territoire environnant et avec celles et ceux qui l’habitent.

On attend, en pensant à l’après, quand tout sera fini...

Il s’est déjà dit tout et son contraire sur Turin 2006 : le shopping est devenu une discipline olympique, et paradoxalement, des disciplines sportives à proprement parler, on en parle quasiment jamais. Rien d’étrange. L’enveloppe a avalé le contenu. Cependant, si un moment nous pouvions ne pas être éblouis par les lumières de la vitrine olympique, nous pourrions entrevoir ce qu’il y a derrière. Au-delà des publicités des sponsors comme Coca-cola et Mc donald, nous verrions aussi des entreprises impitoyables dont le sport est l’appauvrissement et l’exploitation systématique de la planète et de ses ressources.

N’oublions pas que, parmi ceux qui ont majoritairement investi dans l’événement olympique, il y a la Fiat [4] et que beaucoup de personnes chargées des rôles importants dans la gestion des Jeux Olympiques sont directement ou indirectement reliées à cette entreprise en tant que partenaires, actionnaires ou carrément membres de la famille Agnelli.

Derrière le faste du gala apparaîtraient les sordides bagarres de politiciens et des hommes de main locaux, tellement occupés à s’empoigner et à se confondre dans le contexte d’un énième trou budgétaire du Toroc [5].

Et dans tout ça, qu’en est-il des montagnes olympiques ?

Il y a deux ans, les promoteurs de l’événement et les administrateurs locaux répétaient en chœur que le Val de Suse et celui de Cluson auraient eu une opportunité sans précédent. Un des plus fervents soutiens de l’imposture olympique, le maire de Pragela en était arrivé à affirmer que : « Nos vallées seront arrosées par des montagnes d’argent ! ».

Aujourd’hui, à deux mois de l’événement, tout ce qui avait été exhibé, le prestige, l’argent, les opportunités, s’est transformé en un concept flou, loin duquel on parle peu et à contrecœur en répétant une vielle rengaine, presque du bout des lèvres. Par contre, ces pentes montagneuses éventrées par des tremplins de saut en ski et des pistes de bobsleigh révèlent le vrai visage de l’économie inspiratrice de l’événement olympique ; une économie vorace et impitoyable qui produit des désastres en série et qui a utilisé le prétexte du sport pour faire taire toute critique.

Tout s’achète et tout se vend. C’est l’impératif qui aujourd’hui domine chaque jour de nôtre existence. Par conséquent, l’environnement qui nous entoure, devient conforme aux exigences de nature économique et marchande, sans en considérer l’importance et la complexité. Voilà pourquoi les vallées des montagnes sont considérés comme des corridors à traverser le plus vite possible pour que communiquent les zones de productivité ; ou simplement comme des zones de divertissement adaptées aux goûts et aux habitudes des touristes.

Avec la construction incessante et inconsidérée de routes, d’équipements et d’infrastructures qui mettent en danger la survie même de la montagne. Les personnes qui, chaque fin de semaine s’échappent de l’aliénation de la ville, risquent de retrouver les mêmes enseignes lumineuses,le même bruit et le même chaos qu’ils viennent de quitter. Bardonnèche, Sestrières ou Pragela ressemblent plus à des petites métropoles qu’à des villages de montagne et constituent des exemples préoccupants d’homologation du territoire urbain. Un tel processus, en plus de porter avec lui la pollution et le style de vie insalubre des grandes villes, contribue à la surpopulation des vallées et au progressif abandon des cultures et savoirs locaux. Éventrées par les tunnels et couverts de ciment, infestées de fast-food et de supermarchés, que reste-t-il des vallées alpines ? Une fois privées des paysages qui les rendent uniques, de la complexité de son écosystème et de l’identité de ceux et celles qui l’habitent, que restera-t il ?

Les montagnes olympiques sont une escroquerie !

Turin 2006 n’est que le nom d’une publicité mensongère, terminée avant même d’avoir commencé.

Ne nous faisons pas avoir ! On n’a jamais vu les opportunités pour le territoire.

Par contre, nous avons assisté à la bétonisation d’espaces considérés comme d’importance communautaire, à l’expropriation de terrains auparavant utilisés par les communautés locales pour le pâturage ou la culture (et quiconque a un potager en montagne sait quel travail et quelle fatigue il en coûte). De plus, les dommages environnementaux qui peuvent être liés aux Jeux Olympiques ne s’arrêtent pas aux infrastructures destinées aux différentes disciplines sportives. Au delà de ça, il y a d’autres éléments qui comportent déjà une généreuse bétonisation.

Les prévisions d’un afflux extraordinaire de touristes durant les 15 jours des Jeux ont donné un élan irréfléchi à la construction de routes et d’hôtels. Pour la déviation Pignerol-Pérouse voulue pour décongestionner la circulation sur la nationale 23 il a été nécessaire l’excavation d’un tunnel de près de deux kilomètres à la hauteur de Porte et d’un tronçon surélevé de S.Germano à Pérouse. A cet endroit, les poteaux de soutien du tremplin sont établis dans le lit du torrent du Chisone dont le cours est déjà dévié en amont à proximité du tremplin de saut en ski de Pragela. En octobre 2000, une inondation a dévasté cette vallée montrant bien la dangerosité pour la route et les maisons construites à proximité du torrent du Chisone, mais évidemment, la leçon n’a servi à personne.

Au mont Pragela, l’entrée du Val Troncea est maintenant méconnaissable à cause des travaux accomplis. Bien qu’elle soit reconnue comme Parc Naturel, la zone a été défigurée par les chantiers et accueille aujourd’hui, malgré elle, la piste de fond, deux bassins de traitement pour la neige artificielle, un parking vide et un village touristique de 800 places.

Mais comment il a été possible d’intervenir dans cette zone apparemment protégée ?

Les dispositifs légaux étatiques et régionaux qui s’occupent de la préservation des milieux et espaces naturels, déclarent pouvoir accorder n’importe quel type de travaux dans des zones protégées, seulement après avoir vérifié que l’œuvre ne compromettrait pas l’intégrité du site. Mais en précisant que le projet peut quand même être réalisé en présence de « motifs relevant de l’intérêt public ». Il n’est pas étonnant donc, qu’il se trouve une loi en octobre 2000, qui comme par hasard, définit les travaux pour la construction des sites olympiques d’ « utilité publique et urgente », ignorant de cette façon les innombrables rapports qui démontrent la nocivité de ces interventions.

S’il est vrai que les Jeux Olympiques dureront seulement deux semaines, c’est d’autant plus vrai qu’ils laisseront sur ce territoire des cicatrices pour très longtemps. Les projecteurs n’auront pas eu le temps de se poser ailleurs, que le val de Suse et le val Cluson devront faire face à des infrastructures et des installations pharaoniques dont les coûts de maintenance sont insoutenables.

La chaîne montagneuse qui surplombe notre territoire n’appartient pas à un passé révolu et romantique. Ce n’est pas une zone hostile à dominer ou à presser pour les besoins économiques de quelques-uns. C’est notre terre, riche en mémoire et pleine de vie et nous n’accepterons pas de la voir s’éteindre lentement derrière la vitrine d’un musée.

Nunatak n°1, janvier 2006

Le tremplin de saut à ski de Pragela

Parmi les différentes structures construites pour les Jeux Olympiques de Turin en 2006, le tremplin de saut à ski représente une des plus critiquables par son fort impact environnemental. De fait, la structure olympique se trouve dans une aire à fort impact environnemental considérée site d’importance communautaire (SIC), caractérisée par la présence d’une vaste forêt de mélèzes de Pins Cembra qui abrite des nombreuses espèces de faune.

La construction de la structure sur le versant orographique droit, du coté de Pragela, a conduit a la destruction d’un secteur de la formation boisée avec une modification irréversible de l’usage du sol. La réduction d’une telle superficie concernée par la coupe de bois, même si relativement contenue (2,2 hectares) par rapport à l’extension totale du bois (environ 275 hectares), est en mesure de déclencher des phénomènes de modification et d’altération de l’écosystème du site naturel.

De tels phénomènes sont provoqués essentiellement par la partielle interruption de continuité de la formation écologique et par la destruction du sol. Si on considère que sur le même versant il existe déjà une station de ski, il est facile d’imaginer que le tremplin produise une autre fragmentation de l’écosystème forestier causant des phénomènes de dégradation importants.

La réalisation de structures olympiques constitue un nouvel élément de discontinuité territoriale qui interfère en particulier avec les flux faunistiques le long des couloirs écologiques et qui détermine dans la zone l’augmentation de la perturbation provoquée par l’homme et par ses activités : le mélézin fournit l’abri et les ressources alimentaires à de nombreuses espèces animales.

« Les facteurs d’impact qui sont signalés produisent l’éloignement de la faune la plus sensible aux changements environnementaux (comme par exemple le Tétras lyre), réduisent la complexité structurelle et la fonctionnalité de l’écosystème, modifient les délicats équilibres naturels en augmentant la vulnérabilité des populations naturelles. De plus, les interventions de rectification et de déviation du lit du torrent Chisone, avec la réalisation d’ouvrages hydrauliques pour la défense des zones habitées et pour la réduction de l’érosion des berges, sont la cause de l’altération et même de la destruction de la bande de végétation péri-fluviale, mais aussi de la réduction de la complexité de l’écosystème fluvial.

De tels aspects entraînent la perte de différenciation écologique (la banalisation des caractéristiques morphologiques du lit de rivière, la variation de la vitesse du courant, la réduction des habitats, etc.) qui pénalise les populations naturelles les plus vulnérables, celles qui sont liées aux cours d’eau ou à ses rives, en provoquant la réduction de la biodiversité et de la biomasse du cours d’eau.

En général, la réalisation de structures olympiques met en perspective de nombreux aspects problématiques. La perturbation anthropique, la coupe de la formation boisée, les opérations d’excavation avec des modifications de la structure géomorphologique, les interventions de rectification effectuées sur le torrent Chisone sont des éléments qui déterminent la dégradation et les altérations irréversibles sur une zone plus ample que celle strictement occupée par les tremplins. »

Gionata Valsania, docteure en sciences naturelles


La rouille de Neve et Gliz [6]

Cercle Culturel Barbaria

Vous vous rappelez des mascottes de Jeux Olympiques d’hiver de 2006 ? Malheureusement, de cette terne cérémonie il ne reste pas seulement les marionnettes rouillées de Neve et Gliz à l’entrée de Pragela [7] ou entre les parterres de fleurs d’un parc au sud de Turin, mais il reste aussi d’authentiques blessures ouvertes, dans le paysage et les caisses publiques, qu’il vaudrait mieux garder en mémoire.

Quand, il y a presque huit ans, nous essayions de décrire le poids des dévastations et du saccage que le carrosse olympique de 2006 aurait amené avec lui, cela augurait certainement de parler de comment les populations locales, conscientes du dommage social et environnemental qui en découlerait, se seraient données pour l’empêcher.

Malheureusement ce n’est pas arrivé. Sauf quelques tentatives insuffisantes mais pas nulles de conflits éparses dans le nord de la péninsule, réalisés par quelques amants de la montagne (mais aussi par ceux qui ne se résignaient pas au bouleversement urbanistique et au « nettoyage » social de la ville), l’anesthésiante euphorie de la majeure partie des citadins et la naïveté d’une bonne partie des habitants de la vallée n’ont laissé de l’espace qu’à l’hypnose générale du spectacle. La logique du grattons ce qui est à gratter jusqu’à temps, et peut-être sous les ongles il reste quelque chose, à prevalu, même dans les rangs de misérables qui firent semblant de ne pas savoir que l’aspirateur des professionnels de la spéculation ne laisse aucune miette.

Morale de la non-fable ? Non pas sous les ongles, mais devant les yeux de tous il ne reste que la navrante évidence du destin de chaque événement conçu de cette manière. Le fait que maintenant chaque bout du territoire alpin est irrémédiablement endommagé par les opérations pharaoniques qui, en plus d’être incompatibles avec le territoire qui les entoure, sont comme prévu totalement inutilisées, ne nous fait pas regretter l’occasion manquée de profiter de davantage de flux touristiques, qui n’apporteraient rien sinon une masse de curieux assoiffés de « loisirs », et d’interminables queues dominicales, mais cela nous oblige à constater de quelle sorte de machine à s’endetter sont faits ces foutus Jeux Olympiques, surtout pour la montagne.

De fait le coût d’entretien de telles structures viendra dans peu de temps dépasser celui de leur construction… et on utilisera à fond les subventions publiques après avoir épuisées les caisses des municipalités. A la fin il ne restera rien que les souvenirs monumentaux tracés sur les flancs de la montagne comme une plaie encore ouverte, et non seulement en ce qui concerne les obscènes tremplins de ski de Pragela ou la piste de bobsleigh de Cesana, mais aussi avec les désolantes structures hôtelières, le village olympique, les salles de sports, etc. Voilà en bref, l’héritage olympique que le Val Pelice, le Val Cluson et le Val de Suse ont eu le plaisir de gagner avec les Jeux Olympiques d’hiver Turin 2006. Nous savons bien que ça n’est ni le premier ni le dernier « grand événement » à comporter le virus de la consommation du territoire et du gaspillage, de la culture du jetable, de la spéculation immobilière, de la commercialisation de l’environnement montagnard, et de tant d’autres mots d’ordresde l’industrie du loisir. La liste serait trop longue, mais il suffit de penser à ce qu’il reste des Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville en 1992 ou de ceux d’été à Athènes en 2002 : d’énormes gains pour les habituels vautours et des dettes pour les autres. Quelque chose à ce sujet nous réjouit : les populations du canton suisse des Grisons, où il y a eu un vote par référendum pour décider ou non de la candidature de la région au Jeux Olympiques d’hiver de 2022, en mars de cette année [2013], doivent en avoir eu l’intuition. Le « non » a gagné haut la main : signe que la population, au-delà de la forte pression de la propagande des élites financières, politiques et sportives, ne s’est pas laissée berner par le méga-spectacle du CIO, de Coca-cola et autres, prêts à verser sur le territoire des millions de mètre cubes de ciment.

Après tout, les critiques des Jeux Olympiques ne font qu’enfoncer des portes ouvertes, cela ne semble pas nécessaire de le répéter encore, cela apparaît tellement banal à qui a un minimum de sens critique par rapport aux projets pharaoniques pour la consommation et l’usage d’une vie toujours plus « spectaculaire ». Certes, nous aurions préféré que le « non » à ce type de projets ne vienne pas d’une consultation voulue par une poignées d’associations environnementales, de politiciens écologistes et de jeunes socialistes. Une consultation, ce référendum, assez fréquent dans la « démocratique » Suisse (celle-là même qui maintient Marco Camenish en prison depuis plus de 10 ans, qui a marqué de sa propre vie la lutte contre tout type d’autorité).

Nous aurions préféré qu’il s’agisse d’une lutte venant d’en bas qui mette en avant une critique générale de ce modèle de vie, de la sacralisation du sport, de ce qui nous est imposé par ceux qui prétendent décider pour nous, avec une vision de la vie faite de ballons colorés, de caméras et de télévision, de commerce, de surveillance, de compétition…

Et non pas, comme c’est arrivé, en mettant l’accent sur le développement durable des Alpes ou sur une gestion des profits par les organisateurs des Jeux Olympiques qui ne prend pas en compte des citoyens du canton. On dit « non » à un projet avec la main sur le portefeuille ? Ou on le dit en souhaitant un développement durable ?

Les besoins des Alpes ne sont ni l’argent ni le développement durable, définition inventée par une économie toujours à la recherche de nouveaux espaces d’action, ni le tourisme vert qui justifie des projets insensés et souvent classistes. C’est la lutte contre l’autorité, quelle que soit sa forme, qui permettra de libérer le territoire où ce seront les habitants qui décideront, à la recherche de solidarité entre exploités à travers des relations horizontales et non hiérarchiques. Sans se limiter à vouloir créer des oasis lointaines dans l’espace et dans les modes de vie du territoire plus en aval.

Donc le « non » du canton des Grisons à la candidature est sans aucun doute un signal positif (il paraît qu’en Allemagne aussi la candidature de Garmisch [8] ne soit pas acquise non plus) mais qui pose quand même des questions et ouvre la voie aux critiques. Est-ce qu’il y a besoin que quelques organisations se chargent de recueillir des signatures pour lancer un référendum, ou pouvons-nous nous rendre compte de manière autonome de ce qui se passe dans notre territoire ? Les motivations d’intérêt populaire sont-elles nécessaires pour faire pencher les habitants vers le refus, ou sommes nous capables de voir plus loin et faire émerger une vraie critique qui amène vers un parcours de lutte sans intermédiaires ?

Nunatak n°31, été 2013

Donner les chiffres...

Piste de Cesane, 77.3 millions d’euros ; tremplin de saut de ski de Pragela, 36 millions d’euros ; piste de fond de Pragela, 20 millions ; Freestyle de Sauze, 9 millions d’euros ; Atrium Piazza Solferino (Turin), 12 millions ; installation de biathlon San Sicario, 25 millions. Le Toroc a terminé sa scandaleuse gestion avec 25 millions de passif aussi grâce au don de plus de 40 millions d’euros de « consultants » et d’« emplois professionnels » et la Fondazione XX Mars, créée pour gérer tout le système du « post-olympique », qui après avoir assuré à plusieurs reprises qu’au lendemain des Jeux Olympiques viendrait un surplus économique, s’est rendu compte que « le post-olympique » a plutôt causé un déficit de 6 millions d’euros. Effectivement, la piste de bobsleigh de Cesane à fermé ses portes car elle ne pouvait pas endiguer une perte annuelle égale à un million et demi d’euros. C’est pareil pour l’installation du tremplin de saut à ski de Pragela : le coût d’entretien est de 1.16 millions d’euros. Mais aussi pour le Resort de Pragela, structure hôtelière de 120 lits utilisés exclusivement pendant la période du marathon olympique, qui est aujourd’hui fermé. Savez-vous comment on s’est mis à l’abri ? La Fondation XX Mars a tout mis dans les mains du géant américain Live Nation. L’agence étasunienne a récupéré 70% des installations du Parc olympique pour un total de 2.150.000 d’euros, c’est-à-dire à peine 0.4% du coût de ceux-ci. [9]

... Comme déja jadis on les donna au delà des Alpes..?

Qu’est-ce qu’il reste des Jeux Olympiques d’Albertville en 1992 ? Parmi les effets collatéraux négatifs on peut citer un déficit de 42,7 millions d’euros et une infrastructure plus ou moins utilisée. Les pertes ont été imputées pour 75% à l’État français et pour 25% au département de la Savoie. En revanche, conformément aux traités et aux accords, le Comité Olympique international ne peut pas enregistrer de pertes. Il a donc encaissé la moitié des recettes provenant des contrats avec les sponsors et des droits télévisés. Où sont passées les autres recettes, on ne le sait pas. De plus, l’État a concédé au Comité organisateur un prêt de 58.84 millions d’euros, jamais rendu. La commune de Brides les Bains à risqué la banqueroute, dû en parti à la gestion peu rentable de la télécabine. La ville d’Albertville a inscrit dans ses comptes un déficit de 4.73 millions d’euros, auquel s’ajoute l’entretien des infrastructures en perte, comme le tremplin de saut à ski de Courchevel (200.000 euros à l’année) ou la piste de bobsleigh et de traîneaux de La Plagne. [10]

[1Pour plus de lecture en français sur cette lutte : Contre les Jeux Olympiques de 2010 à Vancouver.

[2Pignerol est une ville du Piémont à environ 50 km de Turin, au sud-ouest. Toutes les notes de bas de page sont de la traduction sauf si mention contraire.

[3Val Susa et Val Chisone, deux vallées dans les Alpes en Italie proches l’une de l’autre et de la frontière avec la France.

[4Grosse entreprise turinoise automobile dirigée par la famille Agnelli.

[5Organising Committee, soit le Comitato per l’Organizzazione dei XX Giochi Olimpici Invernali Torino 2006, l’organisateur des JO de Turin de 2006.

[6C’est le nom des deux mascottes des JO de 2006, qui représentent une boule de neige et un cube de glace.

[7Station de ski.

[8En 2013, suite à un référendum, la candidature a été abandonnée et d’autres candidatures l’ont été aussi en Allemagne depuis, mais le comité allemand envisage toujours une candidature pour 2032.

[9Le texte de cet encart est extrait d’un article publié dans la version en ligne de Il Giornale (c’est tout dire...) du 15 février 2012.

[10Le texte de cet encart est signé Patrick le Vaguerèse, dans le numéro 94 de la revue du CIPRA, Alpinscena, novembre 2010.


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